jeudi 30 octobre 2014

L’Isie n’a rien vu

 Les dépassements commis par les partis politiques au cours des législatives ont été relevés par des centaines d’observateurs de plusieurs associations et organisations non gouvernementales (ONG).
Les nombreuses infractions qui ont eu lieu lors de la campagne  électorale et lors de la journée des élections ont été perpétrés par certains partis qui ont, selon les observateurs, dépassé le plafond financier qui leur est imparti dans chaque circonscription et/ou qui se sont rendus coupables de la distribution des sommes d’argent à de  jeunes et moins jeunes citoyens afin de mobiliser des troupes pour leur meeting, à l’évidence, grandiose.
De quoi se poser la question : d’où vient tout cet argent ?
D’aucuns n’ont pas hésité d’ailleurs à le qualifier «d’argent sale».
Lors de la journée des élections, les observateurs ont également relevé un grand nombre d’entorses à la loi devant les bureaux de vote à travers les régions.
Le directeur de la campagne électorale du Front populaire, Riadh Ben Fadhl, déplore que plusieurs partis se sont permis de faire de la propagande politique partisane ou du tractage, alors que d’autres observateurs ont constaté que certaines personnes ont agi de manière à influencer les électeurs en achetant leur voix. Ce qu’a corroboré l’Atide en précisant que les achats de voix ont eu lieu à Douar Hicher, Oued Ellil, Zarzis, Kasserine et  Sidi Bouzid.
Plusieurs candidats  ont relevé, par ailleurs, l’utilisation des enfants, arborant des tee-shirts, casquettes et fanions aux couleurs de certains partis toujours devant les bureaux de vote, notamment à l’Ariana et à Mellassine. Ce sont là les manquements à la loi les plus graves de la part des partis et de leurs partisans, mais il y en a tant d’autres.
Face à tous ces dépassements, Chafik Sarsar, président de l’Isie, s’est empressé, en revanche, de nous montrer, lors de la conférence de presse tenue lundi dernier, au Palais des congrès, une vidéo où l’on voit, dans un bureau de vote, une femme âgée en possession d’un bout de papier sur lequel est visiblement inscrit le numéro de la liste d’un grand parti, Ennahdha. Le directeur du bureau de vote  s’en aperçoit et lui signifie que «c’est interdit».
Un des observateurs photographie avec son portable la carte d’identité de la femme, lui confisque le bout de papier puis l’invite à rejoindre l’isoloir… En fait, ce que reproche le président de l’Isie à cet observateur n’est autre que d’avoir «pris en photo la carte d’identité de la personne en question, ce qui est contraire à la loi»
«Voilà qui est très grave», selon le président de l’Isie, mais doit-on rappeler qu’il y a des infractions beaucoup plus alarmantes et dangereuses : l’influence des électeurs par la propagande partisane, le tractage et l’achat de voix.
On aimerait, donc, savoir ce que compte faire l’Isie, et quelles sanctions envisage-t-elle de prendre face à ces comportements aussi anticiviques et antidémocratiques. Car laisser faire c’est ancrer ce genre de comportements «voyous», inciviques qui s’opposent aux principes et aux valeurs démocratiques. Or, notre pays est en train d’asseoir la démocratie en aspirant, entre autres, à des élections libres et transparentes.
C’est pourquoi l’Isie devrait agir et sanctionner tous ceux qui transgressent la loi et utilisent la tricherie et des moyens illicites pour influer sur les résultats électoraux, quelle que soit l’échéance électorale. La loi est claire : tout parti qui dépasse le plafond financier permis pour sa campagne électorale, dans une circonscription ou plusieurs, peut voir sa ou ses listes tomber et se rendre, ainsi, inéligible. Idem pour les infractions graves commises lors de la journée des élections. Or, Chafik Sarsar a annoncé, dans une des conférences de presse qu’il a tenue hier, «que les dépassements consignés par plusieurs associations  d’observateurs ne peuvent en aucun cas susciter l’annulation d’une quelconque liste électorale».
Mais ce que tout le monde sait c’est que seules les sanctions, pas forcément l’annulation de listes  peuvent dissuader les contrevenants et les tricheurs car l’impunité ne fera que les pousser à récidiver.

mardi 28 octobre 2014

Les partis politiques s'expriment_ Entre mécontentement et satisfaction

Les Tunisiens ont voté hier aux législatives, avec un taux de participation avoisinant les 60% pour 65% des bureaux de vote.  (Au moment où nous mettions sous presse). Certains politiques ont qualifié cette journée «d’historique» tandis que d’autres se sont focalisés sur le taux pratiquement faible de participation des jeunes ainsi que les nombreux dépassements.
Nous avons approché des candidats et des dirigeants de partis qui ont commenté et évalué ces élections du 26 octobre 2014.
Pour Bochra Belhaj Hmida, candidate de Nida Tounès dans la circonscription de Tunis 2 : «Cette journée a été calme et sereine, mais marquée par moins d’enthousiasme en comparaison avec les élections de 2011». La candidate constate, par ailleurs, «la désaffection des jeunes qui ne se sont pas retrouvés ni dans le paysage politique, ni dans le discours des partis, fond et forme confondus».

