dimanche 2 août 2015

ARRET SUR IMAGE : Suite à la réaction des cinéastes et producteurs tunisiens invités au festival de Locarno

Il n’y a pas de protestations qui tiennent, seul le boycott paye

Par Samira DAMI
Finalement, plusieurs réalisateurs tunisiens qui devaient participer au festival de cinéma de Locarno en Suisse (du 5 au 15 août 2015), qui a consacré une «Carte blanche au cinéma israélien», ont décidé de retirer leurs films et projets de la section «Open Doors» (Portes ouvertes) consacrée au cinéma maghrébin. Ainsi, les cinéastes et producteurs tunisiens invités par le festival de Locarno ont publié un communiqué où ils déclarent ce qui suit : «Nous nous insurgeons contre le partenariat entre le festival de Locarno et «l’Israeli Film Fund » dans le cadre de «Carte blanche» rebaptisée « First Look » et accordée à Israël par la direction du festival de Locarno, un an à peine après les massacres de Gaza qui ont fait 2000 morts dont 500 enfants, il nous semble que le festival commet là une faute grave que nous ne saurions cautionner ».
Aussi, les cinéastes et producteurs tunisiens ont-ils collectivement demandé au festival de Locarno «de renoncer à tout financement public provenant de l’État d’Israël – d’autant que la nouvelle ministre de la culture israélienne a décidé, dès sa nomination, et de manière scandaleuse, de couper les subventions aux artistes palestiniens et  israéliens qui ne partagent pas sa vision ». Mais la direction du festival n’a pas donné suite à leur demande, ce qu’ils regrettent, selon eux, vivement.
Face à ce refus, la réaction des professionnels tunisiens s’est déclinée en deux positions  considérées, par eux, comme politiquement responsables. La première, celle prise par les cinéastes Raja Amari et Mohamed Ben Attia et les productrices Dorra Bouchoucha et Lina Chaâbane qui ont déjà annoncé, avant la publication du communiqué collectif, dans un post sur les réseaux sociaux, le retrait de leurs films et projets du festival de Locarno comme «le préconise BDS Tunisie ». La seconde consiste  à «refuser la politique de la chaise vide en continuant à protester à Locarno pendant la conférence de presse organisée par BDS Suisse». Ainsi, les réalisateurs Néjib Belkadhi, Hind Boujemâa, Moez Kamoun, Nadia Rais et les producteurs Imed Marzouk, Badi Chouka et Farès Ladjimi comptent protester sur place à Locarno. De son côté, la réalisatrice Imen Dellil, dans un post sur facebook, a indiqué avoir retiré son court-métrage « Chouf » de la section Open-Doors de Locarno «en soutien au mouvement BDS». Nous avons appris, d’autre part, par Mehdi Ben Attia lui-même  ce qui suit : «Je suis  personnellement dans une hésitation qui dure depuis très longtemps. Je prendrai sans doute ma décision finale à l’ultime minute. Pour le cas où je déciderais d’y aller, ce serait pour participer à la conférence de presse de BDS Suisse, et j’ai demandé à y prendre la parole». Voilà tout.

