jeudi 26 juillet 2012


Propos festivaliers

Saber Rebaï n’avait pas la pêche à Carthage



On l’appelle «Emir Ettarab», autrement dit le prince  du Tarab dont l’art secrète l’ivresse des sens grâce à une sorte d’alchimie entre la musique, les paroles et la voix. Or, Saber Rebaï, c’est de lui qu’il s’agit, a choisi de nous servir, dans son concert, jeudi dernier à Carthage, un tintamarre en guise de musique et de chant. Dés les premières notes, le ton était donné et les mélomanes savaient à quoi s’en tenir : le parti pris était on ne peut plus clair : balancer au public du  rythme toutes options, surtout façon «mezoued», et cela à une seule fin, provoquer les déhanchés sensuels, mais surtout saccadés de ses jeunes et moins jeunes fans. Mission accomplie, puisque sur les gradins aussi bien la gent féminine, voilée et non voilée, que la gent masculine étaient déchaînées et en transe sur fond de rythmes tapageurs générés par la panoplie d’instruments de percussion qui émaillait l’orchestre. A tel point qu’on se serait cru, à certains moments, dans un spectacle de Habbouba, puisque Saber Rebaï en est arrivé, en dirigeant l’orchestre, à reproduire, la gestuelle du Roi de la chanson pop tunisienne.

Bref, Pas un «Mawal», pas une romance, pas un solo instrumental digne de ce nom, pas un répit pour nos oreilles écorchées par une sono en diable, une véritable torture. Il est vrai que le raffut de l’orchestre et du public qui, au bord de l’hystérie, chantait et reprenait à tue tête ses vieux tubes permettait au dit «Prince du Tarab» de se reposer. Son passage au festival de Baalbek l’aurait-il, à ce  point, épuisé ou bien a-t-il cédé au postulat : «Ce que veut le public» ? Probablement les deux à la fois. En tous cas, pour l’art et le «Tarab», il faudra repasser. Les mélomanes déçus et étonnés par un concert qui, au lieu d’évoluer crescendo commence et s’achève dans le vacarme assourdissant de rythmes effrénés. A quoi sert une prestation qui ne secrète aucun moment fort, où le chanteur ne produit aucune performance, ne procure aucune émotion ? Pourquoi se déplacer pour le voir sur scène, ne vaudrait-il pas mieux se contenter d’écouter ses albums tranquillement chez soi, loin du tumulte de l’arène du théâtre romain ? La mission de Saber Rebaï consiste-t-elle à chanter ou se limite-t-elle désormais à faire danser le public sur fond de déclaration d’amour populiste et démagogique. Déclarer sur scène son amour au public, comme le font systématiquement les chanteurs égyptiens (c’est d’ailleurs leur fond de commerce) ne sert pas à grand-chose, si en contrepartie l’artiste ne fait rien pour satisfaire ce public qui n’est pas dupe, d’ailleurs. La meilleure manière de prouver son amour au public c’est de faire preuve de sincérité et se donner à fond afin de lui procurer ce plaisir et ce bonheur artistiques, sans lesquels tout récital ou autre spectacle demeure dénué de sens. Que gagnerait Saber Rebaï à poursuivre sur cette voie empreinte de complaisance à l’égard du public et hors des sentiers de l’art, sinon la banalité de concerts ordinaires et de surcroît tapageurs. Cela d’autant qu’il s’agit d’un festival aussi prestigieux que Carthage et qui exige, normalement innovation, créativité et performance. S’arc-bouter sur sa popularité pour sombrer dans la facilité n’assure pas la réussite et le succès. Vraiment, ce soir là, à Carthage, «ce chanteur arabe de premier rang», comme l’a qualifié le présentateur, n’avait vraiment pas la pêche.

S.D.

PROPOS FESTIVALIER- Par Samira DAMI

La performance de Sharrie Williams

 
«La princesse du Rockin’gospel blues», Sharrie Williams, a fait un passage inoubliable au Festival international de Hammamet, le lundi 15 juillet, sa voix rugueuse et puissante a enflammé les gradins du théâtre de Hammamet. Accompagnée de son quartet les Wiseguys, conduit par le lumineux guitariste James Owen, la chanteuse de blues a chanté sans tricher, avec ses tripes, faisant preuve d’une générosité sans pareille, contrairement à tant d’autres artistes mystificateurs. A travers ses succès, tels Blues Lover, Hard Drivin Woman, I’m So Blue, I’m on my way, I’m Here to Stay, elle révèle son style musical particulier imprégné de jazz, de blues et de gospel, mais foncièrement contemporain grâce aux accents musicaux  rocky. Des chansons qu’elle a écrites elle-même, pour la plupart, et qui racontent son enfance, la drogue, la tristesse et la souffrance. 
L’enseignement à tirer de ce concert n’est autre que le don de soi et la performance sur scène, sans tromperie ni facétie. Certes, Sharrie a chanté devant des gradins à moitié pleins, mais c’était comme si elle chantait pour des milliers de spectateurs. Car, nous l’avons déjà dit, ce qui différencie un album d’un concert en live c’est la prouesse vocale de l’artiste et la prouesse de l’orchestre qui l’accompagne. Ce qui est sûr, c’est que le public présent, ce soir-là, n’a pas été déçu, la chanteuse de jazz ayant forcé l’admiration de tous grâce non seulement à son art, mais aussi à sa capacité de communication. Réussissant, ainsi, à créer cette communion, tant souhaitée, par tout artiste digne de ce nom. Le concert de la pétillante jazz-woman est une leçon adressée à tous les artistes qui dupent leur monde par des non- prestations où prédominent la facilité et le non-respect du public.

Dieudonné : rendez-nous l’amour du prochain!
Bête de scène, comédien hors pair, Dieudonné M’bala M’bala était parmi nous le mardi 16 juillet où il a donné l’ultime de son spectacle, Rendez -nous Jésus, sur la scène du Festival international de Hammamet, qui a fait un tabac là où il est passé. Il faut dire que l’humoriste français très controversé, car accusé d’antisémitisme et de racisme, ne laisse personne indifférent. Interdit par les médias français, il a été également privé du circuit traditionnel de diffusion, soit les théâtres officiels, se produisant dans son théâtre, La main d’or, et sur des scènes de fortune, dans des champs, des autocars et autres. Interdit au Canada et en Belgique, il a vu, en mai dernier, son spectacle stoppé net, en son beau milieu, par la police belge à Bruxelles. D’où sa réplique spontanée  improvisée quand il a entendu la sirène d’une voiture de police dont le son est parvenu jusqu’à la scène : «Ils viennent pour moi, je suis habitué maintenant». Ce qui a provoqué l’hilarité des spectateurs tunisiens et français venus en très grand nombre.
 Le boycott institutionnalisé en France et ailleurs en Europe semble l’attrister et le faire souffrir. Puisqu’il ne peut s’empêcher d’en parler aussi bien dans son spectacle que, dans la foulée, lors du point de presse : «On dit que les pays d’Occident sont éclairés, mais la censure existe et la liberté d’expression est en danger, mon spectacle arrêté par la police à Bruxelles en est un exemple vivant. Je n’ai pas pu donner ce spectacle à Tunis en 2010, malgré sa programmation, suite à des pressions du maire de Paris, Bertrand Delanoë, qui a appelé l’ancien président Ben Ali pour l’interdire...Et de citer le lobby sioniste français qu’il qualifie “d’extrêmement hargneux et belliqueux à son égard, ayant de surcroît les moyens de faire pression sur les politiques français”, le président du Crif (Conseil représentatif des institutions juives de France), le patron de la France  qui veille au grain contre toutes critiques à l’encontre des juifs et des sionistes», raille-t-il «Sinon comment expliquer, glisse-t-il, qu’on  jette des excréments à la face d’un personnage incarnant Jésus, dans une pièce donnée, l’année dernière, au Théâtre du Châtelet à Paris, qu’on publie des caricatures contre le prophète des musulmans et qu’on permette des productions et interventions islamophobes, mais que l’on crie au scandale dès qu’on parle de juifs et de sionistes. C’est là une liberté d’expression à deux vitesses».
 La censure, D.S.K. et l’affaire Nafissatou Diallo, «les élections françaises qui ne changent pas grand-chose à la réalité, car que ce soit la droite ou la gauche, elles s’entendent toujours sur le dos des faibles», B.H.L., Sarkozy, Obama et d’autres, c’est avec ces personnages et faits  de l’actualité que l’humoriste français entame son spectacle avant d’entrer dans le  vif du sujet : comment Jésus est-il vu par les musulmans, les chrétiens et les juifs ? Comment est-il perçu par un Africain, le vieux Oképi qui est la réincarnation de Jésus, un Chinois, un Américain, un prêtre, un ado français d’origine maghrébine, un musulman... ? C’est dans une émission de débat avec tous ces protagonistes qu’un journaliste politiquement correct nous fera découvrir la vision de chacun... Et c’est parti pour une heure 30 minutes de rires où l’on se gausse de cette galerie de personnages, très cocasses, merveilleusement campés par le satiriste, et qui, dans leur majorité, n’ont rien compris au message du Christ, pourtant si simple, si humain et si philanthropique : «Aimez-vous les uns les autres». Message rejeté et dénié par les marchands du temple «Qui étaient, déjà la Bande à D.S.K. et au FMI », cogne Dieudo. Au lieu de l’amour comme l’a prêché Jésus Christ, ce sont la haine et l’injustice qui ont triomphé.
Riant, dans ce stand-up, de tous  ces gens, par lui convoqués, quelques que soient leur origine ou leur religion, l’humoriste politique engagé qui «ne parle pas des machines à laver», qui ne s’est pas soumis au show-biz, assène ses propres vérités, afin de pousser au débat, voire à la polémique, en traitant de tout ce qui dérange et trouble l’ordre mondial établi qui sert  les intérêts des plus forts. Il veut rire de tout sans tabous, ni censure, estimant que la liberté d’expression est totale ou n’existe pas. A preuve le public hilare en redemandait de ces répliques au vitriol teintées d’humour sarcastique. Mais le show était si court que nous sommes restés sur notre faim, dans l’attente de nous rassasier davantage lors du prochain spectacle de Dieudonné intitulé, Fox trot qui nous renvoie au rêve américain et qui sera probablement donné sous nos cieux.

jeudi 19 juillet 2012

Entretien avec Samir Taeïb- Un Front rassembleur pour les prochaines élections

Un large front rassembleur pour les prochaines élections
 Universitaire, constituant, et porte-parole du parti la Voie démocratique et sociale, El Massar, Samir Taïeb, figure connue du paysage politique tunisien, est partisan du rééquilibrage des forces politiques à travers la constitution de Fronts politiques, civils et démocratiques. Et ce, afin que l’opposition ne se présente pas en rangs dispersés aux prochaines élections. C’est pourquoi il ne voit pas du tout d’un mauvais œil l’alliance de son parti avec Nida Tounès, mais pas au point de s’y fondre. Dans cet entretien, Samir Taïeb, qui joue les premiers rôles à El Massar, et peut-être un peu plus après le prochain congrès de son parti prévu en octobre, ne mâche pas ses mots et use, comme toujours, de son franc - parler, en s’adonnant, de bonne grâce, au jeu des questions - réponses. Nous l’avons interrogé sur les transfuges d’El Massar vers Nida Tounès, sur ce qui bloque le travail des constituants de l’ANC, la motion de censure déposée contre le gouvernement, le paysage politique et les prochaines élections, le congrès d’Ennahdha, les menaces qui pèsent sur la démocratie naissante, sur les salafistes et les libertés... Entretien.

