lundi 9 novembre 2015

Arrêt sur image annulation de «douz doc days»

Quand on freine la culture participative

La 5e édition des Journées documentaires de Douz (Douz Doc Days) qui devait se tenir du 12 au 17 octobre 2015 a été annulée.
C’est là la décision prise, récemment, par le fondateur et directeur de la manifestation, Hichem Ben Ammar.
Cela, selon lui, en raison du «manque de visibilité financière» et du «manque de moyens logistiques». En fait, le directeur du festival n’a pas pu réunir le budget nécessaire, car le British Council, qui soutenait financièrement la manifestation par un apport de 45.000 dinars, a décidé de se retirer progressivement de la manifestation. C’est pourquoi Hichem Ben Ammar a sollicité la somme manquante du ministère de la Culture, du Cnci (Centre national du cinéma et de l’image) et du ministère du Tourisme, «mais à dix jours du festival, déplore-t-il, aucune de ces parties n’a encore répondu». L’on comprend, donc, qu’il ait été dans l’obligation d’annuler la manifestation et d’épingler, ainsi, «la bureaucratie qui condamne, selon lui, les acteurs culturels à la désorganisation».
Le fondateur du Douz Doc Days ne comprend pas que «le festival soit qualifié, par le ministère de la Culture, de petit festival local qui ne nécessite pas un budget de 85.000 dinars, semant, ainsi, le doute dans les esprits. «Or, le ministère de la Culture, affirme Hichem Ben Ammar, n’a fourni que des prestations en payant des factures, seul le cnci nous a versé de l’argent en numéraire, en nous octroyant, l’année écoulée, la somme de 10.000 dinars. Comment donc le ministère peut-il demander des comptes à propos d’une somme, 85.000 dinars, qu’il ne nous a jamais attribuée».
En fait, quand on sait que le budget de la 1ère édition du festival international du film arabe de Gabès s’élève à 300.000 dinars, dont 50.000 dinars ont été octroyés par le ministère de la Culture, on peut se demander pourquoi cette politique des deux poids deux mesures, surtout que le projet de la 5e édition de «Douz Doc Days» était mûr.
Puisqu’un programme riche et varié a été annoncé par son fondateur, entre compétitions, séances spéciales, résidence d’écriture,  concours d’affiches audiovisuelles dans les écoles, concours de photos : «Douz aux yeux des femmes», conférence, table ronde, etc. 60 invités de qualité entre réalisateurs, critiques, amoureux du cinéma et autres.
Et on comprend, une fois encore, que Hichem Ben Ammar regrette que «le ministère de la culture favorise, ainsi, la culture du   spectacle et des paillettes aux dépens de la culture participative responsable et citoyenne». N’est-ce pas là une politique dissuasive qui pousse les acteurs culturels à baisser les bras.

Pour une culture participative
Tous croyaient, qu’après la révolution, de pareilles actions culturelles citoyennes trouveraient échos et encouragements auprès des autorités, mais, visiblement, il n’en est rien. D’autant que l’annulation de «Douz Doc Days» ne sera pas sans effets sur la région non seulement au niveau culturel mais aussi économique. Au plan culturel, la région perd un festival de qualité qui favorisait la cinéphilie dans la région ainsi que l’animation et la découverte cinématographiques et culturelles. Cela sans compter l’impact sur les jeunes puisqu’un ciné-club est né et des films sont réalisés.
Au plan économique, il faut dire que les 85.000 D sont pratiquement dépensés dans la région en hôtels, services, etc.
Mieux, «Douz doc days», on le voit, s’inscrit dans une optique de décentralisation culturelle à laquelle la constitution a appelé ; or, quand on constate que des actions du genre se retrouvent dans la trappe par manque d’aide et de soutien des autorités et des parties concernées, on ne peut que le déplorer et appeler, au contraire, à la valorisation et à l’encouragement de toute action de décentralisation culturelle, qui représente une opportunité réelle non seulement pour apporter et offrir la culture et les arts en tous genres aux populations des régions, notamment les jeunes, mais aussi favoriser la communication, l’échange, la participation et l’animation.
Cela surtout dans les régions qui connaissent une inertie et une absence d’actions et d’animation culturelles  alarmantes. A bon entendeur, salut !
Samira DAMI

Arrêt sur image: JTC, LE BILAN

Des hauts et des bas

    Par Samira DAMI
La 17e édition des JTC (Journées théâtrales de Carthage), qui s’est déroulée du 16 au 24 octobre, a vécu avec des hauts et des bas, suscitant des critiques concernant le manque d’organisation, l’improvisation, les problèmes de logement  et de logistique subis par certains invités, l’absence de guide et de bulletin quotidien qui constituent la mémoire de ces journées, et nous en passons. Mais là où le bât blesse, c’est que ces critiques ciblent, également, la qualité des productions dont certaines laissent à désirer, car plusieurs d’entre elles, aussi bien arabes et africaines qu’européennes, n’avaient point le niveau requis pour figurer au programme de cette édition, ce qui est corroboré non seulement par la critique mais aussi par plusieurs professionnels du théâtre. Leïla Toubel, dramaturge et comédienne, l’a relevé sur sa page facebook où elle a noté : «Nous avons vu des spectacles qui ne ressemblent à rien alors que la qualité artistique est la colonne vertébrale de tout festival qui se respecte». Il est, ainsi, clair que les programmateurs ont fait le choix de la quantité au détriment de la qualité car dans certaines pièces on constate d’emblée soit la prépondérance du texte sur la mise en scène, soit carrément la médiocrité aussi bien du texte que de la mise en scène.
Or, une manifestation africaine et arabe a une obligation de qualité, afin d’éviter le nivellement par le bas. Ainsi, mieux vaut une trentaine de pièces de niveau certain qu’une cinquantaine dont la moitié s’avère médiocre. L’objectif premier des JTC étant d’attirer le public, par la qualité et d’ancrer davantage la pratique et la fréquentation théâtrales et non point de le rebuter définitivement du 4e art en lui offrant des semblants de créations.

Des Acquis 
Mais il y a aussi du bon, puisque la 17e édition des JTC s’est distinguée par certains aspects et acquis positifs, notamment, celui de la décentralisation qui a permis au théâtre d’aller à la rencontre des régions défavorisées et désertées par la culture. Ainsi, si 20.000 spectateurs se sont déplacés pour goûter au plaisir du 4e art à Tunis, 75.000 spectateurs se sont déplacés dans les régions, dont la majorité est composée d’enfants ; on ne peut, donc, que saluer l’entrée de la culture de nouveau dans les écoles, les lycées et l’université après une éclipse durant, au moins, deux décennies. Cette action permet non seulement de familiariser les enfants et les jeunes, qui constituent le public de demain, avec le 4e art mais de favoriser l’amour des arts en général et du 4e art en particulier. Autres impacts de l’ouverture des établissements scolaires et universitaires sur le théâtre : stimuler la pratique culturelle, et donner le goût de l’apprentissage de l’art théâtral aux enfants et aux jeunes.
C’est pourquoi l’Etat devrait veiller  à encourager la production théâtrale pour enfants et pour jeunes, cela à travers la formation et l’encadrement des troupes et des compagnies qui ciblent ce public spécifique.
Le théâtre pour enfants notamment étant une entreprise délicate et sensible qui nécessite outre une formation artistique, des connaissances pédagogiques et psychologiques incontournables pour un message et un texte adéquats et une mise en scène de qualité. Il serait incongru de proposer des productions médiocres aux enfants ou de les considérer comme un public de 2e catégorie. Bien au contraire. C’est pourquoi il serait judicieux que certaines troupes se spécialisent davantage dans la production de théâtre pour enfants.

Le nécessaire retour de la compétition

Saluons, également, les hommages en guise de reconnaissance à des dramaturges et metteurs en scène qui ont tiré leur révérence tels Ezzeddine Guennoun, Monia Ouertani, Taïeb Oueslati  et autres, sans compter les hommages rendus à des acteurs qui ont tant donné au 4e art, en particulier, et à la culture en général tels Fatma Ben Saïdane, Ahmed Snoussi et Abdellatif Kheïreddine. Témoigner de l’amour et de la reconnaissante aux artistes est impératif pour la pérennité des arts.
De son côté, le marché des JTC représente un nouvel acquis à sauvegarder afin de permettre aux créations théâtrales africaines et arabes de voyager. Aussi des pièces tunisiennes, libanaises, marocaines et syriennes ont saisi cette chance.
Mais encore une fois cette action ne s’est pas déroulée sans querelles, certains hommes de théâtre tunisiens ayant contesté le choix des pièces en question.
Mais peut-on être tout à fait impartial ou contenter tout le monde quand il s’agit d’art?
Enfin, afin d’améliorer la teneur de cette 17e édition au plan de l’organisation et de la qualité du programme, notamment, il serait judicieux qu’à l’instar des JCC (Journées cinématographiques de Carthage), les JTC aient un comité  d’organisation permanent. Cela afin de pouvoir préparer bien à l’avance et de peaufiner aussi bien la programmation que l’organisation, l’infrastructure et la logistique nécessaires.
Au final, disons, encore une fois, que sans la compétition et les prix, les JTC ont perdu de leur piment et attrait et de cet esprit de compétitivité utile et nécessaire à l’évolution de tout art.

Arrêt sur image

La mémoire en péril

Par Samira DAMI
Lors d’un passage récent dans une émission de télévision, Zied Gharsa a amèrement déploré l’absence quasi totale de conservation du patrimoine musical qu’est le malouf, qui représente indéniablement l’un des constituants de notre identité nationale. Le chanteur et musicien enfonce le clou en révélant que la totalité de l’œuvre de son géniteur, Tahar Gharsa, disciple de Khemaïs Ternane et considéré comme l’un des maîtres du malouf, n’a été ni enregistrée ni conservée par les institutions étatiques concernées.
zied gharsa a, par ailleurs, confié qu’il dispose de quelques enregistrements du riche legs musical de son père, mais lesquels, à la longue, risquent, faute de conservation idéale, purement et simplement la dégradation.
Toutefois, ce n’est pas tout puisque le chanteur a, également, révélé, au grand dam de tous, que même les 13 noubas du malouf, qui ont été sauvegardées de la déperdition grâce à la volonté et à l’ardeur lyrique et musicale du mélomane et non moins musicien Mohamed Rachid Bey, ne sont pas, aujourd’hui, entièrement enregistrées, ni conservées ni diffusées.
Contrairement, par exemple, à l’Algérie qui a sauvegardé l’ensemble de ses noubas andalouses, par l’enregistrement et la conservation.
Ainsi, notre malouf, faute d’enregistrement et de diffusion, demeure, jusqu’à nos jours, inconnu aussi bien des musiciens que du public.
Et si le malouf, reflet du cachet musical tunisien, n’est pas conservé, que dire du trésor musical de plusieurs décennies, depuis le début du XXe siècle, entre pièces musicales et chansons inimitables.
Mais le plus affligeant, c’est que l’absence de conservation et de diffusion du patrimoine culturel et artistique touche aussi bien le domaine musical que d’autres domaines artistiques : le cinéma, les arts plastiques, le théâtre, la danse traditionnelle, les sites archéologiques, l’architecture urbaine et autres.
Ainsi est-il affligeant de constater que, jusqu’à aujourd’hui, le pays ne dispose pas d’un musée des arts plastiques et que les fonds du patrimoine pictural et sculptural ne sont pas encore répertoriés et conservés dans les normes et les conditions idéales. Deux tentatives de mettre sur pied un musée des arts plastiques, et ce, successivement au milieu des années 1990 et en 2010, n’ont pas abouti. Résultat : la production des arts plastiques tunisiennes, entamée notamment à l’orée du XXe siècle, risque la détérioration en l’absence d’un musée d’art moderne et contemporain auquel ont appelé, à plusieurs reprises, les plasticiens et les académiciens. Le dernier appel en date ayant été fait en février 2015.
A défaut de musée, l’histoire et la mémoire de l’ensemble du secteur des arts plastiques demeurent, ainsi, invisibles aussi bien pour le public que pour les artistes.

