vendredi 26 décembre 2014

Conférence de presse de Jean Pierre Chevènement sur "Le Maghreb et la France dans le siècle qui vient"

Un binôme structurant 


"La Tunisie, un exemple extraordinaire de maturité et un phare aussi bien pour le Maghreb que pour l’humanité entière" selon J.P. Chevènement  

«Le Maghreb et la France dans le siècle qui vient», c’est l’intitulé de la conférence donnée vendredi dernier, à l’espace culturel l’Agora, à La Marsa, par Jean-Pierre Chevènement. Homme politique et  ancien ministre français connu pour ses positions indépendantes et courageuses, aux accents gaulliens, notamment lors de la guerre du Golfe, il est aujourd’hui président d’honneur du Mouvement républicain et citoyen et de la Fondation Res Publica. Cette conférence initiée par l’ambassade de France s’est focalisée sur les défis que le Maghreb et la France doivent relever ensemble.
Le conférencier a été présenté par le maître de céans, Mohamed Ali Okbi, qui a rappelé « la force de conviction, la droiture et la détermination de l’homme de gauche, à la parole pertinente et en phase avec les principes de citoyenneté et les valeurs républicaines ». Il a également insisté sur la considération et l’affection que lui vouent les peuples arabes, notamment en raison de sa position lors de la première guerre du Golfe quand il démissionna, en 1991, de son poste de ministre de la Défense afin de protester contre l’engagement de l’armée française dans la guerre en Irak.
Bref, c’est devant un aréopage d’hommes politiques et d’intellectuels tunisiens, et en présence de l’ambassadeur de France en Tunisie, François Gouyette, que l’intervenant donna le ton en affichant sa  satisfaction «d’être à Tunis à un moment exceptionnel et privilégié où la Tunisie donne un exemple remarquable et que le monde a les yeux braqués sur elle en raison des élections présidentielles et du processus démocratique qu’elle a entamé ».

Réunion du comité exécutif de Nida Tounès

Le futur chef de gouvernement : aucun nom à l’horizon

 Le comité exécutif de Nida Tounès s’est réuni hier afin de discuter de la formation du prochain gouvernement et de la réorganisation du parti, notamment à la lumière de la démission annoncée de son président Béji Caïd Essebsi. Lequel a affirmé mercredi dernier, lors d’une rencontre aux Berges du Lac  avec ses partisans et des représentants des formations politiques qui ont soutenu sa candidature au second tour de la présidentielle, qu’il quittera la présidence de Nida Tounès afin de se consacrer à la présidence de la République et de devenir le président de tous les Tunisiens.
Béji Caïd Essebsi a ainsi présenté des propositions concernant la direction du parti et la future primature et nous avons appris, selon une source bien informée, que le comité fondateur auquel se joindrait Mohamed Ennaceur, vice-président de Nida Tounès et actuel président de l’ARP, Fadhel Ben Omrane, président du groupe parlementaire de Nida Tounès à l’ARP, ainsi que Hafedh Caïd Essebsi qui prendra en charge les structures du parti, auront la tâche de préparer le prochain congrès qui se tiendra avant la fin de juin 2015. La présidence de Nida Tounès pourrait échoir, avons-nous appris, à Lazhar Karoui Chebbi ou à Mohamed Ennaceur.
Concernant la primature, BCE a souhaité que le futur chef de gouvernement soit choisi en dehors de Nida Tounès, ce choix dépendra également du programme qui sera appliqué lors de la prochaine période.
Aussi le prochain chef de gouvernement sera-t-il issu de Nida Tounès ou sera-t-il un indépendant ? «Rien n’a encore été décidé», assure notre source. Et d’ajouter : «D’ailleurs, toutes les annonces concernant les personnalités pressenties au poste de la primature et qui ont été rapportées par certains médias, sont dénuées de fondement. Car Béji Caïd Essebsi doit tenir compte de plusieurs données avant de faire son choix, soit la situation socioéconomique du pays, les critères de la compétence et de l’expérience, ainsi que l’harmonie et l’équilibre de la coalition gouvernementale qui sera formée».
Enfin, Béji Caïd Essebsi s’est prononcé, lors de cette réunion du comité exécutif, contre le cumul des postes au sein du prochain gouvernement par les députés de l’ARP. Il préfère que les élus de Nida Tounès jouent pleinement leur rôle au sein de l’Assemblée».
S.D.

lundi 24 novembre 2014

Présidentielles 23 novembre 2014- 
Des personnalités politiques s'expriment 

Hier, les Tunisiens se sont rendus aux urnes pour élire le futur président de la République en choisissant «leur élu» parmi 22 candidats en lice. Nous avons approché quelques dirigeants et soutiens proches des candidats qui expriment ici leurs opinions et sentiments sur le climat et le taux de participation de cette présidentielle: Riadh Ben Fadhl du Front populaire, Lazhar Akremi de Nida Tounès, Neziha Rejiba, qui soutient la candidate indépendante Kalthoum Kennou, et Abdallah Triki du CPR.

Riadh Ben Fadhl, directeur de la campagne de Hamma Hammami (Front populaire) : «Déconnexion entre les politiques et les citoyens»
Le classement de notre candidat avec un pourcentage de 9 à 11% représente une perspective nouvelle dans le rassemblement des forces du progrès, de la démocratie et de la citoyenneté qui fait encore défaut dans le pays. Concernant, maintenant, le taux de participation, 64,4% à l’échelle nationale et 29,68 à l’étranger, de cette première élection présidentielle démocratique et libre, il faut avouer qu’il demeure assez faible. A mes yeux, il s’agit d’une catastrophe citoyenne qui reflète la déconnexion du discours des politiques par rapport aux attentes des citoyens. Déconnexion qui permet à un discours populiste de s’infiltrer et de faire des dégâts. Car comment expliquez-vous que lors des législatives du 26 octobre 2014, le taux de participation à Sidi Bouzid, berceau de la révolution, n’a été que de 29% ? Le taux de participation va decrescendo, lors des législatives, le taux de participation ayant été de 66%.
L’abstention des jeunes est également pour beaucoup dans ce faible taux. La cartographie électorale par âge est dramatique. Ajoutons à cela le nomadisme politique qui a caractérisé l’Assemblée nationale constituante.
Enfin, la multiplication des échéances et la tenue des élections législatives avant la présidentielle est une grave erreur car dans l’esprit des gens, le pouvoir se trouve à La Kasbah et à leurs yeux les jeux sont déjà faits.
Or,  si la présidentielle avait précédé les législatives, il y aurait eu un taux de participation, plus important, allant crescendo.
Cette première élection libre et démocratique représente dans ce sens un enjeu énorme et si les citoyens ne l’ont pas relevé c’est parce qu’il y a un problème au sein de la classe politique qui n’a pas su interpeller et ramener à elle les citoyens, car il n’est pas normal qu’un citoyen sur trois boude les élections. Les forces politiques de gauche qui ont participé aux élections doivent se poser des questions sur la désillusion du peuple.
Concernant le climat des élections de la présidentielle, nous n’avons relevé que quelques dépassements : par exemple, le candidat Hechemi Hamdi a été surpris en train de discuter avec des électeurs devant le bureau de vote, mais ce n’est pas pour remettre en cause les résultats des élections.

Lazhar Akremi, porte-parole de Nida Tounès : «La démocratie s’ancre progressivement»
La journée d’hier a été historique en ce sens que les Tunisiens se sont exprimés librement et démocratiquement afin d’élire le futur président de la République.
On s’attendait à ce que notre candidat Béji Caïd Essebsi passe dès le premier tour mais maintenant il faut faire une évaluation des résultats des urnes afin de déterminer les manquements et corriger ainsi le tir.
Globalement, le climat a été serein, sauf que dans la région de Ras El Kef à Gafsa deux observateurs de Nida Tounès ont été violemment agressés par des salafistes et nous avons porté plainte auprès de l’Isie. J’ai également relevé le faible taux de participation lors de cette présidentielle et je pense qu’en étudiant la psychologie du citoyen qui s’est abstenu, je pense qu’il n’est pas conscient que c’est goutte à goutte que se remplit l’étang. Ce citoyen a une attitude de démissionnaire et n’est pas conscient que de pareilles échéances dépend l’avenir du pays.
Or, ce même individu dénué de comportement citoyen se positionne par la suite en tant qu’ayant-droit. Ce qui nous amène à dire qu’il faut beaucoup de temps pour que la pratique démocratique s’ancre dans les esprits et qu’elle se développe progressivement et par étapes, et cela de sa naissance jusqu’à sa maturité.
C’est pourquoi si on atteint un taux de participation de 55% ou plus lors de cette présidentielle et qu’on le compare avec les anciens taux très répandus dans les régimes dictatoriaux arabes, qui annoncent des taux fantaisistes de participation de 80 à 90% lors de telles opérations électorales alors qu’il n’est en vérité que de 7%, on peut dire que c’est déjà un grand pas sur la voie démocratique. Cela d’autant que les électeurs tunisiens de la présidentielle d’hier sont allés de leur propre gré, sans contrainte ni pression aucune.

Neziha Rejiba (alias Om Zied), militante politique : «Je salue le courage de Kalthoum Kennou»
Kalthoum Kennou que je soutiens a été une candidate exemplaire et pédagogique, donnant, ainsi, l’exemple aux autres femmes arabo-musulmanes. Indépendante, elle n’a pas bénéficié de moyens ni de grosse machine pour la soutenir, elle s’est même endettée pour faire sa campagne. Malgré tout, beaucoup de femmes qui respectent son passé militant et son honnêteté ont voté pour elle et je le sais, des électeurs de mon bureau de vote et de ma région me l’ont affirmé. Car le fait qu’elle soit restée dans la course et qu’elle ait résisté courageusement et sans calcul à tous les appels au désistement  ont conforté la considération que lui portent beaucoup de citoyens.
Le climat des élections a été calme et correct dans l’ensemble, sans grands dépassements.
Quant au faible taux de participation, il est dû, à mon avis, à l’absence de consigne de vote d’Ennahdha afin justement d’affecter la participation et de minimiser la présidentielle.
Maintenant, même si Kalthoum Kennou ne passe pas au 2e tour, j’aurais accompli mon devoir envers elle et ce sera mon dernier baroud d’honneur dans le monde politique, car je compte me consacrer à l’écriture.
Je salue, enfin, le courage de la candidate Kalthoum Kennou qui a visité tous les coins du pays afin de convaincre les électeurs  de manière civique sans agressivité ni animosité et surtout sans attaquer les autres. Je salue son courage en tant que seule candidate femme.

