lundi 24 novembre 2014

Présidentielles 23 novembre 2014- 
Des personnalités politiques s'expriment 

Hier, les Tunisiens se sont rendus aux urnes pour élire le futur président de la République en choisissant «leur élu» parmi 22 candidats en lice. Nous avons approché quelques dirigeants et soutiens proches des candidats qui expriment ici leurs opinions et sentiments sur le climat et le taux de participation de cette présidentielle: Riadh Ben Fadhl du Front populaire, Lazhar Akremi de Nida Tounès, Neziha Rejiba, qui soutient la candidate indépendante Kalthoum Kennou, et Abdallah Triki du CPR.

Riadh Ben Fadhl, directeur de la campagne de Hamma Hammami (Front populaire) : «Déconnexion entre les politiques et les citoyens»
Le classement de notre candidat avec un pourcentage de 9 à 11% représente une perspective nouvelle dans le rassemblement des forces du progrès, de la démocratie et de la citoyenneté qui fait encore défaut dans le pays. Concernant, maintenant, le taux de participation, 64,4% à l’échelle nationale et 29,68 à l’étranger, de cette première élection présidentielle démocratique et libre, il faut avouer qu’il demeure assez faible. A mes yeux, il s’agit d’une catastrophe citoyenne qui reflète la déconnexion du discours des politiques par rapport aux attentes des citoyens. Déconnexion qui permet à un discours populiste de s’infiltrer et de faire des dégâts. Car comment expliquez-vous que lors des législatives du 26 octobre 2014, le taux de participation à Sidi Bouzid, berceau de la révolution, n’a été que de 29% ? Le taux de participation va decrescendo, lors des législatives, le taux de participation ayant été de 66%.
L’abstention des jeunes est également pour beaucoup dans ce faible taux. La cartographie électorale par âge est dramatique. Ajoutons à cela le nomadisme politique qui a caractérisé l’Assemblée nationale constituante.
Enfin, la multiplication des échéances et la tenue des élections législatives avant la présidentielle est une grave erreur car dans l’esprit des gens, le pouvoir se trouve à La Kasbah et à leurs yeux les jeux sont déjà faits.
Or,  si la présidentielle avait précédé les législatives, il y aurait eu un taux de participation, plus important, allant crescendo.
Cette première élection libre et démocratique représente dans ce sens un enjeu énorme et si les citoyens ne l’ont pas relevé c’est parce qu’il y a un problème au sein de la classe politique qui n’a pas su interpeller et ramener à elle les citoyens, car il n’est pas normal qu’un citoyen sur trois boude les élections. Les forces politiques de gauche qui ont participé aux élections doivent se poser des questions sur la désillusion du peuple.
Concernant le climat des élections de la présidentielle, nous n’avons relevé que quelques dépassements : par exemple, le candidat Hechemi Hamdi a été surpris en train de discuter avec des électeurs devant le bureau de vote, mais ce n’est pas pour remettre en cause les résultats des élections.

Lazhar Akremi, porte-parole de Nida Tounès : «La démocratie s’ancre progressivement»
La journée d’hier a été historique en ce sens que les Tunisiens se sont exprimés librement et démocratiquement afin d’élire le futur président de la République.
On s’attendait à ce que notre candidat Béji Caïd Essebsi passe dès le premier tour mais maintenant il faut faire une évaluation des résultats des urnes afin de déterminer les manquements et corriger ainsi le tir.
Globalement, le climat a été serein, sauf que dans la région de Ras El Kef à Gafsa deux observateurs de Nida Tounès ont été violemment agressés par des salafistes et nous avons porté plainte auprès de l’Isie. J’ai également relevé le faible taux de participation lors de cette présidentielle et je pense qu’en étudiant la psychologie du citoyen qui s’est abstenu, je pense qu’il n’est pas conscient que c’est goutte à goutte que se remplit l’étang. Ce citoyen a une attitude de démissionnaire et n’est pas conscient que de pareilles échéances dépend l’avenir du pays.
Or, ce même individu dénué de comportement citoyen se positionne par la suite en tant qu’ayant-droit. Ce qui nous amène à dire qu’il faut beaucoup de temps pour que la pratique démocratique s’ancre dans les esprits et qu’elle se développe progressivement et par étapes, et cela de sa naissance jusqu’à sa maturité.
C’est pourquoi si on atteint un taux de participation de 55% ou plus lors de cette présidentielle et qu’on le compare avec les anciens taux très répandus dans les régimes dictatoriaux arabes, qui annoncent des taux fantaisistes de participation de 80 à 90% lors de telles opérations électorales alors qu’il n’est en vérité que de 7%, on peut dire que c’est déjà un grand pas sur la voie démocratique. Cela d’autant que les électeurs tunisiens de la présidentielle d’hier sont allés de leur propre gré, sans contrainte ni pression aucune.