Et la volonté politique ?

Côté 7e art, la conservation, la restauration et la diffusion du patrimoine cinématographique sont tout aussi aléatoires, à défaut d’une cinémathèque où le legs filmique national serait conservé dans des conditions idoines.
Pourtant, les nouveaux supports existent et il s’avère nécessaire aussi bien de restaurer tout le gisement de films disponibles et de le transposer sur les nouveaux supports technologiques.
Même situation pour le théâtre car aucun musée des costumes et des décors scéniques n’existe sous nos cieux, comme c’est le cas ailleurs, alors que la production théâtrale a commencé à l’orée du XXe siècle.
Les sites archéologiques et les trésors architecturaux urbains manquent, pour la plupart, de préservation et sont souvent profanés et pillés.
Ainsi, en est-il de plusieurs sites, entre autres Kasserine, Sbeïtla et Djerba où le site archéologique de souk El Guebli a été saccagé sous les regards laxistes et dans l’indifférence des parties concernées, entre ministère de la Culture, police et autres institutions étatiques.
D’ailleurs, l’Unesco a, dans ce sens, lancé «Une alerte contre le trafic du patrimoine archéologique qui s’accentue du fait des révoltes en Tunisie, en Egypte et en Libye, notamment».
Ainsi, le ministère de la culture et les institutions étatiques concernées ont du pain sur la planche s’il existe réellement une volonté politique pour conserver le riche patrimoine national ainsi que la mémoire dans tous les domaines de l’art.
Ce patrimoine, reflet de l’identité nationale, du génie des hommes et de la richesse des civilisations qui se sont succédé sur notre bonne terre, devrait être impérativement conservé et sauvegardé. c’est pourquoi du côté du ministère de la culture, il est temps de se réveiller et d’agir à travers la création de médiathèques, cinémathèques et photothèques, ainsi que de musées d’arts plastiques, d’arts vivants, d’arts scéniques, et autres. Car il est de notre devoir de transmettre aux générations futures le legs patrimonial qui leur est dû car ces lieux de conservation favorisent non seulement l’exposition et la diffusion mais, aussi l’étude, la recherche et la formation.
S.D.

dimanche 2 août 2015

ARRET SUR IMAGE : Suite à la réaction des cinéastes et producteurs tunisiens invités au festival de Locarno

Il n’y a pas de protestations qui tiennent, seul le boycott paye

Par Samira DAMI
Finalement, plusieurs réalisateurs tunisiens qui devaient participer au festival de cinéma de Locarno en Suisse (du 5 au 15 août 2015), qui a consacré une «Carte blanche au cinéma israélien», ont décidé de retirer leurs films et projets de la section «Open Doors» (Portes ouvertes) consacrée au cinéma maghrébin. Ainsi, les cinéastes et producteurs tunisiens invités par le festival de Locarno ont publié un communiqué où ils déclarent ce qui suit : «Nous nous insurgeons contre le partenariat entre le festival de Locarno et «l’Israeli Film Fund » dans le cadre de «Carte blanche» rebaptisée « First Look » et accordée à Israël par la direction du festival de Locarno, un an à peine après les massacres de Gaza qui ont fait 2000 morts dont 500 enfants, il nous semble que le festival commet là une faute grave que nous ne saurions cautionner ».
Aussi, les cinéastes et producteurs tunisiens ont-ils collectivement demandé au festival de Locarno «de renoncer à tout financement public provenant de l’État d’Israël – d’autant que la nouvelle ministre de la culture israélienne a décidé, dès sa nomination, et de manière scandaleuse, de couper les subventions aux artistes palestiniens et  israéliens qui ne partagent pas sa vision ». Mais la direction du festival n’a pas donné suite à leur demande, ce qu’ils regrettent, selon eux, vivement.
Face à ce refus, la réaction des professionnels tunisiens s’est déclinée en deux positions  considérées, par eux, comme politiquement responsables. La première, celle prise par les cinéastes Raja Amari et Mohamed Ben Attia et les productrices Dorra Bouchoucha et Lina Chaâbane qui ont déjà annoncé, avant la publication du communiqué collectif, dans un post sur les réseaux sociaux, le retrait de leurs films et projets du festival de Locarno comme «le préconise BDS Tunisie ». La seconde consiste  à «refuser la politique de la chaise vide en continuant à protester à Locarno pendant la conférence de presse organisée par BDS Suisse». Ainsi, les réalisateurs Néjib Belkadhi, Hind Boujemâa, Moez Kamoun, Nadia Rais et les producteurs Imed Marzouk, Badi Chouka et Farès Ladjimi comptent protester sur place à Locarno. De son côté, la réalisatrice Imen Dellil, dans un post sur facebook, a indiqué avoir retiré son court-métrage « Chouf » de la section Open-Doors de Locarno «en soutien au mouvement BDS». Nous avons appris, d’autre part, par Mehdi Ben Attia lui-même  ce qui suit : «Je suis  personnellement dans une hésitation qui dure depuis très longtemps. Je prendrai sans doute ma décision finale à l’ultime minute. Pour le cas où je déciderais d’y aller, ce serait pour participer à la conférence de presse de BDS Suisse, et j’ai demandé à y prendre la parole». Voilà tout.

Un appel au boycott signé par 200 cinéastes
Mais, remontons, d’abord, les faits. Le festival de cinéma de Locarno a donné «Carte blanche au cinéma israélien». Autrement dit, Locarno apporte son soutien et son aide à certains cinéastes israéliens et à la diffusion de leur film en partenariat avec  le Fonds israélien du cinéma, organe national de financement et de promotion qui est un organisme  étatique  et gouvernemental israélien. C’est ce que reproche, en fait, à Locarno le Pcabi (Palestinian Campaign for the Academic and Cultural Boycott of Israel) ou la Campagne palestinienne de Boycott académique et culturel d’Israël représentant la majorité absolue de la société civile palestinienne et qui a lancé depuis le mois d’avril un appel au boycott sous l’intitulé «Ne donnez pas carte blanche à l’apartheid israélien !».
  Cet appel signé par plus de 200 cinéastes, artistes et acteurs culturels a été relayé par le mouvement international BDS (Boycott, désinvestissement, sanctions) et par le Comité des artistes et acteurs culturels solidaires avec la Palestine, en Suisse. Parmi les signataires, plusieurs figures du cinéma européen, tels Ken Locah, Jean Luc Godard, Alain Tanner, palestinien  comme Anne Marie Jacir et Elia Suleïman, israélien  dont Eyal Sivan et tunisien  comme Jilani Saadi, Asma Chiboub, Moncef Taleb, Kaouther Ben Henia et autres. Or, le 22 juillet 2015, le mouvement BDS-Tunisie  a publié une lettre ouverte adressée nommément aux réalisateurs qui ont décidé de participer au festival de Locarno sous l’intitulé « Lettre ouverte aux artistes tunisiens invités au festival de Locarno : Ne donnez pas carte blanche à l’apartheid israélien !».Poursuivant que «la campagne tunisienne pour le boycott d’Israël est profondément désolée de cette participation au festival de Locarno qui place Israël au centre du festival un an après le massacre israélien perpétré à Gaza à l’été 2014 où plus de deux mille Palestiniens, dont plus de cinq cents enfants, ont été tués, le festival de Locarno a décidé de placer Israël au centre du festival en donnant « Carte blanche au cinéma israélien » —   sept films en phase de postproduction seront présentés aux professionnels pour faciliter leur finalisation et distribution — et ceci dans le cadre d’une coopération avec le  Fonds israélien du film. Or, ce fonds est un organisme soutenu par le Conseil israélien pour le cinéma que le gouvernement israélien a mandaté comme organisme consultatif de financement du film; il bénéficie aussi du soutien du département Cinéma  du Ministère des Affaires étrangères, dont le but est de «promouvoir les films israéliens à l’étranger avec l’appui des attachés culturels des ambassades israéliennes partout dans le monde». Il est utile de rappeler que c’est ce même ministère des Affaires étrangères, choisi comme partenaire du festival, qui a justifié les attaques brutales d’Israël contre les civils palestiniens et leurs infrastructures.
La campagne de boycott tunisienne exhorte enfin les cinéastes invités à Locarno à rejoindre tous les artistes maghrébins qui ont décidé de ne pas servir de caution à un festival qui légitime le régime d’oppression israélien et renforce l’impunité d’Israël, en annulant leur participation à ce festival. BDS conclut que «l’agression israélienne de l’été 2015 qui a duré 51 jours a annihilé des familles entières dans leurs maisons… Accepter de participer à un Festival qui bénéficie directement du soutien institutionnel israélien, ce serait envoyer à tous les Palestiniens un message comme quoi leurs vies ne comptent pas et que leurs droits fondamentaux ne sont pas dignes de considération.

