samedi 27 juin 2015

Attentat terroriste à Sousse

Nos télés déphasées

 Au moment où des satellitaires arabes et européennes annonçaient vers midi l’attaque terroriste à Sousse qui a fait une  trentaine de morts et de nombreux blessés, les chaînes de télé locales continuaient de diffuser normalement leurs programmes ordinaires, entre feuilletons, sitcoms et jeux, sans même annoncer en bas de l’écran dans le «news-bar» le drame survenu dans la ville côtière, La Mecque du tourisme tunisien.
Si Al Watania 1, suivie de la 2e chaîne publique, se sont focalisées dans les journaux télévisés sur l’événement dramatique, les chaînes privées, à l’exception de TNN et surtout de Nessma TV qui a réagi par un débat en milieu d’après-midi,  ont préféré rester déphasées et en marge de l’actualité brûlante en diffusant, jusqu’aux environs de 15 heures, des  programmes soporifiques et stupides réchauffés ou autres culinaires afin soi-disant de divertir les téléspectateurs, mais qui eux, loin de là, n’avaient pas du tout le cœur à ça puisqu’ils se sont rapidement rabattus sur les réseaux sociaux et les satellitaires arabes et européennes généralistes, qui ont interrompu leurs programmes, ou d’informations en continu.
Ainsi, hier tout au long de l’après-midi, les satellitaires locales n’ont  pas prêté à cette tragédie l’importance qu’elle méritait alors qu’il s’agit du fléau de terrorisme qui n’épargne aucun pays.
A preuve, hier, le terrorisme a frappé simultanément dans quatre pays, en France, au Koweït, en Tunisie et en Somalie. D’aucuns affirment qu’il s’agit «d’un plan diabolique américano-sioniste où tous les pays arabes, sans exception, sont visés, le prochain sur la liste étant l’Algérie. Le but étant premièrement de diviser pour régner en s’accaparant toutes les richesses énergétiques arabes et d’éviter, du même coup, qu’une autre puissance, la Chine, n’en profite à son aise.
Deuxièmement, permettre à Israël de dominer, pendant des siècles, la région et le monde arabe, quasi en ruine, en raison des guerres qui y sévissent».
C’est, en tout cas, ce qui se dit un peu partout sur les réseaux sociaux et sur certaines satellitaires arabes et même locales.

Apprendre à réagir à chaud
Mais ce postulat est-il vrai ou faux ? Ne s’agit-il pas d’une analyse des partisans et adeptes de «la théorie du complot» ? Ne s’agit-il pas de rejeter tous nos maux, failles et faiblesses sur les autres : l’impérialisme, le sionisme et toutes sortes  d’ennemis visibles ou invisibles ?
Ne s’agit-il pas d’une politique interne aveugle qui, jusqu’ici, n’a rien fait pour contrer le terrorisme ? Cela en mettant  en place une stratégie nationale étudiée et efficace pour le développement de l’économie, l’instauration d’un équilibre régional, la réforme de l’éducation, de la justice, etc.
C’est pourquoi les chaînes locales auraient dû éclairer à chaud la lanterne des téléspectateurs en posant les bonnes questions à des experts spécialistes et autres politologues.
Disons, enfin, que les présidences de la République et du gouvernement, qui ne se sont adressées au peuple que tardivement, ainsi que les médias télévisuels devraient apprendre à réagir rapidement à l’actualité comme cela se fait ailleurs, notamment lors des événements cruciaux qui touchent et endeuillent toute la nation et que peut connaître le pays hiver comme été.
S.D

lundi 15 juin 2015

ARRET SUR IMAGE


Les JCC : touche pas à ma spécificité

Par Samira DAMI
Les Journées cinématographiques de Carthage (JCC), on le sait, ont désormais une périodicité annuelle au lieu de celle bisannuelle, comme cela est de tradition depuis leur naissance, voilà une cinquantaine d’années.
Prévues du 21 au 28 novembre, les prochaines JCC garderont-elles, vu ce changement important, la même conception et la même vision?
Intérrogé, Brahim Letaïef, nouveau directeur des JCC, est catégorique : «Les JCC doivent continuer sur la même voie, notamment au niveau de leur spécificité arabo-africaine». C’est donc la continuité qui prévaut au niveau des fondamentaux de cette manifestation qui prône la promotion et l’encouragement des cinématographies africaines et arabes à travers la compétition, la réflexion et le débat, l’aide à l’écriture et à la post-production de films. Cela, outre la découverte de jeunes talents et la coopération Sud-Sud.
Mais d’aucuns ont exprimé l’idée de la nécessaire ouverture de la compétition, exclusivement consacrée, jusqu’ici, aux films africains et arabes sur les autres cinémas du monde.
Cela, à l’instar des festivals de Marrakech, Dubaï, Le Caire et autres. D’autant que la nouvelle périodicité annuelle des JCC n’assure pas la programmation de nouveaux films africains et arabes en avant-première. Surtout si l’on considère la multitude de festivals de cinéma dans le continent africain, dont le Fespaco, et ailleurs qui se focalisent sur les cinématographies arabes et africaines.
Or, en optant pour l’ouverture des JCC sur les autres cinémas du monde dans la section compétitive, il est clair qu’elles perdront leur spécificité, telle qu’imaginée et conçue par leur fondateur, Tahar Cheriaâ. Une spécificité qui a fait jusqu’ici sa force, sa pérennité et son originalité. Car, en se focalisant sur «Marrakech», «Dubaï», «Le Caire» and co, l’on s’apercevra, rapidement, qu’il s’agit non pas de manifestations exclusivement cinématographique et culturelle, mais qui relèvent plutôt du prestige et de la promotion touristique. «Mieux», on peut se demander qui parmi les grands cinéastes ou les grandes sociétés de production préféreraient les festivals du continent à «Canny», «Berlin» ou «Venise» pour ne citer que les manifestations cinématographiques les plus prestigieuses de l’Occident.
Du coup, «Marrakech», «Le Caire» et «Dubaï» ne peuvent aspirer aux films de grosses pointures du cinéma mondial et autres grandes maisons de production.
Soyons lucides et logiques. En programmant les autres cinématographies du monde dans leur section compétitive, les JCC perdront leur identité et leur touche particulière et originale.
L’on ne comprend pas, par ailleurs, ce désir de changement de conception, de vision et d’ouverture comme si les JCC n’étaient pas, depuis toujours, ouvertes sur le reste du cinéma mondial à travers plusieurs sections, telles que «Le panorama du cinéma mondial», «Les hommages» aux cinématographies et aux cinéastes importants de par le monde et autres sections spéciales.
Enfin, ce qui devrait changer à notre avis, c’est la structure du festival qui devrait être, désormais, permanente afin de donner le temps et les moyens à l’équipe organisatrice d’œuvrer dans la continuité et d’acquérir le savoir-faire et l’expérience qu’exige notamment une périodicité annuelle.