Abdallah Triki, dirigeant au CPR : «La fête de la démocratie»
Je soutiens Moncef Marzouki et je pense que malgré les fautes et les erreurs de la Troïka et même du présent gouvernement, je suis pour la continuité politique.
J’ai accompli mon devoir et droit d’électeur avec toute ma famille à Tozeur, dans le Sud tunisien, et j’ai observé quelques infractions de la part de certains partis et même d’indépendants. J’ai même vu des gens distribuer de l’argent, l’Isie doit donc sévir. Mais je n’ai vu ni violence ni agressions, c’était plutôt calme.
Hier, avec la présidentielle, c’était la fête de la démocratie, même si le taux de participation est assez faible et je pense qu’il ne dépassera pas les 60%. C’est plutôt pas mal à comparer avec l’Egypte où seuls 12% des électeurs se sont déplacés alors qu’on a annoncé 24%.
Maintenant, je pense que Béji Caïd Essebsi, Moncef Marzouki et Hamma Hammami rafleront les trois premières places et qu’il y aura un 2e tour. Les trois prochaines années, notamment 2015 et 2016, seront très difficiles pour la Tunisie, d’où la nécessité de gouverner dans un esprit d’unité nationale afin de résoudre tous les problèmes de sous-développement que connaît la Tunisie et qui sont partout les mêmes en Afrique où j’ai travaillé en tant qu’expert et conseiller dans une vingtaine de pays.
J’ai été secrétaire d’Etat au ministère des Affaires étrangères et je pense qu’il faut s’habituer à l’alternance et féliciter le vainqueur du 2e tour.
Samira DAMI

vendredi 14 novembre 2014

Amine Mahfoudh constitutionnaliste : "Marzouki n'est pas habilité à désigner le futur chef du gouvernement"

 Le président actuel, Moncef Marzouki, est-il habilité, après les législatives, à désigner le prochain chef du gouvernement issu du parti majoritaire ? La question se pose avec acuité sur la scène politique. Pour en savoir plus, La Presse a approché le professeur de droit constitutionnel, Amine Mahfoudh, qui apporte, à travers cet entretien, un judicieux éclairage. Ecoutons-le.

Marzouki  est-il habilité à charger le prochain chef du gouvernement issu de la majorité à former le nouveau gouvernement ?
Je vous rappelle que j’ai été le premier à avertir les principales figures publiques, notamment dans le cadre du Dialogue national, de ne pas organiser les élections législatives avant la présidentielle parce que cela générera, à l’évidence, de sérieux problèmes constitutionnels dans la mesure où l’organisation des législatives avant la présidentielle posera un problème constitutionnel où la violation de la Constitution du 27 janvier 2014 est inévitable.
Pourquoi cette violation est-elle inévitable ?
Selon l’article 89 et les dispositions transitoires, c’est-à-dire l’article 148, la violation peut être procédurale, c’est-à-dire en rapport avec le délai constitutionnel pour la formation du nouveau gouvernement, ou alors substantielle concernant les compétences du chef de l’Etat.
Commençons par la violation procédurale : selon les dispositions de l’article 89 de la Constitution, le chef de l’Etat chargera le candidat du parti ou de la coalition ayant obtenu le plus grand nombre de sièges, autrement dit la majorité relative, à former le nouveau gouvernement, une semaine après la proclamation définitive et officielle des résultats des élections législatives. Mais puisque l’actuel chef de l’Etat n’est pas en mesure d’assurer cette mission, il faudrait attendre le nouveau chef de l’Etat qui ne sera connu qu’après l’élection présidentielle. Donc, du coup, il y aura une violation du délai constitutionnel prévu par l’article 89. Or, si le président Marzouki décide de respecter le délai constitutionnel, il violera l’article 148.
Pouvez-vous nous dire pourquoi ?
On doit distinguer deux choses : il y a le chef d’Etat tel que défini par la Constitution du 27 janvier 2014 dont les dispositions en rapport avec lui n’entrent en vigueur qu’après l’élection présidentielle. ll y a, ensuite, un autre chef d’Etat qui reste comme le prévoit l’article 148 de la Constitution, soumis aux dispositions qui sont prévues par la loi constitutionnelle n°6 du 16 décembre 2011 relative à l’organisation provisoire du pouvoir public, soit la petite Constitution. Or, dans la petite Constitution, il ne s’agit pas d’un  Parlement mais d’une Constituante. Dans tous les cas de figure, et malgré les avertissements, à l’ANC on n’en a pas tenu compte et la Constitution du 27 janvier 2014 a été violée. Normalement, l’opposition à l’ANC a une part de responsabilité car elle aurait dû saisir l’Instance provisoire du contrôle de la constitutionnalité des projets de loi afin de contrôler le projet de loi qui a défini le calendrier des élections législatives et présidentielle. Chose qui n’a pas été faite parce que l’opposition a été déçue par cette instance qui a considéré la loi électorale comme constitutionnelle malgré la présence d’inconstitutionnalités manifestes.
Ainsi, dans les deux cas de figure : soit il y aura une violation du délai constitutionnel, soit une violation de la compétence du chef d’Etat.
Mais que faire pratiquement ?
Puisqu’il y a violation dans les deux cas de figure, je préfère que le délai constitutionnel soit violé plutôt que de violer les dispositions en rapport avec les compétences du chef de l’Etat.
Ainsi il est constitutionnellement interdit au président de la République actuel, Moncef Marzouki, de charger le candidat du Parti majoritaire de former le gouvernement.
Et pour ceux qui attestent qu’il vaudrait mieux que Marzouki désigne le chef du gouvernement, je réponds que c’est très grave car la violation du droit constitutionnel substantiel est plus grave que la violation du droit constitutionnel procédural, ou le délai constitutionnel. D’autant qu’il n’y aura pas de vide, ni de rupture au niveau du gouvernement, car l’actuel gouvernement Mehdi Jomâa continuera à exercer ses compétences, comme le président Marzouki d’ailleurs, jusqu’au moment où on connaîtra le nouveau président élu de la République, qui est le seul habilité à charger le candidat du parti majoritaire au nouveau Parlement de former le nouveau gouvernement.
La transition se fera dans la douleur, certes, vu la violation du délai constitutionnel, mais cela est moins dangereux que la violation constitutionnelle. J’aurais préféré qu’aucune disposition ne soit violée si vraiment les constituants nous avaient écoutés.
D’ailleurs, le chef du gouvernement a déclaré dans un  récent entretien «qu’il quittera La Kasbah au plus tard au mois de février 2015» ?
C’est la démarche la plus plausible et la moins dangereuse. Je le répète, la violation du délai constitutionnel est moins grave que celle du délai des compétences du chef de l’Etat.
Auteur : Propos recueillis par Samira DAMI
Ajouté le : 25-10-2014

Noura Borsali: "Je refuse toute instrumentalisation de la justice transitionnelle"

Le processus de la justice transitionnelle, pour réussir, doit demeurer en dehors des allégeances politiques. La loi sur la JT, sa composition et sa présidence doivent être révisées», déclare Noura Borsali
«J’ai présenté aujourd’hui même (lundi) ma démission au conseil de l’Instance vérité et dignité (IVD) en demandant à ce dernier d’entériner ma décision qui est irréversible». C’est ce que révèle le communiqué rendu public par Noura Borsali le 10 novembre.
Pour en connaître les raisons, nous avons contacté la désormais ancienne membre de l’IVD qui nous a affirmé «être astreinte au droit de réserve, ce que stipule la loi de la justice transitionnelle». Et de commenter, cependant : «Je refuse que le processus de la justice transitionnelle (JT) soit instrumentalisé pour des raisons politiques et électorales ou que la JT soit considérée comme un mécanisme pour régler ses comptes avec ses adversaires politiques». On comprend donc que c’est là où résident le nœud gordien et les raisons profondes, sur le fond, de la démission de Noura Borsali. Car à ses yeux, «la JT est une cause noble qui doit aider une nation, une société à se reconstruire, un Etat de droit à s’édifier et les Tunisiens et Tunisiennes à recouvrer leur vraie citoyenneté. C’est pourquoi ce processus, pour réussir, doit rester en dehors des allégeances politiques».
Noura Borsali demeure convaincue de l’importance et de la nécessité de la JT, qui s’inscrit, selon elle, «au cœur de la transition démocratique, tant elle a le mérite de dévoiler des vérités sur les violations des droits de l’Homme dans le pays et de rendre justice aux victimes et de déterminer les responsabilités». Notre interlocutrice demeure également persuadée de la nécessité de revoir ce processus et de le rectifier pour garantir son succès. Cela par la révision de la loi n°53 relative à la justice transitionnelle ainsi qu’à la composition de l’IVD et sa présidence. Les seuls critères qui doivent être retenus étant, à ses yeux, «ceux de la compétence, d’une réelle indépendance politique et d’un engagement dans la société civile». Noura Borsali est plus que jamais déterminée à continuer la lutte pour la cause noble de la justice transitionnelle : «Je poursuivrai mon combat au sein de la société civile», conclut-elle.
Notons que c’est la troisième démission d’un des membres du conseil de l’IVD présidée par Sihem Ben Sedrine, après celle de Khemaïs Chammari et de Azouz Chaouali.
S.D.

Entretien avec Noureddine Hached, candidat à la Présidentielle

"Je fais partie de la solution 
 et non du problème"

 Sa candidature à la présidentielle est portée par sa propre histoire, riche du legs paternel, le martyr Farhat Hached, symbole de la lutte nationale et syndicale, et par son affiliation depuis toujours à la centrale syndicale ouvrière. Sa vision de la présidence de la République est claire, c’est celle de «la Tunisie éternelle». Porteur d’un projet et d’un plan d’action, Noureddine Hached se présente en tant que candidat indépendant «qui fait partie, selon lui, de la solution et non du problème». Entretien.
Quelles sont les raisons qui vous ont incité à vous porter candidat à la présidence de la République ? 
Il faut dire que je suis habité, depuis quelque temps, par cette idée et je tenais à vérifier dans quelle mesure j’étais prêt à assumer cette responsabilité, surtout qu’elle s’inscrit dans mon parcours et dans mon histoire. Chacun porte en lui sa petite et sa grande histoire.
Le choix de me porter candidat à la présidence de la République est lié à mon histoire parce que je n’ai jamais guéri de la perte de  mon père, depuis 1952. Autant nous avons vécu dans la famille ce drame comme un grand honneur, mon père étant devenu un héros de la Tunisie, autant je ne lui ai pas pardonné d’être mort et à chaque fois que la Tunisie traverse une crise, je la vis doublement en tant que citoyen et en tant que fils du martyr Farhat Hached. Car en même temps, je me demande si son martyre n’a pas été vain. Au cours de ces trois dernières années, j’ai ainsi vécu doublement les événements qu’a vécus le pays et mon lien avec toute la classe politique m’a poussé à m’investir pour trouver des réponses à ma double interrogation et comme l’Ugtt a joué un rôle de médiateur et de facilitateur au sein du Dialogue national cela correspond à mon histoire et à la mission de la Centrale syndicale telle que l’a voulu son fondateur Farhat Hached et dont la devise est «La Tunisie pérenne».
Je me présente, donc, en tant que candidat indépendant et j’ai choisi depuis longtemps mon indépendance, je suis indépendant mais pas neutre. J’ai mes propres convictions et mes propres idées. J’ai d’ailleurs reçu des compliments d’une personne qui m’a dit : «Bravo Noureddine, tu as donné un prénom à ton nom». Je vous avoue que j’ai pesé le pour et le contre avant de m’engager pour la présidentielle. Je me suis présenté à la candidature présidentielle pour tester vis-à-vis de moi-même et du peuple dans quelle mesure je suis prêt et préparé à assumer la fonction. J’y pense depuis un an et demi et ma candidature n’est pas due à un coup de tête.
J’ai considéré que c’est une condition nécessaire mais pas suffisante. Car il faut être préparé à savoir que les cinq années à venir seront les plus difficiles qu’aura à vivre le pays vu les difficultés et les problèmes de toutes sortes accumulés au fil des années, le peuple tunisien s’est beaucoup sacrifié, a beaucoup patienté et au final, il est fatigué alors qu’il reste tant à faire et ce qui doit être fait est phénoménal car il y a tellement de chantiers à ouvrir, ce ne sera certainement pas une sinécure.
Ce qui m’a encouragé à me présenter à la présidentielle, c’est que depuis le 14 janvier 2011 et jusqu’à aujourd’hui, le peuple a intégré le jeu démocratique. Il a dit «oui» à la Constitution, «oui» aux élections mais il a dit «non» aux deux premiers gouvernements et il a poussé pour leur changement.
J’ai compris que le peuple a fait la part des choses entre les législatives et la présidentielle. Il a intégré que dans le processus démocratique, l’Assemblée des députés du peuple est un jeu subtil entre les partis, et les résultats des législatives le démontrent puisque le peuple s’est même amusé à donner la migraine aux partis politiques. Le peuple tunisien est extraordinaire, il a compris que le président doit être «son» propre président. Il s’approprie le président après avoir tiré les enseignements des trois dernières années. Le peuple est mécontent et n’a pas apprécié la distribution des pouvoirs après les élections du 23 octobre 2011 dont un président de la République issu de l’ANC. Donc, à ses yeux le président de la République doit être indépendant, alors que les partis politiques le voient comme partisan.
Autre constat important : le peuple arrive, maintenant, à mettre un nom sur chaque visage, il sait qui est qui et peut choisir. C’est ce qui d’ailleurs m’a également convaincu de me porter candidat à la présidence. Et je me vois porteur d’un projet pour la prochaine étape et je suis convaincu que je peux être une partie de la solution et non du problème. Le président ne doit pas être une partie des problèmes mais aider les Tunisiens à dépasser leurs différends et je suis cet homme parce que j’ai une vision très claire et très lucide des choses et je m’inscris dans le slogan que moi-même et mon équipe de campagne avons choisi: «La Tunisie éternelle».