Ceux qui boycottent et ceux qui comptent protester
PACBI et BDS demandent, au final, à tous ces professionnels «de respecter leur combat et de soutenir leur stratégie de résistance non violente…tout en les exhortant à tenir compte de leur demande en refusant de participer à Locarno et à cautionner l’apartheid israélien. Espérant, au final, que ces réalisateurs tunisiens choisiront de défendre la dignité humaine face à la barbarie et à l’injustice perpétrée contre tout peuple, contre tous les peuples».
Ainsi, parmi les professionnels tunisiens invités à Locarno, 5 sur 13, ont répondu, jusqu’ici, à cet appel en annulant leur participation, refusant, ainsi, à juste titre de cautionner la politique de la colonisation et de l’apartheid de l’entité sioniste représentée officiellement à cette 68e édition du festival de Locarno. Ce qui a été, en gros, accueilli avec satisfaction et avec des bravos sur les réseaux sociaux. Quant aux autres, ils ont, jusqu’ici, maintenu leur participation, arguant « du refus de la politique de la chaise vide» optant, ainsi, pour la protestation sur place lors de la conférence de presse de BDS Suisse. Voilà qui vaut bien le voyage. Protester en voyageant c’est plus agréable et payant, non ? En tout cas, beaucoup plus agréable que de boycotter le festival en restant chez soi. Mais ceux qui ont choisi la deuxième «posture» oublient que participer à un festival où Israël est partie prenante, c’est quelque part une reconnaissance de l’entité sioniste même s’ils comptent protester du matin au soir. S’asseoir auprès des cinéastes israéliens qui sont soutenus officiellement par le régime colonisateur parce qu’ils ont la même vision que lui, contrairement à d’autres qui s’en démarquent, c’est, en quelque sorte, cautionner, voire soutenir la barbarie du colon israélien. Car, contre l’injustice, les agressions sanglantes et inhumaines d’une colonisation interminable et unique au monde, subies tragiquement depuis plus de 60 ans, par le peuple palestinien, au mépris de toutes les lois et conventions internationales et les droits de l’homme, il n’y a pas de protestations qui tiennent,  il n’y a que le boycott qui paye. A bon entendeur… !

Retrovision

Toutes ces télés en vacances 
Les chaînes de télé aussi bien publiques que privées sont en vacances, on dirait. Car il est clair que pour les différents programmateurs, l’été est synonyme, à leurs yeux, de rediffusions en boucle de vieilles émissions déjà ressassées, entre caméras cachées, variétés, jeux et fictions, la plupart produites tout au long de l’année ou durant Ramadan, soit celui écoulé, soit ceux des années précédentes. Ainsi depuis la fin du mois saint, certaines chaînes ne programment que des rediffusions de leurs propres programmes, ainsi que des fictions venues d’ailleurs, comme sur Ettassia et Al Hiwar Ettounssi, par exemple. D’autres chaînes se sont spécialisées dans la programmation de feuilletons égyptiens et libanais, telle NessmaTV. Les télés publiques ne font pas mieux, tout est reprise, on est même remonté jusqu’aux archives des années 70. Certes, l’émission «Les archives de la télé», diffusée en hiver sur Al Watania 1, vaut le détour, mais pas au point de la rediffuser, encore et encore, juste pour le remplissage. Or, partout ailleurs, les satellitaires ne prennent pas de vacances en été, bien au contraire, elles concoctent des grilles légères, en proposant des émissions toutes fraîches pour leur public. Et les genres varient : jeux, concours, divertissements, talk-shows, variétés. Cela outre la retransmission de grands événements culturels et sportifs. Prenons l’exemple des chaînes publiques françaises, France 2 et France 3 sur lesquelles sont programmées des émissions distractives et culturelles, à la fois aériennes, ludiques et instructives, telles que «Fort Boyard», «Secrets d’Histoire», «Un livre un jour», « Dans quelle étagère », «Intervilles» qui propose une compétition et un concours jubilatoires et conviviaux entre plusieurs villes françaises,s pourquoi, en fait, nos chaînes publiques, Al Watania 1 et 2,s ne produisent-elles pas une émission du même genre ? Ce qui permettrait de tisser des liens entre plusieurs villes et gouvernorats à travers l’émulation et l’échange entre les jeunes ? Certes, certaines chaînes diffusent une ou deux nouvelles émissions à l’image de Hannibal-TV, tel ce documentaire sur les étapes importantes des six premiers mois de la présidence de Béji Caïd Essebssi ou encore le programme hebdomadaire, «l’Interview». Cela outre que la satellitaire a judicieusement maintenu au moins l’un de ses programmes politiques comme « Face-à-Face », à titre d’exemple, où Kamel Jendoubi, ministre auprès du chef du gouvernement chargé des relations avec les institutions constitutionnelles et la société civile, a répondu aux questions d’Imen Maddahi sur la prestation du gouvernement Essid dans plusieurs domaines entre autres la crise du bassin minier de Gafsa outre une évaluation de l’adoption, le 25 juillet, par l’ARP de la loi sur la lutte contre le terrorisme et le blanchiment d’argent. D’ailleurs, l’on se demande pourquoi la majorité des autres chaînes locales ont supprimé leur programme politique comme si en été il ne se passait rien ni au plan national ni au plan international. Ce qui est loin d’être probable, à preuve l’adoption de la loi antiterroriste par l’ARP, les événements en Libye, en Turquie et partout au MoyenOrient qui méritent bel et bien un arrêt sur image.

Des spéciales culturelles qui se ressemblent

 Dans la grisaille des rediffusions ressassées à l’infini, il est encore heureux que quelques chaînes se focalisent sur les festivals d’été, notamment Carthage et Hammamet, et cela grâce à une couverture de tous les spectacles programmés. Ettassia, Tunisna-TV, Hannibal-TV, Al Watania 1 et 2 consacrent, ainsi, des spéciales à ces manifestations d’été. Or, toutes ces émissions se ressemblent, il s’agit de reportages avant et après les spectacles dont des extraits sont montrés outre l’intervention des artistes, des directeurs de festivals, ainsi que des témoignages de quelques spectateurs et journalistes, mais le plus souvent ce sont les mêmes journalistes qui, d’une chaîne à l’autre, évaluent de manière impressionniste la prestation des artistes qui étaient sur scène. Ce qui donne l’impression au public de suivre la même émission sur plusieurs chaînes. Un peu d’originalité dans le concept et le traitement serait, donc, souhaitable. Il existe, également, cette autre tendance dans ces spéciales, consacrées à la couverture des manifestations culturelles, consistant à poser des questions abracadabrantes, comme le fait Hella Dhaouadi sur Hannibal-TV et qui se voit même imitée par certaines de ses collègues. Le hic, c’est qu’on a même parlé dans les médias de «l’école Hella Dhaouadi» (sic). Bref, il est clair que les chaînes aussi bien publiques que privées ont, dans leur majorité, misé principalement sur le mois de Ramadan sacrifiant, par-là, la grille des programmes du reste de la saison estivale. Or, tout le monde ne peut pas se payer des vacances et même ceux qui en ont les moyens ne peuvent couper complètement avec les télés pendant deux mois ou plus. Mieux, la télévision est quasiment l’unique moyen de loisirs des pauvres, voire de la classe moyenne, et si toutes les chaînes leur servent quotidiennement le même plat composé seulement de rediffusions, il est normal que ces téléspectateurs se réfugient ailleurs en regardant les autres satellitaires arabes. A moins que pour les télés locales l’audience et l’audimat ne comptent pas et n’ont aucun intérêt durant la période estivale. Ce qui est étrange, car c’est pendant cette saison, où une bonne partie des Tunisiens sont en vacances et peuvent consacrer plus de temps à la télévision, que les chaînes, notamment les nouvelles, peuvent se (re)positionner et gagner du terrain sur bien d’autres.
Samira DAMI

lundi 20 juillet 2015

RETROVISION

De l’inconscience
 Les faiseurs de fictions, sous nos cieux, ont-ils vraiment idée de ce que représente le terrorisme ? En tout cas, à la lumière de certains sitcoms et feuilletons, il se révèle que ce n’est point le cas. Citons l’exemple des sitcoms Bolice et Ambulance, diffusées sur Ettasiaâ, qui sont des parodies calquées sur des productions occidentales, entre américaines, françaises et anglaises. Dans les deux sitcoms citées, les personnages de terroristes sont parodiés d’une manière telle qu’ils en deviennent sympathiques. Comme si on pouvait tourner en dérision le terrorisme n’importe comment et gratuitement juste pour faire rire les téléspectateurs, courant, ainsi, le risque de banaliser le phénomène. visiblement, les scénaristes, réalisateurs et comédiens qui s’adonnent à ce genre d’exercice sont inconscients du danger que représentent des individus cruels, dangereux et inhumains. Et pour être édifié, il suffit de regarder les vidéos dans lesquelles les journalistes occidentaux, auxquels il a été permis de rencontrer des chefs de groupes terroristes, racontent l’effroi qu’ils ressentent encore après leur séjour dans les régions conquises par Daech. Ces journalistes ont jeté un cri d’alarme sur la cruauté et la sauvagerie de ces criminels qui recrutent des jeunes, et même des enfants, à tour de bras. D’ailleurs, le journaliste allemand Jurgen Todenhöfen, en immersion dans l’organisation de l’Etat islamique, n’a-t-il pas révélé, dans plusieurs interviews, que des enfants âgés de 8 ans ont commis des assassinats et des attentats au nom de l’Etat islamique. C’est pourquoi il est vraiment temps que les personnages de «salafistes», de «terroristes» and co soient construits de manière sérieuse et profonde et non banale et folklorique. Que ceux qui réalisent des sitcoms cessent de prendre le terrorisme à la légère et de faire, au contraire, œuvre utile en contribuant à conscientiser les citoyens au danger du phénomène sur l’ensemble du pays. Car le fléau du terrorisme, on le sait, n’engendre que mort, épouvante, cruauté, insécurité, drames, tragédies, effondrement des valeurs et règne de l’ignorance sous couvert de principes religieux. Cela sans compter l’écroulement de l’Etat et ses institutions, au profit du crime, de la terreur et de la dictature. C’est pourquoi les médias audiovisuels, dans des émissions de tous genres, fictions, reportages, enquêtes, débats, devraient avoir pour mission d’impliquer les citoyens en les conscientisant, de manière rationnelle, à la dangerosité du fléau rampant du terrorisme dont nul n’est à l’abri.
Typiquement tunisien 
Ce qui va suivre est typiquement tunisien car, ailleurs, dans d’autres contrées, nous n’avons jamais vu des acteurs défiler dans une émission radio, en l’occurrence Romdhane show, sur Mosaïque FM, pour passer un long moment à évaluer aussi bien les fictions ramadanesques dans lesquelles ils ont joué que d’autres. Pis, ces acteurs et actrices critiquent la prestation de leurs collègues. Certes, c’est l’animateur Hédi Zaïem qui le leur demande, mais les interviewés peuvent refuser de répondre car partout ailleurs dans le monde ce sont, généralement, les journalistes, les critiques, voire les téléspectateurs qui jugent ce genre de productions télévisuelles. Mais sous nos cieux, on a même entendu des actrices qui refusent toute critique, à l’image de Maryam Ben Mami, qui s’est permis d’insulter le peuple en le qualifiant de «schizophrène» (sic). On a également entendu des journalistes défendre des fictions diffusées sur la chaîne où ils travaillent. Ainsi, Lotfi Laâmari, qui travaille à Al Hiwar Ettounsi depuis une année, a défendu bec et ongles le feuilleton Ouled Moufida, toujours dans Romdhane show sur Mosaïque FM. Cette fiction de Sami Fehri, dont le scénario est puisé ici et là de certaines fictions américaines dont Sons of Anarchy (pour le générique notamment), a réussi à rafler les meilleurs taux d’audience, selon des mesures d’audimat qui ne sont pas très fiables, car très peu scientifiques, vu essentiellement le manque de moyens technologiques rigoureux et précis. Pis, de prétendus scénaristes nous servent des idées, des faits et des situations plagiées, le tout sans âme ni vision, et où pullulent des scènes gratuites de beuveries, où toutes les femmes, sans exception, sont des traînées et tous les jeunes sont des fêtards inconscients comme, notamment, dans Hkayet tounssia (Histoires tunisiennes), feuilleton diffusé sur Al Hiwar Ettounsi, qui bat, paraît-il, les records d’audience car, et il faut le dire, tout le monde sait que Naouret el Hawa est rediffusée le lendemain à 18h00 sur Al Wataniya 2, alors que les fictions diffusées sur Al Hiwar Ettounsi ne le sont qu’une seule et unique fois. Le pic d’audience au profit de Histoires tunisiennes de Nada Mezni Hafaïedh est donc compréhensible et logique. Enfin, disons que toutes ces fictions n’ont que faire de l’image de la femme, des jeunes, des enfants et du reste de la société tunisienne en général. Car l’important pour les faiseurs et les diffuseurs, c’est de réaliser de l’audience et un bon audimat en accumulant des scènes invraisemblables qui choquent au maximum. Côté réalisation, ce n’est pas mieux car, soit c’est le ronron, certains réalisateurs se complaisant dans la redondance stylistique, ou alors c’est carrément l’imitation pâle du style américain, comme c’est la cas dans Ambulance de Lassaâd Oueslati, Calquée sur la série française H, ou la sitcom parodique Bolice et le feuilleton Leïlet Echak, tous deux réalisés par Mejdi Smiri. Or, il est temps que réalisateurs, jeunes et moins jeunes cessent de copier et de plagier, pour inventer et créer leur propre style et vision de l’art et du monde.
 S.D. 