Neziha Rejiba (alias Om Zied), militante politique : «Je salue le courage de Kalthoum Kennou»
Kalthoum Kennou que je soutiens a été une candidate exemplaire et pédagogique, donnant, ainsi, l’exemple aux autres femmes arabo-musulmanes. Indépendante, elle n’a pas bénéficié de moyens ni de grosse machine pour la soutenir, elle s’est même endettée pour faire sa campagne. Malgré tout, beaucoup de femmes qui respectent son passé militant et son honnêteté ont voté pour elle et je le sais, des électeurs de mon bureau de vote et de ma région me l’ont affirmé. Car le fait qu’elle soit restée dans la course et qu’elle ait résisté courageusement et sans calcul à tous les appels au désistement  ont conforté la considération que lui portent beaucoup de citoyens.
Le climat des élections a été calme et correct dans l’ensemble, sans grands dépassements.
Quant au faible taux de participation, il est dû, à mon avis, à l’absence de consigne de vote d’Ennahdha afin justement d’affecter la participation et de minimiser la présidentielle.
Maintenant, même si Kalthoum Kennou ne passe pas au 2e tour, j’aurais accompli mon devoir envers elle et ce sera mon dernier baroud d’honneur dans le monde politique, car je compte me consacrer à l’écriture.
Je salue, enfin, le courage de la candidate Kalthoum Kennou qui a visité tous les coins du pays afin de convaincre les électeurs  de manière civique sans agressivité ni animosité et surtout sans attaquer les autres. Je salue son courage en tant que seule candidate femme.

Abdallah Triki, dirigeant au CPR : «La fête de la démocratie»
Je soutiens Moncef Marzouki et je pense que malgré les fautes et les erreurs de la Troïka et même du présent gouvernement, je suis pour la continuité politique.
J’ai accompli mon devoir et droit d’électeur avec toute ma famille à Tozeur, dans le Sud tunisien, et j’ai observé quelques infractions de la part de certains partis et même d’indépendants. J’ai même vu des gens distribuer de l’argent, l’Isie doit donc sévir. Mais je n’ai vu ni violence ni agressions, c’était plutôt calme.
Hier, avec la présidentielle, c’était la fête de la démocratie, même si le taux de participation est assez faible et je pense qu’il ne dépassera pas les 60%. C’est plutôt pas mal à comparer avec l’Egypte où seuls 12% des électeurs se sont déplacés alors qu’on a annoncé 24%.
Maintenant, je pense que Béji Caïd Essebsi, Moncef Marzouki et Hamma Hammami rafleront les trois premières places et qu’il y aura un 2e tour. Les trois prochaines années, notamment 2015 et 2016, seront très difficiles pour la Tunisie, d’où la nécessité de gouverner dans un esprit d’unité nationale afin de résoudre tous les problèmes de sous-développement que connaît la Tunisie et qui sont partout les mêmes en Afrique où j’ai travaillé en tant qu’expert et conseiller dans une vingtaine de pays.
J’ai été secrétaire d’Etat au ministère des Affaires étrangères et je pense qu’il faut s’habituer à l’alternance et féliciter le vainqueur du 2e tour.
Samira DAMI

vendredi 14 novembre 2014

Amine Mahfoudh constitutionnaliste : "Marzouki n'est pas habilité à désigner le futur chef du gouvernement"

 Le président actuel, Moncef Marzouki, est-il habilité, après les législatives, à désigner le prochain chef du gouvernement issu du parti majoritaire ? La question se pose avec acuité sur la scène politique. Pour en savoir plus, La Presse a approché le professeur de droit constitutionnel, Amine Mahfoudh, qui apporte, à travers cet entretien, un judicieux éclairage. Ecoutons-le.