Pourquoi ce slogan ?
Parce que j’ai une profonde connaissance, de par ma formation d’historien anthropologue, que la Tunisie n’est pas seulement une terre mais aussi une âme, et ce, depuis l’éternité et elle doit continuer comme telle.
La tunisianité est aussi une réalité et elle est vécue par des femmes et des hommes d’une façon profonde et c’est cette particularité qui, à chaque tentative de destruction de cette âme, résiste et l’emporte. Ma vision s’inscrit dans cette tunisianité éternelle qui est notre seule chance de durer sur cette terre et le peuple tunisien a toujours combattu pour survivre et perdurer grâce à son génie.

Au cas où vous seriez élu, quels sont les chantiers prioritaires que vous ouvrirez ?
Le chantier de la démocratie, par exemple, où un pas a été franchi mais il s’agit d’ancrer définitivement cette démocratie. Il s’agira d’un examen de passage où l’on verra si les institutions constitutionnelles fonctionneront ensemble. Et les cinq années à venir seront un examen de passage de tous les jours. Il s’agit de voir si les droits humains seront respectés et si, par exemple, les forces de sécurité vivront avec les citoyens dans le respect le plus total des droits et des devoirs de chacun. C’est là un test de responsabilité et si on le réussit, la Tunisie sera définitivement sauvée, car entre-temps on aura formé des pépinières capables dans tous les domaines de prendre en charge la nouvelle Tunisie qui gagnerait la bataille contre la fragilité. C’est là l’enjeu principal de ce chantier. Et c’est pour cela qu’il faut un président négociateur, médiateur, faciliateur et pacificateur prêt à tendre la main et à composer avec le gouvernement, l’Assemblée des députés du peuple, les hauts responsables et le peuple.
Le président a cet outil extraordinaire que lui octroie la Constitution, c’est de revenir au peuple grâce au référendum.
Pour ma part, le vrai acte révolutionnaire, c’est d’amener la parole du peuple au niveau local et régional, en élargissant le sens de la décentralisation positive, l’une des dispositions de la Constitution.
Ainsi je proposerai, si je suis élu, le réaménagement du territoire en introduisant un échelon intermédiaire entre l’Etat central et le gouvernorat. C’est ce que j’appelle un district selon un processus par consensus dans le cadre du dialogue. La population votera pour le choix de la capitale du district. Ces districts doivent, à mes yeux, partager le pays horizontalement de la côte vers la frontière algérienne afin de générer ce melting-pot et cette mixité des Tunisiens. Ce district doit élire un Conseil au sens universel, lequel Conseil élira son président.
Le rôle de ce district consisterait à réfléchir et à avoir un plan annuel et quinquennal du développement durable qui devrait être intégré au plan national. Le Conseil du district devrait voter son budget annuel et une partie du budget national devrait être déléguée au Conseil et au président du district, surtout concernant la politique de gestion, d’entretiens et de suivi des établissements publics, ainsi que la politique économique et sociale du district. C’est là une sorte de pouvoir local, mais ce n’est pas une fédération ni une confédération.
L’Etat devrait, lui, à l’échelle nationale, prendre en charge les grands projets nationaux de la défense, de la sécurité, etc. Mais tout cela nécessite du courage pour son application mais je ne vois pas d’autres solutions. Sinon nous continuerons à être dans les cercles vicieux du sous-développement alors que le défi est de s’engouffrer dans les cercles vertueux de la prospérité. C’est là la seule façon de sortir de l’état où nous sommes.

Que pensez-vous de l’argument d’«Ettaghaouel», soit de l’hégémonie, agitée par certains partis contre le président de Nida Tounès, Béji Caïd Essebsi, s’il venait à remporter la présidentielle ?
Je ne suis pas dans ce mental d’argumentations d’ailleurs légitimes pour certains. C’est pourquoi je vous le répète la solution réside dans le choix d’un président indépendant.
Il est demandé à la coalition au sein de l’Assemblée des députés du peuple de former le nouveau gouvernement car les Tunisiens attendent un président qui préside le pays, un gouvernement qui gouverne, une Assemblée qui légifère et contrôle le gouvernement et une institution constitutionnelle qui contrôle tous les pouvoirs, c’est ça la démocratie. Il appartient, donc, à la classe politique de se hisser à ce niveau-là et je suis certain que pour qu’un gouvernement soit bientôt formé, la solution est de choisir un président indépendant. Ce n’est pas que je m’évite de penser à un autre président mais je suis dans cette logique et elle est la meilleure pour la Tunisie. Je suis convaincu que les Tunisiens ne mettront pas leurs œufs dans le même panier.

Vous semblez convaincu que les Tunisiens voteront en masse pour vous. D’où vous vient cette assurance ?
Je pense qu’en Tunisie, nous ne sommes plus dans la culture des hommes providentiels. Je ne suis pas dans ce mental-là mais dans celui qui entame cette belle aventure avec le peuple tunisien main dans la main. J’ai une certaine force en moi-même et j’ai une confiance aveugle en le peuple tunisien qui, à mon avis, tranchera la présidentielle dès le 23 novembre dont l’élection est plus claire et plus simple. Et le peuple l’abordera avec son âme et ses tripes et je pense que le pourcentage des votants ne sera pas moins de 70% sur les cinq millions et plus d’électeurs inscrits, car beaucoup parmi les Tunisiens avec lesquels je me suis entretenu ont conscience qu’ils ne doivent pas se réveiller le 24 novembre en se disant «qu’avons-nous fait ?» et de le regretter par la suite pour longtemps, puisque 5 années c’est long. C’est pour cela qu’un vote utile, responsable et conscient des enjeux et du candidat qui pourra les assumer en jouissant de la confiance du peuple s’impose. Car le mot clé de la présidentielle c’est la confiance.

Comptez-vous sur l’électorat de l’Ugtt et sur votre filiation pour remporter les élections ?
Je vous ai expliqué les raisons de ma sérénité. Je vis ma filiation et mon affiliation à l’Ugtt avec beaucoup d’honneur, mais beaucoup plus comme une responsabilité que comme un acquis.
Les Tunisiens savent que je serai toujours auprès des travailleurs et des déshérités. Mais en disant cela, je ne suis en rien contre la classe aisée et la classe d’affaires, bien au contraire, car de par mon héritage, les textes de Farhat Hached, que je connais par cœur et qui évoquent les liens indéfectibles entre le capital et le travail, constituent des fondamentaux essentiels de la paix sociale dans le pays. Je dois crier honneur au travail, remettre le pays au travail et remettre le travail à la place noble qui est la sienne par rapport à l’argent qui a pris le dessus et qui a tout fourvoyé dans le pays. Je dois favoriser la culture du devoir qui doit accompagner les droits.
C’est cela les deux données essentielles : la philosophie de Farhat Hached et la Centrale syndicale ouvrière que je dois mettre à la disposition du peuple durant les cinq futures années.
J’ai, par ailleurs, un projet qui me tient à cœur : si l’histoire retiendra une seule chose, je proposerai à nos enfants et à nos petits-enfants un pacte de confiance qu’on mettra en œuvre ensemble dans le cadre d’un Conseil de la jeunesse auprès du président et c’est inscrit dans mon plan d’action si je suis élu. Il s’agit de revoir toutes les lois et procédures qui empêchent les jeunes d’avoir du travail.

Mais en aurez-vous les moyens vu les prérogatives réduites du président de la République ?
Les moyens dont dispose le président de la République sont nombreux et je serai le garant de l’égalité entre tous en tant que président indépendant. Il s’agit aussi d’impliquer la jeunesse tunisienne dans le défi technologique. Des technologies que les jeunes doivent s’approprier par la création, l’invention et le partenariat avec le reste du monde.
L’un des projets essentiels de la jeunesse tunisienne c’est le «e-gouvernement» qui doit répondre à la gestion moderne de l’Etat. Je voudrais créer au sein de ce conseil de la jeunesse le cercle de volontariat, le cercle des incorruptibles, le cercle de viglance concernant les droits humains, la police, les écoutes téléphoniques faites en dehors de la loi. Je voudrais mettre tout cela à la disposition des jeunes et édifier les pépinières de l’avenir.
Notre siècle, le 21e, se situe dans un grand moment de rupture historique et les grands moments de l’Histoire de l’humanité ont représenté certes de grands dangers mais aussi des chances et des opportunités à saisir. Or, les atouts de la Tunisie sont nombreux et essentiellement sa jeunesse.
La question qui se pose est la suivante : la Tunisie sera-t-elle intégrée dans le monde du 21e siècle ? Je réponds «oui, elle est intégrable», car la Tunisie a été plusieurs fois leader et à l’avant-garde. Voilà comment je porte tout cela, je ne réponds pas de programme précis parce que je n’ai pas de promesses. J’ai une seule promesse : plier le genou avec les Tunisien et les jeunes surtout, afin de trouver les solutions ensemble et agir pour que les barrières bureaucratiques soient brisées, notamment quand il s’agit de choses fondamentales : le pouvoir d’achat,l’emploi, l’eau, l’électricité, la santé, l’environnement mais surtout ces enfants tunisiens qui ont quitté l’école en raison du manque de moyens et de transport et autres.
Pour moi, c’est un drame auquel le président doit donner une priorité nationale. Tout le reste n’est qu’évidence, telles la défense, la diplomatie où j’ai assez d’expérience, et la sécurité où on peut dire que malgré le martyre de certains de nos soldats et de nos forces de sécurité, la Tunisie est mieux lotie que d’autres pays arabes. La sécurité nationale est en train de reprendre santé. Mais la nouvelle étape, avec le nouveau président élu, c’est d’y aller réellement, de mettre de l’ordre et de montrer une volonté inébranlable contre tous les traîtres à la nation qui tuent et ébranlent la stabilité du pays et que je combattrai avec tous les moyens dont je dispose.
Et pour renforcer la coordination et asseoir la détermination du président dans son domaine, il faut doter la présidence d’un chef d’état-major, ce qui existe dans les autres pays du monde, et d’un Conseil national de sécurité permanent. Pour la sécurité nationale, il faudrait créer l’agence nationale de coordination du renseignement, car les renseignements chez nous sont dispersés. Or, il faut coordonner tout cela avec tous les moyens modernes.
Et tout cela doit être fait afin de constituer un signal très fort adressé à nous tous. Il faudrait également créer une commission permanente de la défense et de la sécurité nationale au sein de l’Assemblée des députés du peuple qui a un rôle de suivi des ministères concernés et de réalisation des rapports périodiques sur la situation de la défense et surtout de voter les budgets en conséquence, et enfin de sensibiliser les citoyens aux nécessités budgétaires, outre la sensibilisation de l’Assemblée à la situation matérielle et salariale de tous les corps sécuritaires.
Auteur : Entretien conduit par Samira DAMI
Ajouté le : 12-11-2014

dimanche 2 novembre 2014

Entretien avec Sadok Belaïd — Lecture des résultats des législatives

« Une plateforme pour un programme commun »