samedi 27 juin 2015

Attentat terroriste à Sousse

Nos télés déphasées

 Au moment où des satellitaires arabes et européennes annonçaient vers midi l’attaque terroriste à Sousse qui a fait une  trentaine de morts et de nombreux blessés, les chaînes de télé locales continuaient de diffuser normalement leurs programmes ordinaires, entre feuilletons, sitcoms et jeux, sans même annoncer en bas de l’écran dans le «news-bar» le drame survenu dans la ville côtière, La Mecque du tourisme tunisien.
Si Al Watania 1, suivie de la 2e chaîne publique, se sont focalisées dans les journaux télévisés sur l’événement dramatique, les chaînes privées, à l’exception de TNN et surtout de Nessma TV qui a réagi par un débat en milieu d’après-midi,  ont préféré rester déphasées et en marge de l’actualité brûlante en diffusant, jusqu’aux environs de 15 heures, des  programmes soporifiques et stupides réchauffés ou autres culinaires afin soi-disant de divertir les téléspectateurs, mais qui eux, loin de là, n’avaient pas du tout le cœur à ça puisqu’ils se sont rapidement rabattus sur les réseaux sociaux et les satellitaires arabes et européennes généralistes, qui ont interrompu leurs programmes, ou d’informations en continu.
Ainsi, hier tout au long de l’après-midi, les satellitaires locales n’ont  pas prêté à cette tragédie l’importance qu’elle méritait alors qu’il s’agit du fléau de terrorisme qui n’épargne aucun pays.
A preuve, hier, le terrorisme a frappé simultanément dans quatre pays, en France, au Koweït, en Tunisie et en Somalie. D’aucuns affirment qu’il s’agit «d’un plan diabolique américano-sioniste où tous les pays arabes, sans exception, sont visés, le prochain sur la liste étant l’Algérie. Le but étant premièrement de diviser pour régner en s’accaparant toutes les richesses énergétiques arabes et d’éviter, du même coup, qu’une autre puissance, la Chine, n’en profite à son aise.
Deuxièmement, permettre à Israël de dominer, pendant des siècles, la région et le monde arabe, quasi en ruine, en raison des guerres qui y sévissent».
C’est, en tout cas, ce qui se dit un peu partout sur les réseaux sociaux et sur certaines satellitaires arabes et même locales.

Apprendre à réagir à chaud
Mais ce postulat est-il vrai ou faux ? Ne s’agit-il pas d’une analyse des partisans et adeptes de «la théorie du complot» ? Ne s’agit-il pas de rejeter tous nos maux, failles et faiblesses sur les autres : l’impérialisme, le sionisme et toutes sortes  d’ennemis visibles ou invisibles ?
Ne s’agit-il pas d’une politique interne aveugle qui, jusqu’ici, n’a rien fait pour contrer le terrorisme ? Cela en mettant  en place une stratégie nationale étudiée et efficace pour le développement de l’économie, l’instauration d’un équilibre régional, la réforme de l’éducation, de la justice, etc.
C’est pourquoi les chaînes locales auraient dû éclairer à chaud la lanterne des téléspectateurs en posant les bonnes questions à des experts spécialistes et autres politologues.
Disons, enfin, que les présidences de la République et du gouvernement, qui ne se sont adressées au peuple que tardivement, ainsi que les médias télévisuels devraient apprendre à réagir rapidement à l’actualité comme cela se fait ailleurs, notamment lors des événements cruciaux qui touchent et endeuillent toute la nation et que peut connaître le pays hiver comme été.
S.D

lundi 15 juin 2015

ARRET SUR IMAGE


Les JCC : touche pas à ma spécificité

Par Samira DAMI
Les Journées cinématographiques de Carthage (JCC), on le sait, ont désormais une périodicité annuelle au lieu de celle bisannuelle, comme cela est de tradition depuis leur naissance, voilà une cinquantaine d’années.
Prévues du 21 au 28 novembre, les prochaines JCC garderont-elles, vu ce changement important, la même conception et la même vision?
Intérrogé, Brahim Letaïef, nouveau directeur des JCC, est catégorique : «Les JCC doivent continuer sur la même voie, notamment au niveau de leur spécificité arabo-africaine». C’est donc la continuité qui prévaut au niveau des fondamentaux de cette manifestation qui prône la promotion et l’encouragement des cinématographies africaines et arabes à travers la compétition, la réflexion et le débat, l’aide à l’écriture et à la post-production de films. Cela, outre la découverte de jeunes talents et la coopération Sud-Sud.
Mais d’aucuns ont exprimé l’idée de la nécessaire ouverture de la compétition, exclusivement consacrée, jusqu’ici, aux films africains et arabes sur les autres cinémas du monde.
Cela, à l’instar des festivals de Marrakech, Dubaï, Le Caire et autres. D’autant que la nouvelle périodicité annuelle des JCC n’assure pas la programmation de nouveaux films africains et arabes en avant-première. Surtout si l’on considère la multitude de festivals de cinéma dans le continent africain, dont le Fespaco, et ailleurs qui se focalisent sur les cinématographies arabes et africaines.
Or, en optant pour l’ouverture des JCC sur les autres cinémas du monde dans la section compétitive, il est clair qu’elles perdront leur spécificité, telle qu’imaginée et conçue par leur fondateur, Tahar Cheriaâ. Une spécificité qui a fait jusqu’ici sa force, sa pérennité et son originalité. Car, en se focalisant sur «Marrakech», «Dubaï», «Le Caire» and co, l’on s’apercevra, rapidement, qu’il s’agit non pas de manifestations exclusivement cinématographique et culturelle, mais qui relèvent plutôt du prestige et de la promotion touristique. «Mieux», on peut se demander qui parmi les grands cinéastes ou les grandes sociétés de production préféreraient les festivals du continent à «Canny», «Berlin» ou «Venise» pour ne citer que les manifestations cinématographiques les plus prestigieuses de l’Occident.
Du coup, «Marrakech», «Le Caire» et «Dubaï» ne peuvent aspirer aux films de grosses pointures du cinéma mondial et autres grandes maisons de production.
Soyons lucides et logiques. En programmant les autres cinématographies du monde dans leur section compétitive, les JCC perdront leur identité et leur touche particulière et originale.
L’on ne comprend pas, par ailleurs, ce désir de changement de conception, de vision et d’ouverture comme si les JCC n’étaient pas, depuis toujours, ouvertes sur le reste du cinéma mondial à travers plusieurs sections, telles que «Le panorama du cinéma mondial», «Les hommages» aux cinématographies et aux cinéastes importants de par le monde et autres sections spéciales.
Enfin, ce qui devrait changer à notre avis, c’est la structure du festival qui devrait être, désormais, permanente afin de donner le temps et les moyens à l’équipe organisatrice d’œuvrer dans la continuité et d’acquérir le savoir-faire et l’expérience qu’exige notamment une périodicité annuelle.

RETROVISION

Agressions contre les journalistes 
Suffit-il de dénoncer et de condamner ?