Marzouki  est-il habilité à charger le prochain chef du gouvernement issu de la majorité à former le nouveau gouvernement ?
Je vous rappelle que j’ai été le premier à avertir les principales figures publiques, notamment dans le cadre du Dialogue national, de ne pas organiser les élections législatives avant la présidentielle parce que cela générera, à l’évidence, de sérieux problèmes constitutionnels dans la mesure où l’organisation des législatives avant la présidentielle posera un problème constitutionnel où la violation de la Constitution du 27 janvier 2014 est inévitable.
Pourquoi cette violation est-elle inévitable ?
Selon l’article 89 et les dispositions transitoires, c’est-à-dire l’article 148, la violation peut être procédurale, c’est-à-dire en rapport avec le délai constitutionnel pour la formation du nouveau gouvernement, ou alors substantielle concernant les compétences du chef de l’Etat.
Commençons par la violation procédurale : selon les dispositions de l’article 89 de la Constitution, le chef de l’Etat chargera le candidat du parti ou de la coalition ayant obtenu le plus grand nombre de sièges, autrement dit la majorité relative, à former le nouveau gouvernement, une semaine après la proclamation définitive et officielle des résultats des élections législatives. Mais puisque l’actuel chef de l’Etat n’est pas en mesure d’assurer cette mission, il faudrait attendre le nouveau chef de l’Etat qui ne sera connu qu’après l’élection présidentielle. Donc, du coup, il y aura une violation du délai constitutionnel prévu par l’article 89. Or, si le président Marzouki décide de respecter le délai constitutionnel, il violera l’article 148.
Pouvez-vous nous dire pourquoi ?
On doit distinguer deux choses : il y a le chef d’Etat tel que défini par la Constitution du 27 janvier 2014 dont les dispositions en rapport avec lui n’entrent en vigueur qu’après l’élection présidentielle. ll y a, ensuite, un autre chef d’Etat qui reste comme le prévoit l’article 148 de la Constitution, soumis aux dispositions qui sont prévues par la loi constitutionnelle n°6 du 16 décembre 2011 relative à l’organisation provisoire du pouvoir public, soit la petite Constitution. Or, dans la petite Constitution, il ne s’agit pas d’un  Parlement mais d’une Constituante. Dans tous les cas de figure, et malgré les avertissements, à l’ANC on n’en a pas tenu compte et la Constitution du 27 janvier 2014 a été violée. Normalement, l’opposition à l’ANC a une part de responsabilité car elle aurait dû saisir l’Instance provisoire du contrôle de la constitutionnalité des projets de loi afin de contrôler le projet de loi qui a défini le calendrier des élections législatives et présidentielle. Chose qui n’a pas été faite parce que l’opposition a été déçue par cette instance qui a considéré la loi électorale comme constitutionnelle malgré la présence d’inconstitutionnalités manifestes.
Ainsi, dans les deux cas de figure : soit il y aura une violation du délai constitutionnel, soit une violation de la compétence du chef d’Etat.
Mais que faire pratiquement ?
Puisqu’il y a violation dans les deux cas de figure, je préfère que le délai constitutionnel soit violé plutôt que de violer les dispositions en rapport avec les compétences du chef de l’Etat.
Ainsi il est constitutionnellement interdit au président de la République actuel, Moncef Marzouki, de charger le candidat du Parti majoritaire de former le gouvernement.
Et pour ceux qui attestent qu’il vaudrait mieux que Marzouki désigne le chef du gouvernement, je réponds que c’est très grave car la violation du droit constitutionnel substantiel est plus grave que la violation du droit constitutionnel procédural, ou le délai constitutionnel. D’autant qu’il n’y aura pas de vide, ni de rupture au niveau du gouvernement, car l’actuel gouvernement Mehdi Jomâa continuera à exercer ses compétences, comme le président Marzouki d’ailleurs, jusqu’au moment où on connaîtra le nouveau président élu de la République, qui est le seul habilité à charger le candidat du parti majoritaire au nouveau Parlement de former le nouveau gouvernement.
La transition se fera dans la douleur, certes, vu la violation du délai constitutionnel, mais cela est moins dangereux que la violation constitutionnelle. J’aurais préféré qu’aucune disposition ne soit violée si vraiment les constituants nous avaient écoutés.
D’ailleurs, le chef du gouvernement a déclaré dans un  récent entretien «qu’il quittera La Kasbah au plus tard au mois de février 2015» ?
C’est la démarche la plus plausible et la moins dangereuse. Je le répète, la violation du délai constitutionnel est moins grave que celle du délai des compétences du chef de l’Etat.
Auteur : Propos recueillis par Samira DAMI
Ajouté le : 25-10-2014

Noura Borsali: "Je refuse toute instrumentalisation de la justice transitionnelle"