RETROVISION

Agressions contre les journalistes 
Suffit-il de dénoncer et de condamner ?

 Plusieurs chaînes de télé locales se sont focalisées, récemment, sur les agressions dont ont été victimes les hommes de médias lors des dernières manifestations de colère organisées par les partisans de la campagne «Winou el pétrole» et par les instituteurs. Dans la première manifestation organisée le 6 juin à l’avenue Bourguiba, les professionnels du secteur, entre journalistes, cameramen et photographes, ont été violentés par les forces de l’ordre. Dans la deuxième, et à notre grand dam, ce sont les enseignants du primaire — qui devraient normalement représenter un symbole fort de toutes les valeurs morales et un modèle pour leurs élèves — qui ont agressé verbalement et physiquement les hommes de médias. Certes, ce n’est pas la première fois que des reporters travaillant sur le terrain sont la cible de violence. Pis, c’est même devenu leur «pain quotidien» ; ils ont été tabassés et leur matériel de travail détruit, lors de la couverture d’événements nationaux qu’ils soient d’ordre politique (campagnes législatives et présidentielle) ou d’ordre social (grèves, manifestations et sit-in dans tout le pays). Le syndicat national des journalistes tunisiens et l’organisation tunisienne de protection des journalistes ont dénoncé, à chaque fois, ces pratiques, le Snjt a eu même recours à la justice en portant plainte contre les instituteurs, entre autres, mais rien n’y fit. Car le calvaire des professionnels du secteur continue de plus belle et, le plus souvent, les agresseurs jouissent de l’impunité. Concernant les agressions commises par les forces de l’ordre, le ministère de l’Intérieur promet toujours l’ouverture d’enquêtes afin de délimiter les responsabilités des agents de sécurité impliqués. En vain. car nous n’avons rien vu venir; aucune enquête n’a révélé quoi que ce soit. Et même le programme de formation initié récemment par le ministère de l’intérieur et auquel ont participé des journalistes et des agents de sécurité ne semble pas avoir porté ses fruits. D’autre part, quoique l’Ugtt ait nié les agressions des enseignants à l’encontre des journalistes et malgré la condamnation du ministère de l’intérieur «de toute violence verbale ou physique envers les hommes de médias», le fait est là ; depuis la révolution, les agressions se sont multipliées et se comptent par centaines. le centre de Tunis pour la liberté de la presse (Ctlp) a recensé, pour le seul mois de mars 2015, «24 violations commises sur des professionnels de médias», tandis que depuis le début de l’année 2015, plus de 30 agressions ont été commises à leur encontre, notamment dans les régions et de la part des agents de l’ordre, lors de la couverture de manifestations. Que faire ? et comment remédier à cette situation inadmissible afin que les professionnels du secteur puissent accomplir leur mission et exercer leur fonction pour faire parvenir l’information au large public en toute sécurité sans encombres, ni contraintes, ni violence? Suffit-il de condamner, de dénoncer ces agressions et de porter plainte devant la justice? Assurément non. Des actions plus pragmatiques et efficaces doivent être menées par les journalistes eux-mêmes.
Des actions à mener
Ainsi, n’est-il pas temps de voir les médias audiovisuels concocter des émissions afin d’éclairer l’opinion publique sur la nature de leur travail et sur le rôle des professionnels qui sont, avant toute chose, des témoins des divers événements qu’ils se doivent de rapporter au public, loin de tout esprit partisan, car les faits sont sacrés et le commentaire est libre selon la ligne éditoriale de chaque média. C’est en informant le public sur les spécificités et les objectifs de la profession que ce dernier prendra conscience que le fait d’agresser les journalistes-témoins des événements le privera de son droit à l’information. Il est vrai que les médias n’ont pas réussi à établir une réelle communication avec leur public, c’est pourquoi des émissions, en tous genres, explicites et pédagogiques et autres débats sur le rôle et la mission des journalistes pourraient contribuer à éviter tout malentendu et toute méprise entre les deux parties. Les journalistes doivent, également, améliorer la qualité de leur travail en veillant à donner la parole, de manière équitable et équilibrée, aux différentes parties concernées lors du traitement de l’information, car les instituteurs reprochent, entre autres, aux médias audiovisuels d’avoir donné plus de temps d’antenne au ministre de l’Education. Ainsi, outre le respect de la déontologie professionnelle et de l’éthique du métier, l’idéal, afin d’améliorer la qualité de l’information et des médias, serait d’instaurer un cadre juridique de la presse écrite et de la communication audiovisuelle, premièrement à travers la mise en place d’un mécanisme d’autorégulation de la presse et deuxièmement à travers la révision du décret-loi 116, par l’assemblée des représentants du peuple, et la mise en place de la nouvelle instance de communication audiovisuelle comme le stipule la constitution. De leur côté, les citoyens doivent comprendre qu’on ne peut bâtir une démocratie sans la liberté de la presse. or, pratiquer la violence, c’est étouffer la voix des journalistes et des médias. Ce qui mène tout droit à instaurer de nouveau la dictature.
 S.D.