 C’est ce que Nida Tounès devrait proposer afin de former un gouvernement solide et éviter le blocage

A la lumière des résultats bruts des législatives, communiqués par l’Isie, avant les recours définitifs, une lecture et des questions s’imposent : la composition de l’Assemblée des députés du peuple permet-elle la formation d’un gouvernement solide? Avec qui Nida Tounès compte-t-il coaliser ? Selon quelles conditions et à quelle fin ? Mais s’il y a blocage, comment sortir du bout du tunnel ? Pour répondre à toutes ces questions et éclairer notre lanterne, nous avons approché Sadok Belaïd, doyen et professeur de droit constitutionnel. Entretien.

L’actuelle composition de l’Assemblée des députés permet-elle au parti victorieux, Nida Tounès, de former un gouvernement solide en tenant compte des différentes couleurs et sensibilités politiques ?
D’abord, laissez-moi vous dire que les résultats communiqués par l’Isie sont bruts et ne deviendront officiels qu’après la fin des recours. Maintenant, notre lecture des résultats nous fait constater que deux partis, Nida Tounès et Ennahdha, ont décroché le plus grand nombre de sièges. Ensemble, ces deux formations politiques ont obtenu 154 sièges sur 217, autrement dit les 4/5. Le reste des sièges, au nombre de 43, ont deux particularité : primo, ils sont hétéroclites et sont répartis sur une multitude de partis, soit une douzaine en tout.
Secundo : ces partis sont dispersés et n’ont aucun lien de parenté politique et/ou idéologique. Par exemple à côté de l’UPL, dirigée par un homme d’affaires et en même temps dirigeant d’un club de football, le Front populaire se décline comme un parti de militants proche des communistes. Or, comment peut-on concilier Slim Riahi et Hamma Hammami ?
Par conséquent, les coalitions seront difficiles, outre que les deux grands partis, Nida Tounès et Ennahdha, ne peuvent former un gouvernement, car aucun des deux n’a la majorité, puisqu’il faut un vote de 109 voix pour que le prochain gouvernement passe.
Ces deux formations sont idéologiquement et politiquement opposés. Le parti de Béji Caïd Essebsi s’affiche comme un parti moderniste et ouvert, alors que le parti de Rached Ghannouchi n’a pas annoncé qu’il se départit de son orientation islamiste.
Par conséquent, ils ne peuvent, visiblement, trouver un terrain d’entente et chacun d’entre eux tentera de combler son déficit en s’adressant au reste des partis et députés indépendants.
Imaginons qu’Ennahdha, qui a déjà exercé le pouvoir, veuille rassembler une majorité au sein de l’Assemblée, ce que lui permet la Constitution, pour former le gouvernement. Or, ce parti n’a que 69 députés et ne peut réunir les 43 autres qui sont de sensibilité opposée ou carrément indépendants.

Que faire dans ce cas pour former un gouvernement solide capable de relever les grands défis qui l’attendent dans tous les secteurs et domaines de la vie ? 
Afin d’éviter la formation d’un gouvernement fragile et éphémère, Nida Tounès doit trouver des alternatives, car la Tunisie ne peut être gouvernée que par un gouvernement consensuel ou d’union nationale. Puisque chaque parti ira de son point de vue, ce qui dispersera les programmes et les objectifs. Il faut donc trouver une solution de rapprochement tout en évitant de perdre sa légitimité et le soutien de son électorat. C’est pourquoi on parle aujourd’hui de retour du Dialogue national, et le secrétaire adjoint de l’Ugtt, Bouali Mbarki, y a fait allusion. Le Dialogue national jouera, ainsi, le rôle de temporisateur et de liant.
Il s’agit donc de mettre les cartes sur la table, et sous la coupe du quartet du Dialogue national, et de voir comment faire des concessions, en dépassant les différences politiques et les tiraillements, pour pouvoir former un gouvernement de cohésion capable d’affronter et de relever les défis économiques et sociaux.
Or, le problème c’est qu’il existe un marchandage  même chez certains partis politiques qui avancent l’idée d’un gouvernement de technocrates. D’ailleurs, le nom de Mehdi Jomaâ a été proposé…
Toutefois, il existe une autre  voie : Nida Tounès doit assumer la tâche et la responsabilité que son électorat  lui a confiées. Car le problème n’est pas de constituer un gouvernement répondant t aux exigences de la Constitution, avec une majorité de 50+1%, mais qui seras fragile et instable car chaque parti essayera de favoriser son propre programme.
Mais, la meilleure approche est que Nida Tounès déclare qu’un défi s’impose à tous : «Sortir  le pays de la crise et pour cela il faut s’entendre sur un programme de salut national grâce à la plateforme de politique générale commune afin de sauver le pays au-delà des différences partisanes».
Il s’agit donc de proposer un genre de pacte national pour une période de 5 ans, soutenu par tous les partis, quelle que soit  leur appartenance, afin de remettre en marche l’économie, de résoudre les problèmes du chômage, de l’insécurité, du développement agricole et industriel, de la santé, de l’éducation et autres. Sans que d’autres partis viennent mettre des bâtons dans les roues.
C’est là un défi dans lequel Nida Tounès doit impliquer tous les partis afin de les mettre au pied du mur et devant leurs responsabilités.

Pensez-vous que ce pacte national sera accepté par les autres partis ?
En tout cas, cela contribuera à clarifier le débat et à mettre tout le monde devant ses responsabilité et cela montrera le degré de  patriotisme des uns et des autres dans le but de servir le pays aux dépens de la course aux postes de responsabilité. Pour ça, il faudrait laisser de côté toutes nos différences politiques pour servir  le pays et œuvrer à le sortir de la crise économique et sociale.
D’ailleurs, c’est ce qu’a fait de Gaulle après la Seconde Guerre mondiale et lors de la guerre d’Algérie en proclamant : «Je suis la France», en se mettant au-dessus des partis afin de redresser l’économie du pays. Et il a été  suivi par François Mitterrand en 1981 qui a proposé une plateforme commune réunissant la gauche et la droite pour sortir son pays de la crise économique sur la base d’un programme commun.
Nida Tounès pourrait, en tant que parti qui a récolté le plus de sièges à l’Assemblée, faire de même, en faisant participer toutes les sensibilités politiques à la réalisation d’un programme national et contribuer ainsi à jeter les bases d’un développement  économique et social solide et profitable à tous.
Auteur : Propos recueillis par Samira DAMI
Ajouté le : 01-11-2014

jeudi 30 octobre 2014

L’Isie n’a rien vu

 Les dépassements commis par les partis politiques au cours des législatives ont été relevés par des centaines d’observateurs de plusieurs associations et organisations non gouvernementales (ONG).
Les nombreuses infractions qui ont eu lieu lors de la campagne  électorale et lors de la journée des élections ont été perpétrés par certains partis qui ont, selon les observateurs, dépassé le plafond financier qui leur est imparti dans chaque circonscription et/ou qui se sont rendus coupables de la distribution des sommes d’argent à de  jeunes et moins jeunes citoyens afin de mobiliser des troupes pour leur meeting, à l’évidence, grandiose.
De quoi se poser la question : d’où vient tout cet argent ?
D’aucuns n’ont pas hésité d’ailleurs à le qualifier «d’argent sale».
Lors de la journée des élections, les observateurs ont également relevé un grand nombre d’entorses à la loi devant les bureaux de vote à travers les régions.
Le directeur de la campagne électorale du Front populaire, Riadh Ben Fadhl, déplore que plusieurs partis se sont permis de faire de la propagande politique partisane ou du tractage, alors que d’autres observateurs ont constaté que certaines personnes ont agi de manière à influencer les électeurs en achetant leur voix. Ce qu’a corroboré l’Atide en précisant que les achats de voix ont eu lieu à Douar Hicher, Oued Ellil, Zarzis, Kasserine et  Sidi Bouzid.
Plusieurs candidats  ont relevé, par ailleurs, l’utilisation des enfants, arborant des tee-shirts, casquettes et fanions aux couleurs de certains partis toujours devant les bureaux de vote, notamment à l’Ariana et à Mellassine. Ce sont là les manquements à la loi les plus graves de la part des partis et de leurs partisans, mais il y en a tant d’autres.
Face à tous ces dépassements, Chafik Sarsar, président de l’Isie, s’est empressé, en revanche, de nous montrer, lors de la conférence de presse tenue lundi dernier, au Palais des congrès, une vidéo où l’on voit, dans un bureau de vote, une femme âgée en possession d’un bout de papier sur lequel est visiblement inscrit le numéro de la liste d’un grand parti, Ennahdha. Le directeur du bureau de vote  s’en aperçoit et lui signifie que «c’est interdit».
Un des observateurs photographie avec son portable la carte d’identité de la femme, lui confisque le bout de papier puis l’invite à rejoindre l’isoloir… En fait, ce que reproche le président de l’Isie à cet observateur n’est autre que d’avoir «pris en photo la carte d’identité de la personne en question, ce qui est contraire à la loi»
«Voilà qui est très grave», selon le président de l’Isie, mais doit-on rappeler qu’il y a des infractions beaucoup plus alarmantes et dangereuses : l’influence des électeurs par la propagande partisane, le tractage et l’achat de voix.
On aimerait, donc, savoir ce que compte faire l’Isie, et quelles sanctions envisage-t-elle de prendre face à ces comportements aussi anticiviques et antidémocratiques. Car laisser faire c’est ancrer ce genre de comportements «voyous», inciviques qui s’opposent aux principes et aux valeurs démocratiques. Or, notre pays est en train d’asseoir la démocratie en aspirant, entre autres, à des élections libres et transparentes.
C’est pourquoi l’Isie devrait agir et sanctionner tous ceux qui transgressent la loi et utilisent la tricherie et des moyens illicites pour influer sur les résultats électoraux, quelle que soit l’échéance électorale. La loi est claire : tout parti qui dépasse le plafond financier permis pour sa campagne électorale, dans une circonscription ou plusieurs, peut voir sa ou ses listes tomber et se rendre, ainsi, inéligible. Idem pour les infractions graves commises lors de la journée des élections. Or, Chafik Sarsar a annoncé, dans une des conférences de presse qu’il a tenue hier, «que les dépassements consignés par plusieurs associations  d’observateurs ne peuvent en aucun cas susciter l’annulation d’une quelconque liste électorale».
Mais ce que tout le monde sait c’est que seules les sanctions, pas forcément l’annulation de listes  peuvent dissuader les contrevenants et les tricheurs car l’impunité ne fera que les pousser à récidiver.