Un appel au boycott signé par 200 cinéastes
Mais, remontons, d’abord, les faits. Le festival de cinéma de Locarno a donné «Carte blanche au cinéma israélien». Autrement dit, Locarno apporte son soutien et son aide à certains cinéastes israéliens et à la diffusion de leur film en partenariat avec  le Fonds israélien du cinéma, organe national de financement et de promotion qui est un organisme  étatique  et gouvernemental israélien. C’est ce que reproche, en fait, à Locarno le Pcabi (Palestinian Campaign for the Academic and Cultural Boycott of Israel) ou la Campagne palestinienne de Boycott académique et culturel d’Israël représentant la majorité absolue de la société civile palestinienne et qui a lancé depuis le mois d’avril un appel au boycott sous l’intitulé «Ne donnez pas carte blanche à l’apartheid israélien !».
  Cet appel signé par plus de 200 cinéastes, artistes et acteurs culturels a été relayé par le mouvement international BDS (Boycott, désinvestissement, sanctions) et par le Comité des artistes et acteurs culturels solidaires avec la Palestine, en Suisse. Parmi les signataires, plusieurs figures du cinéma européen, tels Ken Locah, Jean Luc Godard, Alain Tanner, palestinien  comme Anne Marie Jacir et Elia Suleïman, israélien  dont Eyal Sivan et tunisien  comme Jilani Saadi, Asma Chiboub, Moncef Taleb, Kaouther Ben Henia et autres. Or, le 22 juillet 2015, le mouvement BDS-Tunisie  a publié une lettre ouverte adressée nommément aux réalisateurs qui ont décidé de participer au festival de Locarno sous l’intitulé « Lettre ouverte aux artistes tunisiens invités au festival de Locarno : Ne donnez pas carte blanche à l’apartheid israélien !».Poursuivant que «la campagne tunisienne pour le boycott d’Israël est profondément désolée de cette participation au festival de Locarno qui place Israël au centre du festival un an après le massacre israélien perpétré à Gaza à l’été 2014 où plus de deux mille Palestiniens, dont plus de cinq cents enfants, ont été tués, le festival de Locarno a décidé de placer Israël au centre du festival en donnant « Carte blanche au cinéma israélien » —   sept films en phase de postproduction seront présentés aux professionnels pour faciliter leur finalisation et distribution — et ceci dans le cadre d’une coopération avec le  Fonds israélien du film. Or, ce fonds est un organisme soutenu par le Conseil israélien pour le cinéma que le gouvernement israélien a mandaté comme organisme consultatif de financement du film; il bénéficie aussi du soutien du département Cinéma  du Ministère des Affaires étrangères, dont le but est de «promouvoir les films israéliens à l’étranger avec l’appui des attachés culturels des ambassades israéliennes partout dans le monde». Il est utile de rappeler que c’est ce même ministère des Affaires étrangères, choisi comme partenaire du festival, qui a justifié les attaques brutales d’Israël contre les civils palestiniens et leurs infrastructures.
La campagne de boycott tunisienne exhorte enfin les cinéastes invités à Locarno à rejoindre tous les artistes maghrébins qui ont décidé de ne pas servir de caution à un festival qui légitime le régime d’oppression israélien et renforce l’impunité d’Israël, en annulant leur participation à ce festival. BDS conclut que «l’agression israélienne de l’été 2015 qui a duré 51 jours a annihilé des familles entières dans leurs maisons… Accepter de participer à un Festival qui bénéficie directement du soutien institutionnel israélien, ce serait envoyer à tous les Palestiniens un message comme quoi leurs vies ne comptent pas et que leurs droits fondamentaux ne sont pas dignes de considération.

Ceux qui boycottent et ceux qui comptent protester
PACBI et BDS demandent, au final, à tous ces professionnels «de respecter leur combat et de soutenir leur stratégie de résistance non violente…tout en les exhortant à tenir compte de leur demande en refusant de participer à Locarno et à cautionner l’apartheid israélien. Espérant, au final, que ces réalisateurs tunisiens choisiront de défendre la dignité humaine face à la barbarie et à l’injustice perpétrée contre tout peuple, contre tous les peuples».
Ainsi, parmi les professionnels tunisiens invités à Locarno, 5 sur 13, ont répondu, jusqu’ici, à cet appel en annulant leur participation, refusant, ainsi, à juste titre de cautionner la politique de la colonisation et de l’apartheid de l’entité sioniste représentée officiellement à cette 68e édition du festival de Locarno. Ce qui a été, en gros, accueilli avec satisfaction et avec des bravos sur les réseaux sociaux. Quant aux autres, ils ont, jusqu’ici, maintenu leur participation, arguant « du refus de la politique de la chaise vide» optant, ainsi, pour la protestation sur place lors de la conférence de presse de BDS Suisse. Voilà qui vaut bien le voyage. Protester en voyageant c’est plus agréable et payant, non ? En tout cas, beaucoup plus agréable que de boycotter le festival en restant chez soi. Mais ceux qui ont choisi la deuxième «posture» oublient que participer à un festival où Israël est partie prenante, c’est quelque part une reconnaissance de l’entité sioniste même s’ils comptent protester du matin au soir. S’asseoir auprès des cinéastes israéliens qui sont soutenus officiellement par le régime colonisateur parce qu’ils ont la même vision que lui, contrairement à d’autres qui s’en démarquent, c’est, en quelque sorte, cautionner, voire soutenir la barbarie du colon israélien. Car, contre l’injustice, les agressions sanglantes et inhumaines d’une colonisation interminable et unique au monde, subies tragiquement depuis plus de 60 ans, par le peuple palestinien, au mépris de toutes les lois et conventions internationales et les droits de l’homme, il n’y a pas de protestations qui tiennent,  il n’y a que le boycott qui paye. A bon entendeur… !