Le processus de la justice transitionnelle, pour réussir, doit demeurer en dehors des allégeances politiques. La loi sur la JT, sa composition et sa présidence doivent être révisées», déclare Noura Borsali
«J’ai présenté aujourd’hui même (lundi) ma démission au conseil de l’Instance vérité et dignité (IVD) en demandant à ce dernier d’entériner ma décision qui est irréversible». C’est ce que révèle le communiqué rendu public par Noura Borsali le 10 novembre.
Pour en connaître les raisons, nous avons contacté la désormais ancienne membre de l’IVD qui nous a affirmé «être astreinte au droit de réserve, ce que stipule la loi de la justice transitionnelle». Et de commenter, cependant : «Je refuse que le processus de la justice transitionnelle (JT) soit instrumentalisé pour des raisons politiques et électorales ou que la JT soit considérée comme un mécanisme pour régler ses comptes avec ses adversaires politiques». On comprend donc que c’est là où résident le nœud gordien et les raisons profondes, sur le fond, de la démission de Noura Borsali. Car à ses yeux, «la JT est une cause noble qui doit aider une nation, une société à se reconstruire, un Etat de droit à s’édifier et les Tunisiens et Tunisiennes à recouvrer leur vraie citoyenneté. C’est pourquoi ce processus, pour réussir, doit rester en dehors des allégeances politiques».
Noura Borsali demeure convaincue de l’importance et de la nécessité de la JT, qui s’inscrit, selon elle, «au cœur de la transition démocratique, tant elle a le mérite de dévoiler des vérités sur les violations des droits de l’Homme dans le pays et de rendre justice aux victimes et de déterminer les responsabilités». Notre interlocutrice demeure également persuadée de la nécessité de revoir ce processus et de le rectifier pour garantir son succès. Cela par la révision de la loi n°53 relative à la justice transitionnelle ainsi qu’à la composition de l’IVD et sa présidence. Les seuls critères qui doivent être retenus étant, à ses yeux, «ceux de la compétence, d’une réelle indépendance politique et d’un engagement dans la société civile». Noura Borsali est plus que jamais déterminée à continuer la lutte pour la cause noble de la justice transitionnelle : «Je poursuivrai mon combat au sein de la société civile», conclut-elle.
Notons que c’est la troisième démission d’un des membres du conseil de l’IVD présidée par Sihem Ben Sedrine, après celle de Khemaïs Chammari et de Azouz Chaouali.
S.D.

Entretien avec Noureddine Hached, candidat à la Présidentielle

"Je fais partie de la solution 
 et non du problème"

 Sa candidature à la présidentielle est portée par sa propre histoire, riche du legs paternel, le martyr Farhat Hached, symbole de la lutte nationale et syndicale, et par son affiliation depuis toujours à la centrale syndicale ouvrière. Sa vision de la présidence de la République est claire, c’est celle de «la Tunisie éternelle». Porteur d’un projet et d’un plan d’action, Noureddine Hached se présente en tant que candidat indépendant «qui fait partie, selon lui, de la solution et non du problème». Entretien.
Quelles sont les raisons qui vous ont incité à vous porter candidat à la présidence de la République ? 
Il faut dire que je suis habité, depuis quelque temps, par cette idée et je tenais à vérifier dans quelle mesure j’étais prêt à assumer cette responsabilité, surtout qu’elle s’inscrit dans mon parcours et dans mon histoire. Chacun porte en lui sa petite et sa grande histoire.
Le choix de me porter candidat à la présidence de la République est lié à mon histoire parce que je n’ai jamais guéri de la perte de  mon père, depuis 1952. Autant nous avons vécu dans la famille ce drame comme un grand honneur, mon père étant devenu un héros de la Tunisie, autant je ne lui ai pas pardonné d’être mort et à chaque fois que la Tunisie traverse une crise, je la vis doublement en tant que citoyen et en tant que fils du martyr Farhat Hached. Car en même temps, je me demande si son martyre n’a pas été vain. Au cours de ces trois dernières années, j’ai ainsi vécu doublement les événements qu’a vécus le pays et mon lien avec toute la classe politique m’a poussé à m’investir pour trouver des réponses à ma double interrogation et comme l’Ugtt a joué un rôle de médiateur et de facilitateur au sein du Dialogue national cela correspond à mon histoire et à la mission de la Centrale syndicale telle que l’a voulu son fondateur Farhat Hached et dont la devise est «La Tunisie pérenne».
Je me présente, donc, en tant que candidat indépendant et j’ai choisi depuis longtemps mon indépendance, je suis indépendant mais pas neutre. J’ai mes propres convictions et mes propres idées. J’ai d’ailleurs reçu des compliments d’une personne qui m’a dit : «Bravo Noureddine, tu as donné un prénom à ton nom». Je vous avoue que j’ai pesé le pour et le contre avant de m’engager pour la présidentielle. Je me suis présenté à la candidature présidentielle pour tester vis-à-vis de moi-même et du peuple dans quelle mesure je suis prêt et préparé à assumer la fonction. J’y pense depuis un an et demi et ma candidature n’est pas due à un coup de tête.
J’ai considéré que c’est une condition nécessaire mais pas suffisante. Car il faut être préparé à savoir que les cinq années à venir seront les plus difficiles qu’aura à vivre le pays vu les difficultés et les problèmes de toutes sortes accumulés au fil des années, le peuple tunisien s’est beaucoup sacrifié, a beaucoup patienté et au final, il est fatigué alors qu’il reste tant à faire et ce qui doit être fait est phénoménal car il y a tellement de chantiers à ouvrir, ce ne sera certainement pas une sinécure.
Ce qui m’a encouragé à me présenter à la présidentielle, c’est que depuis le 14 janvier 2011 et jusqu’à aujourd’hui, le peuple a intégré le jeu démocratique. Il a dit «oui» à la Constitution, «oui» aux élections mais il a dit «non» aux deux premiers gouvernements et il a poussé pour leur changement.
J’ai compris que le peuple a fait la part des choses entre les législatives et la présidentielle. Il a intégré que dans le processus démocratique, l’Assemblée des députés du peuple est un jeu subtil entre les partis, et les résultats des législatives le démontrent puisque le peuple s’est même amusé à donner la migraine aux partis politiques. Le peuple tunisien est extraordinaire, il a compris que le président doit être «son» propre président. Il s’approprie le président après avoir tiré les enseignements des trois dernières années. Le peuple est mécontent et n’a pas apprécié la distribution des pouvoirs après les élections du 23 octobre 2011 dont un président de la République issu de l’ANC. Donc, à ses yeux le président de la République doit être indépendant, alors que les partis politiques le voient comme partisan.
Autre constat important : le peuple arrive, maintenant, à mettre un nom sur chaque visage, il sait qui est qui et peut choisir. C’est ce qui d’ailleurs m’a également convaincu de me porter candidat à la présidence. Et je me vois porteur d’un projet pour la prochaine étape et je suis convaincu que je peux être une partie de la solution et non du problème. Le président ne doit pas être une partie des problèmes mais aider les Tunisiens à dépasser leurs différends et je suis cet homme parce que j’ai une vision très claire et très lucide des choses et je m’inscris dans le slogan que moi-même et mon équipe de campagne avons choisi: «La Tunisie éternelle».