ARRET SUR IMAGE

Arrêt sur image… les festivals d’été

Un nécessaire retour aux sources

Par Samira DAMI
Le pays compte plus de 250 festivals, dont la majorité se déroule en été. Du genre international, national et local, ces manifestations estivales, qui sont à nos portes, ont été initiées dans le but de créer la fête et une animation tous azimuts pour la célébration d’un genre artistique en particulier dans un espace temps réduit.
Ainsi, si l’on remonte le temps, on constatera que le festival international de Carthage, qui a vu le jour en 1964, a été créé par un groupe de mélomanes amateurs de jazz afin de célébrer ce genre de musique. Ainsi sur la côte de Carthage, le site des thermes d’Antonin, où se déroulait le festival avant sa migration vers le théâtre romain, ont vu défiler les plus grands noms du jazz, Louis Amstrong, Duke Ellington, Charlie Parker, Dizzy Gillespie, Charles Mingus, Ella Fitzgerald, et bien d’autres figures inoubliables.
De son côté, le festival international d’Hammamet a été lancé, également, il y a 51 ans, pour fêter de manière spécifique le 4e art et la danse. Aussi, la scène du coquet théâtre du centre culturel international d’Hammamet, construite pour l’occasion, a-t-elle accueilli les grosses pointures internationales du théâtre, dont Roger Planchon, Jean-Marie Serreau, Maurice Béjart, Aly Ben Ayed et tant d’autres.
Mieux, «Hammamet» ne s’est pas limité à célébrer les arts du théâtre et de la danse, mais fut, par excellence, un lieu de recherche et d’expérimentation non seulement pour le théâtre et la danse, mais aussi pour la musique et les arts plastiques.
Au centre culturel international d’Hammamet se concevaient et voyaient le jour des œuvres concoctées par de grands artistes et de jeunes talents venus du monde entier dans un but de création, d’innovation et de renouveau de ces arts-là. Nous pouvons multiplier les exemples de festivals internationaux et nationaux nés pour servir un ou plusieurs arts en particulier : le festival international pour servir le théâtre classique, le festival international de musique symphonique d’El Jem, fondé il y a 30 ans par Mohamed Ennacer et qui porte bien son nom, tant il est la seule manifestation arabe qui célèbre la musique symphonique. l’orchestre du bal de l’opéra de Vienne, l’orchestre philharmonique de Rome, l’orchestre symphonique Globalis de Moscou, l’orchestre symphonique de la ville de Tunis et autres y ont donné de grands concerts, ou enfin le festival international des arts plastiques de Maharès, fondé il y a 23 ans.
Tout ça pour dire que nos festivals d’été avaient une vocation purement culturelle et jouissaient d’une spécificité qui leur conférait une identité très particulière.
Mais depuis le milieu des années 80, et notamment 90 et 2000, avec l’intrusion des Rotana and Co, les spécificités ont disparu et nos festivals d’été sont devenus un mélange éclectique de tous spectacles commerciaux de variétés, tapageurs et indigents sans saveur ni odeur. Juste bon pour une consommation à effet ponctuel et éphémère, désertée par l’art, la création et la créativité.
Partant, quelques questions s’imposent : n’est-il pas temps, notamment après la révolution, d’effectuer un retour aux sources ?
N’est-il pas temps de voir nos festivals d’été se réapproprier et reconquérir leur spécificité et identité premières loin de tout esprit commercial favorisant la consommation de masse idiote par excellence ? Assurément.
Ainsi les festivals d’été devraient rompre avec la programmation anarchique, sans queue ni tête, de spectacles en tous genres sans aucune vision artistique pour retrouver, enfin, leur vocation purement culturelle, représentative de quelques genres artistiques spécifiques et particuliers. Cela, en veillant à assurer la qualité, la créativité et l’inventivité.

samedi 13 juin 2015

Arrêt sur image…

Du pain sur la planche pour le Cnci

 Par Samira DAMI
Enfin le Cnci (Centre national du cinéma et de l’image) a un nouveau directeur : Fethi Kharrat, qui occupait le poste de directeur général des arts scéniques et des arts audiovisuels au ministère de la Culture.
Et vu les nombreux problèmes que connaît le secteur, le nouveau directeur a bien du pain sur la planche. Et pour faire du cinéma tunisien une réelle industrie, le Cnci devrait d’abord s’atteler à la révision des textes législatifs, qui datent des années 60 et 80, tant le paysage cinématographique et audiovisuel a évolué. Cela afin que les secteurs de la production, l’exploitation et la distribution, notamment, soient en phase avec l’époque actuelle.

Booster la production
Au niveau de la production filmique, il est nécessaire de relever l’aide à la production aux deux tiers du budget des courts et longs métrages aussi bien du genre fiction que documentaire.
Il est vrai qu’actuellement le ministère de la culture est le principal, voire l’unique, bailleur de fonds de la production cinématographique, alors que les chaînes de télé, publiques, qui finançaient en partie le cinéma moyennant une subvention entre 100.000 et 120.000 dinars, se sont totalement désistées depuis la révolution. or, la production cinématographique nécessite l’intervention de plusieurs parties qui consomment l’image, soit les télévisions, les secteurs du DVD, la téléphonie mobile, sans compter les avances sur recettes de la distribution et autres taxes afin de contribuer au financement de la production cinématographique.
D’autre part, la réorganisation du secteur de la production s’avère nécessaire. Car aujourd’hui on compte 600 sociétés pour une production annuelle de 6 à 8 longs métrages et une dizaine de courts métrages. Ce qui est relativement fort réduit par rapport au nombre de sociétés de production. Il s’agit donc de fixer des critères bien définis pour l’attribution des agréments pour la création d’une société de production.

L’exploitation : sortir de la déprime
Côté exploitation, il est clair que  le secteur connaît une  grave déprime tant le parc des salles s’est réduit comme peau de chagrin puisqu’on ne compte plus qu’une  vingtaine de salles de cinéma dans l’ensemble du  pays.
Or, outre la promesse du parti politique vainqueur des élections législatives de créer 100 salles de cinéma, et dont la réalisation n’est pas pour demain, il est actuellement possible d’utiliser les salles de projection des maisons de la culture et de la jeunesse en tant que circuit d’exploitation commerciale et dont le nombre dépasse une centaine d’unités. Car sans exploitation, les films produits avec l’argent du contribuable ne peuvent arriver à ce même contribuable. Sans salles de cinéma, tout film produit est mort-né, d’où la nécessité d’injecter une bouffée d’oxygène au secteur de l’exploitation en utilisant ces salles de projection, tout en veillant à les équiper d’un matériel moderne façon numérique, entre DCP et Blu-Ray. Ce qui permettra au cinéma tunisien, en particulier, d’atteindre sa cible et son public.
Qui dit exploitation dit distribution, les deux secteurs étant étroitement liés et sans un vrai parc de salles, on ne peut réellement parler de distribution, laquelle peine, ces dernières années, à acquérir des films importants et de qualité.