Les transfuges de votre parti vers Nida Tounès ont affirmé que seul le parti de Béji Caïd Essebsi est capable de faire contrepoids à Ennahdha, qu’en dites-vous ?
D’abord je pense que seul un large front politique, civil et démocratique est à même d’assurer un équilibre politique et le choix d’El Massar, c’est justement d’aller dans le sens de cette alliance. Mais, cela tout en gardant notre autonomie, identité et spécificité en tant que parti à la gauche de Nida Tounès. Je pense que l’idée de la constitution d’un front nous a semblé la plus appropriée. Ce qui permettra à l’initiative d’être plurielle et de prôner des objectifs politiques définis au préalable. Donc, un large front politique est différent d’une simple alliance électorale : il s’agit d’une plateforme politique et d’actions communes. Le tout couronné par des listes communes pour les prochaines élections. Je pense que la future bataille d’ El Massar c’est d’ancrer cette idée de front rassembleur au-delà de Nida Tounès, en favorisant la fédération d’autres forces politiques. Il est, par exemple, important que cette frange s’organise et ne se présente pas en rangs dispersés afin que lors des prochaines élections 3 ou 4 grandes familles politiques se présentent au suffrage du peuple.
Peut-on avoir une idée des programmes politique et économique d’El Massar ?
Pour nous, le dénominateur commun qui doit nous réunir pour adhérer à ce front n’est autre que la sauvegarde de la Tunisie et du modèle tunisien, le positionnement politique et économique est à reporter à d’autres échéances. L’important c’est de défendre les acquis de la Tunisie qui remontent à 3.000 ans : de la constitution de Carthage dont Aristote a fait l’éloge jusqu’au droit acquis de la femme tunisienne, en passant par l’abolition de l’esclavage, la conquête du territoire grâce à la construction de l’Etat, etc. Ce sont là tous nos acquis et nous voulons les défendre. Donc, pour nous aussi, les droits sociaux et syndicaux ainsi que les libertés que nous venons d’acquérir grâce à cette Révolution, comme la liberté d’expression, de presse et autres, doivent être maintenus et consolidés. Ce que j’appelle le front tunisien, c’est la défense du modèle tunisien.
Suffit-il de faire de pareilles alliances pour convaincre les Tunisiens?
Avant le 23 octobre, je me rappelle qu’on avait des difficultés à défendre les principes de modernité du pôle démocratique. Dans les mosquées et  dans la presse d’Ennahdha, on a été traités de tous les noms et je pense que des personnalités de la trempe de Béji Caïd Essebsi peuvent nous aider en jouant le rôle d’arbitre.
Béji Caïd Essebsi se contentera-t-il de jouer le rôle d’arbitre?
Caid Essebsi n’est pas, à nos yeux, un chef de parti, mais un fédérateur. Il peut, donc, jouer le rôle d’arbitre et de catalyseur de toute la dynamique autour de la défense des acquis du pays. 
N’a-t-il pas d’autres ambitions ?
Je ne peux pas répondre à sa place, moi je dis qu’il est le meilleur pour jouer ce rôle. Maintenant, qu’en sera-t-il de Béji Caïd Essebsi, chef de parti? Seul l’avenir nous le dira.
Plus clairement, pensez-vous qu’il va se présenter à la prochaine élection présidentielle ?
Tout dépendra de lui ainsi que des dispositions constitutionnelles qui vont limiter l’âge du président. Déjà dans certains projets présentés au sein de la Commission des pouvoirs exécutif et législatif et la relation entre eux, dont je suis membre, il est énoncé que l’âge minimum est de 40 ans et l’âge maximum est de 75 ans. Donc, à vous de tirer les conclusions. 
Est-ce vrai que les femmes ne pourront pas être candidates à la présidence de la République comme le prétend la rumeur?
Franchement et honnêtement, ce n’est pas vrai. Cette question ne s’est jamais posée et dans le projet, il est stipulé que le président peut être un Tunisien ou une Tunisienne.
Expliquez-nous, maintenant, pourquoi une frange du parti 
El Massar l’a quitté ? 
Ceux qui ont quitté le parti considèrent qu’il faut que tout le monde s’intègre dans Nida Tounès. Or, nous considérons qu’un front pluriel est plus important et plus efficace que des partis qui fusionnent. Nos adhérents ou ceux du parti El Joumhouri ne sont pas ceux du parti de Béji Caïd Essebsi. Cette perspective est la meilleure réponse à nos divisions. Mais en même temps, il ne faudrait pas qu’il y ait l’hégémonie d’un parti sur un autre. Avec El Joumhouri, nous partageons la même idée : marquer notre territoire et coordonner avec les réseaux citoyens, les dissidents d’El Joumhouri, le parti Kolna Tounès, le groupe de Khémaïs Ksila et autres. Nous sommes prêts à renforcer ce large front pluriel afin de garder les mêmes chances de succès lors des prochaines élections.
Mais ceux qui ont rejoint Nida Tounès vous reprochent l’absence de débat et de concertation au sein du parti.
Au contraire, des gens de l’extérieur d’Ettajdid nous reprochaient l’inflation de débats. A preuve, deux semaines après l’organisation du congrès, nous avons entamé le processus d’unification avec le Parti du travail tunisien, (PTT) on était ouvert sur tous les fronts mais ceux qui ont quitté El Massar veulent chercher la petite bête pour justifier et trouver des arguties à leur départ. C’est leur affaire. Mieux, la participation de Ahmed Brahim, alors président d’Ettajdid au gouvernement de Mohamed Ghannouchi n’a pas causé de crise comme dans les autres partis et nous n’avons enregistré aucune défection. Et si c’était à refaire on le referait, parce que nous avons longuement discuté de cette décision nécessaire pour assurer la continuité de l’Etat. L’un des mérites de Mohamed Ghannouchi, c’est d’avoir assuré la transition démocratique qui se fait avec l’ancien et le nouveau. La plus grande transition du 20e siècle s’est faite en Afrique du Sud, les victimes et les bourreaux ont assuré ensemble la transition démocratique. La courageuse décision  de participer au gouvernement Ghannouchi a été prise à l’unanimité. Toutes les décisions prises depuis la révolution jusqu’à aujourd’hui sont importantes. Et c’est dans l’échange et le débat, tout au long de notre Congrès, que nous sommes passés à un autre stade en ce sens que nous prônons le rassemblement tous azimuts.
D’aucuns reprochent à votre parti d’être un parti de salon, surtout par manque de travail sur le terrain...
Il y a du vrai, car après le congrès d’Ettajdid, on s’est occupé de l’unification à l’intérieur d’El Massar. On fait un travail de restructuration interne. Mais, à partir de cet été et dans la perspective de la préparation de notre prochain congrès qui aura lieu en octobre prochain, nous allons effectuer une série de tournées à l’intérieur de la République pour justement faire connaître El Massar et aller à la rencontre et au contact direct des citoyens.
Et si on vous attaquait comme on l’a fait pour d’autres partis? 
Nous apprendrons à défendre notre liberté. Les attaques et agressions sont antidémocratiques et honteuses. Chacun doit disposer de sa liberté de réunion et d’expression.
Quelles sont les principales décisions prises au sein de l’Assemblée constitutive d’El Massar ? 
La décision essentielle a consisté à considérer qu’El Massar n’est pas une fin en soi. Le parti El Joumhouri et nous-mêmes devons aller au-delà et ne point tomber dans l’autosatisfaction. Aujourd’hui, le paysage politique est tel qu’il ne faut pas s’arrêter en si bon chemin, mais faire en sorte d’œuvrer pour son  rééquilibrage. 
Justement, comment jugez-vous le paysage politique tunisien? 
Je vais retourner en arrière pour dire que la Tunisie a connu à travers son histoire, depuis l’indépendance, trois types de systèmes de partis: de 1956 à 1963, on a vécu un multipartisme colonial avec les archéos, le Néo-Destour et le Parti communiste. Depuis 1963, sous Bourguiba, on a vécu sous le régime du parti unique de fait. Sous Ben Ali, on a basculé dans le système du parti hégémonique avec autour des partis satellitaires de décor. Aujourd’hui, on constate les prémices d’un retour à un système de parti hégémonique, qui exerce la totalité des pouvoirs, avec autour des partis dérivés qui sont ces alliés et d’autres partis morcelés qui constituent l’opposition. C’est par définition le modèle du parti hégémonique. Si la situation politique ne change pas, c’est vers ce système qu’on se dirige à grands pas et si on n’arrive pas, dans les plus brefs délais, à rééquilibrer le paysage politique et à transférer le système de partis, d’un système de partis hégémoniques vers un système de partis réellement multipartisans,c’est la porte grande ouverte au retour de la dictature, sous quelque forme que ce soit.
Qu’est-ce qui cloche et entrave une marche à pas sûrs vers la démocratie ?
Quand on voit que nous avons des institutions postrévolutionnaires nouvellement créées, comme la présidence de la République, l’Assemblée  nationale constituante et même des instances comme l’Isie, l’Inric, qui n’arrivent pas à marquer leur territoire et à fonctionner et qu’en revanche, nous vivons tous les jours les interventions d’une personne comme Rached Ghannouchi qui n’a aucun rôle institutionnel, pour résoudre une crise entre la présidence et le gouvernement ou une crise au sein du gouvernement ou encore une crise à l’ANC, c’est dire que les institutions ne fonctionnent pas et que ce sont des acteurs a-institutionnels qui les remplacent pour nous faire croire qu’elles fonctionnent.
Pourquoi en est-on arrivé là ?
Je considère que le gouvernement et, derrière lui, le mouvement Ennahdha sont obnubilés par leur victoire et la légitimité démocratique. Ils oublient que nous sommes entrés dans une phase où c’est plutôt la légitimité consensuelle qui devrait être de mise. Nous sommes dans le dernier virage de la vie de ce gouvernement et  les échéances qui concernent les Tunisiens doivent être réglées par le biais d’un consensus.
Ennahdha et la Troïka peuvent vous répondre : «Nous avons gagné les élections et c’est normal que nous gouvernons».
Maintenant, le gouvernement a montré que malgré sa légitimité démocratique, il n’a pas trouvé de solutions ni aux problèmes du chômage, ni des martyrs et blessés de la Révolution, ni du déséquilibre régional, ni de la liberté de la presse, ni des élections, puisqu’aucun calendrier n’a été mené à son terme...Cela prouve que le gouvernement a besoin de concertation et de dialogue avec toutes les composantes économiques, sociales et politiques du pays. C’est pourquoi nous nous sommes, d’ailleurs, réjouis de l’initiative de l’Ugtt qui pose les jalons d’une concertation nationale. Or, c’est le gouvernement qui aurait dû faire cette proposition. La centrale syndicale a constaté qu’il était de sa responsabilité et dans l’intérêt général du pays de mettre en place un dialogue à l’échelle nationale.