 Plusieurs chaînes de télé locales se sont focalisées, récemment, sur les agressions dont ont été victimes les hommes de médias lors des dernières manifestations de colère organisées par les partisans de la campagne «Winou el pétrole» et par les instituteurs. Dans la première manifestation organisée le 6 juin à l’avenue Bourguiba, les professionnels du secteur, entre journalistes, cameramen et photographes, ont été violentés par les forces de l’ordre. Dans la deuxième, et à notre grand dam, ce sont les enseignants du primaire — qui devraient normalement représenter un symbole fort de toutes les valeurs morales et un modèle pour leurs élèves — qui ont agressé verbalement et physiquement les hommes de médias. Certes, ce n’est pas la première fois que des reporters travaillant sur le terrain sont la cible de violence. Pis, c’est même devenu leur «pain quotidien» ; ils ont été tabassés et leur matériel de travail détruit, lors de la couverture d’événements nationaux qu’ils soient d’ordre politique (campagnes législatives et présidentielle) ou d’ordre social (grèves, manifestations et sit-in dans tout le pays). Le syndicat national des journalistes tunisiens et l’organisation tunisienne de protection des journalistes ont dénoncé, à chaque fois, ces pratiques, le Snjt a eu même recours à la justice en portant plainte contre les instituteurs, entre autres, mais rien n’y fit. Car le calvaire des professionnels du secteur continue de plus belle et, le plus souvent, les agresseurs jouissent de l’impunité. Concernant les agressions commises par les forces de l’ordre, le ministère de l’Intérieur promet toujours l’ouverture d’enquêtes afin de délimiter les responsabilités des agents de sécurité impliqués. En vain. car nous n’avons rien vu venir; aucune enquête n’a révélé quoi que ce soit. Et même le programme de formation initié récemment par le ministère de l’intérieur et auquel ont participé des journalistes et des agents de sécurité ne semble pas avoir porté ses fruits. D’autre part, quoique l’Ugtt ait nié les agressions des enseignants à l’encontre des journalistes et malgré la condamnation du ministère de l’intérieur «de toute violence verbale ou physique envers les hommes de médias», le fait est là ; depuis la révolution, les agressions se sont multipliées et se comptent par centaines. le centre de Tunis pour la liberté de la presse (Ctlp) a recensé, pour le seul mois de mars 2015, «24 violations commises sur des professionnels de médias», tandis que depuis le début de l’année 2015, plus de 30 agressions ont été commises à leur encontre, notamment dans les régions et de la part des agents de l’ordre, lors de la couverture de manifestations. Que faire ? et comment remédier à cette situation inadmissible afin que les professionnels du secteur puissent accomplir leur mission et exercer leur fonction pour faire parvenir l’information au large public en toute sécurité sans encombres, ni contraintes, ni violence? Suffit-il de condamner, de dénoncer ces agressions et de porter plainte devant la justice? Assurément non. Des actions plus pragmatiques et efficaces doivent être menées par les journalistes eux-mêmes.
Des actions à mener
Ainsi, n’est-il pas temps de voir les médias audiovisuels concocter des émissions afin d’éclairer l’opinion publique sur la nature de leur travail et sur le rôle des professionnels qui sont, avant toute chose, des témoins des divers événements qu’ils se doivent de rapporter au public, loin de tout esprit partisan, car les faits sont sacrés et le commentaire est libre selon la ligne éditoriale de chaque média. C’est en informant le public sur les spécificités et les objectifs de la profession que ce dernier prendra conscience que le fait d’agresser les journalistes-témoins des événements le privera de son droit à l’information. Il est vrai que les médias n’ont pas réussi à établir une réelle communication avec leur public, c’est pourquoi des émissions, en tous genres, explicites et pédagogiques et autres débats sur le rôle et la mission des journalistes pourraient contribuer à éviter tout malentendu et toute méprise entre les deux parties. Les journalistes doivent, également, améliorer la qualité de leur travail en veillant à donner la parole, de manière équitable et équilibrée, aux différentes parties concernées lors du traitement de l’information, car les instituteurs reprochent, entre autres, aux médias audiovisuels d’avoir donné plus de temps d’antenne au ministre de l’Education. Ainsi, outre le respect de la déontologie professionnelle et de l’éthique du métier, l’idéal, afin d’améliorer la qualité de l’information et des médias, serait d’instaurer un cadre juridique de la presse écrite et de la communication audiovisuelle, premièrement à travers la mise en place d’un mécanisme d’autorégulation de la presse et deuxièmement à travers la révision du décret-loi 116, par l’assemblée des représentants du peuple, et la mise en place de la nouvelle instance de communication audiovisuelle comme le stipule la constitution. De leur côté, les citoyens doivent comprendre qu’on ne peut bâtir une démocratie sans la liberté de la presse. or, pratiquer la violence, c’est étouffer la voix des journalistes et des médias. Ce qui mène tout droit à instaurer de nouveau la dictature.
 S.D.

ARRET SUR IMAGE

Arrêt sur image… les festivals d’été

Un nécessaire retour aux sources

Par Samira DAMI
Le pays compte plus de 250 festivals, dont la majorité se déroule en été. Du genre international, national et local, ces manifestations estivales, qui sont à nos portes, ont été initiées dans le but de créer la fête et une animation tous azimuts pour la célébration d’un genre artistique en particulier dans un espace temps réduit.
Ainsi, si l’on remonte le temps, on constatera que le festival international de Carthage, qui a vu le jour en 1964, a été créé par un groupe de mélomanes amateurs de jazz afin de célébrer ce genre de musique. Ainsi sur la côte de Carthage, le site des thermes d’Antonin, où se déroulait le festival avant sa migration vers le théâtre romain, ont vu défiler les plus grands noms du jazz, Louis Amstrong, Duke Ellington, Charlie Parker, Dizzy Gillespie, Charles Mingus, Ella Fitzgerald, et bien d’autres figures inoubliables.
De son côté, le festival international d’Hammamet a été lancé, également, il y a 51 ans, pour fêter de manière spécifique le 4e art et la danse. Aussi, la scène du coquet théâtre du centre culturel international d’Hammamet, construite pour l’occasion, a-t-elle accueilli les grosses pointures internationales du théâtre, dont Roger Planchon, Jean-Marie Serreau, Maurice Béjart, Aly Ben Ayed et tant d’autres.
Mieux, «Hammamet» ne s’est pas limité à célébrer les arts du théâtre et de la danse, mais fut, par excellence, un lieu de recherche et d’expérimentation non seulement pour le théâtre et la danse, mais aussi pour la musique et les arts plastiques.
Au centre culturel international d’Hammamet se concevaient et voyaient le jour des œuvres concoctées par de grands artistes et de jeunes talents venus du monde entier dans un but de création, d’innovation et de renouveau de ces arts-là. Nous pouvons multiplier les exemples de festivals internationaux et nationaux nés pour servir un ou plusieurs arts en particulier : le festival international pour servir le théâtre classique, le festival international de musique symphonique d’El Jem, fondé il y a 30 ans par Mohamed Ennacer et qui porte bien son nom, tant il est la seule manifestation arabe qui célèbre la musique symphonique. l’orchestre du bal de l’opéra de Vienne, l’orchestre philharmonique de Rome, l’orchestre symphonique Globalis de Moscou, l’orchestre symphonique de la ville de Tunis et autres y ont donné de grands concerts, ou enfin le festival international des arts plastiques de Maharès, fondé il y a 23 ans.
Tout ça pour dire que nos festivals d’été avaient une vocation purement culturelle et jouissaient d’une spécificité qui leur conférait une identité très particulière.
Mais depuis le milieu des années 80, et notamment 90 et 2000, avec l’intrusion des Rotana and Co, les spécificités ont disparu et nos festivals d’été sont devenus un mélange éclectique de tous spectacles commerciaux de variétés, tapageurs et indigents sans saveur ni odeur. Juste bon pour une consommation à effet ponctuel et éphémère, désertée par l’art, la création et la créativité.
Partant, quelques questions s’imposent : n’est-il pas temps, notamment après la révolution, d’effectuer un retour aux sources ?
N’est-il pas temps de voir nos festivals d’été se réapproprier et reconquérir leur spécificité et identité premières loin de tout esprit commercial favorisant la consommation de masse idiote par excellence ? Assurément.
Ainsi les festivals d’été devraient rompre avec la programmation anarchique, sans queue ni tête, de spectacles en tous genres sans aucune vision artistique pour retrouver, enfin, leur vocation purement culturelle, représentative de quelques genres artistiques spécifiques et particuliers. Cela, en veillant à assurer la qualité, la créativité et l’inventivité.

samedi 13 juin 2015

Arrêt sur image…

Du pain sur la planche pour le Cnci

 Par Samira DAMI
Enfin le Cnci (Centre national du cinéma et de l’image) a un nouveau directeur : Fethi Kharrat, qui occupait le poste de directeur général des arts scéniques et des arts audiovisuels au ministère de la Culture.
Et vu les nombreux problèmes que connaît le secteur, le nouveau directeur a bien du pain sur la planche. Et pour faire du cinéma tunisien une réelle industrie, le Cnci devrait d’abord s’atteler à la révision des textes législatifs, qui datent des années 60 et 80, tant le paysage cinématographique et audiovisuel a évolué. Cela afin que les secteurs de la production, l’exploitation et la distribution, notamment, soient en phase avec l’époque actuelle.

Booster la production
Au niveau de la production filmique, il est nécessaire de relever l’aide à la production aux deux tiers du budget des courts et longs métrages aussi bien du genre fiction que documentaire.
Il est vrai qu’actuellement le ministère de la culture est le principal, voire l’unique, bailleur de fonds de la production cinématographique, alors que les chaînes de télé, publiques, qui finançaient en partie le cinéma moyennant une subvention entre 100.000 et 120.000 dinars, se sont totalement désistées depuis la révolution. or, la production cinématographique nécessite l’intervention de plusieurs parties qui consomment l’image, soit les télévisions, les secteurs du DVD, la téléphonie mobile, sans compter les avances sur recettes de la distribution et autres taxes afin de contribuer au financement de la production cinématographique.
D’autre part, la réorganisation du secteur de la production s’avère nécessaire. Car aujourd’hui on compte 600 sociétés pour une production annuelle de 6 à 8 longs métrages et une dizaine de courts métrages. Ce qui est relativement fort réduit par rapport au nombre de sociétés de production. Il s’agit donc de fixer des critères bien définis pour l’attribution des agréments pour la création d’une société de production.

L’exploitation : sortir de la déprime
Côté exploitation, il est clair que  le secteur connaît une  grave déprime tant le parc des salles s’est réduit comme peau de chagrin puisqu’on ne compte plus qu’une  vingtaine de salles de cinéma dans l’ensemble du  pays.
Or, outre la promesse du parti politique vainqueur des élections législatives de créer 100 salles de cinéma, et dont la réalisation n’est pas pour demain, il est actuellement possible d’utiliser les salles de projection des maisons de la culture et de la jeunesse en tant que circuit d’exploitation commerciale et dont le nombre dépasse une centaine d’unités. Car sans exploitation, les films produits avec l’argent du contribuable ne peuvent arriver à ce même contribuable. Sans salles de cinéma, tout film produit est mort-né, d’où la nécessité d’injecter une bouffée d’oxygène au secteur de l’exploitation en utilisant ces salles de projection, tout en veillant à les équiper d’un matériel moderne façon numérique, entre DCP et Blu-Ray. Ce qui permettra au cinéma tunisien, en particulier, d’atteindre sa cible et son public.
Qui dit exploitation dit distribution, les deux secteurs étant étroitement liés et sans un vrai parc de salles, on ne peut réellement parler de distribution, laquelle peine, ces dernières années, à acquérir des films importants et de qualité.