Les actions à mener
Les professionnels du cinéma sont dans l’attente d’autres actions telles que la réactivation du guichet unique, le contrôle du piratage des œuvres cinématographiques, la révision du rapport avec les chaînes de télé, la mise en place d’une convention collective des artistes et techniciens intermittents, la facilitation de l’obtention des autorisations de tournage aux films tunisiens et étrangers, etc.
Mais l’une des tâches d’une importance capitale du Cnci n’est autre que la numérisation des archives qui sont une richesse patrimoniale filmique à ne pas laisser à l’abandon tant elle représente l’histoire du cinéma. On se doit donc de restaurer et de conserver ces archives dans des conditions adéquates afin d’éviter leur destruction. Un patrimoine qui sert et nourrit la cinéphilie. Cela outre le soutien des associations cinéphiliques ainsi que la promotion des festivals en tous genres aussi bien amateurs que professionnels.
Les solutions aux problèmes des différents secteurs du cinéma nécessitent le dialogue et la concertation avec toutes  les parties concernées, ainsi que divers ministères : Education afin de développer la cinéphilie, Finances pour l’adoption de certaines taxes et l’exonération du matériel d’équipement cinématographique d’autres taxes, enfin le ministère des Affaires foncières pour le règlement des problèmes fonciers qui bloquent la création de nouvelles salles de cinéma.
Le Cnci réussira-t-il à mettre sur pied une véritable industrie du cinéma qui rendra le secteur viable et rentable? C’est ce que souhaitent, en tout cas, tous les professionnels du cinéma qui devraient, de leur côté, contribuer à ce projet.
Campagne "Winou El Pétrole"
C'est aussi une affaire de communication 
Tout le monde s’est braqué, ces dernières
semaines, sur la campagne «Winou el pétrole ?»
qui a été lancée suite à la découverte, à l’orée
du mois de mai, d’un nouveau puits de pétrole à «El
Faouar» (Kébili).
Les détracteurs de cette campagne accusent
certains partis, dont notamment le CPR, le courant
démocratique et Harak echaâb de Moncef Marzouki
d’être derrière cette «agitation sociale» en faisant
croire au bon peuple que «La Tunisie flotte sur
d’immenses nappes de pétrole». Le président
d’Ennahdha, Rached Ghannouchi, par exemple,
estime que : «Les initiateurs de cette campagne ne
sont autres que les perdants des dernières élections
législatives et présidentielle» tout en spécifiant que
«le peuple a le droit de connaître la vérité sur les
ressources et richesses énergétiques du pays».
Mais qu’à cela ne tienne, les partisans de la campagne
«Où est le pétrole ?», entre jeunes et moins jeunes,
exigent la transparence sur les contrats conclus
avec les sociétés exploitatrices étrangères et les
ressources réelles énergétiques
du sol tunisien, afin que les
richesses soient équitablement
distribuées et que toutes les
régions notamment concernées
en jouissent. En plus terre à
terre, ils exigent leur part du
gâteau. Quoi de plus légitime
d’ailleurs. Mais faudrait-il
vraiment croire que nos terres et
nos mers regorgent du précieux
«or noir» ? Car, les détracteurs
de cette campagne ridiculisent ceux qui croient, dur
comme fer, que la Tunisie est aussi riche en pétrole
que l’Algérie ou la Libye.
«Mieux», ils accusent les instigateurs de cette
campagne de financer cette campagne afin de
déstabiliser le gouvernement et le pays et de porter
atteinte à la stabilité économique et à la paix sociale.
Les médias audiovisuels locaux ont dans, leur
majorité, reflété cette polémique en invitant sur les
plateaux des experts en énergie et des responsables,
notamment le PDG de l’Etap, Mohamed Akrout,
lesquels ont certifié que notre production de pétrole
ne dépasse pas les 51.000 barils par jour.
De leur côté, les hommes politiques de la coalition
gouvernementale, sollicités par les chaînes de
télé, ont reconnu au peuple le droit de connaître
la vérité sur les ressources naturelles du pays et
la nécessité de la transparence, mais ont tenu à
dénoncer les instigateurs de la campagne qui, selon
eux, n’ont qu’un seul but : «instaurer le chaos à
l’unique fin de déstabiliser le pays et de faire tomber
le gouvernement». Outre que, selon eux, pareilles
chimères gomment la valeur travail incontournable
pour le redémarrage de notre économie qui prend
de l’eau de toutes parts.
Pour une stratégie de communication
gouvernementale
Mais rien n’y fait, les partisans de cette
campagne campent sur leur position
accusant le gouvernement «de corruption
et de vol des richesses du pays». C’est l’Etat qui
est décrédibilisé et sa souveraineté qui en prend
un sacré coup. Comment rétablir les ponts de
communication avec l’ensemble des citoyens sinon,
et nous l’avons déjà dit sur ces mêmes colonnes,
en déployant une stratégie de communication
gouvernementale conséquente, intelligente et
efficace.
De leur côté, tous les médias audiovisuels, qui ont
fait appel aux responsables et aux experts afin
d’éclaircir la lanterne de l’opinion publique sur la
réalité des ressources énergétiques, n’ont pas réussi
à convaincre les partisans de la campagne «où est le
pétrole?».
Lesquels n’en démordent
pas et continuent à sévir sur
les réseaux sociaux ayant eu
visiblement le dessus sur les
médias.
Aussi, faut-il conclure que les
médias ont eux aussi besoin
d’améliorer sérieusement
leur communication avec le
public ? Tout porte à le croire.
C’est pourquoi des études
et des interventions d’experts et de consultants
s’avèrent plus que jamais nécessaires pour établir
des ponts réels de médiation et d’échange avec les
téléspectateurs.
Il s’agit, ainsi, d’améliorer la qualité de l’information
en privilégiant les réflexes professionnels, soit la
vérification des faits et la prudence afin d’éviter les
dérapages façon faux scoop et course déplacée
à la réalisation de ces «fameux» buzz, pour des
raisons d’audimat, comme ce fut le cas récemment
avec la diffusion, sur Al Hiwar Ettounssi dans «Al
yaoun Ethamen» de Hamza Belloumi, de la vidéo
du discours truqué de Moncef Marzouki qu’il a
prononcé au Qatar.
C’est seulement le professionnalisme et le respect
de l’éthique du métier qui sont à même de garantir
la crédibilité, si nécessaire, pour une communication
efficace et réussie avec le public.
Il est clair que beaucoup reste à faire afin de gommer
la suspicion et la méfiance des téléspectateurs
réfractaires et de restaurer la confiance entre les
médiateurs et le public récepteur.
S.D.