Pourquoi ce slogan ?
Parce que j’ai une profonde connaissance, de par ma formation d’historien anthropologue, que la Tunisie n’est pas seulement une terre mais aussi une âme, et ce, depuis l’éternité et elle doit continuer comme telle.
La tunisianité est aussi une réalité et elle est vécue par des femmes et des hommes d’une façon profonde et c’est cette particularité qui, à chaque tentative de destruction de cette âme, résiste et l’emporte. Ma vision s’inscrit dans cette tunisianité éternelle qui est notre seule chance de durer sur cette terre et le peuple tunisien a toujours combattu pour survivre et perdurer grâce à son génie.

Au cas où vous seriez élu, quels sont les chantiers prioritaires que vous ouvrirez ?
Le chantier de la démocratie, par exemple, où un pas a été franchi mais il s’agit d’ancrer définitivement cette démocratie. Il s’agira d’un examen de passage où l’on verra si les institutions constitutionnelles fonctionneront ensemble. Et les cinq années à venir seront un examen de passage de tous les jours. Il s’agit de voir si les droits humains seront respectés et si, par exemple, les forces de sécurité vivront avec les citoyens dans le respect le plus total des droits et des devoirs de chacun. C’est là un test de responsabilité et si on le réussit, la Tunisie sera définitivement sauvée, car entre-temps on aura formé des pépinières capables dans tous les domaines de prendre en charge la nouvelle Tunisie qui gagnerait la bataille contre la fragilité. C’est là l’enjeu principal de ce chantier. Et c’est pour cela qu’il faut un président négociateur, médiateur, faciliateur et pacificateur prêt à tendre la main et à composer avec le gouvernement, l’Assemblée des députés du peuple, les hauts responsables et le peuple.
Le président a cet outil extraordinaire que lui octroie la Constitution, c’est de revenir au peuple grâce au référendum.
Pour ma part, le vrai acte révolutionnaire, c’est d’amener la parole du peuple au niveau local et régional, en élargissant le sens de la décentralisation positive, l’une des dispositions de la Constitution.
Ainsi je proposerai, si je suis élu, le réaménagement du territoire en introduisant un échelon intermédiaire entre l’Etat central et le gouvernorat. C’est ce que j’appelle un district selon un processus par consensus dans le cadre du dialogue. La population votera pour le choix de la capitale du district. Ces districts doivent, à mes yeux, partager le pays horizontalement de la côte vers la frontière algérienne afin de générer ce melting-pot et cette mixité des Tunisiens. Ce district doit élire un Conseil au sens universel, lequel Conseil élira son président.
Le rôle de ce district consisterait à réfléchir et à avoir un plan annuel et quinquennal du développement durable qui devrait être intégré au plan national. Le Conseil du district devrait voter son budget annuel et une partie du budget national devrait être déléguée au Conseil et au président du district, surtout concernant la politique de gestion, d’entretiens et de suivi des établissements publics, ainsi que la politique économique et sociale du district. C’est là une sorte de pouvoir local, mais ce n’est pas une fédération ni une confédération.
L’Etat devrait, lui, à l’échelle nationale, prendre en charge les grands projets nationaux de la défense, de la sécurité, etc. Mais tout cela nécessite du courage pour son application mais je ne vois pas d’autres solutions. Sinon nous continuerons à être dans les cercles vicieux du sous-développement alors que le défi est de s’engouffrer dans les cercles vertueux de la prospérité. C’est là la seule façon de sortir de l’état où nous sommes.