Mais, jusqu’ici rien, aucun dialogue n’a été mis en place...
Je pense que l’initiative de l’Ugtt commence à prendre forme, c’est le sens de la rencontre qu’Ahmed Brahim et Maya Jeribi  ont eue avec le secrétaire général de l’Ugtt qui les a informés de la mise sur pied d’un certain nombre de commissions conjointes entre le gouvernement et les représentants de la société civile et la Ligue des droits de l’Homme, notamment la commission de l’Instance supérieure indépendante des élections (Isie).
Justement vous avez déclaré dans un média de la place que la bataille à mener maintenant concerne la mise en place d’une Isie indépendante...
Bien entendu, quand on dit qu’il est temps qu’on passe à une nouvelle légitimité constitutionnelle et institutionnelle pour la fixation d’une date pour les élections, il est nécessaire que dés aujourd’hui on mette en place l’Isie. Nous espérons que les choses vont s’accélérer avec la création de la commission de mise en place de l’Isie. 
Pensez-vous que les élections peuvent avoir lieu aux dates de mars ou avril 2013 proposées par le gouvernement et le président de l’ANC ? 
La date proposée qui va du printemps à l’été 2013 n’est pas réaliste, car si l’on tient compte des normes internationales, il faut au moins, huit mois pour préparer les élections. Donc, le plus plausible et logique c’est que les élections se tiennent à l’automne 2013. 
Pensez-vous qu’il y aura des élections vraiment indépendantes et démocratiques ? 
Je pense qu’on ne peut plus revenir en arrière et que les Tunisiens qui ont goûté à la liberté de choisir leurs représentants ne vont plus accepter qu’une tierce partie vienne les priver de leur libre choix et arbitre. Maintenant, toutes les tentatives faites au niveau des désignations, entre délégations et gouvernorats, aspirent juste à influencer d’une façon indirecte le choix des Tunisiens. D’ailleurs, concernant l’Isie II, elle ne sera pas en deçà de ce qu’a été l’Isie I, et selon le rapport des observateurs nationaux et internationaux, cette instance ne peut être que perfectionnée.Toute tentative de mettre en place un système au rabais est vouée à l’échec. L’Isie ne doit pas être politisée, il faut créer une instance neutre à l’égard de tous les partis politiques.
Pour quel régime politique opteriez-vous? 
Nous sommes pour un régime mixte qui tient compte de la volonté des électeurs quand ils choisiront la majorité qui va gouverner, et l’élection d’un président au suffrage universel va renforcer le système démocratique, car le président veillera à l’unité du pays, à la pérennité de l’Etat et à la continuité du système démocratique.
D’après vous, pourquoi le mouvement Ennahdha tient-il tant au régime parlementaire ? 
La lecture qu’a Ennahdha du régime parlementaire est très classique. Aujourd’hui, tous les régimes parlementaires qui optent en même temps pour l’élection du président de la République au suffrage universel relèvent du système primo-ministériel. Donc, c’est le Premier ministre issu d’une majorité parlementaire qui mène la politique publique avec l’aide d’un gouvernement, alors qu’en face, le président élu au suffrage universel garantit justement la continuité et la permanence du régime démocratique.
Les Tunisiens reprochent aux constituants de ne pas avoir, jusqu’à aujourd’hui, écrit une seule ligne de la Constitution, que répondez-vous ? 
Au contraire, notre travail avance sûrement, les débats portent sur le système à choisir. Une fois que l’on s’entend sur le contenu concernant les pouvoirs exécutif, législatif, judiciaire, les instances indépendantes, les droits et libertés, il ne restera que la rédaction. Et si le travail conceptuel nécessite 6 à 8 mois, la rédaction n’exigera que 2 ou 3 semaines.
Quelles sont les questions qui bloquent une avancée plus rapide du travail des constituants ?  
Au départ, la question de la charia, ainsi que celles des libertés et leur place dans la Constitution, des organes administratifs indépendants, du régime politique. Si vous prenez la Commission des pouvoirs exécutif et législatif et de la relation entre eux, je vous dirais que nous sommes d’accord à 80% sur les contours. Mais c’est la question du système de l’élection du président de la République soit par le peuple, soit par le parlement qui nous bloque. 
Peut-on concevoir des élections sans des instances indépendantes de régulation et de contrôle, telles l’Instance nationale pour la réforme de l’information et de la communication (Inric) et la Haïca (Haute autorité indépendante de la communication audiovisuelle) ?
Moi, je dirais à qui profite l’autodissolution de l’Inric. Je considère que ni le gouvernement, ni les partis politiques, ni les Tunisiens ne peuvent sortir vainqueur, dans ce rapport de force entre les professionnels, leurs représentants, les instances indépendantes et le gouvernement. Il faut, une fois pour toutes, que ce gouvernement admette que la presse écrite et audiovisuelle doit être libre, qu’il s’agisse d’un organisme public ou privé, et doit cesser toute ingérence et  comprendre que les médias publics ne sont pas gouvernementaux et que les médias privés ne peuvent pas être amadoués par l’argent et la publicité et qu’actuellement, le seul acquis de cette révolution, c’est la liberté d’information. C’est ce qu’on a gagné de la Révolution jusqu’à aujourd’hui. Or, fragiliser ce secteur, c’est fragiliser la Révolution tunisienne. L’existence d’un organisme de régulation des médias écrits et audiovisuels est une garantie fondamentale pour le plein exercice de l’information et de la presse. Sans cela, on retournera à la case départ et à une information domestiquée.
Nous avons appris que dans la Commission des droits et libertés l’un des projets concernant la presse et la création artistique limite leur liberté. Est-ce vrai ?
Il paraît que le projet présenté par Ennahdha à la Commission des droits et libertés stipule que la liberté de la presse et de création artistique est limitée par le respect de l’ordre public et les bonnes mœurs.Si l’on sait que la presse et les arts ne peuvent vivre et évoluer que librement, je pense que de telles dispositions constituent de véritables contraintes à la liberté d’expression et de création.
La motion de censure qu’un groupe de constituants a déposée contre le gouvernement ne passera pas après le retrait de deux signatures. Quelle est votre réaction ? 
La motion de censure que nous avons décidé de présenter contre le gouvernement a requis le nombre de signatures nécessaires, puisqu’on a déposé une motion avec 74 signatures. Mais une pression amicale du président de l’ANC, Mustapha Ben Jaâfar, a contraint deux des quatre constituants à retirer leurs signatures. Néanmoins sur un plan purement juridique, aucun retrait de signature n’est possible après le dépôt de la motion de censure pour  justement fermer la porte à toute forme de pression. A titre d’exemple, le règlement intérieur de l’Assemblée nationale française interdit tout retrait de signature après le dépôt. Et, donc, nous considérons que notre motion de censure est valable sur le plan juridique, et nous allons pousser pour faire en sorte qu’elle soit discutée. Une délégation des présidents des groupes parlementaires signataires de la motion de censure va rencontrer le président de l’ANC afin de lui expliquer ce point. Nous nous réunirons, ensuite, de nouveau pour décider de la suite à donner à cette question.
Actuellement se déroule à Tunis le congrès d’Ennahdha. Comment jugez-vous cet important événement ? 
Je pense que la forme a été privilégiée sur le fond. Nous avons vu un grand show et une démonstration de force politique avec plus de mille congressistes et plusieurs invités étrangers pour imprégner les esprits et laisser entendre que c’est l’unique force politique du pays. C’est une grande opération de Com. Les militants d’Ennahdha continuent de dire qu’ils gagneront les élections à plus de 50% et considèrent qu’il est de l’intérêt de leur parti et du pays que Rached Ghannouchi demeure à la tête d’Ennahdha, moi je leur réponds: qu’il reste pour l’intérêt de leur mouvement, oui, mais pas pourquoi pour l’intérêt du pays. Parler ainsi, c’est continuer à affaiblir les institutions et saper l’Etat de droit. J’ai, également, constaté des contradictions dans le discours de Rached Ghannouchi à l’ouverture du congrès, car d’un côté il parle de la nécessité du consensus, et de l’autre, il évoque la Troïka comme un modèle positif et exemplaire. En tout cas, ce congrès devrait être une occasion pour qu’Ennahdha clarifie ses positions sur la question de la nature de l’Etat en disant clairement si elle est pour l’Etat civil ou non, et sur le principe de l’alternance.
En tant qu’universitaire comment jugez-vous le procès intenté au doyen de la faculté des Lettres de la Manouba Habib Kazdaghli ?
Le procès intenté au doyen H. Kazdaghli est une atteinte grave à la liberté académique. Le fait de traîner en justice un doyen élu démocratiquement par ses pairs est une honte pour la Révolution tunisienne. Jamais sous Ben Ali un doyen n’a été humilié de la sorte.
Les salafistes ont pratiquement disparu, où sont-ils passés, selon vous ?
Ils ont disparu parce que les forces de l’ordre ont eu le feu vert pour traiter avec tous ceux qui se mettent hors la loi. C’est ce que nous avions demandé, et le ministre de l’Intérieur également, depuis le mois de mars. On voit le résultat aujourd’hui : les salafistes ont pratiquement disparu de la scène politique. Nous sommes dans une phase de flux et reflux entre salafistes et forces de sécurité. Ces derniers devraient, désormais, protéger les libertés des Tunisiens et des Tunisiennes contre tous ceux qui voudraient porter atteinte à ces acquis. Si, depuis 4 mois  on avait pris la décision de dissuader ces gens-là, on aurait certainement sauvé la saison touristique et donné une meilleure image de la Tunisie après la Révolution.
Mais, ils viennent de se manifester en agressant Néjib Chebbi, le président du bureau politique du parti El Joumhouri, et contre des chômeurs qui manifestaient.
Cela prouve que les forces de l’ordre ne doivent pas baisser les bras. De leur côté, Ennahdha et son chef  doivent adopter une position claire et cesser d’affirmer que «le problème n’est pas le salafisme, mais les résidus de l’ancien régime». Concernant l’agression de Néjib Chebbi, nous condamnons toute forme de violence et exprimons notre entière solidarité. Nous appréhendons, enfin, ce phénomène de la violence, qui est le plus grand danger que connaît actuellement notre pays et pourrait bloquer tout le processus démocratique. C’est pourquoi les forces de sécurité doivent être fermes et maintenir la vigilance pour combattre ce phénomène.
Auteur : Propos recueillis Par Samira DAMI
Ajouté le : 17-07-2012