Retrovision

Toutes ces télés en vacances 
Les chaînes de télé aussi bien publiques que privées sont en vacances, on dirait. Car il est clair que pour les différents programmateurs, l’été est synonyme, à leurs yeux, de rediffusions en boucle de vieilles émissions déjà ressassées, entre caméras cachées, variétés, jeux et fictions, la plupart produites tout au long de l’année ou durant Ramadan, soit celui écoulé, soit ceux des années précédentes. Ainsi depuis la fin du mois saint, certaines chaînes ne programment que des rediffusions de leurs propres programmes, ainsi que des fictions venues d’ailleurs, comme sur Ettassia et Al Hiwar Ettounssi, par exemple. D’autres chaînes se sont spécialisées dans la programmation de feuilletons égyptiens et libanais, telle NessmaTV. Les télés publiques ne font pas mieux, tout est reprise, on est même remonté jusqu’aux archives des années 70. Certes, l’émission «Les archives de la télé», diffusée en hiver sur Al Watania 1, vaut le détour, mais pas au point de la rediffuser, encore et encore, juste pour le remplissage. Or, partout ailleurs, les satellitaires ne prennent pas de vacances en été, bien au contraire, elles concoctent des grilles légères, en proposant des émissions toutes fraîches pour leur public. Et les genres varient : jeux, concours, divertissements, talk-shows, variétés. Cela outre la retransmission de grands événements culturels et sportifs. Prenons l’exemple des chaînes publiques françaises, France 2 et France 3 sur lesquelles sont programmées des émissions distractives et culturelles, à la fois aériennes, ludiques et instructives, telles que «Fort Boyard», «Secrets d’Histoire», «Un livre un jour», « Dans quelle étagère », «Intervilles» qui propose une compétition et un concours jubilatoires et conviviaux entre plusieurs villes françaises,s pourquoi, en fait, nos chaînes publiques, Al Watania 1 et 2,s ne produisent-elles pas une émission du même genre ? Ce qui permettrait de tisser des liens entre plusieurs villes et gouvernorats à travers l’émulation et l’échange entre les jeunes ? Certes, certaines chaînes diffusent une ou deux nouvelles émissions à l’image de Hannibal-TV, tel ce documentaire sur les étapes importantes des six premiers mois de la présidence de Béji Caïd Essebssi ou encore le programme hebdomadaire, «l’Interview». Cela outre que la satellitaire a judicieusement maintenu au moins l’un de ses programmes politiques comme « Face-à-Face », à titre d’exemple, où Kamel Jendoubi, ministre auprès du chef du gouvernement chargé des relations avec les institutions constitutionnelles et la société civile, a répondu aux questions d’Imen Maddahi sur la prestation du gouvernement Essid dans plusieurs domaines entre autres la crise du bassin minier de Gafsa outre une évaluation de l’adoption, le 25 juillet, par l’ARP de la loi sur la lutte contre le terrorisme et le blanchiment d’argent. D’ailleurs, l’on se demande pourquoi la majorité des autres chaînes locales ont supprimé leur programme politique comme si en été il ne se passait rien ni au plan national ni au plan international. Ce qui est loin d’être probable, à preuve l’adoption de la loi antiterroriste par l’ARP, les événements en Libye, en Turquie et partout au MoyenOrient qui méritent bel et bien un arrêt sur image.

Des spéciales culturelles qui se ressemblent

 Dans la grisaille des rediffusions ressassées à l’infini, il est encore heureux que quelques chaînes se focalisent sur les festivals d’été, notamment Carthage et Hammamet, et cela grâce à une couverture de tous les spectacles programmés. Ettassia, Tunisna-TV, Hannibal-TV, Al Watania 1 et 2 consacrent, ainsi, des spéciales à ces manifestations d’été. Or, toutes ces émissions se ressemblent, il s’agit de reportages avant et après les spectacles dont des extraits sont montrés outre l’intervention des artistes, des directeurs de festivals, ainsi que des témoignages de quelques spectateurs et journalistes, mais le plus souvent ce sont les mêmes journalistes qui, d’une chaîne à l’autre, évaluent de manière impressionniste la prestation des artistes qui étaient sur scène. Ce qui donne l’impression au public de suivre la même émission sur plusieurs chaînes. Un peu d’originalité dans le concept et le traitement serait, donc, souhaitable. Il existe, également, cette autre tendance dans ces spéciales, consacrées à la couverture des manifestations culturelles, consistant à poser des questions abracadabrantes, comme le fait Hella Dhaouadi sur Hannibal-TV et qui se voit même imitée par certaines de ses collègues. Le hic, c’est qu’on a même parlé dans les médias de «l’école Hella Dhaouadi» (sic). Bref, il est clair que les chaînes aussi bien publiques que privées ont, dans leur majorité, misé principalement sur le mois de Ramadan sacrifiant, par-là, la grille des programmes du reste de la saison estivale. Or, tout le monde ne peut pas se payer des vacances et même ceux qui en ont les moyens ne peuvent couper complètement avec les télés pendant deux mois ou plus. Mieux, la télévision est quasiment l’unique moyen de loisirs des pauvres, voire de la classe moyenne, et si toutes les chaînes leur servent quotidiennement le même plat composé seulement de rediffusions, il est normal que ces téléspectateurs se réfugient ailleurs en regardant les autres satellitaires arabes. A moins que pour les télés locales l’audience et l’audimat ne comptent pas et n’ont aucun intérêt durant la période estivale. Ce qui est étrange, car c’est pendant cette saison, où une bonne partie des Tunisiens sont en vacances et peuvent consacrer plus de temps à la télévision, que les chaînes, notamment les nouvelles, peuvent se (re)positionner et gagner du terrain sur bien d’autres.
Samira DAMI