Retrovision
Chronique d’un quartier déshérité
Fi Samim (Dans le mille) l’émission qui, au
commencement, proposait, sur Ettounsia, des enquêtes d’investigation a, au fil
du temps, changé de fusil d’épaule, ou plus précisément de genre, versant dans le reportage. Ce qui ne veut point dire
que les téléspectateurs ont perdu au
change. L’avant-dernier reportage sur les Oukala, sises en plein centre de la
Médina de Tunis, a véhiculé des images plus que parlantes reflétant la
condition humaine misérable, de ces laissés
pour compte, chaque personnage pouvant être l’antihéros ou le héros pathétique d’un
roman, d’un film ou d’une pièce de théâtre.
Toutes ces séquences ont été filmées, certainement dans le
but de toucher et d’interpeller les uns et les autres, notamment les autorités
publiques et la municipalité de Tunis afin qu’elles daignent, enfin, aider ces
«damnés de la ville» et trouver quelques solutions aux multiples problèmes dont
ils souffrent. Des problèmes sanitaire, d’hygiène, de promiscuité, de logements
et de dénuement surtout. Mais, ces habitants d’oukala ne sont pas les seuls à
connaître de tels maux, puisque dans le dernier numéro de Fi Samim le
concepteur et présentateur Zouhaeir Letaeif a continué sur sa lancée en
promenant la caméra dans un quartier déshérité et réputé difficile, Hay Hllal, où
se sont regroupés des migrants du Nord Ouest, les Ouled Ayar.
Et on découvre, loin des préjugés, des personnages pétris
d’humanité vivant dans des conditions horribles, inhumaines, où le chômage, la
pauvreté, les semblants de logements insalubres, des gourbis en fait, la
promiscuité, la saleté, les immondices, les moustiques, sont leur lot
quotidien. D’où les vols, les rapines, l’addiction à l’alcool et à la drogue
dont souffrent des jeunes et moins jeunes. Des habitants du quartier, entre
femmes, hommes et enfants, ont témoigné regrettant qu’ils soient toujours «Les
éternels oubliés et laissés pour compte». Pourtant «Nous avons tant
espéré, a confié un ancien détenu, lors de la Révolution. Nous avons
tous voté pour Ennahdha, mais ce parti nous a ignoré et tourné le dos.
Pourquoi ? Ne sommes-nous pas des êtres humains, regardez dans quelles
conditions impossibles et insoutenables
nous vivons avec en sus l’injustice des forces de l’ordre, cela quand ils leur
arrivent de pénétrer dans le quartier… ». Car l’on saura, au fil du
reportage, que le poste de police est déserté par les policiers depuis deux
ans. Grave pour un quartier comptant des milliers d’habitants. En attendant ce
sont les séniors, sages du quartier, qui tranchent en cas de conflits ou de
tensions. Il est, par ailleurs, impossible de ne pas relever le témoignage
émouvant d’un petit écolier déplorant que «l’odeur nauséabonde des montagnes
d’ordures jouxtant l’école l’empêche, lui et ses camarades, de se concentrer».
Ce reportage vient relativiser les credo de certains
politiques, journalistes et membres de la société civile qui peuvent croire que
la liberté d’expression pourrait être une demande pressante de citoyens qui
vivent dans une misère noire. A preuve le témoignage d’un des habitants dépités
et très en colère de Hay Hllal: «Quelqu’un m’a dis réjouis toi, la
révolution nous a apporté la liberté
d’expression, j’ai répondu que je m’en contrebalançais
car elle ne me nourrira pas moi et mes enfants». Bref, dans leurs
propos, complaintes et chansons populaires la plupart de ces témoins paraissaient
désabusés, exaspérés, courroucés n’ayant plus du tout confiance en quiconque
parmi les politiques. Parmi eux le doyen du quartier, ancien militant de la
libération nationale qui a lancé furieux : «tous les politiques sont
des menteurs et cela depuis l’ère Bourguiba, tous, jusqu’à aujourd’hui, roulent
pour leur propre intérêt et jamais pour celui de la Tunisie».Mais
ce qui est sûr c’est que petits et grands ont montré beaucoup d’amour pour leur
fief qu’ils défendent bec et ongles. Ils
l’aiment et y reviennent toujours, même quand ils réussissent, tel un chanteur célèbre
de Mezoued. «Hay Hllel est un quartier comme un autre, il n’y a pas de
grandes délinquances, ni de crimes et même pendant la Révolution il n’a connu
aucun incident» explique un des aînés.
Le reportage a ainsi contribué à gommer quelque peu cette idée
reçue concernant ce quartier réputé infréquentable, mais aussi à mettre à nu la
réalité marquée par des conditions de vie très dures, inacceptables au 21ième
siècle. Toutefois, les propos des habitants de Hay Hllel seront-ils entendus, ces
derniers verront-ils leur situation s’améliorer ? Répondre à cette question est
difficile, quand on sait que, de par le pays, il y a tant de quartiers qui
connaissent la même misère contre laquelle s’est déroulée la Révolution. Il est
certain que, jusqu’ici , il n’y a ni planification, ni politique d’amélioration
des conditions de vie de ces gens-là qui n’ont en cure des palabres politiques a
fortiori quand rien n’a changé dans leur quotidien, malgré la Révolution de
tous les espoirs.
S.D.