samedi 6 juin 2015

RETROVISION

AL Watania 2
Où est passée la vocation régionale promise ?
Qu’est-ce qui distingue la deuxième
chaîne publique, Al Watania 2, de
son aînée, Al Watania 1 ? Pas grandchose,
les deux sont des chaînes généralistes
et diffusent pratiquement, à quelques
exceptions près, le même genre d’émissions
politique, sociale, culturelle, sportive, et
autres, et recourent, souvent, à des diffusions
simultanées.
Pourtant, Al Watania 2, alias Canal 21,
née en 1994, puis développée en 1999,
ciblait les jeunes et avait pour vocation
de traiter de sujets qui les intéressent en
reflétant leurs problèmes, rêves et ambitions.
Quelques programmes spécifiques
qui interpellent les jeunes ont été concoctés
et présentés par des jeunes. D’où l’arrivée
en ce temps-là sur la scène médiatique de
nouvelles figures entre journalistes, présentateurs
et animateurs. Mais l’audience
de la chaîne ne dépassait pas les 5%, non
seulement parce qu’elle n’a pas su ratisser
large, mais aussi en raison de sa diffusion
qui était exclusivement hertzienne, n’ayant
pu, par conséquent, soutenir la concurrence
des chaînes satellitaires arabes et occidentales.
C’est pourquoi en 2007, rebaptisée
Tunisie 21, la chaîne a commencé à émettre,
désormais, sur le satellite avec une durée
de diffusion plus importante, entre midi et
minuit, un nouvel habillage et une nouvelle
grille comportant des programmes plus
modernes et plus «in». Ce qui lui a permis
de gagner des points en matière d’audience.
Mais très vite, la chaîne est gagnée par la
langue de bois et un discours propagandiste
consacrant «les réalisations de l’artisan du
changement».
Les préoccupations des jeunes sont, entretemps,
quasi occultées, les programmes
versant dans la vacuité des émissions de
jeux, des variétés, de loisirs et autres qui ne
fâchent pas.
En 2011, après le 14 janvier, Tunisie 21
devient Al Watania 2, et la nouvelle direction
de la télévision tunisienne a émis
l’intention, vu le déséquilibre régional, de
consacrer, désormais, la chaîne aux régions
du pays, notamment celles qui ont longtemps
souffert de la pauvreté, du chômage,
de la marginalisation et de la répression,
soit les problèmes sociaux, économiques et
politiques qui ont été à l’origine de la révolution.
Mais depuis, et au fil des mois et des
années, les téléspectateurs attendent encore
de voir cette chaîne devenir réellement à
vocation régionale. Car, actuellement, cette
chaîne satellitaire ronronne en diffusant
un grand nombre de reprises, notamment
entre séries et feuilletons, ainsi que des
programmes pratiquement du même genre
que ceux de la chaîne aînée, à l’exception
de quelques émissions telle la culturelle,
Ahwaa et Ennass Ahouwal, laquelle se
focalise et encourage les jeunes au parcours
original et prometteur, mais, hélas, cette
émission pèche par un discours trop didactique,
voire populiste. Comment expliquer
alors l’audience de la chaîne qui atteint les
10 %, selon les derniers sondages consacrés
aux médias et son taux de pénétration de
l’ordre de 22 % en access prime-time, selon
un sondage de Sigma Conseil, sinon par le
formidable succès de la série «Choufli Hall»,
encore et toujours très appréciée par les
téléspectateurs grâce, notamment, à l’inénarrable
Soufiane Chaâri.
Mais afin d’éviter qu’Al Watania 2 ne soit
juste la doublure de son aînée, elle devrait
se focaliser exclusivement sur les régions
avec des émissions conséquentes et en
tous genres, politique, économique, culturel,
sportif, social, environnemental, qui
prônent la réflexion, le débat, la culture,
l’éducation et le loisir. En somme, une
chaîne régionale de proximité, à l’instar de
France 3, susceptible de refléter tous les
problèmes et soucis, mais aussi les ambitions,
l’inventivité et les rêves des jeunes
et moins jeunes de la Tunisie profonde. Ce
qui représente là une manière de réaliser
l’un des objectifs de la révolution : valoriser
les régions aussi bien par une politique
de développement économique que par
l’image et le son. Ecouter la voix des régions
à travers la décentralisation des centres
d’intérêt, comme le stipule la Constitution,
est une nécessité, voire un must.
Que l’on donne, alors, une spécificité régionale
et une âme du terroir à Al Watania
2 tout en élaborant une vision et en définissant
clairement le public ciblé ! A bon
entendeur…
S.D.
68e festival de Cannes 

Thèmes contemporains 
De notre envoyée spéciale Samira DAMI
La Croisette est illuminée par le portrait de la grande actrice suédoise Ingrid Bergman, qui figure à l’affiche du 68e festival de Cannes,  et à laquelle la plus prestigieuse manifestation cinématographique du monde, rend, cette année, hommage. Qu’on se rappelle les films où elle a brillé tels «Casablanca» de Michael Curtiz, «Pour qui sonne le glas» de Sam Wood, «Les Enchaînés »,  et «Les Amants du Capricorne », tous deux signés Alfred Hitchcock ou encore «Les Stromboli» de Roberto Rossellini et «Sonate d’Automne» d’Ingmar Bergman. La carrière de l’actrice, disparue il y a 33 ans, a été couronnée par deux Oscars pour «Hantise» de Georges  Cukor et «Anastasia» d’Anatole Litvak ainsi que des dizaines  de distinctions dont le Golden Globe Awards.
Après  l’ouverture de cette 68e édition du festival de Cannes avec le film hors compétition sur la délinquance des jeunes, «La Tête Haute» de la réalisatrice française Emmanuelle Bercot, place à la compétition qui a démarré avec le film italien «Il Racconto del Racconti » ou Conte des contes de Matteo Garrone où le réalisateur se focalise sur trois royaumes voisins où règnent dans le premier un roi libertin, dans le second un souverain captivé par un animal étrange et dans le troisième une reine obsédée par un désir d’enfant.  L’enjeu du film n’étant autre que la force évocatrice du conte qui a nourri depuis toujours l’imaginaire universel. C’est en utilisant les personnages et  les ingrédients spécifiques au conte, entre monstres géants, fées bénéfiques et maléfiques, sorciers et autres  dans  des décors fantasmagoriques, entre châteaux et labyrinthes, que le réalisateur évoque des thèmes contemporains tels les effets du libertinage, les conflits de génération, le désir de procréation et de beauté éternelle.
L’auteur- réalisateur de «Gomorra » et de «Reality», deux opus ayant  obtenu le Grand Prix du jury, respectivement en 2008 et en 2012, véhicule une idée géniale: entremêler le langage du conte et celui du cinéma, mais, au final, le résultat, entre baroque et gothique, violence et prédation, est pesant et ennuyeux, malgré la volonté d’apporter une certaine touche d’humour à l’ensemble, outre que le casting international qui a réuni Salma Hayek, Vincent Cassel et Toby Jones n’apporte pas ce plus tant attendu.