Les actions à mener
Les professionnels du cinéma sont dans l’attente d’autres actions telles que la réactivation du guichet unique, le contrôle du piratage des œuvres cinématographiques, la révision du rapport avec les chaînes de télé, la mise en place d’une convention collective des artistes et techniciens intermittents, la facilitation de l’obtention des autorisations de tournage aux films tunisiens et étrangers, etc.
Mais l’une des tâches d’une importance capitale du Cnci n’est autre que la numérisation des archives qui sont une richesse patrimoniale filmique à ne pas laisser à l’abandon tant elle représente l’histoire du cinéma. On se doit donc de restaurer et de conserver ces archives dans des conditions adéquates afin d’éviter leur destruction. Un patrimoine qui sert et nourrit la cinéphilie. Cela outre le soutien des associations cinéphiliques ainsi que la promotion des festivals en tous genres aussi bien amateurs que professionnels.
Les solutions aux problèmes des différents secteurs du cinéma nécessitent le dialogue et la concertation avec toutes  les parties concernées, ainsi que divers ministères : Education afin de développer la cinéphilie, Finances pour l’adoption de certaines taxes et l’exonération du matériel d’équipement cinématographique d’autres taxes, enfin le ministère des Affaires foncières pour le règlement des problèmes fonciers qui bloquent la création de nouvelles salles de cinéma.
Le Cnci réussira-t-il à mettre sur pied une véritable industrie du cinéma qui rendra le secteur viable et rentable? C’est ce que souhaitent, en tout cas, tous les professionnels du cinéma qui devraient, de leur côté, contribuer à ce projet.
Campagne "Winou El Pétrole"
C'est aussi une affaire de communication 
Tout le monde s’est braqué, ces dernières
semaines, sur la campagne «Winou el pétrole ?»
qui a été lancée suite à la découverte, à l’orée
du mois de mai, d’un nouveau puits de pétrole à «El
Faouar» (Kébili).
Les détracteurs de cette campagne accusent
certains partis, dont notamment le CPR, le courant
démocratique et Harak echaâb de Moncef Marzouki
d’être derrière cette «agitation sociale» en faisant
croire au bon peuple que «La Tunisie flotte sur
d’immenses nappes de pétrole». Le président
d’Ennahdha, Rached Ghannouchi, par exemple,
estime que : «Les initiateurs de cette campagne ne
sont autres que les perdants des dernières élections
législatives et présidentielle» tout en spécifiant que
«le peuple a le droit de connaître la vérité sur les
ressources et richesses énergétiques du pays».
Mais qu’à cela ne tienne, les partisans de la campagne
«Où est le pétrole ?», entre jeunes et moins jeunes,
exigent la transparence sur les contrats conclus
avec les sociétés exploitatrices étrangères et les
ressources réelles énergétiques
du sol tunisien, afin que les
richesses soient équitablement
distribuées et que toutes les
régions notamment concernées
en jouissent. En plus terre à
terre, ils exigent leur part du
gâteau. Quoi de plus légitime
d’ailleurs. Mais faudrait-il
vraiment croire que nos terres et
nos mers regorgent du précieux
«or noir» ? Car, les détracteurs
de cette campagne ridiculisent ceux qui croient, dur
comme fer, que la Tunisie est aussi riche en pétrole
que l’Algérie ou la Libye.
«Mieux», ils accusent les instigateurs de cette
campagne de financer cette campagne afin de
déstabiliser le gouvernement et le pays et de porter
atteinte à la stabilité économique et à la paix sociale.
Les médias audiovisuels locaux ont dans, leur
majorité, reflété cette polémique en invitant sur les
plateaux des experts en énergie et des responsables,
notamment le PDG de l’Etap, Mohamed Akrout,
lesquels ont certifié que notre production de pétrole
ne dépasse pas les 51.000 barils par jour.
De leur côté, les hommes politiques de la coalition
gouvernementale, sollicités par les chaînes de
télé, ont reconnu au peuple le droit de connaître
la vérité sur les ressources naturelles du pays et
la nécessité de la transparence, mais ont tenu à
dénoncer les instigateurs de la campagne qui, selon
eux, n’ont qu’un seul but : «instaurer le chaos à
l’unique fin de déstabiliser le pays et de faire tomber
le gouvernement». Outre que, selon eux, pareilles
chimères gomment la valeur travail incontournable
pour le redémarrage de notre économie qui prend
de l’eau de toutes parts.
Pour une stratégie de communication
gouvernementale
Mais rien n’y fait, les partisans de cette
campagne campent sur leur position
accusant le gouvernement «de corruption
et de vol des richesses du pays». C’est l’Etat qui
est décrédibilisé et sa souveraineté qui en prend
un sacré coup. Comment rétablir les ponts de
communication avec l’ensemble des citoyens sinon,
et nous l’avons déjà dit sur ces mêmes colonnes,
en déployant une stratégie de communication
gouvernementale conséquente, intelligente et
efficace.
De leur côté, tous les médias audiovisuels, qui ont
fait appel aux responsables et aux experts afin
d’éclaircir la lanterne de l’opinion publique sur la
réalité des ressources énergétiques, n’ont pas réussi
à convaincre les partisans de la campagne «où est le
pétrole?».
Lesquels n’en démordent
pas et continuent à sévir sur
les réseaux sociaux ayant eu
visiblement le dessus sur les
médias.
Aussi, faut-il conclure que les
médias ont eux aussi besoin
d’améliorer sérieusement
leur communication avec le
public ? Tout porte à le croire.
C’est pourquoi des études
et des interventions d’experts et de consultants
s’avèrent plus que jamais nécessaires pour établir
des ponts réels de médiation et d’échange avec les
téléspectateurs.
Il s’agit, ainsi, d’améliorer la qualité de l’information
en privilégiant les réflexes professionnels, soit la
vérification des faits et la prudence afin d’éviter les
dérapages façon faux scoop et course déplacée
à la réalisation de ces «fameux» buzz, pour des
raisons d’audimat, comme ce fut le cas récemment
avec la diffusion, sur Al Hiwar Ettounssi dans «Al
yaoun Ethamen» de Hamza Belloumi, de la vidéo
du discours truqué de Moncef Marzouki qu’il a
prononcé au Qatar.
C’est seulement le professionnalisme et le respect
de l’éthique du métier qui sont à même de garantir
la crédibilité, si nécessaire, pour une communication
efficace et réussie avec le public.
Il est clair que beaucoup reste à faire afin de gommer
la suspicion et la méfiance des téléspectateurs
réfractaires et de restaurer la confiance entre les
médiateurs et le public récepteur.
S.D.

samedi 6 juin 2015

RETROVISION

AL Watania 2
Où est passée la vocation régionale promise ?
Qu’est-ce qui distingue la deuxième
chaîne publique, Al Watania 2, de
son aînée, Al Watania 1 ? Pas grandchose,
les deux sont des chaînes généralistes
et diffusent pratiquement, à quelques
exceptions près, le même genre d’émissions
politique, sociale, culturelle, sportive, et
autres, et recourent, souvent, à des diffusions
simultanées.
Pourtant, Al Watania 2, alias Canal 21,
née en 1994, puis développée en 1999,
ciblait les jeunes et avait pour vocation
de traiter de sujets qui les intéressent en
reflétant leurs problèmes, rêves et ambitions.
Quelques programmes spécifiques
qui interpellent les jeunes ont été concoctés
et présentés par des jeunes. D’où l’arrivée
en ce temps-là sur la scène médiatique de
nouvelles figures entre journalistes, présentateurs
et animateurs. Mais l’audience
de la chaîne ne dépassait pas les 5%, non
seulement parce qu’elle n’a pas su ratisser
large, mais aussi en raison de sa diffusion
qui était exclusivement hertzienne, n’ayant
pu, par conséquent, soutenir la concurrence
des chaînes satellitaires arabes et occidentales.
C’est pourquoi en 2007, rebaptisée
Tunisie 21, la chaîne a commencé à émettre,
désormais, sur le satellite avec une durée
de diffusion plus importante, entre midi et
minuit, un nouvel habillage et une nouvelle
grille comportant des programmes plus
modernes et plus «in». Ce qui lui a permis
de gagner des points en matière d’audience.
Mais très vite, la chaîne est gagnée par la
langue de bois et un discours propagandiste
consacrant «les réalisations de l’artisan du
changement».
Les préoccupations des jeunes sont, entretemps,
quasi occultées, les programmes
versant dans la vacuité des émissions de
jeux, des variétés, de loisirs et autres qui ne
fâchent pas.
En 2011, après le 14 janvier, Tunisie 21
devient Al Watania 2, et la nouvelle direction
de la télévision tunisienne a émis
l’intention, vu le déséquilibre régional, de
consacrer, désormais, la chaîne aux régions
du pays, notamment celles qui ont longtemps
souffert de la pauvreté, du chômage,
de la marginalisation et de la répression,
soit les problèmes sociaux, économiques et
politiques qui ont été à l’origine de la révolution.
Mais depuis, et au fil des mois et des
années, les téléspectateurs attendent encore
de voir cette chaîne devenir réellement à
vocation régionale. Car, actuellement, cette
chaîne satellitaire ronronne en diffusant
un grand nombre de reprises, notamment
entre séries et feuilletons, ainsi que des
programmes pratiquement du même genre
que ceux de la chaîne aînée, à l’exception
de quelques émissions telle la culturelle,
Ahwaa et Ennass Ahouwal, laquelle se
focalise et encourage les jeunes au parcours
original et prometteur, mais, hélas, cette
émission pèche par un discours trop didactique,
voire populiste. Comment expliquer
alors l’audience de la chaîne qui atteint les
10 %, selon les derniers sondages consacrés
aux médias et son taux de pénétration de
l’ordre de 22 % en access prime-time, selon
un sondage de Sigma Conseil, sinon par le
formidable succès de la série «Choufli Hall»,
encore et toujours très appréciée par les
téléspectateurs grâce, notamment, à l’inénarrable
Soufiane Chaâri.
Mais afin d’éviter qu’Al Watania 2 ne soit
juste la doublure de son aînée, elle devrait
se focaliser exclusivement sur les régions
avec des émissions conséquentes et en
tous genres, politique, économique, culturel,
sportif, social, environnemental, qui
prônent la réflexion, le débat, la culture,
l’éducation et le loisir. En somme, une
chaîne régionale de proximité, à l’instar de
France 3, susceptible de refléter tous les
problèmes et soucis, mais aussi les ambitions,
l’inventivité et les rêves des jeunes
et moins jeunes de la Tunisie profonde. Ce
qui représente là une manière de réaliser
l’un des objectifs de la révolution : valoriser
les régions aussi bien par une politique
de développement économique que par
l’image et le son. Ecouter la voix des régions
à travers la décentralisation des centres
d’intérêt, comme le stipule la Constitution,
est une nécessité, voire un must.
Que l’on donne, alors, une spécificité régionale
et une âme du terroir à Al Watania
2 tout en élaborant une vision et en définissant
clairement le public ciblé ! A bon
entendeur…
S.D.
68e festival de Cannes 