mardi 28 octobre 2014

Les partis politiques s'expriment_ Entre mécontentement et satisfaction

Les Tunisiens ont voté hier aux législatives, avec un taux de participation avoisinant les 60% pour 65% des bureaux de vote.  (Au moment où nous mettions sous presse). Certains politiques ont qualifié cette journée «d’historique» tandis que d’autres se sont focalisés sur le taux pratiquement faible de participation des jeunes ainsi que les nombreux dépassements.
Nous avons approché des candidats et des dirigeants de partis qui ont commenté et évalué ces élections du 26 octobre 2014.
Pour Bochra Belhaj Hmida, candidate de Nida Tounès dans la circonscription de Tunis 2 : «Cette journée a été calme et sereine, mais marquée par moins d’enthousiasme en comparaison avec les élections de 2011». La candidate constate, par ailleurs, «la désaffection des jeunes qui ne se sont pas retrouvés ni dans le paysage politique, ni dans le discours des partis, fond et forme confondus».

Que de dépassements !
De son côté, Riadh Ben Fadhl, directeur de la campagne du Front populaire, ne cache pas son mécontentement en raison des nombreux dépassements qui ont jalonné cette journée électorale, aussi bien à l’intérieur qu’à l’extérieur du pays. Et il n’hésite pas à les énumérer : «A l’intérieur du pays et dans le bureau de Bab Souika, par exemple, un de nos camarades a eu la mauvaise surprise de voir que quelqu’un d’autre a signé devant son nom et à sa place, ce qui ne peut se faire sans la complicité de l’un des assesseurs de ce bureau de vote».
Ajoutant que : «L’Isie a complètement failli au niveau  du système informatique, notamment concernant les électeurs inscrits qui n’ont pas trouvé leur nom. Beaucoup de partis se sont permis de violer la loi électorale en faisant de la propagande partisane devant les bureaux de vote : certains observateurs munis de badges et arborant des tee-shirts de leur propre parti ont agi de façon à influencer le vote des citoyens. On les a même vu en grande discussion avec des directeurs de bureaux de vote. Au Kef, à Kesra, des personnes âgées sont entrées avec les bulletins de vote en bonne et due forme, portant le tampon de l’Isie dans les quatre coins du dos de la feuille. Donc, il s’agit le plus probablement de faits commis par certains observateurs partisans.
A Ben Arous, le parti Al Joumhouri a fait du tractage devant le bureau de vote de Hay Ennasr. A Sfax 2, au bureau de Hay El Habib, Nida Tounès et Ennahdha n’ont pas hésité à faire de la propagande partisane. A Bizerte, à l’école de la rue de Grèce, le directeur du bureau a chassé les observateurs. Dans la circonscription de La Manouba, le directeur du bureau d’Al Habib de Tébourba a quitté son poste et a été remplacé par un partisan d’Ennahdha, etc.
A l’extérieur du pays, les électeurs soit n’ont pas trouvé leur nom alors qu’ils sont inscrits, soit ils ont été promenés d’un bureau de vote à l’autre. Exemple : en Italie, notre camarade, tête de liste du Front populaire, a été expédié de Ravenne à Gênes, 400 km plus loin. Un autre camarade a été expédié du bureau de  Sicile à Milan. En France, à Lyon et à Toulouse, c’était aussi la pagaille. Bref, nous avons relevé toutes ces infractions que nous avons consignées avec beaucoup de minutie afin de déposer plainte auprès du Tribunal administratif».

«Historique !»
Au-delà des dépassements et autres infractions, certains hommes politiques et autres partisans considèrent que ces élections législatives sont «historiques». Car, tel que le souligne, ici, Mohamed Bennour, porte-parole d’Ettakatol, «il s’agit d’une victoire de la démocratie, puisque c’est la première fois dans l’histoire du monde arabo-musulman, que des élections sont organisées sans que les résultats soient connus d’avance. Voilà un acquis à renforcer et à défendre par toutes les forces démocratiques».
Et d’ajouter : «Certainement qu’il y a eu des dépassements, mais il est du devoir des patriotes de propager la culture démocratique et le respect de l’autre et de l’adversaire. Il y a eu également des provocations condamnables, mais l’essentiel c’est qu’il y ait, après l’annonce des résultats, de bons perdants et de bons gagnants et qu’on ne tombe pas dans la provocation. Et là la responsabilité des partis qui l’emporteront est immense en ce sens qu’ils doivent rassembler les Tunisiens et non les diviser.
Maintenant, si l’UPL remporte des sièges à l’Assemblée des députés du peuple, je dis que c’est une offense aux Tunisiens d’autant que l’origine de la fortune de son président est inconnue».

Désaffection des jeunes 
Ce qui a frappé Mohamed Hamdi, candidat de l’Alliance démocratique dans la circonscription de Médenine, c’est la désaffection des jeunes pour ces élections législatives : «C’est un indicateur négatif, les jeunes n’ont pas participé en masse car ils semblent bien désabusés».
Férida Laâbidi, candidate d’Ennahdha dans la circonscription de Kairouan, est, elle, satisfaite de l’atmosphère dans laquelle se sont déroulées les législatives, estimant que «l’ambiance et les conditions sont acceptables, malgré les infractions enregistrées, notamment les tentatives d’influence des électeurs et certaines agressions constatées, sans compter, du côté de l’Isie, l’ouverture tardive de certains bureaux».
Et de saluer la société civile et les observateurs nationaux «qui ont fait un travail remarquable», selon elle. Et de saluer également le peuple qu’elle juge «responsable et à la hauteur de l’événement».
Mohamed Abbou, secrétaire général du Courant démocratique, est clair : «Au-delà des enjeux électoraux, ces législatives représentent le passage de l’étape de la transition à celle de la stabilité dans un cadre démocratique. Mais pourvu que les différentes parties qui seront au pouvoir accomplissent leur devoir et qu’une opposition sérieuse fasse le sien, cela au service de la Tunisie sans retomber dans les batailles et tiraillements qui ont marqué les trois années précédentes».
Concernant les abstentionnistes, entre autres les jeunes, qui n’ont pas accompli leur droit et devoir de vote, Mohamed Abbou commente: «Que ceux qui ont déserté les urnes nous épargnent dorénavant leurs critiques surtout qu’ils avaient l’occasion de choisir et d’agir».
Enfin, quant aux résultats des élections, la majorité des interrogés affirment qu’ils les accepteront. Mohamed Bennour, d’Ettakatol, précise : «Nous attendons les rapports des ONG et des observateurs qui ont surveillé les élections, en fonction desquels nous fixerons notre position».
Férida Laâbidi, d’Ennahdha, souligne : «Si les dépassements constatés n’influent pas sur les résultats, nous les accepteront sans problème».
Mohamed Abbou relève que «quelles que soient les conditions et malgré les infractions de la campagne électorale, dont notamment l’argent sale, et l’absence de contrôle par l’Isie, qui devrait éliminer les listes en question, nous n’émettons pas de doutes sur l’ensemble des élections. Notre souhait c’est de passer à l’étape de la construction et de l’édification de la Tunisie».
Auteur : Samira DAMI

mercredi 24 septembre 2014

Néziha Rejiba alias Om Zied : Pourquoi je soutiens Kalthoum Kennou

Trois femmes candidates, sur soixante-dix candidats en tout, ont déposé leur candidature à la présidentielle, soit un taux de 4,28%. Il s’agit de Kalthoum Kennou, Leïla Hammami (indépendante), et d’Emna Mansour Karoui, candidate du Mouvement démocratique. En attendant la liste préliminaire des candidats et candidates retenus qui sera annoncée par l’Isie dans deux jours, nous avons approché Mme Neziha Rejiba, alias Om Zied, pour recueillir sa réaction concernant la présence de la femme dans la course à la présidentielle, les raisons de son soutien à la candidature de Kalthoum Kennou, ainsi que son appréciation de l’ambiance qui a marqué l’opération de dépôt des candidatures

Pourquoi avez-vous soutenu Kalthoum Kennou et quelle est  la symbolique de ce soutien à une femme candidate ?
Vous savez, les considérations féministes ne m’intéressent qu’au tout dernier rang. Je ne suis pas du tout obnubilée par la cause des femmes, mais je me dis que si les femmes veulent faire de la politique c’est leur droit.
Mise à part la symbolique de la femme, je soutiens Kalthoum Kennou pour plusieurs considérations : d’abord elle s’est portée candidate pour déjouer le plan d’Ennahdha concernant le candidat consensuel qui, à mon avis, s’inscrit dans l’intrusion de certaines parties étrangères et leur volonté de parrainage de la vie politique nationale comme au Liban.
Ensuite, Kalthoum Kennou est une militante  d’une grande probité morale qui a beaucoup souffert du temps de Ben Ali parce qu’elle a justement milité pour  une cause noble qui n’est autre que l’indépendance de la justice.

Votre soutien relève donc de l’hommage au passé militant de la candidate ? 
Oui, je la soutiens parce qu’elle n’a aucun antécédent avec la dictature, son «casier» politique est vierge et elle n’a pas de B3 noir à l’instar de plusieurs candidats de l’ex-RCD qui devraient être, actuellement, devant la justice transitionnelle. C’était une dissidente à l’ère de Ben Ali et c’est donc naturel qu’elle fasse partie des personnalités qui devraient prendre la relève après le 14 Janvier.
Enfin, Kalthoum Kennou est une magistrate, légaliste, encore en exercice et ses connaissances dans le domaine de la loi lui permettront d’être à l’aise dans le fauteuil de la magistrature suprême, car l’une des fonctions essentielles d’un(e) président(e) est de signer les lois.
C’est aussi une femme à l’écoute qui se fera entourée de gens compétents car elle n’appréhende pas le pouvoir comme un gâteau à partager.
Au final, je vous dirai pourquoi ne la soutiendrai-je pas, surtout qu’elle ne bénéficie pas d’une machine électorale rompue à ce genre d’opérations ni d’appuis financiers illicites. Et je sais pertinemment qu’elle refusera tout appui financier louche.