Que pensez-vous de l’argument d’«Ettaghaouel», soit de l’hégémonie, agitée par certains partis contre le président de Nida Tounès, Béji Caïd Essebsi, s’il venait à remporter la présidentielle ?
Je ne suis pas dans ce mental d’argumentations d’ailleurs légitimes pour certains. C’est pourquoi je vous le répète la solution réside dans le choix d’un président indépendant.
Il est demandé à la coalition au sein de l’Assemblée des députés du peuple de former le nouveau gouvernement car les Tunisiens attendent un président qui préside le pays, un gouvernement qui gouverne, une Assemblée qui légifère et contrôle le gouvernement et une institution constitutionnelle qui contrôle tous les pouvoirs, c’est ça la démocratie. Il appartient, donc, à la classe politique de se hisser à ce niveau-là et je suis certain que pour qu’un gouvernement soit bientôt formé, la solution est de choisir un président indépendant. Ce n’est pas que je m’évite de penser à un autre président mais je suis dans cette logique et elle est la meilleure pour la Tunisie. Je suis convaincu que les Tunisiens ne mettront pas leurs œufs dans le même panier.

Vous semblez convaincu que les Tunisiens voteront en masse pour vous. D’où vous vient cette assurance ?
Je pense qu’en Tunisie, nous ne sommes plus dans la culture des hommes providentiels. Je ne suis pas dans ce mental-là mais dans celui qui entame cette belle aventure avec le peuple tunisien main dans la main. J’ai une certaine force en moi-même et j’ai une confiance aveugle en le peuple tunisien qui, à mon avis, tranchera la présidentielle dès le 23 novembre dont l’élection est plus claire et plus simple. Et le peuple l’abordera avec son âme et ses tripes et je pense que le pourcentage des votants ne sera pas moins de 70% sur les cinq millions et plus d’électeurs inscrits, car beaucoup parmi les Tunisiens avec lesquels je me suis entretenu ont conscience qu’ils ne doivent pas se réveiller le 24 novembre en se disant «qu’avons-nous fait ?» et de le regretter par la suite pour longtemps, puisque 5 années c’est long. C’est pour cela qu’un vote utile, responsable et conscient des enjeux et du candidat qui pourra les assumer en jouissant de la confiance du peuple s’impose. Car le mot clé de la présidentielle c’est la confiance.

Comptez-vous sur l’électorat de l’Ugtt et sur votre filiation pour remporter les élections ?
Je vous ai expliqué les raisons de ma sérénité. Je vis ma filiation et mon affiliation à l’Ugtt avec beaucoup d’honneur, mais beaucoup plus comme une responsabilité que comme un acquis.
Les Tunisiens savent que je serai toujours auprès des travailleurs et des déshérités. Mais en disant cela, je ne suis en rien contre la classe aisée et la classe d’affaires, bien au contraire, car de par mon héritage, les textes de Farhat Hached, que je connais par cœur et qui évoquent les liens indéfectibles entre le capital et le travail, constituent des fondamentaux essentiels de la paix sociale dans le pays. Je dois crier honneur au travail, remettre le pays au travail et remettre le travail à la place noble qui est la sienne par rapport à l’argent qui a pris le dessus et qui a tout fourvoyé dans le pays. Je dois favoriser la culture du devoir qui doit accompagner les droits.
C’est cela les deux données essentielles : la philosophie de Farhat Hached et la Centrale syndicale ouvrière que je dois mettre à la disposition du peuple durant les cinq futures années.
J’ai, par ailleurs, un projet qui me tient à cœur : si l’histoire retiendra une seule chose, je proposerai à nos enfants et à nos petits-enfants un pacte de confiance qu’on mettra en œuvre ensemble dans le cadre d’un Conseil de la jeunesse auprès du président et c’est inscrit dans mon plan d’action si je suis élu. Il s’agit de revoir toutes les lois et procédures qui empêchent les jeunes d’avoir du travail.