Thèmes contemporains 
De notre envoyée spéciale Samira DAMI
La Croisette est illuminée par le portrait de la grande actrice suédoise Ingrid Bergman, qui figure à l’affiche du 68e festival de Cannes,  et à laquelle la plus prestigieuse manifestation cinématographique du monde, rend, cette année, hommage. Qu’on se rappelle les films où elle a brillé tels «Casablanca» de Michael Curtiz, «Pour qui sonne le glas» de Sam Wood, «Les Enchaînés »,  et «Les Amants du Capricorne », tous deux signés Alfred Hitchcock ou encore «Les Stromboli» de Roberto Rossellini et «Sonate d’Automne» d’Ingmar Bergman. La carrière de l’actrice, disparue il y a 33 ans, a été couronnée par deux Oscars pour «Hantise» de Georges  Cukor et «Anastasia» d’Anatole Litvak ainsi que des dizaines  de distinctions dont le Golden Globe Awards.
Après  l’ouverture de cette 68e édition du festival de Cannes avec le film hors compétition sur la délinquance des jeunes, «La Tête Haute» de la réalisatrice française Emmanuelle Bercot, place à la compétition qui a démarré avec le film italien «Il Racconto del Racconti » ou Conte des contes de Matteo Garrone où le réalisateur se focalise sur trois royaumes voisins où règnent dans le premier un roi libertin, dans le second un souverain captivé par un animal étrange et dans le troisième une reine obsédée par un désir d’enfant.  L’enjeu du film n’étant autre que la force évocatrice du conte qui a nourri depuis toujours l’imaginaire universel. C’est en utilisant les personnages et  les ingrédients spécifiques au conte, entre monstres géants, fées bénéfiques et maléfiques, sorciers et autres  dans  des décors fantasmagoriques, entre châteaux et labyrinthes, que le réalisateur évoque des thèmes contemporains tels les effets du libertinage, les conflits de génération, le désir de procréation et de beauté éternelle.
L’auteur- réalisateur de «Gomorra » et de «Reality», deux opus ayant  obtenu le Grand Prix du jury, respectivement en 2008 et en 2012, véhicule une idée géniale: entremêler le langage du conte et celui du cinéma, mais, au final, le résultat, entre baroque et gothique, violence et prédation, est pesant et ennuyeux, malgré la volonté d’apporter une certaine touche d’humour à l’ensemble, outre que le casting international qui a réuni Salma Hayek, Vincent Cassel et Toby Jones n’apporte pas ce plus tant attendu.

The Lobster : une réflexion sur la solitude
Autre film en compétition apprécié sur la Croisette, «The Lobster» du Grec Yorgos Lanthinos révélé il y a 6 ans avec «Canine» son second long métrage qui a remporté à Cannes le prix Un certain Regard, ce cinéaste représente, d’ailleurs, la génération de cinéastes qui se distingue par une vraie créativité générée par la crise que connaît la Grèce durant ces dernières années. Le cinéma de Lanthinos qui se particularise par une empreinte surréaliste ne déroge pas à la règle dans cette comédie romantique noire qui met en scène une société où les célibataires sont obligés de prendre une épouse à moins d’être transformés en animaux. Une réflexion, aux relents absurdes, entre humour et angoisse, sur la solitude, mais aussi sur la peur de vivre en couple. Le film est une dénonciation des rapports violents entre hommes et femmes ainsi que du  modèle sociétal et culturel grec.
C’est dans la section  hors compétition que «L’Homme Irrationnel», le dernier-né de Woody Allen, un habitué du festival de Cannes, a été projeté. Car le réalisateur de «La rose pourpre du Caire» et de «Annie Hall» n’apprécie pas la course aux récompenses et n’a jamais accepté de concourir pour la Palme d’Or, car à ses yeux « la compétition c’est pour les disciplines sportives mais pas pour les œuvres de création». «L’Homme Irrationnel» met en scène  l’histoire d’un professeur de philo, Abe (Joaquim Phoenix), envahi par le doute et qui se pose de multiples questions existentielles du genre : «Et si je trouve mon bonheur dans le crime?». Suivra une descente aux enfers féroce et cynique. Dans cet opus, le réalisateur américain quitte les décors des villes qu’il affectionne, notamment son Manhattan à New-York, pour planter le décor dans le campus universitaire d’une petite ville. «L’Homme Irrationnel» nous renvoie à au moins deux opus du cinéaste « Crimes et délits» et «Match Point» où il s’est déjà focalisé sur la philosophie et les grandes questions existentielles, nous plongeant dans une atmosphère noire et terrible où la conscience est saisie de doute. « Je doute, donc je suis», mais la conscience peut à tout moment sombrer dans la folie nourrie par le doute et la tourmente. Un film attachant où se mêle un faisceau de sentiments et de couleurs du blanc immaculé au noir maculé.
S.D

68e festival international de Cannes

L’Art est transgression, mais pas à tout prix

De notre envoyée spéciale à CannesSamira DAMI 
Pour la première fois, la section officielle du festival de Cannes présente cinq films français en compétition. Après la projection de «Mon Roi» de la réalisatrice Maïwenn, mettant en scène la libération d’une femme d’une passion étouffante et destructrice et qui a reçu un accueil mitigé sur la Croisette, deux autres opus, «La loi du marché» de Stéphane Brizé et «Marguerite et Julien» de Valérie Donzelli, ont été programmés. Cela en attendant la projection des deux derniers de la liste «Dheepan »n de Jacques Audiard et «Valley of Love» de Guillaume Nicloux avec un casting façon duo d’enfer : en l’occurrence Gérard Depardieu et Isabelle Huppert.
Mais revenons d’abord à «La loi du marché » qui se focalise sur Thierry (Vincent Lindon) qui, à 51 ans, se retrouve au chômage et ce n’est qu’après 20 mois de recherche d’emploi qu’il commence un nouveau travail qui le met bientôt face à un dilemme moral. Pour garder son travail peut-il tout accepter ? Le film débute avec force en suivant Thierry dans sa quête d’emploi d’autant que son fils handicapé doit poursuivre ses études dans un collège spécialisé privé et qu’il doit emprunter de l’argent à sa banque. Les entretiens d’embauche de vive voix et même via Skype, les coachings pour impressionner et convaincre le recruteur se suivent dans des plans serrés, qui expriment les difficultés de la  vie et l’absence de perspective d’avenir. L’intervention de la banquière qui incite Thierry à vendre son unique bien, un mobil-home ; et les négociations avec un éventuel acquéreur pour fixer le prix de vente montrent toute la détresse humaine dans une époque terrible où le chômage sévit et où plus rien ne garantit  la dignité humaine qui ne peut exister sans travail ni argent. Mais hélas, alors qu’on s’attendait à ce que la descente aux enfers de Thierry continue, voilà qu’en son beau milieu, le film bifurque et l’on ne comprend pas comment le personnage central décroche un travail comme vigile, dans un supermarché ; les yeux bien ouverts sur les vols que peuvent commettre les clients et les caissières. Le personnage perd de sa cohérence et de sa force et n’évolue plus logiquement car la lutte contre la misère et les difficultés de la vie se transforme, sans crier gare, on ne sait trop pourquoi, en un problème de conscience et de morale. Même si le réalisateur en a profité pour montrer l’inhumanité du monde sans scrupule du capital.  Dommage que Stéphane Brizé ait, ainsi, abandonné son personnage en cours de route pour en dépeindre un autre. Or, ce personnage à double tête, par manque de profondeur, nous laisse sur notre faim. Mais n’oublions pas de relever le jeu maîtrisé de Vincent Lindon qui peut prétendre à un prix d’interprétation.

L’inceste banalisé

«Marguerite et Julien», dont l’action se situe au 17e siècle, met en scène l’histoire de deux personnages, Marguerite De Ravalet (Anaïs Demoustier) et son frère Julien (Jérémie Elkaïm) qui, depuis leur enfance, s’aiment tendrement mais en grandissant leur tendresse se mue en passion dévorante, leur aventure scandalise la société qui les pourchasse. La réalisatrice a adapté un scénario de Jean Gruault pensé en 1970 pour François Truffaut. Mais au lieu d’une réflexion sur cet interdit intemporel, Valérie Donzelli banalise l’inceste en le racontant dans le film à un public d’enfants dans un dortoir comme s’il s’agissait d’un amour possible et l’on comprend que la critique se gausse à Cannes d’un film où l’on défend presque l’inceste par une possible identification aux personnages.
Cela sans compter les anachronismes intentionnels et revendiqués au niveau des costumes et des accessoires, outre notamment cet hélicoptère utilisé pour rechercher les fugitifs ; les dialogues vides de sens et l’ennui ambiant où baigne la 2e partie de ce long métrage. Que ne ferait-t-on pas pour commettre à tout prix des transgressions au cinéma afin d’accrocher les spectateurs. Mais le résultat ne dépasse pas l’envergure d’un téléfilm car il ne s’agit pas de transgresser pour transgresser ; certes l’art est transgression mais pas gratuitement. Bref ; il semble que les sujets traitant de l’inceste et de l’homosexualité sont devenus très tendance durant les trois dernières éditions de Cannes, depuis que «La vie d’Adèle» d’Abdellatif Kechiche a remporté la Palme d’Or en 2013. Car  il en est est de même pour « Carol» du réalisateur américain Todd Haynes, programmé en compétition, qui narre l’attirance entre deux femmes : Thérèse (Roney Mara) et Carol (Cate Blanchett), dans le New York des années 1950 et qui se retrouvent en prise avec les conventions. Ce film adapté du roman de Patricia Higshmith est différent de celui de Kechiche car ça se passe  plutôt dans l’esprit et la pensée de Thérèse la narratrice, vu l’influence pesante de la société de l’époque des années 50 sur la relation des deux femmes. Et si «La vie d’Adèle» est moderne et naturaliste, «Carol» est un film d’époque, conventionnel dans la forme. Mais il est vrai que «Carol» est tout aussi magnifiquement réalisé, outre que les actrices sont superbes et sont, du coup, pressenties pour un prix d’interprétation.
Ainsi le cinéma français, hyper-représenté cette année à Cannes, n’a pas encore révélé ce film qui sort du lot parmi les cinq opus en compétition. Serait-ce alors «Dheepan» d’Audiard ou «Valley of Love avec l’immense Depardieu ? Attendons voir.
S.D.

68e festival international de Cannes

Quand passe le temps !