Propos festivaliers. Saber Rebaï n'avait pas la pêche

 Par Samira DAMI
On l’appelle «Emir Ettarab», autrement dit le prince  du tarab dont l’art sécrète l’ivresse des sens grâce à une sorte d’alchimie entre la musique, les paroles et la voix. Or, Saber Rebaï, c’est de lui qu’il s’agit, a choisi de nous servir, en guise de concert, jeudi dernier à Carthage, un tintamarre en guise de musique et de chant. Dès les premières notes, le ton était donné et les mélomanes savaient à quoi s’en tenir : le parti pris était on ne peut plus clair : balancer au public du  rythme toutes options, surtout façon «mezoued», et cela à une seule fin, provoquer les déhanchés sensuels, mais surtout saccadés de ses jeunes et moins jeunes fans.
Mission accomplie, puisque sur les gradins aussi bien la gent féminine, voilée et non voilée, que la gent masculine étaient déchaînées et en transe sur fond de rythmes tapageurs générés par la panoplie d’instruments de percussion qui émaillait l’orchestre. A tel point qu’on se serait cru, à certains moments, dans un spectacle de Habbouba, puisque Saber Rebaï en est arrivé, en dirigeant l’orchestre, à reproduire la gestuelle du Roi de la chanson pop tunisienne.
 Bref, pas un «mawal», pas une romance, pas un solo instrumental digne de ce nom, pas un répit pour nos oreilles écorchées par une sono en diable, une véritable torture. Il est vrai que le raffut de l’orchestre et du public qui, au bord de l’hystérie, chantait et reprenait à tue-tête ses vieux tubes permettait audit «Prince du Tarab» de se reposer. Son passage au festival de Baalbek l’aurait-il, à ce  point, épuisé ou bien a-t-il cédé au postulat : «Ce que veut le public»? Probablement les deux à la fois. En tout cas, pour l’art et le «tarab», il faudra repasser.
Les mélomanes déçus et étonnés par un concert qui, au lieu d’évoluer crescendo, commence et s’achève dans le vacarme assourdissant de rythmes effrénés. A quoi sert une prestation qui ne sécrète aucun moment fort, où le chanteur ne produit aucune performance, ne procure aucune émotion ? Pourquoi se déplacer pour le voir sur scène, ne vaudrait-il pas mieux se contenter d’écouter ses albums tranquillement chez soi, loin du tumulte de l’arène du théâtre romain ? La mission de Saber Rebaï consiste-t-elle à chanter ou se limite-t-elle désormais à faire danser le public sur fond de déclaration d’amour populiste et démagogique. Déclarer sur scène son amour au public, comme le font systématiquement les chanteurs égyptiens (c’est d’ailleurs leur fonds de commerce), ne sert pas à grand-chose, si en contrepartie l’artiste ne fait rien pour satisfaire ce public qui n’est pas dupe, d’ailleurs. La meilleure manière de prouver son amour au public c’est de faire preuve de sincérité et se donner à fond afin de lui procurer ce plaisir et ce bonheur artistiques, sans lesquels tout récital ou autre spectacle demeure dénué de sens.
Que gagnerait Saber Rebaï à poursuivre sur cette voie empreinte de complaisance à l’égard du public et hors des sentiers de l’art, sinon la banalité de concerts ordinaires et de surcroît tapageurs. Cela d’autant qu’il s’agit d’un festival aussi prestigieux que Carthage et qui exige, normalement, innovation, créativité et performance. S’arc-bouter sur sa popularité pour sombrer dans la facilité n’assure pas la réussite et le succès. Vraiment, ce soir-là, à Carthage, «ce chanteur arabe de premier rang», comme l’a qualifié le présentateur, n’avait vraiment pas la pêche.

mercredi 11 juillet 2012

Propos festivaliers- Isteftah à Carthage: la relève est assurée

 Par Samira DAMI
 Le public nombreux, parmi lequel beaucoup de figures politiques aussi bien du gouvernement que  de l’Assemblée nationale constituante, qui s’est déplacé au Théâtre romain de Carthage ne l’a sûrement pas regretté, tant il a été enchanté par la qualité du concert d’ouverture bien nommé : Isteftah.  Lequel a été offert par plus d’une centaine d’artistes, entre musiciens et chanteurs, sous la férule de l’homme-orchestre Zied Gharsa, une grosse pointure de la musique et de la chanson tunisiennes dont le savoir-faire et le talent ne sont plus à prouver. Ce soir-là, il dirigea de main de maître la troupe qui accompagna l’Ensemble vocal très particulier composé d’artistes parmi les plus belles voix que compte le pays tels Lotfi Bouchnaq, Noureddine Béji, Hsan Dahmani, Leïla Hjaeij et tant d’autres. C’est que le concept de ce spectacle, dédié aux aînés et particulièrement  au regretté Ali Riahi à l’occasion de son centenaire, se veut rassembleur des différentes générations les réunissant autour d’un des meilleurs crus de notre patrimoine de musique et de chant : le malouf mais aussi le legs artistique d’un des meilleurs auteurs, chanteurs et compositeurs de l’histoire de la chanson tunisienne. Legs dont de nombreux  succès ont été interprétés avec ingéniosité par la grâce et l’expérience des chanteurs confirmés formant la chorale, la fougue et l’énergie des jeunes voix, entre duos et solos, et enfin  la maîtrise des instrumentistes dont plusieurs jeunes talents. Que veut le peuple ?
L’image est, donc, inédite et éloquente : quand on voit les «Seniors», même s’ils n’étaient pas tous là, donner la réplique aux «Juniors» avec la modestie et l’humilité, dont seuls les grands sont capables, n’hésitant pas à les applaudir chaleureusement à chaque belle saillie vocale. Quand on voit de jeunes instrumentistes, tel   le luthiste Béchir Gharbi, se distinguer par sa technicité et son inventivité dans un bref solo. Quand on se plaît à apprécier des voix montantes comme Soufiane Zaïdi, qui a été bissé tant il a convaincu dans Zina ya bent El Henchir, Asma Ben Ahmed et Marwane Ali, excellents dans Fi Dhaou El Koumaira, Maryam Kahlaoui et Ahmed Ifrit dans Ma habitch, on ne peut que se rassurer : la relève est bel et bien assurée et on ne peut que se réjouir et applaudir. Cette photo de  famille est d’autant plus la bienvenue que les arts, en général, sont confrontés, dans cette conjoncture, aux problèmes de l’obscurantisme et du fanatisme ambiants. On pourrait reprocher, hélas, à ce spectacle sa longueur, car après deux heures, il est difficile de retenir davantage l’attention des spectateurs, qui, d’ailleurs, ont commencé à quitter les gradins vers minuit. Tous les grands shows et spectacles de par le monde ne dépassent presque jamais les deux heures. Le maître d’œuvre aurait dû donc opérer le «Cut final», comme on dit dans le langage cinématographique, à minuit tapante, afin que les artistes ne quittent pas la scène devant des gradins commençant à se vider. Dorénavant ça devrait être la règle et la norme. 
In fine, cette ouverture 100% made in Tunisia prouve, nostalgie mise à part, que notre patrimoine est si beau, si riche qu’on ne se lassera jamais de l’écouter, a fortiori quand il est bien interprété avec ce supplément d’âme nécessaire, comme ce fut le cas jeudi dernier à «Carthage». Mais il faudrait savoir, aussi, qu’on peut explorer ce patrimoine pour le recréer, le réinventer afin de ne pas se contenter de le ressasser. Car, en fait, rien ne se perd, rien ne se crée, tout se transforme.