Que de dépassements !
De son côté, Riadh Ben Fadhl, directeur de la campagne du Front populaire, ne cache pas son mécontentement en raison des nombreux dépassements qui ont jalonné cette journée électorale, aussi bien à l’intérieur qu’à l’extérieur du pays. Et il n’hésite pas à les énumérer : «A l’intérieur du pays et dans le bureau de Bab Souika, par exemple, un de nos camarades a eu la mauvaise surprise de voir que quelqu’un d’autre a signé devant son nom et à sa place, ce qui ne peut se faire sans la complicité de l’un des assesseurs de ce bureau de vote».
Ajoutant que : «L’Isie a complètement failli au niveau  du système informatique, notamment concernant les électeurs inscrits qui n’ont pas trouvé leur nom. Beaucoup de partis se sont permis de violer la loi électorale en faisant de la propagande partisane devant les bureaux de vote : certains observateurs munis de badges et arborant des tee-shirts de leur propre parti ont agi de façon à influencer le vote des citoyens. On les a même vu en grande discussion avec des directeurs de bureaux de vote. Au Kef, à Kesra, des personnes âgées sont entrées avec les bulletins de vote en bonne et due forme, portant le tampon de l’Isie dans les quatre coins du dos de la feuille. Donc, il s’agit le plus probablement de faits commis par certains observateurs partisans.
A Ben Arous, le parti Al Joumhouri a fait du tractage devant le bureau de vote de Hay Ennasr. A Sfax 2, au bureau de Hay El Habib, Nida Tounès et Ennahdha n’ont pas hésité à faire de la propagande partisane. A Bizerte, à l’école de la rue de Grèce, le directeur du bureau a chassé les observateurs. Dans la circonscription de La Manouba, le directeur du bureau d’Al Habib de Tébourba a quitté son poste et a été remplacé par un partisan d’Ennahdha, etc.
A l’extérieur du pays, les électeurs soit n’ont pas trouvé leur nom alors qu’ils sont inscrits, soit ils ont été promenés d’un bureau de vote à l’autre. Exemple : en Italie, notre camarade, tête de liste du Front populaire, a été expédié de Ravenne à Gênes, 400 km plus loin. Un autre camarade a été expédié du bureau de  Sicile à Milan. En France, à Lyon et à Toulouse, c’était aussi la pagaille. Bref, nous avons relevé toutes ces infractions que nous avons consignées avec beaucoup de minutie afin de déposer plainte auprès du Tribunal administratif».

«Historique !»
Au-delà des dépassements et autres infractions, certains hommes politiques et autres partisans considèrent que ces élections législatives sont «historiques». Car, tel que le souligne, ici, Mohamed Bennour, porte-parole d’Ettakatol, «il s’agit d’une victoire de la démocratie, puisque c’est la première fois dans l’histoire du monde arabo-musulman, que des élections sont organisées sans que les résultats soient connus d’avance. Voilà un acquis à renforcer et à défendre par toutes les forces démocratiques».
Et d’ajouter : «Certainement qu’il y a eu des dépassements, mais il est du devoir des patriotes de propager la culture démocratique et le respect de l’autre et de l’adversaire. Il y a eu également des provocations condamnables, mais l’essentiel c’est qu’il y ait, après l’annonce des résultats, de bons perdants et de bons gagnants et qu’on ne tombe pas dans la provocation. Et là la responsabilité des partis qui l’emporteront est immense en ce sens qu’ils doivent rassembler les Tunisiens et non les diviser.
Maintenant, si l’UPL remporte des sièges à l’Assemblée des députés du peuple, je dis que c’est une offense aux Tunisiens d’autant que l’origine de la fortune de son président est inconnue».

Désaffection des jeunes 
Ce qui a frappé Mohamed Hamdi, candidat de l’Alliance démocratique dans la circonscription de Médenine, c’est la désaffection des jeunes pour ces élections législatives : «C’est un indicateur négatif, les jeunes n’ont pas participé en masse car ils semblent bien désabusés».
Férida Laâbidi, candidate d’Ennahdha dans la circonscription de Kairouan, est, elle, satisfaite de l’atmosphère dans laquelle se sont déroulées les législatives, estimant que «l’ambiance et les conditions sont acceptables, malgré les infractions enregistrées, notamment les tentatives d’influence des électeurs et certaines agressions constatées, sans compter, du côté de l’Isie, l’ouverture tardive de certains bureaux».
Et de saluer la société civile et les observateurs nationaux «qui ont fait un travail remarquable», selon elle. Et de saluer également le peuple qu’elle juge «responsable et à la hauteur de l’événement».
Mohamed Abbou, secrétaire général du Courant démocratique, est clair : «Au-delà des enjeux électoraux, ces législatives représentent le passage de l’étape de la transition à celle de la stabilité dans un cadre démocratique. Mais pourvu que les différentes parties qui seront au pouvoir accomplissent leur devoir et qu’une opposition sérieuse fasse le sien, cela au service de la Tunisie sans retomber dans les batailles et tiraillements qui ont marqué les trois années précédentes».
Concernant les abstentionnistes, entre autres les jeunes, qui n’ont pas accompli leur droit et devoir de vote, Mohamed Abbou commente: «Que ceux qui ont déserté les urnes nous épargnent dorénavant leurs critiques surtout qu’ils avaient l’occasion de choisir et d’agir».
Enfin, quant aux résultats des élections, la majorité des interrogés affirment qu’ils les accepteront. Mohamed Bennour, d’Ettakatol, précise : «Nous attendons les rapports des ONG et des observateurs qui ont surveillé les élections, en fonction desquels nous fixerons notre position».
Férida Laâbidi, d’Ennahdha, souligne : «Si les dépassements constatés n’influent pas sur les résultats, nous les accepteront sans problème».
Mohamed Abbou relève que «quelles que soient les conditions et malgré les infractions de la campagne électorale, dont notamment l’argent sale, et l’absence de contrôle par l’Isie, qui devrait éliminer les listes en question, nous n’émettons pas de doutes sur l’ensemble des élections. Notre souhait c’est de passer à l’étape de la construction et de l’édification de la Tunisie».
Auteur : Samira DAMI