Quelle est votre appréciation concernant la course aux candidatures à la présidentielle, 70 candidats ayant déposé leur candidature ?
Certes, certaines scènes de ruée sur les candidatures sont cocasses mais cela est dû à trois facteurs : premièrement, se porter candidat à la présidentielle était, à l’ère de l’ancien régime, interdit, on comprend donc cette ruée et tout le folklore qui a marqué le dépôt de candidatures de quelques postulants. Mais tout ce folklore vaut mieux que le paysage électoral qui a marqué les présidentielles du temps de Ben Ali quand ce dernier l’accaparait avec son discours au Palais des congrès, les applaudissements, les youyous des femmes de l’Unft conduites par Saïda Agrebi, la présence de Leïla Ben Ali qu’on voulait destiner à la magistrature suprême.
Aujourd’hui, il y a parmi les mêmes personnes qui soutenaient Ben Ali des candidats à la présidentielle qui profitent des fruits de la révolution et de la démocratie. Ces gens-là on ne connaissait même pas leur voix. Aujourd’hui, ils rouspètent, fustigent tout et alors qu’ils n’avaient pas le droit de parler.
Deuxièmement, cette course à la présidentielle est due à la dépréciation de la fonction de président qui a  perdu de son aura en raison de l’acharnement de tous les partis et d’une bonne partie des Tunisiens sur le locataire actuel de Carthage. Ce qui a écorné  l’image du président.
Troisièmement, dans cette pléthore de candidatures, surtout des indépendants, je vois la main d’Ennahdha, car étant donné que ce parti n’a pu trouver le candidat consensuel, il a poussé plusieurs candidats à se présenter pour encombrer le paysage des élections présidentielles et diminuer les chances des candidats qu’il voudrait éliminer. Mais au final, je dis que cette avidité et cette ruée sur les candidatures va passer avec le temps.
Auteur : Propos recueillis par Samira DAMI

vendredi 19 septembre 2014

samir Taeib : "L'UPT créera la surprise aux prochaines élections"

"Nous constituerons la troisième force du pays après Ennahdha et Nida Tounès», nous a confié Samir Taïeb, secrétaire général d’Al Massar et porte-parole de l’UPT dans cet entretien accordé à La Presse. Dans ce jeu de questions-réponses, le candidat tête de liste de l’UPT pour les législatives dans la circonscription de Tunis I s’est notamment focalisé sur plusieurs points et aspects inhérents aux élections législatives et présidentielle fidèles aux principes et à la culture de sa famille politique qui prône le progrès social et le modernisme. Ecoutons-le.

Malgré l’appel d’Al Massar, les partis progressistes et démocratiques n’ont pas réussi à présenter des listes législatives communes, notamment avec Nida Tounès et le Front populaire. Quelles sont les raisons de cet échec et n’y a-t-il pas un risque de dispersion des voix, lors des prochaines élections, à l’instar des législatives de 2011 ?
Justement, tous les efforts qu’Al Massar a déployés pour réunir toute la famille démocratique et moderniste au sein d’un seul front avaient pour but de transformer le Front du salut national (FSN) en une force électorale. D’autant que la création du FSN au lendemain de l’assassinat de notre collègue Mohamed Brahmi a permis aux forces progressistes de se présenter unis devant les Tunisiens, lors du sit-in du Bardo, devant l’Assemblée constituante. Le FSN a généré une nouvelle dynamique, a renversé les rapports de force et favorisé un glissement de l’opinion publique en faveur des forces démocratiques. Nous avons senti ce frémissement qui aurait pu aboutir à une force électorale unifiée. C’est ce qu’Al Massar a proposé en décembre dernier, malheureusement ni Nida Tounès ni le Front populaire n’ont accepté notre proposition.
Nous nous sommes, donc, attelés à œuvrer pour la création d’une union forte : l’Union pour la Tunisie (UPT) la plus large possible. Mais il faut se rendre à l’évidence, il y a l’idéal et le possible. Il n’empêche que malgré les difficultés, nous sommes parvenus à créer une union entre les forces politiques et civiles progressistes. Et nous sommes restés fidèles à nos propres principes, à notre propre philosophie et à notre propre culture. La culture de l’union, de la sauvegarde des acquis de la Tunisie, moderne et du modèle tunisien qui sera, je l’espère, défendu par l’UPT.
Quant à l’échec de la constitution d’un large front électoral des forces progressistes et démocratiques, il est dû aux mêmes  raisons que celles de 2011 : il s’agit d’un esprit partisan par-ci, d’un désir ardent de leadership par-là, d’une volonté d’hégémonie chez les uns et d’une obsession de gagner les élections au plus fort taux pour les autres. Et dans toute ces raisons, il y a une grande absente : la Tunisie.
Certes, il y a un risque de voir les mêmes causes engendrer les mêmes résultats qu’en 2011. Mais j’espère que non, d’autant que le paysage politique a changé : les Tunisiens sortent d’une expérience malheureuse de trois années désastreuses d’exercice du pouvoir par la Troïka et principalement Ennahdha.
Cette expérience, qui a abouti à une situation économique catastrophique marquée par un taux de croissance nul, un taux de chômage qui ne cesse de grimper ainsi que par la violence, le terrorisme, la lutte antiterroriste. Aussi aurons-nous l’occasion, lors des élections de 2014, de rétablir la situation en revenant aux vrais principes de la démocratie tunisienne. C’est pourquoi je pense que, pour une fois, ces mêmes causes n’engendreront pas les mêmes résultats. Je suis franchement optimiste quant aux résultats que réaliseront les forces progressistes et modernistes.
Mais certains ont avancé que la coalition entre Al Massar et Nida Tounès n’a pu se faire parce que vous avez exigé dix têtes de liste pour les législatives.
Nous n’avons jamais discuté de cette question avec Nida Tounès. Je démens formellement et solennellement ces dires. Nous n’avons jamais entamé le partage des têtes de liste pour les législatives. Mais je ne veux pas revenir aux polémiques parce que nous allons collaborer, l’UPT et Nida Tounès, sur le terrain, aussi bien au niveau logistique que de l’observation dans les bureaux de vote. Nous allons, si les Tunisiens nous font confiance, nous rencontrer avec Nida Tounès et former ensemble une majorité au gouvernement. Cette question   est actuellement dépassée et nous regardons devant nous.

En fait, l’UPT c’est surtout Al Massar. A preuve vous détenez le plus grand nombre de têtes de liste pour les législatives soit 17 sur 26. N’est-ce pas ?
Certes, on ne peut nier qu’Al Massar soit la colonne vertébrale de l’UPT. Il n’empêche que, qualitativement, toutes les listes de l’UPT sont les meilleures en comparaison des listes des autres partis.
L’UPT comprend Al massar le parti du travail patriotique et démocratique de Abderrazak Hammami, de nombreux indépendants, entre hommes et femmes de la société civile, ce qui est le plus important pour moi. Toutes ces personnalités sont d’une très grande valeur et d’une très grande probité morale. Malgré toutes les difficultés rencontrées afin d’élargir au maximum l’union, je pense que les listes de l’UPT surprendront plus d’un et créeront la surprise aux législatives. Nous serons la troisième force du pays après Ennahdha et Nida Tounès. Car nous sentons très fort le frémissement des citoyens pour nos listes et nous le constatons tous les jours tant la majorité de nos têtes de liste qui sont des députés sortants ont fait leurs preuves à l’ANC.
Sachez que tout le monde s’accorde à dire que les meilleurs députés à l’ANC sont ceux d’Al Massar. Citons, par exemple, Fadhel Moussa, Salma Baccar, Salma Mabrouk, Karima Souid, Ali Bechrifa, Ahmed Brahim, Nadia Chaâbane et la jeune Manel Kadri qui sont pour la plupart nos têtes de liste pour les législatives si l’on excepte Ahmed Brahim et Ali Bechrifa. Et la majorité des Tunisiens leur sont reconnaissants pour leur combativité dans les plénières, pour leurs propositions au sein des commissions de l’ANC et pour les résultats qu’ils ont réalisés en dépit de l’hégémonie des forces rétrogrades du mouvement Ennahdha et ses partis satellites.

Les députés d’Al Massar ont œuvré et combattu au sein de l’ANC pour la parité horizontale en faveur des femmes, mais on constate qu’au sein de l’UPT, vous n’avez pas appliqué ce principe à 100%. Pourquoi donc ?
Nous sommes, comme toujours, en pôle position sur le principe de la parité horizontale. Nous avons dix femmes candidates têtes de liste. La recommandation à l’ANC était de réaliser la parité horizontale à hauteur de 30%, l’UPT les a dépassés avec 39% de candidates têtes de liste. On aurait aimé faire davantage mais quand on est dans une coalition on ne contrôle pas toutes les listes, mais nous sommes malgré tout loin devant tous les partis qui n’ont présenté que 3 à 4 candidates têtes de liste. Même chose pour les candidatures des jeunes qui sont aussi bien représentés avec un taux de 36% de candidats entre 23 et 35 ans.

Comment jugez-vous le phénomène des candidatures des hommes d’affaires et des propriétaires de médias aux législatives ou à la présidentielle ?
Je considère que c’est un phénomène encore marginal. Toutefois, espérons qu’il ne deviendra pas central et la norme. Car le rôle des hommes d’affaires c’est d’investir et de créer des projets économiques et de l’emploi. D’autre part, le rôle des propriétaires de médias c’est de transmettre l’information en toute objectivité et non pas de faire de la politique.
Ce phénomène est marginal vu le nombre qui demeure réduit des candidats hommes d’affaires et propriétaires de médias sur l’ensemble des listes électorales au nombre très important.
Mais si ce phénomène perdure, il deviendra inquiétant car le mélange de genre entre l’argent, les médias et la politique fera en sorte que les choix politiques ne seront plus déterminés par les programmes des différents candidats mais par le pouvoir de l’argent et des médias.

Mustapha Ben Jaâfar, président de l’ANC, a promis de démissionner s’il se présente à la présidentielle, mais il ne l’a pas fait, quelle est votre position sur cette question ?
Je considère que Mustapha Ben Jaâfar n’est pas à sa première inconséquence et je pense qu’il aurait dû tenir sa promesse consistant à démissionner s’il se présentait à la présidentielle surtout dans cette fin de phase transitionnelle. Il devrait démissionner afin d’être en position d’égalité avec tous les candidats à la présidentielles et de ne pas profiter de son poste.
A l’avenir, il sera normal que le président de l’Assemblée du peuple achève son mandat, mais actuellement, nous sommes dans une période de fin de phase provisoire et le président de l’ANC devrait démissionner pour favoriser un jeu politique égal. Et c’est aussi valable pour Moncef Marzouki, le président provisoire de la République, mais à la différence que ce dernier n’a jamais promis de démissionner, il a été plus prudent et n’a pas fait de promesse de démission mais lui-même est dans l’obligation de le faire s’il se présente pour la présidentielle.