 Et leur part d’horizon musical et festif ?
Tous les Tunisiens ne peuvent pas, pour différentes raisons, faute d’argent, de transport ou autres, fréquenter les différents festivals  du pays, car se déplacer à Carthage, Hammamet, El Djem et autres suppose un petit pactole. Que faire alors ? Va-t-on priver de spectacles ceux qui ne peuvent s’offrir l’art et la culture ? Assurément non. Pourquoi ne pas opter pour l’animation de rue dans chaque quartier en invitant à travers l’échange culturel des troupes de musique et d’arts populaires de la Tunisie profonde, du Maghreb et d’Afrique, ainsi que d’Occident et autres.
Mieux, pourquoi ne pas consacrer une ou plusieurs journées du mois de juillet à une sorte de fête de la musique, comme celle fêtée de par le monde, le premier jour de l’été, soit le 21 juin. De passage à Paris nous avons assisté à cette fête : d’un quartier, d’une place, d’une rue à l’autre, sur des scènes improvisées ou montées comme c’était le cas au parc de Denfert Rochereau, sur le parvis de Beaubourg, ou encore à la place Saint-Michel, Saint Germain des Prés ou à Montmartre, le public parisien et autre venu en grand nombre de toute l’Europe, ont fait la fête, durant toute la nuit, au rythme du rock, jazz, de la salsa et autres sons africains. Musiciens professionnels et amateurs et  intermittents du spectacle ont joué bénévolement devant des milliers de spectateurs. Chaque année, cette fête permet l’organisation de 1.800 concerts par 5 millions de musiciens. Pour que la fête soit totale, les moyens de transport étaient de la partie, puisque le métro et les bus ont assuré le service sans interruption. 
La fête de la musique est entrée dans nos mœurs, il y a quelques années, dans une atmosphère bon enfant, mais elle n’est pas encore généralisée à l’ensemble du territoire, or, la particularité d’une telle manifestation c’est justement la gratuité, le public pouvant avoir accès gratuitement à tous les concerts qu’il désire voir, même ceux qui se déroulent dans des salles. En fait, cette manifestation permet non seulement aux citoyens  d’accéder gratis à différents genres de musique, traditionnelle, classique, contemporaine, world music, jazz, rock, mais représente, aussi, une occasion pour les musiciens professionnels et amateurs de se produire bénévolement dans les rues et les  espaces publics. Pourquoi ne pas ancrer cette tradition et faire en sorte d’être en phase avec l’esprit de la Révolution favorisant la non-exclusion de quiconque et la liberté d’expression et de création ? Ainsi, pour démocratiser l’art et la culture, pourquoi pas une fête de la musique, d’une semaine au moins,  dans toutes les régions du pays en pleine saison festivalière, pour que tout le monde ait sa part d’horizon musical et festif.

mardi 10 juillet 2012


Retro 9 juillet

L’automne des médias ?

Si la plupart des chaînes qui composent le paysage médiatique ont obtenu l’avis favorable de l’Inric (Instance nationale pour la réforme de l’information et de la communication) pour l’autorisation de diffusion, la chaîne Zitouna-TV s’est infiltrée dans le paysage médiatique audiovisuel sans crier gare, mais surtout sans avoir les outils et le savoir-faire professionnels pour l’exercice du métier. L’un des actionnaires de cette chaîne, en l’occurrence Oussama Ben Salem, «n’étant autre que le fils d’un des ministres du gouvernement de la Troïka» comme l’a déploré Kamel Laâbidi, président de l’Inric, dans la conférence de presse tenue mercredi dernier. Pour cette raison et pour d’autres, entre licenciements (de Sadok Bouabène, directeur d’El Watania 1) et nouvelles nominations de directeurs de chaînes radiophoniques, la non application des décrets 116 et 115,pourtant publiés dans le Journal officiel, qui assurent la protection des journalistes ainsi que la mise en place de mécanismes pour la régulation des médias audiovisuels, l’Inric qui n’a été ni consultée, ni associée à ses décisions, en tant qu’Instance créée pour réformer et promouvoir le secteur des médias a mis fin à sa mission tout en mettant en garde les autorités l’opinion publique, d’ici et d’ailleurs, sur le danger de mise au pas des médias par le pouvoir exécutif, chose aujourd’hui inacceptable, a fortiori après la Révolution. Appelant, de ce fait, la société civile à défendre le droit à une  information libre et indépendante, loin de toute désinformation,  et à faire preuve de vigilance quant à ce droit menacé.

Entretien avec Béji Caïd Essebsi: le parti avant la patrie

« La patrie avant le parti »
  Béji Caïd Essebsi vient d’avoir, vendredi dernier, l’agrément de son nouveau parti, Nida Tounès, dont il est le président-fondateur.
Ses équipes sont en train de s’organiser pour accueillir les nouveaux adhérents qui seraient 100.000 déjà.
Un parti malgré lui car Nida Tounès n’est ni de gauche ni de droite ni du centre. Il n’a d’idéologie qu’un seul vocable : l’intérêt des Tunisiens et de la Tunisie.
Un parti qu’il a voulu surtout réaliste et pratique pour ancrer la démocratie.
De son nouveau parti, de la Tunisie, d’Ennahdha, de Rached Ghannouchi de Moncef Marzouki et des petites choses de la vie politique, Béji Caïd Essebsi nous a longuement entretenus. Interview

  Vous avez promis après le 23 octobre de quitter la scène politique.  Pourtant, vous êtes de retour. Avez-vous reçu des assurances après vos voyages au Qatar, aux USA et en France ? 

 J’avais accepté de diriger le gouvernement précédent parce que je pensais qu’il y avait la possibilité de mettre à exécution un projet démocratique. 
J’ai toujours été obnibulé par le projet démocratique. Dès 1970 déjà, nous  étions passés à l’action et je n’étais pas seul. A l’époque, nous avions senti que le pays avait dérapé vers le pouvoir personnel du fait du parti dominant. Depuis, nous avons combattu dans ce sens. Nous avons été exclus à maintes reprises, mais nous avons tenu bon. 
Aussi, quand il y a eu la chute du régime Ben Ali, étions-nous convaincus du fait qu’il ne fallait pas revenir en arrière, qu’il fallait tout faire afin de ne pas favoriser l’émergence d’un parti dominant. 
Le rôle du gouvernement provisoire que j’ai dirigé était donc de mettre en place les procédures pour mettre en route une démarche démocratique. 
Une démarche démocratique en deux étapes. Il fallait d’abord organiser des élections d’une assemblée constituante, c’est-à-dire partir de zéro pour bâtir un système politique. 
Mais les élections, ce n’est pas ça la démocratie. C’est un pas vers la démocratie, une étape nécessaire vers l’instauration d’un régime démocratique. 
La véritable démocratie, c’est l’alternance. Nous devions créer les conditions favorables à l’alternance. C’est la seconde étape de la démarche démocratique.
Je pensais que ceux qui avaient pris les rênes du pouvoir devaient continuer à renforcer l’idée d’asseoir cette alternance. Or, j’ai constaté que l’opération accusait du retard et souffrait d’hésitations, je ne veux pas dire renoncement.
C’est pour cela que je suis  ré-intervenu. Car au fond, je suis engagé sur la voie de cette démarche démocratique, non mû par une quelconque interférence ou force occulte.
Le premier appel que j’ai fait, c’était le 26 janvier 2012. J’avais rappelé au gouvernement qu’il y a des élections à venir, dans une année, après le 23 octobre. Lequel gouvernement ne semblait pas être dans cette logique, car  il n’a pas rappelé la commission indépendante des élections. J’avais ensuite rappelé à ce gouvernement qu’il fallait fixer une date pour le déroulement de ces élections et approuver une loi électorale. 
Or, nous sommes au mois de juillet et, depuis mon appel du 26 janvier, rien n’a été fait dans ce sens. Je m’étais alors dit qu’on n’a pas l’intention de le faire et qu’on ne donne aucune importance à cela. Pourtant c’est bien à cause de cela que la situation est ce qu’elle est en ce moment et que les gens commencent à douter de la crédibilité du gouvernement. Nous, quand nous étions venus à la Kasbah, nous avions montré une feuille de route avec des échéances précises ; aussitôt, les protestataires s’étaient retirés. 
Et puis, il est  une constatation à faire, s’agissant des résultats des élections. C’est que la moitié de ceux qui sont en âge de voter ne sont pas allés voter parce qu’ils ne s’étaient pas inscrits sur les listes. Et les autorités ont le devoir de permettre à ces gens-là de s’inscrire au plus tôt sur les listes. 
Surtout qu’ en analysant les résultats des élections, il s’est avéré que seuls 1,5 million ont voté pour Ennahdha. Ces un million et demi de voix lui ont donné 89 sièges. Il s’est également avéré que 1,5 millions de voix ont été accordées à des partis et listes qui n’ont remporté aucun siège, compte tenu du système électoral. Ça c’est le résultat de l’effritement et de l’émiettement de ces partis. Si donc nous refaisons des élections dans les mêmes conditions, les conditions de l’alternance ne seront pas réunies.

Doit-on conclure que mathématiquement Ennahdha n’est pas majoritaire ?


Oui, car si nous comptons le nombre de votants, Ennahdha a réalisé un taux de 37% et si nous comptons le nombre d’électeurs non inscrits, ce parti n’a été élu que par 18,1% de la population.
 J’ai appelé les autres partis à se réunir, ils ont fait beaucoup d’efforts mais c’était insuffisant. Voilà pourquoi nous avons initié Nida Tounès. Nous l’avons conçu sous forme d’un parti par nécessité juridique. La seule forme juridique acceptable, eu égard à la loi, c’est la forme d’une structure ouverte à tous ceux qui ne figurent pas dans un parti et à  tous ceux qu’on veut exclure, car si on ôte à un citoyen le droit d’agir dans la vie politique, c’est comme si on lui retirait la nationalité. Or, c’est pour tout un chacun un droit inaliénable et incontestable.

Franchement, avez-vous eu des assurances des Etats-Unis, de la France et du Qatar...


Ceux qui me connaissent savent que je suis indépendant, j’ai des amitiés, les gens m’invitent, j’ai passé 50 ans dans la diplomatie. Je m’excuse, je suis un peu connu, mais sachez que quand je rencontre des chefs d’Etat, je défends les intérêts du pays. 

Si vous deviez-résumer Nida Tounès en une phrase, que diriez-vous ?


 C’est un appel patriotique. On avait besoin de cet appel, c’est pourquoi il a été bien reçu.

Vous avez parlé de 100.000 demandes d’adhésion à votre parti, d’où tenez-vous ce chiffre ?


Concernant le nombre d’adhérents, sachez qu’il y a des gens qui savent compter.

Une frange du parti El Massar a rejoint votre parti estimant que vous êtes le seul à pouvoir faire contrepoids au mouvement Ennahdha, mais le fait que vous êtes devenu un parti et non pas un front, cela ne va-t-il pas dissuader certains ?