Mais en aurez-vous les moyens vu les prérogatives réduites du président de la République ?
Les moyens dont dispose le président de la République sont nombreux et je serai le garant de l’égalité entre tous en tant que président indépendant. Il s’agit aussi d’impliquer la jeunesse tunisienne dans le défi technologique. Des technologies que les jeunes doivent s’approprier par la création, l’invention et le partenariat avec le reste du monde.
L’un des projets essentiels de la jeunesse tunisienne c’est le «e-gouvernement» qui doit répondre à la gestion moderne de l’Etat. Je voudrais créer au sein de ce conseil de la jeunesse le cercle de volontariat, le cercle des incorruptibles, le cercle de viglance concernant les droits humains, la police, les écoutes téléphoniques faites en dehors de la loi. Je voudrais mettre tout cela à la disposition des jeunes et édifier les pépinières de l’avenir.
Notre siècle, le 21e, se situe dans un grand moment de rupture historique et les grands moments de l’Histoire de l’humanité ont représenté certes de grands dangers mais aussi des chances et des opportunités à saisir. Or, les atouts de la Tunisie sont nombreux et essentiellement sa jeunesse.
La question qui se pose est la suivante : la Tunisie sera-t-elle intégrée dans le monde du 21e siècle ? Je réponds «oui, elle est intégrable», car la Tunisie a été plusieurs fois leader et à l’avant-garde. Voilà comment je porte tout cela, je ne réponds pas de programme précis parce que je n’ai pas de promesses. J’ai une seule promesse : plier le genou avec les Tunisien et les jeunes surtout, afin de trouver les solutions ensemble et agir pour que les barrières bureaucratiques soient brisées, notamment quand il s’agit de choses fondamentales : le pouvoir d’achat,l’emploi, l’eau, l’électricité, la santé, l’environnement mais surtout ces enfants tunisiens qui ont quitté l’école en raison du manque de moyens et de transport et autres.
Pour moi, c’est un drame auquel le président doit donner une priorité nationale. Tout le reste n’est qu’évidence, telles la défense, la diplomatie où j’ai assez d’expérience, et la sécurité où on peut dire que malgré le martyre de certains de nos soldats et de nos forces de sécurité, la Tunisie est mieux lotie que d’autres pays arabes. La sécurité nationale est en train de reprendre santé. Mais la nouvelle étape, avec le nouveau président élu, c’est d’y aller réellement, de mettre de l’ordre et de montrer une volonté inébranlable contre tous les traîtres à la nation qui tuent et ébranlent la stabilité du pays et que je combattrai avec tous les moyens dont je dispose.
Et pour renforcer la coordination et asseoir la détermination du président dans son domaine, il faut doter la présidence d’un chef d’état-major, ce qui existe dans les autres pays du monde, et d’un Conseil national de sécurité permanent. Pour la sécurité nationale, il faudrait créer l’agence nationale de coordination du renseignement, car les renseignements chez nous sont dispersés. Or, il faut coordonner tout cela avec tous les moyens modernes.
Et tout cela doit être fait afin de constituer un signal très fort adressé à nous tous. Il faudrait également créer une commission permanente de la défense et de la sécurité nationale au sein de l’Assemblée des députés du peuple qui a un rôle de suivi des ministères concernés et de réalisation des rapports périodiques sur la situation de la défense et surtout de voter les budgets en conséquence, et enfin de sensibiliser les citoyens aux nécessités budgétaires, outre la sensibilisation de l’Assemblée à la situation matérielle et salariale de tous les corps sécuritaires.
Auteur : Entretien conduit par Samira DAMI
Ajouté le : 12-11-2014

dimanche 2 novembre 2014

Entretien avec Sadok Belaïd — Lecture des résultats des législatives

« Une plateforme pour un programme commun »

 C’est ce que Nida Tounès devrait proposer afin de former un gouvernement solide et éviter le blocage

A la lumière des résultats bruts des législatives, communiqués par l’Isie, avant les recours définitifs, une lecture et des questions s’imposent : la composition de l’Assemblée des députés du peuple permet-elle la formation d’un gouvernement solide? Avec qui Nida Tounès compte-t-il coaliser ? Selon quelles conditions et à quelle fin ? Mais s’il y a blocage, comment sortir du bout du tunnel ? Pour répondre à toutes ces questions et éclairer notre lanterne, nous avons approché Sadok Belaïd, doyen et professeur de droit constitutionnel. Entretien.