Sur une de vos listes vous avez présenté Mahmoud Bouneb, l’ancien directeur de la chaîne «Al Jazira Children», qui ne peut toujours pas quitter le Qatar n’est-ce pas là une forme de provocation ?
Mahmoud Bouneb se présente comme candidat tête de liste de  l’UPT pour les législatives dans une circonscription représentant les pays arabes et c’est son droit car pourquoi voulez-vous qu’on accepte le diktat du régime du Qatar. Mahmoud Bouneb est pris, injustement, en otage au Qatar, pourquoi on devrait accepter cette injustice et ne pas lui permettre d’exercer son droit, comme tout citoyen tunisien, d’être candidat pour les législatives de 2014. Cela d’autant qu’il n’y a pas de jugement judiciaire contre lui, la justice l’a même innocenté, sauf Chikha Mouza.
Or, si Mahmoud Bouneb continue à vivre, lors de la campagne des législatives, dans la même situation qu’il vit aujourd’hui, je pense que c’est honteux pour la Tunisie d’accepter ce statu quo. C’est pourquoi je lance un appel au président provisoire de la République, Moncef Marzouki, et au chef du gouvernement Mehdi Jomâa pour qu’ils agissent afin de libérer Mahmoud Bouneb et de lui permettre, comme tous les autres candidats, de faire sa campagne en toute liberté et à se déplacer dans tous les pays arabes qui couvrent sa circonscription.
Donc, si l’UPT l’a choisi comme tête de liste d’une circonscription à l’étranger, ce n’est nullement une provocation. Mahmoud Bouneb est un citoyen tunisien qui souhaite jouer un rôle dans la vie politique tunisienne et c’est son droit le plus absolu d’exprimer les problèmes et les attentes des Tunisiens résidant à l’étranger. Je ne vois pas au nom de quoi on lui interdirait, surtout qu’il se considère très proche de notre famille politique, d’exercer ce droit. Nous lui avons offert l’occasion de le faire, nous sommes fiers qu’il l’ait accepté. Outre que sa candidature a été validée par l’Isie. Je lance, également, un appel à tous les candidats des autres listes de cette circonscription afin qu’ils considèrent la liste de l’UPT comme non partisane et représentant tous les Tunisiens et qu’ils retirent leur candidature. Cela pour permettre à la liste de Mahmoud Bouneb, candidat indépendant du sein de l’UPT, de passer et de mettre ainsi, les gouvernements tunisien et qatari devant leurs responsabilités.
Parce que dans ce cas il ne s’agit pas d’une bataille pour les élections mais pour la souveraineté nationale. C’est ça l’enjeu. Et on verra bien si le Qatar continuera à détenir en otage un représentant du peuple tunisien. D’ailleurs, je vais adresser une lettre aux deux chefs de l’exécutif, Mehdi Jomâa et Moncef Marzouki, afin qu’ils agissent dans ce sens et de permettre à Mahmoud Bouneb de se déplacer dans tout le monde arabe afin qu’il fasse sa campagne normalement comme tous les autres candidats.

Les listes électorales pour les législatives sont au nombre de 1.300, ne croyez-vous pas que le flux important de listes contribuera à disperser les voix, à brouiller les cartes, reproduisant, ainsi, le scénario des élections de 2011 où un million de voix sont parties dans la nature ?
Il est vrai que le risque de voir se répéter le scénario de 2011 n’est pas à exclure. Cela parce qu’on n’a pas changé grand-chose à la loi électorale demeurée telle quelle avec un mode de scrutin qui permet la multiplication par 10 et par 100 des petites listes sans grande prise sur la réalité. Le risque existe donc, mais maintenant j’espère que les Tunisiens vont faire la différence et ne pas répéter l’erreur de 2011, surtout que les listes indépendantes auraient pu se joindre à certaines coalitions telles que l’UPT ou autres. Cela afin d’éviter la dispersion et la perte des voix. J’invite, donc, les Tunisiens à voter pour les listes présentes au niveau national, quel que soit le parti, plutôt que de voter pour les listes locales, à défaut, cela nous fera perdre, comme en 2011, un million de voix qui partiront, comme vous dites, dans la nature.
Certains observateurs avancent que les résultats des législatives sont déjà fin prêts avec un taux de 45 % pour Ennahdha, autant pour Nida Tounès, et 10% en faveur des autres partis et des candidats indépendants, et que tout le reste n’est que du cinéma.
Franchement, je ne crois pas à ces chiffres. Ces taux relèvent du fantasme car certains prennent leur désir pour des réalités. Je pense, au contraire, que ni Nida Tounès ni Ennahdha ne pourront atteindre 45 % de voix. Au meilleur des cas, ils ne pourront réaliser plus de 30 à 35 % des voix. Et je crois qu’il y a de la place pour une force comme l’UPT afin qu’elle puisse, justement, peser sur les prochaines décisions et orientations politiques, sociales et économiques qui engageront le pays et qui seront à l’évidence des plus importantes et cruciales pour l’avenir du pays et des Tunisiens.

Le prochain candidat d’Al Massar à la présidentielle serait-il Samir Taïeb ? 
Non... non. A Al Massar, nous avons décidé de ne pas présenter de candidat à la présidentielle afin d’éviter d’ajouter à la dispersion des candidats des forces progressistes et modernistes.
Nous attendons, le moment venu, quand le paysage de l’élection présidentielle se clarifiera, puisque chaque jour il y a de nouvelles candidatures, et quand nous découvrirons, enfin, le programme des candidats, nous déciderons qui soutenir. Notre décision ira dans le sens de l’unification des forces progressistes et modernistes et dans l’intérêt général du pays.

Le candidat d’Al Massar et de l’UPT pourrait-il être le président de Nida Tounès, Béji Caïd Essebsi, comme l’a déclaré Abderrazak Hammami sur Ettounsya-TV ?
On pourrait soutenir Béji Caïd Essbesi comme d’autres. Mais nous n’avons pas encore pris de décision, ni au sein d’Al Massar ni de l’UPT. On décidera le moment venu à la lumière des dossiers et des programmes des candidats.
Notre choix ira, encore une fois, dans le sens de l’intérêt du pays et rien que dans ce sens.

Ne croyez-vous pas que la ruée vers les candidatures à la présidentielle, ainsi que le profil très médiocre de certains candidats, déprécient la fonction de président de la République ? 
Beaucoup de candidats croient vivre, toujours, sous la Constitution de 1959 et sous le régime présidentialiste de Bourguiba. Ils oublient, peut-être, que nous avons une nouvelle répartition de l’exécutif entre le président de la République et le chef du gouvernement.
Ils oublient que les prérogatives présidentielles, aujourd’hui, sont des prérogatives de souveraineté qui concernent notamment  la sécurité du pays et la diplomatie. Outre que le président de la République demeure le symbole de l’unité du pays. J’ai écouté beaucoup de candidats et non des moindres, des plus chevronnés même, évoquer leur programme économique, leurs projets et leurs initiatives futures dans les domaines de l’éducation, de la santé, du transport, etc.
Ce qui n’a rien à voir avec la réalité des pouvoirs sous la IIe République. Nous ne sommes plus à l’ère de la première République, celle de Bourguiba. C’est ce que l’ensemble des candidats à la présidentielle devraient comprendre.

Le mouvement Ennahdha a proposé un candidat consensuel pour la présidentielle. Quelle est votre position sur cette question ? 
Nous avons été approchés par une délégation d’Ennahdha venue nous faire cette proposition que nous avons poliment refusée, car ce parti propose seulement un président consensuel et occulte la question du gouvernement.
Autrement dit, le parti Ennahdha nous invite à partager la présidence de la République et le gouvernement qu’il veut dominer. Moi je dis si la proposition avait englobé le gouvernement, en invitant donc à une gouvernance consensuelle qui toucherait aussi bien la présidence de la République que le gouvernement, on l’aurait discuté beaucoup plus sérieusement. Mais qu’Ennahdha s’en tienne uniquement à un président de la République consensuel et occulte le gouvernement qui représente la réalité du pouvoir, selon la nouvelle Constitution, cela relève de la manœuvre politicienne. Une manœuvre qui a deux objectifs tout aussi politiciens. Le premier consiste à exclure Hamadi Jebali de la candidature à la présidentielle, ce qui est une question interne que le mouvement veut régler par une initiative à l’échelle nationale.
Le deuxième objectif consiste à placer une épée de Damoclès sur la tête de tous les candidats à la présidentielle qui désirent être ce candidat consensuel tant recherché par Ennahdha. Ce qui revient à dire que tous les candidats n’osent pas critiquer la période de règne d’Ennahdha et le bilan catastrophique des trois années de son exercice du pouvoir. D’ailleurs, on constate que la majorité des candidats qui aspirent à devenir ce candidat consensuel ne s’aventurent plus à critiquer Ennahdha.
Je considère donc que de ce point de vue, ce mouvement est en train de réaliser les objectifs qu’il s’est tracés, mais j’espère que tous les candidats à la présidentielle oseront et s’offriront l’occasion de discuter et de critiquer le bilan de la Troïka, donc principalement d’Ennahdha. Cela afin de dépasser la  situation calamiteuse que connaît le pays et  de construire l’avenir.

Que pensez-vous de la polémique occasionnée par la lettre envoyée par Omar S’habou à Béji Caïd Essebsi lui demandant de retirer sa candidature à la présidentielle et de révéler la vérité aux Tunisiens sur son état de santé ?
Personnellement, en tant que SG d’Al Massar, je ne veux pas interférer dans ce débat parce que ce qui compte, à nos yeux, ce n’est pas ce que pense X de la candidature de Y. J’estime qu’un candidat, quel qu’il soit, connaît son état de santé mieux que quiconque et s’il juge qu’il peut être candidat, on ne peut se mettre  à sa place pour juger de son état de santé.
C’est au candidat que revient la décision, et concernant la candidature de Béji Caïd Essebsi ce n’est pas à Omar S’habou ou à quelqu’un d’autre d’interférer dans cette question.
Moi, ce qui m’intéresse c’est le programme des candidats, ce qu’ils proposent à la Tunisie et ce qu’ils veulent réaliser pour les Tunisiens. J’espère, par conséquent, que le débat à la présidentielle et même des législatives se concentre sur le programme des candidats et sur ce qui intéresse vraiment les Tunisiens.

Justement, ne serait-il pas plus judicieux d’exiger dorénavant  des candidats un bilan de santé aussi bien pour les législatives que pour la présidentielle afin d’éviter pareille polémique ?
Cela n’est pas prévu ni dans la Constitution ni dans la loi électorale. Je ne vois donc, pas pourquoi on devrait exiger un bilan de santé des candidats aussi bien pour les législatives que pour la présidentielle. Maintenant si on veut changer la loi, on pourra agir dans ce sens à l’avenir.

Pourquoi le vote de la loi antiterrorisme à l’ANC traîne-t-il encore ?
Je pense qu’Ennahdha a été contrainte, vu la situation sécuritaire dans le pays, vu les attentats contre les forces armées et de l’ordre, et vu le nombre des victimes de discuter la loi antiterrorisme. Mais en fait, Ennahdha ne veut pas de cette loi en raison des liens qu’entretiennent certains de ses dirigeants avec la mouvance djihadistes et terroriste et donc toutes les occasions sont bonnes pour une partie de ces députés de retarder et d’empêcher le vote de cette loi.
Et on a même constaté qu’un groupe parmi le mouvement s’abstenait de voter à tous les coups et comme il faut les voix positives de 109 députés pour que la loi passe, elle tombait à tous les coups. Cela sans pour autant montrer qu’Ennahdha était contre cette loi. Mais une fois qu’on a avancé dans la discussion de la loi, on nous a sorti cette histoire de projets de loi économique que le gouvernement veut voir voter le plus tôt possible.
Nous avons, donc, condamné cette manœuvre, en estimant que la loi antiterrorisme est visée, qu’il nous incombe d’en faire une priorité et de la voter le plus tôt possible. Car une fois passée, cette loi soulagera psychologiquement nos forces de l’ordre et de l’armée qui n’ont eu de cesse d’appeler de leurs vœux et qui constituera, à l’évidence, un pas supplémentaire dans la lutte contre le terrorisme.
Sachant que les travaux de l’ANC seront suspendus le 26 septembre, à l’entame de la campagne électorale pour les prochaines législatives, nous sommes en tant que députés de l’ANC tenus de nous investir à fond, afin que cette loi passe et soit enfin promulguée.