The Lobster : une réflexion sur la solitude
Autre film en compétition apprécié sur la Croisette, «The Lobster» du Grec Yorgos Lanthinos révélé il y a 6 ans avec «Canine» son second long métrage qui a remporté à Cannes le prix Un certain Regard, ce cinéaste représente, d’ailleurs, la génération de cinéastes qui se distingue par une vraie créativité générée par la crise que connaît la Grèce durant ces dernières années. Le cinéma de Lanthinos qui se particularise par une empreinte surréaliste ne déroge pas à la règle dans cette comédie romantique noire qui met en scène une société où les célibataires sont obligés de prendre une épouse à moins d’être transformés en animaux. Une réflexion, aux relents absurdes, entre humour et angoisse, sur la solitude, mais aussi sur la peur de vivre en couple. Le film est une dénonciation des rapports violents entre hommes et femmes ainsi que du  modèle sociétal et culturel grec.
C’est dans la section  hors compétition que «L’Homme Irrationnel», le dernier-né de Woody Allen, un habitué du festival de Cannes, a été projeté. Car le réalisateur de «La rose pourpre du Caire» et de «Annie Hall» n’apprécie pas la course aux récompenses et n’a jamais accepté de concourir pour la Palme d’Or, car à ses yeux « la compétition c’est pour les disciplines sportives mais pas pour les œuvres de création». «L’Homme Irrationnel» met en scène  l’histoire d’un professeur de philo, Abe (Joaquim Phoenix), envahi par le doute et qui se pose de multiples questions existentielles du genre : «Et si je trouve mon bonheur dans le crime?». Suivra une descente aux enfers féroce et cynique. Dans cet opus, le réalisateur américain quitte les décors des villes qu’il affectionne, notamment son Manhattan à New-York, pour planter le décor dans le campus universitaire d’une petite ville. «L’Homme Irrationnel» nous renvoie à au moins deux opus du cinéaste « Crimes et délits» et «Match Point» où il s’est déjà focalisé sur la philosophie et les grandes questions existentielles, nous plongeant dans une atmosphère noire et terrible où la conscience est saisie de doute. « Je doute, donc je suis», mais la conscience peut à tout moment sombrer dans la folie nourrie par le doute et la tourmente. Un film attachant où se mêle un faisceau de sentiments et de couleurs du blanc immaculé au noir maculé.
S.D

68e festival international de Cannes

L’Art est transgression, mais pas à tout prix

De notre envoyée spéciale à CannesSamira DAMI 
Pour la première fois, la section officielle du festival de Cannes présente cinq films français en compétition. Après la projection de «Mon Roi» de la réalisatrice Maïwenn, mettant en scène la libération d’une femme d’une passion étouffante et destructrice et qui a reçu un accueil mitigé sur la Croisette, deux autres opus, «La loi du marché» de Stéphane Brizé et «Marguerite et Julien» de Valérie Donzelli, ont été programmés. Cela en attendant la projection des deux derniers de la liste «Dheepan »n de Jacques Audiard et «Valley of Love» de Guillaume Nicloux avec un casting façon duo d’enfer : en l’occurrence Gérard Depardieu et Isabelle Huppert.
Mais revenons d’abord à «La loi du marché » qui se focalise sur Thierry (Vincent Lindon) qui, à 51 ans, se retrouve au chômage et ce n’est qu’après 20 mois de recherche d’emploi qu’il commence un nouveau travail qui le met bientôt face à un dilemme moral. Pour garder son travail peut-il tout accepter ? Le film débute avec force en suivant Thierry dans sa quête d’emploi d’autant que son fils handicapé doit poursuivre ses études dans un collège spécialisé privé et qu’il doit emprunter de l’argent à sa banque. Les entretiens d’embauche de vive voix et même via Skype, les coachings pour impressionner et convaincre le recruteur se suivent dans des plans serrés, qui expriment les difficultés de la  vie et l’absence de perspective d’avenir. L’intervention de la banquière qui incite Thierry à vendre son unique bien, un mobil-home ; et les négociations avec un éventuel acquéreur pour fixer le prix de vente montrent toute la détresse humaine dans une époque terrible où le chômage sévit et où plus rien ne garantit  la dignité humaine qui ne peut exister sans travail ni argent. Mais hélas, alors qu’on s’attendait à ce que la descente aux enfers de Thierry continue, voilà qu’en son beau milieu, le film bifurque et l’on ne comprend pas comment le personnage central décroche un travail comme vigile, dans un supermarché ; les yeux bien ouverts sur les vols que peuvent commettre les clients et les caissières. Le personnage perd de sa cohérence et de sa force et n’évolue plus logiquement car la lutte contre la misère et les difficultés de la vie se transforme, sans crier gare, on ne sait trop pourquoi, en un problème de conscience et de morale. Même si le réalisateur en a profité pour montrer l’inhumanité du monde sans scrupule du capital.  Dommage que Stéphane Brizé ait, ainsi, abandonné son personnage en cours de route pour en dépeindre un autre. Or, ce personnage à double tête, par manque de profondeur, nous laisse sur notre faim. Mais n’oublions pas de relever le jeu maîtrisé de Vincent Lindon qui peut prétendre à un prix d’interprétation.

L’inceste banalisé

«Marguerite et Julien», dont l’action se situe au 17e siècle, met en scène l’histoire de deux personnages, Marguerite De Ravalet (Anaïs Demoustier) et son frère Julien (Jérémie Elkaïm) qui, depuis leur enfance, s’aiment tendrement mais en grandissant leur tendresse se mue en passion dévorante, leur aventure scandalise la société qui les pourchasse. La réalisatrice a adapté un scénario de Jean Gruault pensé en 1970 pour François Truffaut. Mais au lieu d’une réflexion sur cet interdit intemporel, Valérie Donzelli banalise l’inceste en le racontant dans le film à un public d’enfants dans un dortoir comme s’il s’agissait d’un amour possible et l’on comprend que la critique se gausse à Cannes d’un film où l’on défend presque l’inceste par une possible identification aux personnages.
Cela sans compter les anachronismes intentionnels et revendiqués au niveau des costumes et des accessoires, outre notamment cet hélicoptère utilisé pour rechercher les fugitifs ; les dialogues vides de sens et l’ennui ambiant où baigne la 2e partie de ce long métrage. Que ne ferait-t-on pas pour commettre à tout prix des transgressions au cinéma afin d’accrocher les spectateurs. Mais le résultat ne dépasse pas l’envergure d’un téléfilm car il ne s’agit pas de transgresser pour transgresser ; certes l’art est transgression mais pas gratuitement. Bref ; il semble que les sujets traitant de l’inceste et de l’homosexualité sont devenus très tendance durant les trois dernières éditions de Cannes, depuis que «La vie d’Adèle» d’Abdellatif Kechiche a remporté la Palme d’Or en 2013. Car  il en est est de même pour « Carol» du réalisateur américain Todd Haynes, programmé en compétition, qui narre l’attirance entre deux femmes : Thérèse (Roney Mara) et Carol (Cate Blanchett), dans le New York des années 1950 et qui se retrouvent en prise avec les conventions. Ce film adapté du roman de Patricia Higshmith est différent de celui de Kechiche car ça se passe  plutôt dans l’esprit et la pensée de Thérèse la narratrice, vu l’influence pesante de la société de l’époque des années 50 sur la relation des deux femmes. Et si «La vie d’Adèle» est moderne et naturaliste, «Carol» est un film d’époque, conventionnel dans la forme. Mais il est vrai que «Carol» est tout aussi magnifiquement réalisé, outre que les actrices sont superbes et sont, du coup, pressenties pour un prix d’interprétation.
Ainsi le cinéma français, hyper-représenté cette année à Cannes, n’a pas encore révélé ce film qui sort du lot parmi les cinq opus en compétition. Serait-ce alors «Dheepan» d’Audiard ou «Valley of Love avec l’immense Depardieu ? Attendons voir.
S.D.