Non, car dans notre démarche, nous avons deux volets : nous allons prendre des initiatives pour essayer de mettre en place une plateforme commune entre tous les partis politiques qui ont les mêmes objectifs et qui remplissent les conditions que nous avons énumérées dans notre première réunion. Et je pense que ces partis-là remplissent ces conditions : c’est-à-dire pas d’exclusion, et je crois qu’il y en a un ou deux qui sont pour l’exclusion. Mais, on ne coopérera pas avec eux, ni avec ceux qui ne croient pas au drapeau tunisien et qui hissent un autre drapeau qu’il soit de couleur noire ou rose, ni ceux qui ont recours à la violence et à la force pour imposer leurs idées. On ne coopérera pas non plus avec ceux qui ne croient pas à l’Etat tunisien, au premier article de la Constitution, au Code du statut personnel. Pour le reste, on n’y voit pas d’inconvénient. Nous estimons  que la Tunisie, actuellement, traverse une période exceptionnelle, dans un temps exceptionnellement court et que pour cette période exceptionnelle nous devons avoir, donc, un programme d’exception et non pas un programme à long terme, avec une feuille de route. Pour cette tranche de temps, tous les partis doivent faire l’effort de plus de modestie en ne mettant pas en avant leur spécificité, mais ce qui les rassemble d’abord. Nous avons toujours appelé à un large consensus, mais cela ne veut pas dire que le gouvernement actuel doit partir, mais il doit mettre en place, d’abord, une feuille de route et un programme de travail qui réunisse autour de lui le maximum d’approbation des courants politiques. L’exécution de ce programme-là se fera, et le plus important ce n’est pas qui va l’exécuter, le plus important c’est de savoir sur quoi nous allons travailler et sur quoi nous serons d’accord.  C’est ça le large consensus, mais ce n’est pas un consensus, dans ce sens que chaque parti doit avoir un membre au gouvernement, il n’y a plus de place, car ils sont déjà 80, ce qui ne s’est jamais vu, même en Chine.

En voyant certaines figures destouriennes dont Mohamed Sayeh, qui dirigeait des milices du temps de Bourguiba, assister à la réunion de Nida Tounès, cela n’apporte-t-il pas de l’eau au moulin de ceux qui affirment que votre parti pullule d’hommes du passé dont des  Destouriens et des Rcédéistes ?


Oui, c’est vrai, nous sommes conscients de ça, mais la réunion du 16 juin 2012 n’était pas une réunion de parti, c’était pour annoncer la création du parti. Et tout ce monde que vous avez vu ne constitue pas les membres de mon parti. Ce sont des gens qui sont venus pour assister à la réunion et non pas pour être membres de mon parti. Et d’ailleurs, la personne que vous avez citée, je ne l’ai pas invitée. Certaines personnes ont été invitées parce qu’elles ont des partis et croyez-moi ce n’est pas parce qu’elles ont été invitées comme tout le monde qu’elles sont membres de notre parti. On ne peut pas dire aux gens : allez vous mettre derrière, par courtoisie on ne l’a pas fait et on ne le fera pas. Mais nous sommes conscients que ça pose problème et ça génère des questions. Nous acceptons cette difficulté parce que nous avons pour principe de n’exclure personne, même parmi les Destouriens ou les gens d’Ennahdha. Nous sommes assez grands pour savoir ce qu’on dit et avec qui on discute. 

  Certains remontent à votre passé de directeur de la sûreté nationale et de ministre de l’Intérieur, vous rendant coupable de ne pas assumer vos responsabilités concernant la torture de ceux qui ont été incarcérés suite au complot contre Bourguiba, en 1962. Une fois pour toutes, dites-nous ce qu’il en est exactement. Dites-nous la vérité. Etiez- vous au courant des cas de torture ?

Vous voulez être rassurés, très bien. Je vous le dis, je n’avais aucune relation avec les Yousséfistes. Mais Salah Ben Youssef est un grand zaïm. Avant 1952, je ne connaissais pas Bourguiba, je l’ai connu en France, quand je faisais mon droit à Paris avec son fils, Bourguiba Junior, on étudiait ensemble, on achetait les livres fifty/fifty. C’est, donc, le fils,  Habib Junior qui m’a fait connaître le père. C’est en fait Salah Ben Youssef qui dirigeait le Néo-Destour avec Mongi Slim et je n’avais aucun problème avec lui, mais je  préférais Bourguiba à Salah Ben Youssef parce qu’il était plus ouvert, qu’il prenait soin des jeunes, dont il était proche. Je n’ai pas connu, d’ailleurs, toutes ces histoires de «Sabbat Edhlam», vraiment je ne les connaissais pas. Quand est-ce que je suis arrivé ? Je suis arrivé en 1962, j’étais Directeur du tourisme, un jour j’ai su par la radio que j’ai été nommé Directeur de la sûreté nationale, le 17 janvier 1963 et Driss Guiga a pris ma place au tourisme. C’était une permutation. Je suis arrivé au ministère de l’Intérieur le 7 janvier 1963. Or, le complot a eu lieu le 19 décembre 1962 et justement Driss Guiga avait été démis de ses fonctions parce qu’il ne l’avait pas découvert.  Et qui a fait l’enquête ? Le ministère de la Défense parce que c’est un officier qui a dévoilé le complot. Dans cette affaire, il n’y avait pas de Youssefistes, à l’exception d’une personne qui avait comploté contre Bourguiba, mais pas parce qu’elle était youssefiste, ou alors voulez-vous qu’on lui envoie un certificat de bonne conduite.  Ceux qui ont participé à ce complot et qui ont été jugés étaient, en majorité, des Destouriens de Bizerte qui n’étaient pas contents, en raison de la guerre de Bizerte qui a été mal gérée, selon eux, car il y avait plus de morts qu’il ne fallait et qu’on avait fait appel à des jeunes plus qu’aux militaires, etc. La majorité des comploteurs étaient les Destouriens de Bourguiba, il y avait le secrétaire général du comité de coordination de Bizerte, M. Hriz, Hédi Gafsi,  Hachan, Lazhar Chraïti et Ali Ben Salem,  un homme de confiance qui a témoigné en disant que je n’avais rien à voir avec cette histoire et d’autres. Tous les autres étaient des officiers. Pour votre gouverne, il n’y a pas eu de torture et Ali Ben Salem qui a été incarcéré dans la même prison que tous les autres l’a confirmé dans un entretien sur une chaîne tunisienne. Ali Ben Salem a dit qu’il y en avait trois, Baratli, Sassi Bouyahya et un autre qui ont eu des problèmes et qui ont été violentés et torturés, mais si j’avais été responsable de cela, je l’aurais assumé.

Les Tunisiens sont  étonnés, voire sidérés par les différends au sommet de l’Etat, certains disent que c’est du jamais vu, même dans les Républiques bananières, d’autres parlent d’enfantillages, de bras de fer entre deux ego forts ainsi que de campagne électorale précoce, quel est votre propre avis ?  


 D’abord, je pense que le fait d’avoir constitué cette triple alliance au sein du gouvernement était, dés le départ, une erreur. Pourquoi ? Parce que nous avons élu une Assemblée constituante qui a la légitimité électorale pour rédiger une Constitution. La réalisation de cet objectif  qui est la rédaction d’une constitution ne se fait pas par la majorité, la minorité ou par l’opposition, mais elle se fait par le consensus. Il ne s’agit pas de la voter selon la majorité, elle doit être approuvée par tout le monde, car elle va régir les relations entre tout le monde. Cet accord tripartite est, par essence, contre nature car, Ennahdha est islamiste et les deux autres partis sont laïques. Ça peut faire l’objet d’un accord électoraliste, mais pas d’un accord de gouvernement, ça ne peut pas coller, fonctionner et faire l’objet d’une entente pour rédiger une constitution. Fatalement, c’est dans l’ordre des choses que les membres de la Troïka se disputent à la fin, lorsqu’on prend des décisions qui ne collent pas avec les convictions des uns et des autres. Vu de l’extérieur, ça ne pouvait aboutir qu’à une divergence.

Maintenant, partagez-vous la décision de l’extradition de Baghdadi Mahmoudi par le gouvernement ? 


 Le gouvernement a agi dans le cadre de la loi qui régit les relations provisoires de l’Etat que le gouvernement n’a pas gardée. S’il avait appliqué la petite Constitution que nous avons faite sous mon gouvernement, il n’aurait pas connu tous ces problèmes, car la Constitution provisoire actuelle est trop compliquée. D’autant que, premièrement, la situation actuelle en Libye est différente. Deuxièmement, nous avons agi dans le cadre de nos compétences. Les tribunaux tunisiens qui ont jugé  Baghdadi pour le libérer, ensuite il y a eu deux jugements  pour l’extradition. Nous avons nous-mêmes exigé qu’on nous donne des garanties pour un procès équitable et nous les avons reçues, d’abord le président libyen CNT nous a donné ces garanties, nous ne sommes pas plus crédibles qu’eux, puisqu’ils ont également une révolution. Il n’y avait, donc plus de raison pour refuser son extradition. Surtout que nous demandons nous-mêmes l’extradition de  Ben Ali de l’Arabie Saoudite. Nous avons, donc, donné notre accord et dans le statut, le président Foued Mbazaâ devait signer l’extradition. Or, il y a eu les élections et le gouvernement a démissionné. Ce n’est pas une affaire qui doit être réglée par le gouvernement qui expédie les affaires courantes. Nous avons pris la décision, nous avons rédigé le décret et nous l’avons envoyé à la présidence, il ne restait qu’à le formaliser. Maintenant,  6 ou 7 mois après, les données ont changé, et ce n’est pas à moi de dire si toutes les garanties existent ou pas, c’est au gouvernement de savoir s’il a obtenu les garanties nécessaires et c’est à lui d’apprécier. Le gouvernement a un pouvoir d’appréciation et de décision. La situation n’étant plus la même en Libye puisqu’elle s’est, apparemment, détériorée aujourd’hui. De toute façon, la décision relève de la responsabilité du gouvernement. On ne peut pas reprocher à un gouvernement d’avoir pris la décision qui relève, somme toute, de ses attributions.

On dit qu’il s’agit d’une transaction avec la Libye ou une partie libyenne ?


Non , je ne rentre pas dans ces considérations. Bien que les gens d’Ennahdha m’insultent tous les jours, il n’est pas permis de dire qu’Ennahdha a conclu un marché, car ça reste à prouver. Et je doute fort, d’ailleurs, qu’il y ait eu une transaction.

Pour quelles raisons avez-vous rencontré, à l’hôtel Georges 5 à Paris, l’émir Al Walid Ibn Talel, l’ancien premier ministre italien Silvio Berlusconi et le producteur et homme  d’affaires tunisien Tarek Ben Ammar ?
 
J’ai reçu une invitation du prince Ibn Talel qui m’a assuré qu’il a écouté tous mes discours et qu’il a trouvé que je suis un homme intéressant. Quand je suis arrivé, Tarek Ben Ammar et Berlusconi étaient déjà chez lui, ils avaient un rendez-vous avant que je ne vienne, ils ont tenu à me saluer. Tarek est mon ami de toujours, j’étais l’ami de son père, c’est presque mon fils. Berlusconi est venu me saluer aussi, je suis connu, qu’est-ce que vous voulez !