Mehdi Jomaâ a démenti, mercredi dernier, dans une conférence de presse, les folles rumeurs qui ont couru sur son éventuelle candidature à la présidentielle en déclarant qu’il ne se présentera pas à ces élections. Que pensez-vous de sa position ? 
Il fallait mettre les points sur les i et clarifier les choses d’autant que la feuille de route du Dialogue national ne lui permet pas de se présenter à la présidentielle. Mais ce qui me gêne dans tout ça c’est la mise en scène autour de cette histoire car le Premier ministère aurait pu se contenter d’un communiqué pour démentir cette vraie-fausse candidature. Tout ça ne méritait pas une conférence de presse.
En tout cas, s’il avait accepté la sollicitation, cela aurait été une erreur monumentale. Il a justifié son refus de se présenter  à la présidentielle par l’éthique, les valeurs morales, l’engagement envers les Tunisiens mais ce qui m’a surpris c’est qu’il n’ait pas évoqué ni le Quartet du Dialogue national, ni la feuille de route qui lui interdit de se présenter aux élections aussi bien législatives que présidentielle.
Maintenant, tout le monde sait à quoi s’en tenir, Mehdi Jomâa terminera sa mission et travaillera jusqu’à la fin de la phase transitoire en veillant à la sécurité du pays et à la réussite des élections.
Auteur : Entretien réalisé par Samira DAMI

samedi 6 septembre 2014

Femmes et listes électorales "Les Têtes sont ailleurs"

POUR  les prochaines législatives, les têtes de liste de la plupart des partis sont des candidats hommes. Quelles sont les raisons de la faible présence 
des femmes en tant que chefs de file? Des dirigeants et des dirigeantes de partis répondent
Le nombre de femmes têtes de liste pour les prochaines élections législatives est à l’évidence faible, voire dérisoire, même au sein des partis les plus progressistes qui défendent les principes de l’égalité et de la parité, aussi bien verticale qu’horizontale.
Ainsi, la plupart des partis, à l’exception de l’Union pour la Tunisie (UPT)  — coalition entre Al Massar, le Parti pour l’action  patriotique démocratique et des candidats indépendants — qui a présenté 10 têtes de liste femmes sur un total de 26, soit près de 39%, le reste des partis, et non des moindres, ne se sont pas tellement souciés de la parité horizontale.
Un principe revendiqué par les élus démocrates et progressistes et rejeté par la majorité des députés d’Ennahdha et leurs collègues de la même famille idéologique.
Mais si Ennahdha, logiquement fidèle à ses principes, n’a présenté que deux têtes de liste femmes sur un total de 33 listes, soit un taux de 6%, on ne comprend pas cependant que Nida Tounès, qui se targue d’être un mouvement moderniste, n’ait présenté que trois candidates têtes de liste sur un total de 33, soit un taux de 9%. En tout cas, moins que le CPR, par exemple, qui a présenté 7 femmes têtes de liste sur un total de 33, soit un taux de 21,21%.
D’autres partis qui s’affichent comme des forces progressistes porteurs de projets modernistes et démocratiques, et qui ont forcément défendu le principe de la parité horizontale, ne l’ont pourtant pas appliqué. Ainsi Ettakatol, Afek Tounès et le Front populaire n’ont présenté chacun que 5 femmes têtes de liste sur 33, avec un taux s’élevant à 15,15%. Al Joumhouri, un cran en dessous, n’a que quatre femmes têtes de liste, soit un taux de 12,12%. Le nombre de têtes de liste femmes est encore plus faible du côté du parti Al Moubadara, puisqu’il n’est que de 4 sur 32 : autrement dit un taux de 12,5%. Même chose du côté de l’Alliance démocratique et du Mouvement destourien avec, chacun, deux têtes de liste occupées par des femmes sur un total de 28, soit 7,14%. 

Une question de mentalité 
Comment expliquer alors la faible présence des femmes  têtes de listes pour les législatives ? S’agit-il d’une question de manque de compétence féminine ou d’un problème de mentalité qui veut que la femme et la politique ne fassent pas bon ménage? 
Pour répondre à ces questions, nous avons donné la parole à des dirigeants hommes et femmes de partis politiques. 
Salma Baccar, actuellement députée d’Al Massar, et qui préside la tête de liste de la circonscription de Ben Arous de l’UPT pour les prochaines législatives, n’affiche pas une grande satisfaction, bien que la coalition ait présenté le plus grand nombre de femmes têtes de liste — 10 en tout sur un total de 26 listes. Elle exprime franchement son insatisfaction : «Je ne suis pas du tout contente, même si le nombre de femmes têtes de liste est plus important que celui des législatives de 2011. Les femmes seront moins présentes dans la future Assemblée du peuple. Rendez-vous compte qu’en 2011, Ennahdha, par exemple, a présenté une seule femme tête de liste, ma collègue Souad Abderrahim, pourtant 43 candidates femmes de ce parti ont été élues. Nous sommes actuellement 66 femmes députées, mais je pense que ce nombre diminuera dans la future Assemblée en raison du changement du paysage politique, car il sera difficile pour chaque liste d’obtenir plus de deux sièges. A mon avis, aucun parti ne pourra rafler plus de 4 sièges dans chaque liste, à l’exception peut-être de Nida Tounès et d’Ennahdha. Il faudra, donc, s’attendre à une franche diminution du nombre des femmes». Et de poursuivre : «Même si l’UPT a présenté 10 femmes  têtes de liste, je ne suis pas contente, car les autres forces de la coalition ne se soucient pas tous du principe de la parité horizontale, alors qu’Al Massar (ancien Kotb) le défend corps et âme. Je pense qu’il s’agit d’une question de mentalité, laquelle doit évoluer, car je le dis franchement, j’ai constaté lors des travaux des commissions de l’ANC qu’au sein du parti Ennahdha, par exemple, il existe beaucoup plus de compétences féminines que masculines, et je pense à Yamina Zoghlami, Kalthoum Badreddine, Hella Hammi et d’autres, qui sont d’une grande compétence et je m’étonne qu’elles n’aient pas été présentées comme têtes de liste par Ennahdha. C’est pourquoi, ce genre d’attitude et de mentalité doit vraiment changer».

«Le choix de l’efficacité»
Pour Lazhar Akremi, porte-parole de Nida Tounès, ce n’est pas une question de mentalité : le parti a fait le choix de l’efficacité, le but ultime étant de gagner les élections en raflant le maximum de sièges. Et d’expliquer : «Il ne s’agit pas de prendre une position donnée pour entrer dans l’histoire, mais de se soucier de l’efficacité en tenant compte de la situation du parti et du pays. L’ancienne classe politique n’existe pratiquement plus et le  reste des femmes s’activent plutôt dans la société civile. Il faudrait donc s’attendre à ce que, cette étape de transition démocratique, il y ait plus de présence féminine dans  les partis, et ce, à tous les niveaux car, franchement, dans certaines régions les femmes sont pratiquement absentes de la vie politique et associative. 
Ainsi, considérant que les élections sont un résultat et non un look, nous nous sommes souciés uniquement de compétence et d’efficacité, en vue de gagner les élections». 

«Les femmes doivent s’imposer»    
Du côté d’Ettakatol, le porte-parole Mohamed Bennour insiste: «Notre parti a défendu, sans équivoque aucune, la parité horizontale, mais pour son application, nous avons eu beaucoup de difficultés à dénicher des femmes d’envergure engagées dans le parti et dans la vie politique. C’est pourquoi, pour que les partis qui sont pour la parité horizontale puissent l’appliquer, il faudrait que davantage de femmes s’impliquent dans la politique.  Les femmes doivent non seulement s’engager mais aussi militer et lutter pour pouvoir s’imposer, au niveau aussi bien local et régional que national. 
Les femmes d’Ettakatol, à l’image de Lobna Jeribi, tête de liste de Tunis 2, Salma Zenaïdi, tête de liste à Nabeul, se sont imposées d’elles-mêmes, on ne les a pas imposés et personne ne leur a fait de cadeau. 
C’est donc avec plus d’engagement de la part des femmes dans la vie politique que la parité horizontale pourra être appliquée au sein des partis convaincus de ce principe».  

«Pas de cadeau pour les femmes»
Bochra Belhaj  Hmida s’est présentée aux législatives de 2011 tête de liste dans la circonscription de Zaghouan sous la bannière d’Ettakatol. Pour les prochaines législatives, elle a préféré se représenter en tant que candidate de Nida Tounès, en 2e position dans la circonscription de Tunis II.
La candidate de Nida Tounès explique, elle, la faible présence féminine comme têtes de liste des partis à partir de plusieurs facteurs: d’abord par la misogynie qui est une réalité, même en Occident, car il existe une mentalité et une culture qui considèrent que les femmes n’ont pas leur place dans l’espace politique.
Ainsi, les pays occidentaux ont été obligés de prendre des mesures d’exception, tel que le quota en France. Et même dans ce pays, ça ne marche pas toujours, puisque le Parti socialiste a préféré payer des amendes plutôt que de respecter le quota».
Ensuite, le deuxième facteur pour Bochra Belhaj Hamida est l’absence  de stratégie personnelle et collective pour arriver  à s’imposer en tant que candidate et dans les premiers rangs: «Les femmes doivent lutter et œuvrer, pas seulement sur le dossier  et la cause des femmes au sein des partis, pour arracher de nouveaux acquis, mais aussi au plan des stratégies politiques, afin d’imposer la parité horizontale ou un quota au sein des partis.
Or, nous avons, en tant que femmes, négligé cet aspect, d’autant plus que nous n’aurions trouvé, au sein de Nida Tounès, aucune résistance.
Les femmes doivent comprendre que c’est un travail de longue haleine et que s’il n’existe pas de force réelle à cette fin, personne ne leur fera de cadeau».
Enfin, l’intervenante évoque «l’absence de solidarité entre femmes dans la majorité des partis. Car, malheureusement, elles ne sont pas conscientes que chaque acquis est un acquis pour toutes les femmes et qu’il est malheureux de le considérer ou de le vivre autrement.»
Ainsi, les femmes ne se positionnent pas comme chef de file des listes pour les législatives, mais comme des femmes au service de l’homme, reproduisant ainsi le schéma politique et sociétal traditionnel. C’est pourquoi, pour toutes ces raisons, je ne me suis pas présentée en tête de liste pour les prochaines législatives.
J’en conclus, donc, qu’il faudrait que, nous femmes, en tirions les leçons en mettant une stratégie au sein de nos partis, qui puisse s’adapter facilement à notre rôle avant-gardiste.
Nous avons donc du pain sur la planche car tous les acquis que nous avons obtenus, depuis le Code du statut personnel promulgué en 1956, est le fruit d’un long combat y compris la parité verticale arrachée au sein de l’Instance post-révolutionnaire présidée par Iyadh Ben Achour.
Je le répète, il ne faut s’attendre à aucun cadeau. Œuvrons alors pour changer l’image du paysage politique tunisien par trop masculin».
Auteur: Samira DAMI