De notre envoyée spéciale, à Cannes, Samira DAMI
Deux grands films, l’un italien et l’autre chinois, ont marqué la journée du mercredi sur la croisette, «Youth» de Paolo Sorrentino et «Mountains May Depart» de Jia Zhang-Ke. Tous deux se particularisent par leur force créative et inventive et une réflexion profonde sur le passage du temps.
«Youth» est le septième long métrage de Sorrentino, qui a déjà conquis la Croisette en 2008 avec «El Divo» en remportant le prix du jury. Dans la continuité de «La Grande Belleza», son précédent opus, où il proposait une réflexion sur la vie et la mort, «Youth» ou «Jeunesse» met en scène deux vieux amis quasi octogénaires, Fred (Michail Cane) et Mick (Harvey Keitel) qui profitent de leurs vacances dans un hôtel avec spa, en Suisse. Fred, compositeur et chef d’orchestre à la retraite, n’a aucune intention ni envie de revenir à la carrière musicale qu’il a abandonnée depuis longtemps, tandis que Mick, réalisateur, travaille toujours sur l’écriture d’un scénario, sorte de testament artistique. Les deux amis décident de faire face, ensemble, à leur avenir. Mais pas seulement, car les deux personnages,si attachants, remontent le temps, avec humour et espièglerie, en évoquant leur passé avec plus ou moins de sincérité, préférant parfois le mensonge à la vérité ou prétextant parfois l’oubli et les tours que leur joue la mémoire. Ces protagonistes sont entourés d’une multitude d’autres, entre vieux et jeunes, des acteurs, des scénaristes qui coécrivent le scénario avec Mick, des couples en crise, un alpiniste, des saltimbanques, un moine bouddhiste ou le Dalaï Lama en quête de lévitation, Lena, la fille de Fred quittée par son mari, et même un personnage parodiant, l’ancien footballeur argentin Maradona, enfin une Miss Univers évanescente et divine. Le film, qui se déroule en huis clos, décline, donc, une palette de personnages qu’utilisent Sorrentino pour tisser des situations, entre éléments anecdotiques et réflexions universelles, sur le passage du temps, les amours perdus, l’obsession du jeunisme et le temps qui reste à vivre. Le film décline, également, une réflexion sur la réalité représentée ou sublimée par l’art, l’avenir de l’humanité et de l’art. La musique et le cinéma incarnent l’art dans cette œuvre, en opposition au trash, à la télé poubelle… En fait, seules les émotions restent, que ce soit dans la vie ou dans l’art, nous dit le cinéaste. Ainsi, au fil des scènes d’une grande beauté esthétique, même si une partie de la critique internationale les trouve esthétisantes, le réalisateur sculpte sa matière pour générer du grand cinéma. Tels ces plans représentant Fred immergé dans l’eau à Venise ou Mick qui voit surgir dans un pré, où paissent des vaches, tous les personnages de ses anciens films, la scène finale incarne un grand moment de cinéma et de musique. Mieux, cette comédie dramatique où se bousculent les sentiments et ressentiments est admirablement interprétée par trois grands acteurs américains voit Michael Cane, Harvey Keitel et Jane Fonda qui apparaît dans un sublime numéro d’acteur. «Youth», tout autant que «Mia Madre», a de fortes chance de figurer au palmarès que ce soit pour le prix de la mise en scène ou pour la Palme d’Or.

Perte d’identité et de valeurs 
Le film chinois «Mountains May Depart» a aussi conquis le public cannois avec un film qui traite également du passage du temps, entre passé, présent et avenir, qui est si nécessaire à la compréhension des sentiments. Jia Zhang-Ke met en scène l’histoire de Tao, «une jeune fille de Fenyangdans, la Chine de 1999, qui est courtisée par ses deux amis d’enfance, Zang et Liang. Zang, propriétaire d’une station-service, se destine à un avenir prometteur tandis que Liang travaille dans une mine de charbon. Le cœur entre les deux hommes, Tao va devoir faire un choix qui scellera le reste de sa vie et de celle de son futur fils, Dollar. Sur un quart de siècle, entre une Chine en profonde mutation et l’Australie comme promesse d’une vie meilleure, les espoirs, les amours et les désillusions de ces personnages face à leur destin».
Le film se déroule en trois parties, la première déjantée et romantique traite du choix de Tao, sur fond des mutations économiques profondes que connaît la Chine. Car le mode de vie des individus a profondément changé, l’argent et le gain étant devenus au centre de la vie, au point que Zhang a prénommé son fils Dollar, la deuxième partie dramatique évoque la séparation et la déchirure, car Tao ne verra pratiquement plus son fils, le père ayant obtenu la garde après le divorce, enfin la troisième traite du déracinement et de la rupture avec le pays, Dollar et son père ayant émigré en Australie. L’auteur de «The Touch of sin», en compétition il y a deux ans à Cannes, déplore la perte de l’identité, Dollar est perdu, il ne parle plus que l’anglais et a un vague souvenir de sa mère et ne communique avec son père qu’à travers les traductions de Google, il dénonce, en raison de la mondialisation, la perte des valeurs humaines et la rapacité des individus désormais sous l’emprise totale de l’argent. Seule Tao, enracinée dans sa province, représente les racines, l’identité et les valeurs de la Chine profonde et d’un mode de vie humain et équilibré. Dollar, déstabilisé, veut quitter ses études et pense retourner à la maison dont il a les clés que sa mère lui a données quand il avait 7 ans. Mais ce n’est pas facile pour lui. Retrouvera-t-il enfin sa génitrice ?
Ce film dramatique, teinté d’humour, est également habité par le cinéma à travers des plans d’une grande inventivité. Telles ces scènes où une marée humaine forme comme des vagues, celle du mariage ou encore la scène finale où Tao danse sur une chanson cantonaise qui a bercé sa jeunesse et qui traverse toute l’œuvre. Le tout est couronné par un jeu d’une grande maîtrise, notamment, de l’actrice principale Zhao Tao. Voilà un film qui pourrait également figurer au palmarès de cette édition. Le jury avec autant de bons films aura bien du pain sur la planche.
S.D.

Lecture du Palmarès de la 68e édition du festival de Cannes

Le cinéma français grand gagnant

De notre envoyée spéciale à Cannes, Samira DAMI
Le cinéma français est le grand gagnant de cette 68e édition, qui s’est déroulée du 13 au 24 mai, avec 5 longs métrages en compétition. Il est reparti de la Croisette avec au final 3 prix : la Palme d’or pour «Dheepan» de Jacques Audiard et deux prix d’interprétation pour Vincent Lindon et Emmanuelle Bercot
Le cinéma français s’est imposé à Cannes avec 3 prix dont la Palme d’or pour «Dheepan» de Jacques Audiard. Une récompense controversée tant ce film n’est, en aucune sorte, le meilleur de la compétition, «Mia Madre» de l’Italien Nanni Moretti  ainsi que «Carol» du Britannique Todd Haynes  le surpassent de loin.
Mieux, «Dheepan» n’est pas le meilleur film d’Audiard qui a beaucoup plus convaincu avec «Un Prophète» qui a obtenu le Grand prix du festival de Cannes en 2008 se faisant voler la mise par le réalisateur autrichien qui a remporté la Palme d’or avec « Amour ». D’où la déclaration d’Audiard lors de la réception de son prix : « Merci Michael Haneke de ne pas avoir tourné de film cette année».
La fable se focalise sur un indépendantiste Tamoul qui se réfugie en France, mais qui se retrouve en pleine guerre de gangs rivaux d’une banlieue parisienne. Le réalisateur dénonce la violence, la drogue, l’intégration difficile, dans un milieu social instable. Mais ce qui dérange dans ce film c’est que les gangs se déclinent comme des personnages clichés construits à travers le prisme des préjugés. Les gangs ne sont en fait qu’un alibi et une béquille pour le réalisateur pour justifier le développement de la fable et le dénouement heureux, mais peu crédible, quand la fausse famille de Dheepan se retrouve en Angleterre, dépeinte comme un pays idéal pour l’intégration des immigrés et autres réfugiés.
Les deux autres distinctions raflées par le cinéma français concernent l’interprétation masculine et féminine : Vincent Lindon a, ainsi,  été récompensé pour sa maestria et son talent pour son rôle dans «La loi du marché» de Stéphane Brizé. Lindon a convaincu par son jeu sobre et discret, mais si présent dans la peau d’un chômeur en quête d’un emploi et qui, pour cela, supporte toutes les règles inhumaines de son nouveau boulot de vigile dans une grande surface  au détriment de toutes les valeurs humaines et morales.
Quant à Emmanuelle Bercot, à la fois réalisatrice et actrice, et dont le film «La tête haute» a ouvert le festival, elle a été récompensée pour son rôle dans «Mon Roi» de la réalisatrice française Maïwenn. Pourtant Margherita Buy dans «Mia Madre» n’a pas non plus démérité. Mais il semble que le jury, coprésidé par les frères Cohen, soit tombé, lors de cette édition, sous le charme du cinéma français.

Le  cinéma italien : le grand
absent du palmarès

Ce qui est étonnant  dans ce palmarès,  c’est l’absence totale du cinéma italien, qui, pourtant, a conquis la critique internationale et le public grâce, nous l’avons déjà dit, à deux grands films, le premier «Mia Madre» de Nanni Moretti qui a ému, entre rires et larmes, la Croisette en racontant l’histoire d’une réalisatrice dont la mère est mourante. Et Moretti en profite pour évoquer le rapport entre la réalité et la fiction, la mort. Des thèmes traités avec beaucoup d’humanité et de délicatesse et une grande  maîtrise de la mise en scène, cela sans compter  le jeu majestueux des acteurs.
Le second n’est autre que  «Youth» de Paolo Sorrentino qui, avec un grand sens de l’humour et de superbes plans magnifiquement filmés, évoque le passage du temps en mettant en scène deux artistes au bord de la retraite, interprétés par Michael Caine et Harvey Keitel. On ne comprend pas, donc, qu’aucun de ces deux opus qui ont emballé la Croisette ne figure au palmarès. Mais le jury a toujours ses raisons, n’est-ce pas ?
Le Grand Prix qui a été décerné à «Saul Fia» ou «Le fils de Saul» du Hongrois Laszlo Nemes est certes mérité mais on ne comprend pas que «Carol» quoique, conventionnel, soit complètement évincé du palmarès. D’ailleurs, on aimerait que les cinéastes arabes puissent traiter de leur cause avec la même force et la même maîtrise aussi bien dans la forme que dans le contenu. Précisons que ce film traite de la collaboration des juifs avec les Allemands dans les camps de concentration.
Mais le plus étonnant c’est de voir le prix de la mise en scène échoir à «The Assassin» du Chinois Hou Hsia-Hsien, un film d’arts martiaux esthétisant mais où, à l’exception des scènes de combat il ne se passe pratiquement rien.
Le coup cœur ou prix du jury a récompensé «Lobster» du Grec Yorghos Lanthinos, un film fantasmagorique et burlesque où des célibataires doivent se transformer en un animal de leur choix. Un prix encore plus surprenant  car ce film qui se veut une réflexion sur le couple et la solitude n’a emballé ni la critique ni le public du festival.
Le film «Carol» n’a pu rafler que le prix d’interprétation féminine en ex æquo pour Rooney Mara qui s’est distinguée dans le rôle d’une vendeuse new-yorkaise amoureuse d’une bourgeoise dans l’Amérique puritaine des années 50.
Le prix du scénario a récompensé l’Anglais Michel Franco, réalisateur de «Chronic», un film sur la maladie, la douleur et l’euthanasie. Car, «pour réussir un bon film, il faut une belle histoire, une belle histoire et une belle histoire», a certifié Alfred Hitchcock.
Enfin, rappelons qu’une palme d’honneur a été remise, sous les applaudissements nourris du public, à la réalisatrice Agnès Varda qui, émue aux larmes, a déclaré qu’elle reçoit cette palme comme «une palme de résistance». Mais il est clair que l’année 2015 du festival de Cannes a été l’année du cinéma français.