Lotfi Zitoun, ministre chargé des Affaires politiques auprès du gouvernement; a qualifié, dans une déclaration, votre parti d’opportuniste et de fasciste. De son côté, Imed Daïmi, directeur de cabinet du président de la République, a déclaré sur la chaîne El Mayadine qu’il n’y a pas d’avenir pour un parti dont le président a 85 ans et qu’il s’agit , donc, d’un parti du passé constitué d’opportunistes, d’hommes d’affaires corrompus, etc. Que répondez-vous à ces déclarations ?

 Je ne réponds pas à toutes ces allégations diffamatoires. Que tous ceux qui ont encore des insultes à formuler le fassent, je n’y répondrai pas !

Hamma Hammami, secrétaire général du Pcot, a affirmé, récemment, qu’Ennahdha et Nida Tounès se rejoignent en tant que deux projets passéistes et réactionnaires qui peuvent même converger et coopérer ensemble dans l’avenir. Qu’en dites-vous ? D’autres parmi l’opinion publique pensent la même chose.


M. Hamma Hammami analyse, il n’insulte pas. C’est un homme politique dont je respecte les propos. Pour être franc : c’est un bon patriote, je ne partage pas ses idées et convictions politiques, mais les hommes de gauche sont aussi  de bons patriotes. On n’a pas le droit de dire que nous sommes plus patriotes qu’eux ou qu’ils sont plus patriotes que nous. De plus, je vous dis que nous n’avons rien à voir avec les gens d’Ennahdha qui, la preuve, sont contre nous, puisqu’ils sont tout le temps en train de nous insulter. Allons-nous faire comme les gens du CPR qui veulent ouvrir les dossiers de la police politique ? Or, je pense qu’ils devraient laisser tomber car ils pourraient connaître de dramatiques surprises et trouver dans ces dossiers beaucoup parmi les leurs. 

Mais vous n’êtes pas un parti révolutionnaire du temps de la révolution ?

La révolution a été l’œuvre des jeunes et quelque peu de l’Ugtt régionale qui leur a donné les locaux et les a aidés, même si maintenant l’Ugtt affirme qu’elle a fait la révolution. Moi, je dis que ce n’est pas le cas, car aucun parti n’a participé à la révolution avec les jeunes.

Vous avez appelé la Troïka à gouverner selon un consensus, mais elle ne semble pas vous avoir écouté, ni vous, ni d’ailleurs l’initiative de l’Ugtt, ni encore moins l’invitation du Parti Eljoumhouri à former un gouvernement d’union, voire de salut national. Comment expliquez-vous ce refus ?

 La Troïka a eu tort ! Moi je ne l’oblige pas à prendre en considération ce que je dis, puisqu’il semble qu’apparemment, il y a un phénomène de rejet psychologique de tout ce qui émane de moi. Mais la proposition de l’Ugtt me semble acceptable et la refuser, c’est faire preuve de légèreté coupable. Si jamais le gouvernement la refuse. 

D’aucuns avancent que c’est le chef du parti Ennahdha, Rached Ghannouchi, qui est le président effectif du pays et qui tire donc toutes les ficelles. Qu’en pensez-vous ?


 Si c’est Ghannouchi qui dirige, moi je dis que c’est tant mieux ! Au moins lui est un homme politique qui tient compte des contingences. Vous savez, la politique, c’est comme une voiture et dans une voiture, il y a cinq vitesses et une marche arrière. Mais les gens ne veulent pas admettre que la marche arrière est aussi une vitesse. Et celui qui ne sait pas manier cette vitesse ne peut pas faire de la politique.

Mais il y a trop de marches arrière au parti Ennahdha...

C’est parce qu’il y a eu beaucoup de marches en avant qui n’étaient pas nécessaires.

Si  c’est Ghannouchi qui tire les ficelles et que la situation est ce qu’elle est aujourd’hui, on ne peut pas dire: c’est tant mieux !

Oui, mais lui n’est pas dans l’exercice effectif et quotidien du pouvoir, il est dans le patronage. La décision de tous les jours revient aux opérateurs et ces opérateurs ne sont probablement pas à la hauteur. Chaque fois qu’on est revenu à Ghannouchi, il a débloqué la situation. 

Au fil de vos déclarations, vous semblez très positif et conciliant à l’égard de Ghannouchi...


Plutôt,  je ne suis pas négatif. Certes, il y a des gens qui usent du double langage, mais lui, dans le langage qu’il me tient, je le trouve cohérent et il va dans le sens qu’il faut. Reste que lui aussi a son appareil et moi je dis que je ne réponds plus aux insultes de ceux qui sont dans l’appareil parce que je sais que le véritable «power» (Ndlr: pouvoir) est ailleurs. Voilà pourquoi je ne réponds ni à Lotfi Zitoun ni aux autres.

Vous ne répondez donc jamais à ceux qui ne gouvernent pas... et n’ont pas le pouvoir.


...Et deuxièmement, je n’insulte jamais l’avenir !

C’est-à-dire qu’Ennahdha va jouer un rôle important...

Elle joue un rôle important.

Et la question des salafistes, d’après vous, c’est le «power» ou hors du «power» ?

Ecoutez, en politique, ce n’est pas la réalité des choses qui est importante. Le plus important, c’est comment ces choses sont perçues. Le problème des salafistes, l’opinion publique le perçoit comme étant au débit d’Ennahdha. C’est-à-dire que lorsque le gouvernement semble ne pas agir, le phénomène se développe et le jour où il a décidé d’intervenir, les choses se sont arrêtées. C’est ça la perception des choses.  L’opinion publique pense qu’ils ne sont pas étrangers les uns aux autres. 


La question de l’entrée des Maghrébins en Tunisie sans passeport a été exagérée par les médias, a affirmé M.Rafik Abdessalem, suite au refus de la partie algérienne d’appliquer cette décision aux frontières. Comment vous lisez cela, s’agit-il d’un nouveau cafouillage ?

Incontestablement, c’est un cafouillage. En réalité, nous sommes tous attachés à l’avènement d’un Grand Maghreb. La Tunisie y a toujours œuvré sincèrement. Or, le document instituant l’UMA était dès le départ un malentendu historique. C’était impossible d’entretenir quoi que ce soit en ce sens sans régler le problème du Sahara et plein d’autres problèmes. L’UMA, comme avait dit Hassan II, c’est une voiture sur cales. Et moi de surenchérir à l’époque, « peut-être qu’elle n’a jamais eu de moteur !». Non mais je pense sérieusement que sans réciprocité, on ne peut pas construire un Grand Maghreb et que la Tunisie seule ne peut rien. Si d’aucuns avaient cru qu’on pouvait rapidement le faire, c’est qu’ils manquaient d’expérience.

Des membres du gouvernement répètent à satiété qu’avant de partir, vous avez laissé plusieurs boulets à la Troïka : l’indemnité des 70 dinars pour les fonctionnaires du Premier ministère, la pension Amal pour les chômeurs, l’absence de concrétisation de la Haute instance de l’audiovisuel, la réforme de la justice, les martyrs et les snipers, etc.
 Celui qui est trahi par ses forces dit qu’il a été ensorcelé ! (vieux proverbe tunisien) . Au fond, j’ai dirigé le gouvernement en accordant la grande priorité à l’intérêt général. Eux ils ont en tête un problème de parti ; moi j’ai un souci d’Etat. Moi j’estime que la patrie vient avant le parti. Or, ce n’est pas le cas actuellement. A l’époque où on m’a confié le Premier ministère, tout le gouvernement a pris l’engagement de ne pas se présenter à une quelconque élection pour mieux servir  l’intérêt général. Nous n’avions que quatre mois pour agir et nous avions décidé de ne pas toucher aux dossiers de la justice et de l’information. Parce que ce sont des dossiers qui nécessitent beaucoup plus de temps, beaucoup plus d’études et de réflexion. Aujourd’hui, le nouveau gouvernement a passé pratiquement la même période que nous en exercice et même un peu plus : la justice et l’information sont toujours au point mort. Nous, au moins, dans notre bilan, nous avons rétabli l’ordre public. Ensuite, nous avons géré la guerre en Libye. Nous avons assuré les examens du baccalauréat dans les meilleures conditions et sans fuites. Nous avons assuré une rentrée universitaire sans grabuge. Nous avons préparé et fait en sorte que Ramadan se déroule dans de bonnes conditions. Nous avons ravitaillé la Libye en denrées alimentaires dans des conditions acceptables. Et nous avons organisé des élections qui ont permis à la Troïka de former un gouvernement. 

  Mais vous n’avez rien fait pour les martyrs et les snipers...

Pour les martyrs, nous avons sorti un décret reconnaissant la responsabilité de l’Etat. Et les snipers n’existent pas. En fait de martyrs, nous en avons toujours eu des martyrs. Les «moudjahidin» ont eu à l’époque une petite pension. Si l’actuel gouvernement l’avait voulu, il aurait, en une semaine, réglé le dossier des martyrs et des blessés de la Révolution. Or jusqu’à maintenant, ils n’ont rien fait pour eux.

Et pour la pension Amal ?

 Moi je suis un homme populaire. Quand les protestataires venaient à la Kasbah, je sortais pour les rencontrer. Ils étaient sept cent mille à ne pas avoir d’emploi. Quand ils s’adressaient à moi, leur bouche sentait mauvais parce qu’ils avaient faim.
Je ne voulais pas les laisser crever de faim. Et le fait de leur avoir ôté cette pension est une aberration monumentale, car ils ne leur ont rien donné en remplacement. Ce n’était même pas décent ce qu’on leur a donné. C’était une simple indemnité d’attente. Juste un peu d’argent de poche. 
De quoi ils nous accusent ? D’avoir la sensibilité pour ces gens qu’eux n’ont pas. Ecoutez, pour les 800 000 chômeurs, actuellement, ils n’y a pas de solution. Pourquoi ? Parce que nous avons une croissance zéro, et je sais qu’elle est inférieure à zéro. Dans ces conditions on ne peut pas créer un seul jour de travail. Chaque point de croissance nous permet de créer 16.000 emplois. Nous avons donc donné à ces gens quelque chose en attendant de leur trouver du travail. 
Tous les ans, il y a 80 000 nouveaux chômeurs. Nous étions donc dans l’obligation de lancer un programme sur cinq ans. Il fallait de l’argent pour le financer. J’ai été au G8 pour demander les fonds, après avoir vu les experts et engagé des études. Ils avaient tous crié au scandale. Ils m’ont accusé de vouloir vendre le pays. Voilà où nous en sommes aujourd’hui. Ils devraient être les premiers à le regretter. 
Nous avons également accordé une indemnité spécifique aux agents du Premier ministère, car tous les agents des autres ministères ont une indemnité spécifique.