68e festival international de Cannes

Quand passe le temps !

De notre envoyée spéciale, à Cannes, Samira DAMI
Deux grands films, l’un italien et l’autre chinois, ont marqué la journée du mercredi sur la croisette, «Youth» de Paolo Sorrentino et «Mountains May Depart» de Jia Zhang-Ke. Tous deux se particularisent par leur force créative et inventive et une réflexion profonde sur le passage du temps.
«Youth» est le septième long métrage de Sorrentino, qui a déjà conquis la Croisette en 2008 avec «El Divo» en remportant le prix du jury. Dans la continuité de «La Grande Belleza», son précédent opus, où il proposait une réflexion sur la vie et la mort, «Youth» ou «Jeunesse» met en scène deux vieux amis quasi octogénaires, Fred (Michail Cane) et Mick (Harvey Keitel) qui profitent de leurs vacances dans un hôtel avec spa, en Suisse. Fred, compositeur et chef d’orchestre à la retraite, n’a aucune intention ni envie de revenir à la carrière musicale qu’il a abandonnée depuis longtemps, tandis que Mick, réalisateur, travaille toujours sur l’écriture d’un scénario, sorte de testament artistique. Les deux amis décident de faire face, ensemble, à leur avenir. Mais pas seulement, car les deux personnages,si attachants, remontent le temps, avec humour et espièglerie, en évoquant leur passé avec plus ou moins de sincérité, préférant parfois le mensonge à la vérité ou prétextant parfois l’oubli et les tours que leur joue la mémoire. Ces protagonistes sont entourés d’une multitude d’autres, entre vieux et jeunes, des acteurs, des scénaristes qui coécrivent le scénario avec Mick, des couples en crise, un alpiniste, des saltimbanques, un moine bouddhiste ou le Dalaï Lama en quête de lévitation, Lena, la fille de Fred quittée par son mari, et même un personnage parodiant, l’ancien footballeur argentin Maradona, enfin une Miss Univers évanescente et divine. Le film, qui se déroule en huis clos, décline, donc, une palette de personnages qu’utilisent Sorrentino pour tisser des situations, entre éléments anecdotiques et réflexions universelles, sur le passage du temps, les amours perdus, l’obsession du jeunisme et le temps qui reste à vivre. Le film décline, également, une réflexion sur la réalité représentée ou sublimée par l’art, l’avenir de l’humanité et de l’art. La musique et le cinéma incarnent l’art dans cette œuvre, en opposition au trash, à la télé poubelle… En fait, seules les émotions restent, que ce soit dans la vie ou dans l’art, nous dit le cinéaste. Ainsi, au fil des scènes d’une grande beauté esthétique, même si une partie de la critique internationale les trouve esthétisantes, le réalisateur sculpte sa matière pour générer du grand cinéma. Tels ces plans représentant Fred immergé dans l’eau à Venise ou Mick qui voit surgir dans un pré, où paissent des vaches, tous les personnages de ses anciens films, la scène finale incarne un grand moment de cinéma et de musique. Mieux, cette comédie dramatique où se bousculent les sentiments et ressentiments est admirablement interprétée par trois grands acteurs américains voit Michael Cane, Harvey Keitel et Jane Fonda qui apparaît dans un sublime numéro d’acteur. «Youth», tout autant que «Mia Madre», a de fortes chance de figurer au palmarès que ce soit pour le prix de la mise en scène ou pour la Palme d’Or.

Perte d’identité et de valeurs 
Le film chinois «Mountains May Depart» a aussi conquis le public cannois avec un film qui traite également du passage du temps, entre passé, présent et avenir, qui est si nécessaire à la compréhension des sentiments. Jia Zhang-Ke met en scène l’histoire de Tao, «une jeune fille de Fenyangdans, la Chine de 1999, qui est courtisée par ses deux amis d’enfance, Zang et Liang. Zang, propriétaire d’une station-service, se destine à un avenir prometteur tandis que Liang travaille dans une mine de charbon. Le cœur entre les deux hommes, Tao va devoir faire un choix qui scellera le reste de sa vie et de celle de son futur fils, Dollar. Sur un quart de siècle, entre une Chine en profonde mutation et l’Australie comme promesse d’une vie meilleure, les espoirs, les amours et les désillusions de ces personnages face à leur destin».
Le film se déroule en trois parties, la première déjantée et romantique traite du choix de Tao, sur fond des mutations économiques profondes que connaît la Chine. Car le mode de vie des individus a profondément changé, l’argent et le gain étant devenus au centre de la vie, au point que Zhang a prénommé son fils Dollar, la deuxième partie dramatique évoque la séparation et la déchirure, car Tao ne verra pratiquement plus son fils, le père ayant obtenu la garde après le divorce, enfin la troisième traite du déracinement et de la rupture avec le pays, Dollar et son père ayant émigré en Australie. L’auteur de «The Touch of sin», en compétition il y a deux ans à Cannes, déplore la perte de l’identité, Dollar est perdu, il ne parle plus que l’anglais et a un vague souvenir de sa mère et ne communique avec son père qu’à travers les traductions de Google, il dénonce, en raison de la mondialisation, la perte des valeurs humaines et la rapacité des individus désormais sous l’emprise totale de l’argent. Seule Tao, enracinée dans sa province, représente les racines, l’identité et les valeurs de la Chine profonde et d’un mode de vie humain et équilibré. Dollar, déstabilisé, veut quitter ses études et pense retourner à la maison dont il a les clés que sa mère lui a données quand il avait 7 ans. Mais ce n’est pas facile pour lui. Retrouvera-t-il enfin sa génitrice ?
Ce film dramatique, teinté d’humour, est également habité par le cinéma à travers des plans d’une grande inventivité. Telles ces scènes où une marée humaine forme comme des vagues, celle du mariage ou encore la scène finale où Tao danse sur une chanson cantonaise qui a bercé sa jeunesse et qui traverse toute l’œuvre. Le tout est couronné par un jeu d’une grande maîtrise, notamment, de l’actrice principale Zhao Tao. Voilà un film qui pourrait également figurer au palmarès de cette édition. Le jury avec autant de bons films aura bien du pain sur la planche.
S.D.