L’actuelle composition de l’Assemblée des députés permet-elle au parti victorieux, Nida Tounès, de former un gouvernement solide en tenant compte des différentes couleurs et sensibilités politiques ?
D’abord, laissez-moi vous dire que les résultats communiqués par l’Isie sont bruts et ne deviendront officiels qu’après la fin des recours. Maintenant, notre lecture des résultats nous fait constater que deux partis, Nida Tounès et Ennahdha, ont décroché le plus grand nombre de sièges. Ensemble, ces deux formations politiques ont obtenu 154 sièges sur 217, autrement dit les 4/5. Le reste des sièges, au nombre de 43, ont deux particularité : primo, ils sont hétéroclites et sont répartis sur une multitude de partis, soit une douzaine en tout.
Secundo : ces partis sont dispersés et n’ont aucun lien de parenté politique et/ou idéologique. Par exemple à côté de l’UPL, dirigée par un homme d’affaires et en même temps dirigeant d’un club de football, le Front populaire se décline comme un parti de militants proche des communistes. Or, comment peut-on concilier Slim Riahi et Hamma Hammami ?
Par conséquent, les coalitions seront difficiles, outre que les deux grands partis, Nida Tounès et Ennahdha, ne peuvent former un gouvernement, car aucun des deux n’a la majorité, puisqu’il faut un vote de 109 voix pour que le prochain gouvernement passe.
Ces deux formations sont idéologiquement et politiquement opposés. Le parti de Béji Caïd Essebsi s’affiche comme un parti moderniste et ouvert, alors que le parti de Rached Ghannouchi n’a pas annoncé qu’il se départit de son orientation islamiste.
Par conséquent, ils ne peuvent, visiblement, trouver un terrain d’entente et chacun d’entre eux tentera de combler son déficit en s’adressant au reste des partis et députés indépendants.
Imaginons qu’Ennahdha, qui a déjà exercé le pouvoir, veuille rassembler une majorité au sein de l’Assemblée, ce que lui permet la Constitution, pour former le gouvernement. Or, ce parti n’a que 69 députés et ne peut réunir les 43 autres qui sont de sensibilité opposée ou carrément indépendants.

Que faire dans ce cas pour former un gouvernement solide capable de relever les grands défis qui l’attendent dans tous les secteurs et domaines de la vie ? 
Afin d’éviter la formation d’un gouvernement fragile et éphémère, Nida Tounès doit trouver des alternatives, car la Tunisie ne peut être gouvernée que par un gouvernement consensuel ou d’union nationale. Puisque chaque parti ira de son point de vue, ce qui dispersera les programmes et les objectifs. Il faut donc trouver une solution de rapprochement tout en évitant de perdre sa légitimité et le soutien de son électorat. C’est pourquoi on parle aujourd’hui de retour du Dialogue national, et le secrétaire adjoint de l’Ugtt, Bouali Mbarki, y a fait allusion. Le Dialogue national jouera, ainsi, le rôle de temporisateur et de liant.
Il s’agit donc de mettre les cartes sur la table, et sous la coupe du quartet du Dialogue national, et de voir comment faire des concessions, en dépassant les différences politiques et les tiraillements, pour pouvoir former un gouvernement de cohésion capable d’affronter et de relever les défis économiques et sociaux.
Or, le problème c’est qu’il existe un marchandage  même chez certains partis politiques qui avancent l’idée d’un gouvernement de technocrates. D’ailleurs, le nom de Mehdi Jomaâ a été proposé…
Toutefois, il existe une autre  voie : Nida Tounès doit assumer la tâche et la responsabilité que son électorat  lui a confiées. Car le problème n’est pas de constituer un gouvernement répondant t aux exigences de la Constitution, avec une majorité de 50+1%, mais qui seras fragile et instable car chaque parti essayera de favoriser son propre programme.
Mais, la meilleure approche est que Nida Tounès déclare qu’un défi s’impose à tous : «Sortir  le pays de la crise et pour cela il faut s’entendre sur un programme de salut national grâce à la plateforme de politique générale commune afin de sauver le pays au-delà des différences partisanes».
Il s’agit donc de proposer un genre de pacte national pour une période de 5 ans, soutenu par tous les partis, quelle que soit  leur appartenance, afin de remettre en marche l’économie, de résoudre les problèmes du chômage, de l’insécurité, du développement agricole et industriel, de la santé, de l’éducation et autres. Sans que d’autres partis viennent mettre des bâtons dans les roues.
C’est là un défi dans lequel Nida Tounès doit impliquer tous les partis afin de les mettre au pied du mur et devant leurs responsabilités.

Pensez-vous que ce pacte national sera accepté par les autres partis ?
En tout cas, cela contribuera à clarifier le débat et à mettre tout le monde devant ses responsabilité et cela montrera le degré de  patriotisme des uns et des autres dans le but de servir le pays aux dépens de la course aux postes de responsabilité. Pour ça, il faudrait laisser de côté toutes nos différences politiques pour servir  le pays et œuvrer à le sortir de la crise économique et sociale.
D’ailleurs, c’est ce qu’a fait de Gaulle après la Seconde Guerre mondiale et lors de la guerre d’Algérie en proclamant : «Je suis la France», en se mettant au-dessus des partis afin de redresser l’économie du pays. Et il a été  suivi par François Mitterrand en 1981 qui a proposé une plateforme commune réunissant la gauche et la droite pour sortir son pays de la crise économique sur la base d’un programme commun.
Nida Tounès pourrait, en tant que parti qui a récolté le plus de sièges à l’Assemblée, faire de même, en faisant participer toutes les sensibilités politiques à la réalisation d’un programme national et contribuer ainsi à jeter les bases d’un développement  économique et social solide et profitable à tous.
Auteur : Propos recueillis par Samira DAMI
Ajouté le : 01-11-2014