Que dites-vous des articles 115 et 116 de l’Inric dont le projet était pourtant prêt et que vous n’avez pas activé ?

Nous étions sur le point de partir. Nous n’avion pas le temps d’étudier ce projet.

On dit que le lobby des chaînes de télé privées a fait pression sur vous pour que le projet ne passe pas et que les articles 115 et 116 ne soient pas activés ?

 Ce n’est pas vrai. C’est la première fois que j’entends parler de ces pressions. Au contraire, nous avons accordé une quinzaine d’autorisations pour de nouvelles chaînes de télévision.
On dit que malgré sa démission, Abbou est le futur candidat d’Ennahdha  à la présidentielle. Qu’en pensez-vous ?

Ça ne changera rien à la situation et ça ne me dérange pas.

Que pensez-vous de la déclaration de Rached Ghannouchi, qui a affirmé que les tentatives de créer un Ahmed Chafik tunisien sont vouées à l’échec ?

 Si c’est moi qu’il vise, il doit se tromper. S’il vise quelqu’un d’autre, je ne me sens pas concerné. 
En tout état de cause, les conditions en Tunisie sont différentes. Et il ne faut pas croire que Rached Ghannouchi régente tout, ici, en Tunisie. Il peut régenter au sein d’Ennahdha, mais pas au niveau du pays.

Moncef Marzouki a invité des dirigeants de partis à le rencontrer. Vous a-t-il invité ? Sinon, le rencontreriez-vous s’il vous conviait à une entrevue ?


 Non. Il ne m’a pas invité...

Et s’il vous invitait ?

 Je ne peux pas vous répondre, parce que moi je n’agis pas aux «si». Le jour où il m’invitera, je déciderai.

Avez-vous reçu, comme promis par M. Rafik Abdessalem, votre passeport diplomatique ?


Moi j’ai mon passeport diplomatique, vu que dans le passé j’ai été ministre des Affaires étrangères. Mais je crois que Rached Ghanouchi mérite bien un passeport diplomatique. Moi je sais que des gens de moindre importance ont un passeport diplomatique, pourquoi pas lui ?

Ennahdha prône un régime parlementaire. Est-ce le régime qu’il faut pour la Tunisie aujourd’hui ?


Moi, ce n’est pas mon avis. Ce qu’il faut pour la Tunisie, c’est un régime mixte tempéré par des prérogatives d’une Assemblée. La chose qui a fait problème jusqu’à maintenant, c’est que ceux qui gouvernent n’ont rendu de comptes à personne. C’est pour ça qu’il y a des dérapages dans la gestion du pays et une personnalisation du pouvoir. Cela ne peut plus durer, car le régime présidentiel dans son ancienne version a dérapé vers un régime présidentialiste. Voilà pourquoi je défends l’idée de maintenir un président avec des pouvoirs, mais il faut donner un pouvoir de contrôle à une structure législative ou un Conseil constitutionnel. 

On attend toujours le programme politique et économique de l’Appel de la Tunisie. Quand sera-t-il rendu public et  peut-on avoir un avant-goût? Quelle idéologie consacrera-t-il ?

Nos équipes sont en train de préparer ce programme. Dès qu’il sera prêt, il sera communiqué aux Tunisiens. Néanmoins, nous n’avons pas d’idéologie. Nous sommes pratiques, réalistes, mais nous demeurons sensibles aux problèmes sociaux. Nous ne sommes ni la gauche, ni le centre, ni la droite. Nous sommes là où nous nous trouvons. Nous servons les intérêts de la nation. L’important est de sortir le pays de la crise.

Est-ce que vous allez vous présenter à la présidentielle ?


 Ecoutez, celui qui fait ses comptes tout seul en sort toujours excédentaire (vieux proverbe tunisien). Si d’ici là nous sommes tous en vie, on verra !


Certains pensent que les élections n’auront pas lieu au mois de mars comme promis. D’autres, plus pessimistes, sont persuadés qu’il n’y aura pas d’élections du tout...

Ils ont promis des élections pour le 20 mars. Moi je ne pense pas que ces élections auront lieu le 20 mars. Mais de là à dire qu’il n’y aura pas d’élections, ce sera catastrophique pour le pays. Pour commencer, il faut déjà une Instance indépendante pour les élections. Indépendante, sinon, ça ne veut plus rien dire.  Ben Ali est resté 23 ans au pouvoir et il a été destitué. Bourguiba est resté 31 ans au pouvoir, il est décédé maintenant. Rien ne dure pour personne dans la vie.

 Le mot de la fin ?

 Le peuple tunisien est aujourd’hui différent de ce qu’il était au moment de l’indépendance : il est plus instruit, la femme est libérée, les institutions ont été modernisées, le système archaïque a été complètement dépassé, tous ceux qui pensent que c’est un peuple qu’on peut guider en dehors de sa volonté se trompent. 
Le peuple est comme le roseau de l’Oued, il plie mais il ne rompt jamais.
Auteur : Entretien conduit par Samira DAMI et Lotfi BEN SASSI Photo : A. Belaid
Ajouté le : 10-07-2012

lundi 2 juillet 2012

48ième festival international de Carthage: Rassembleur et festif

Rassembleur et festif
 • Ajout de 4 spectacles de musique et de chant tunisiens
 • «Rien à craindre, côté sécurité», affirme Fethi Kharrat, directeur du festival
 • Un cycle alléchant de cinéma du 21 au 31 août

Dans une semaine, plus précisément le jeudi 5 juillet, s’ouvrira la 48e édition du Festival international de Carthage avec un spectacle en hommage à l’une des grandes figures de la chanson tunisienne, le regretté Ali Riahi.
Le concept du spectacle d’ouverture est spécifique et «original», apprend-on. Il s’attachera à assurer la continuité entre des aînés et de jeunes talents dans un esprit rassembleur et festif.
Aussi l’ensemble vocal ou le chœur sera-t-il constitué par de grands noms de la chanson tunisienne tels Lotfi Bouchnaq, Zied Gharsa, Mohamed Jebali, Hassan Dahmani et d’autres qui donneront la réplique aux chanteurs de la relève qui interprèteront des «morceaux choisis» du répertoire de l’auteur-compositeur de la chanson désormais culte «Yalli dhalimni». 
Ce ne sera pas le seul spectacle de chant tunisien, il y en aura d’autres comme l’ont sollicité et revendiqué les trois syndicats des métiers musicaux, des artistes chanteurs et des auteurs-compositeurs dont le différend avec le ministère de la Culture a été aplani avec l’ajout de quatre spectacles de musique et de chant tunisiens dans le programme de cette 48e édition.
Ainsi se produiront sur la scène du théâtre romain  : Ridha Chmek et son orchestre dans «Aghani El Hayet», Houcine Ifrit dans un spectacle soufi «Mohamed, Taj El Anbiâ», Hédi Habbouba dans une rétrospective de ses tubes populaires intitulée «El Matarek» (Les marteaux) ainsi que Fayçal et Lamia Riahi.

«Carthage n’est pas le festival de  la chanson»

M. Fethi Kharrat, directeur de cette 48e édition éclaire notre lanterne : «L’approche de “Carthage” tombe sous le sens : il ne s’agit pas d’un festival de la chanson mais d’une manifestation internationale où le taux des spectacles tunisiens ne devrait pas dépasser les 30%. Outre qu’il s’agit d’une manifestation diversifiée réunissant plusieurs arts, entre autres le ballet, la poésie, le cinéma, etc,  le seul critère pris en compte étant la qualité, voire l’excellence. Certes,  il n’est pas possible de changer du jour au lendemain une mentalité et un héritage de 20 années ou plus durant lesquels «Carthage» est devenu synonyme de festival de la chanson et de tribune pour n’importe quel chanteur qu’il soit local ou arabe.
Abandonnons donc cette idée obsessionnelle chez certains qui consiste à croire que cette manifestation internationale est globalement consacrée au chant et qu’elle doit nécessairement comprendre un quota de spectacles pour nos chanteurs. Certains pensent que monter sur la scène du théâtre romain est aisé et sans risques; or, cela peut nuire au parcours d’un chanteur s’il connaît un échec. En tout cas, il est sûr que nous n’avons pas voulu brusquer les choses ni rompre avec les artistes, à preuve quand les syndicats de la profession ont réagi, comme vous le savez, et vu que nous ne sommes plus dans une logique dictatoriale, nous avons tout de suite noué le dialogue et trouvé, enfin, un accord consistant dans l’ajout de quatre spectacles de musique et de chant tunisiens».
Il est vrai, par ailleurs, que le menu de cette édition a été concocté dans des conditions spéciales, et malgré l’absence de théâtre, il se caractérise par quelques moments  forts. Tels «L’orchestre symphonique de Rome», «Les 100 violons tziganes», «le Ballet Boléro de Ravel», Liz Mac Comb, Alpha Blondy, la soirée de poésie en hommage au grand Mahmoud Dérouiche, Dhafer Youssef, Saber Rebaï et Jamel Debbouze.
Du cinéma, il y en aura à travers un menu alléchant de films dont certains ont été programmés au dernier festival de Cannes. Ce cycle qui clôturera Carthage est prévu du 21 au 31 août.
Maintenant, «Carthage» se déroulera-t-il dans de bonnes conditions vu la conjoncture, somme toute, délicate que connaît le pays? Le directeur de la manifestation en est conscient et répond sans détour : «Si tout se passe dans de bonnes conditions et sans incidents et si l’organisation s’avère réussie, nous aurons sauvegardé les acquis et réalisé nos objectifs. Mais que tous se rassurent, le ministère de la Culture travaille en étroite collaboration et coordination avec le ministère de l’Intérieur afin d’assurer la sécurité des artistes et du public. Il n’y a vraiment rien à craindre».
Enfin, M. Fethi Kharrat, qui a déjà dirigé, pendant trois ans, le Festival international de Hammamet est optimiste quant à la réforme progressive du Festival international de Carthage au cours des prochaines années. Cela avec la contribution des professionnels dans le but de gagner en qualité, en crédibilité et en notoriété.