Lecture du Palmarès de la 68e édition du festival de Cannes

Le cinéma français grand gagnant

De notre envoyée spéciale à Cannes, Samira DAMI
Le cinéma français est le grand gagnant de cette 68e édition, qui s’est déroulée du 13 au 24 mai, avec 5 longs métrages en compétition. Il est reparti de la Croisette avec au final 3 prix : la Palme d’or pour «Dheepan» de Jacques Audiard et deux prix d’interprétation pour Vincent Lindon et Emmanuelle Bercot
Le cinéma français s’est imposé à Cannes avec 3 prix dont la Palme d’or pour «Dheepan» de Jacques Audiard. Une récompense controversée tant ce film n’est, en aucune sorte, le meilleur de la compétition, «Mia Madre» de l’Italien Nanni Moretti  ainsi que «Carol» du Britannique Todd Haynes  le surpassent de loin.
Mieux, «Dheepan» n’est pas le meilleur film d’Audiard qui a beaucoup plus convaincu avec «Un Prophète» qui a obtenu le Grand prix du festival de Cannes en 2008 se faisant voler la mise par le réalisateur autrichien qui a remporté la Palme d’or avec « Amour ». D’où la déclaration d’Audiard lors de la réception de son prix : « Merci Michael Haneke de ne pas avoir tourné de film cette année».
La fable se focalise sur un indépendantiste Tamoul qui se réfugie en France, mais qui se retrouve en pleine guerre de gangs rivaux d’une banlieue parisienne. Le réalisateur dénonce la violence, la drogue, l’intégration difficile, dans un milieu social instable. Mais ce qui dérange dans ce film c’est que les gangs se déclinent comme des personnages clichés construits à travers le prisme des préjugés. Les gangs ne sont en fait qu’un alibi et une béquille pour le réalisateur pour justifier le développement de la fable et le dénouement heureux, mais peu crédible, quand la fausse famille de Dheepan se retrouve en Angleterre, dépeinte comme un pays idéal pour l’intégration des immigrés et autres réfugiés.
Les deux autres distinctions raflées par le cinéma français concernent l’interprétation masculine et féminine : Vincent Lindon a, ainsi,  été récompensé pour sa maestria et son talent pour son rôle dans «La loi du marché» de Stéphane Brizé. Lindon a convaincu par son jeu sobre et discret, mais si présent dans la peau d’un chômeur en quête d’un emploi et qui, pour cela, supporte toutes les règles inhumaines de son nouveau boulot de vigile dans une grande surface  au détriment de toutes les valeurs humaines et morales.
Quant à Emmanuelle Bercot, à la fois réalisatrice et actrice, et dont le film «La tête haute» a ouvert le festival, elle a été récompensée pour son rôle dans «Mon Roi» de la réalisatrice française Maïwenn. Pourtant Margherita Buy dans «Mia Madre» n’a pas non plus démérité. Mais il semble que le jury, coprésidé par les frères Cohen, soit tombé, lors de cette édition, sous le charme du cinéma français.

Le  cinéma italien : le grand
absent du palmarès

Ce qui est étonnant  dans ce palmarès,  c’est l’absence totale du cinéma italien, qui, pourtant, a conquis la critique internationale et le public grâce, nous l’avons déjà dit, à deux grands films, le premier «Mia Madre» de Nanni Moretti qui a ému, entre rires et larmes, la Croisette en racontant l’histoire d’une réalisatrice dont la mère est mourante. Et Moretti en profite pour évoquer le rapport entre la réalité et la fiction, la mort. Des thèmes traités avec beaucoup d’humanité et de délicatesse et une grande  maîtrise de la mise en scène, cela sans compter  le jeu majestueux des acteurs.
Le second n’est autre que  «Youth» de Paolo Sorrentino qui, avec un grand sens de l’humour et de superbes plans magnifiquement filmés, évoque le passage du temps en mettant en scène deux artistes au bord de la retraite, interprétés par Michael Caine et Harvey Keitel. On ne comprend pas, donc, qu’aucun de ces deux opus qui ont emballé la Croisette ne figure au palmarès. Mais le jury a toujours ses raisons, n’est-ce pas ?
Le Grand Prix qui a été décerné à «Saul Fia» ou «Le fils de Saul» du Hongrois Laszlo Nemes est certes mérité mais on ne comprend pas que «Carol» quoique, conventionnel, soit complètement évincé du palmarès. D’ailleurs, on aimerait que les cinéastes arabes puissent traiter de leur cause avec la même force et la même maîtrise aussi bien dans la forme que dans le contenu. Précisons que ce film traite de la collaboration des juifs avec les Allemands dans les camps de concentration.
Mais le plus étonnant c’est de voir le prix de la mise en scène échoir à «The Assassin» du Chinois Hou Hsia-Hsien, un film d’arts martiaux esthétisant mais où, à l’exception des scènes de combat il ne se passe pratiquement rien.
Le coup cœur ou prix du jury a récompensé «Lobster» du Grec Yorghos Lanthinos, un film fantasmagorique et burlesque où des célibataires doivent se transformer en un animal de leur choix. Un prix encore plus surprenant  car ce film qui se veut une réflexion sur le couple et la solitude n’a emballé ni la critique ni le public du festival.
Le film «Carol» n’a pu rafler que le prix d’interprétation féminine en ex æquo pour Rooney Mara qui s’est distinguée dans le rôle d’une vendeuse new-yorkaise amoureuse d’une bourgeoise dans l’Amérique puritaine des années 50.
Le prix du scénario a récompensé l’Anglais Michel Franco, réalisateur de «Chronic», un film sur la maladie, la douleur et l’euthanasie. Car, «pour réussir un bon film, il faut une belle histoire, une belle histoire et une belle histoire», a certifié Alfred Hitchcock.
Enfin, rappelons qu’une palme d’honneur a été remise, sous les applaudissements nourris du public, à la réalisatrice Agnès Varda qui, émue aux larmes, a déclaré qu’elle reçoit cette palme comme «une palme de résistance». Mais il est clair que l’année 2015 du festival de Cannes a été l’année du cinéma français.