samedi 6 septembre 2014

Femmes et listes électorales "Les Têtes sont ailleurs"

POUR  les prochaines législatives, les têtes de liste de la plupart des partis sont des candidats hommes. Quelles sont les raisons de la faible présence 
des femmes en tant que chefs de file? Des dirigeants et des dirigeantes de partis répondent
Le nombre de femmes têtes de liste pour les prochaines élections législatives est à l’évidence faible, voire dérisoire, même au sein des partis les plus progressistes qui défendent les principes de l’égalité et de la parité, aussi bien verticale qu’horizontale.
Ainsi, la plupart des partis, à l’exception de l’Union pour la Tunisie (UPT)  — coalition entre Al Massar, le Parti pour l’action  patriotique démocratique et des candidats indépendants — qui a présenté 10 têtes de liste femmes sur un total de 26, soit près de 39%, le reste des partis, et non des moindres, ne se sont pas tellement souciés de la parité horizontale.
Un principe revendiqué par les élus démocrates et progressistes et rejeté par la majorité des députés d’Ennahdha et leurs collègues de la même famille idéologique.
Mais si Ennahdha, logiquement fidèle à ses principes, n’a présenté que deux têtes de liste femmes sur un total de 33 listes, soit un taux de 6%, on ne comprend pas cependant que Nida Tounès, qui se targue d’être un mouvement moderniste, n’ait présenté que trois candidates têtes de liste sur un total de 33, soit un taux de 9%. En tout cas, moins que le CPR, par exemple, qui a présenté 7 femmes têtes de liste sur un total de 33, soit un taux de 21,21%.
D’autres partis qui s’affichent comme des forces progressistes porteurs de projets modernistes et démocratiques, et qui ont forcément défendu le principe de la parité horizontale, ne l’ont pourtant pas appliqué. Ainsi Ettakatol, Afek Tounès et le Front populaire n’ont présenté chacun que 5 femmes têtes de liste sur 33, avec un taux s’élevant à 15,15%. Al Joumhouri, un cran en dessous, n’a que quatre femmes têtes de liste, soit un taux de 12,12%. Le nombre de têtes de liste femmes est encore plus faible du côté du parti Al Moubadara, puisqu’il n’est que de 4 sur 32 : autrement dit un taux de 12,5%. Même chose du côté de l’Alliance démocratique et du Mouvement destourien avec, chacun, deux têtes de liste occupées par des femmes sur un total de 28, soit 7,14%. 

Une question de mentalité 
Comment expliquer alors la faible présence des femmes  têtes de listes pour les législatives ? S’agit-il d’une question de manque de compétence féminine ou d’un problème de mentalité qui veut que la femme et la politique ne fassent pas bon ménage? 
Pour répondre à ces questions, nous avons donné la parole à des dirigeants hommes et femmes de partis politiques. 
Salma Baccar, actuellement députée d’Al Massar, et qui préside la tête de liste de la circonscription de Ben Arous de l’UPT pour les prochaines législatives, n’affiche pas une grande satisfaction, bien que la coalition ait présenté le plus grand nombre de femmes têtes de liste — 10 en tout sur un total de 26 listes. Elle exprime franchement son insatisfaction : «Je ne suis pas du tout contente, même si le nombre de femmes têtes de liste est plus important que celui des législatives de 2011. Les femmes seront moins présentes dans la future Assemblée du peuple. Rendez-vous compte qu’en 2011, Ennahdha, par exemple, a présenté une seule femme tête de liste, ma collègue Souad Abderrahim, pourtant 43 candidates femmes de ce parti ont été élues. Nous sommes actuellement 66 femmes députées, mais je pense que ce nombre diminuera dans la future Assemblée en raison du changement du paysage politique, car il sera difficile pour chaque liste d’obtenir plus de deux sièges. A mon avis, aucun parti ne pourra rafler plus de 4 sièges dans chaque liste, à l’exception peut-être de Nida Tounès et d’Ennahdha. Il faudra, donc, s’attendre à une franche diminution du nombre des femmes». Et de poursuivre : «Même si l’UPT a présenté 10 femmes  têtes de liste, je ne suis pas contente, car les autres forces de la coalition ne se soucient pas tous du principe de la parité horizontale, alors qu’Al Massar (ancien Kotb) le défend corps et âme. Je pense qu’il s’agit d’une question de mentalité, laquelle doit évoluer, car je le dis franchement, j’ai constaté lors des travaux des commissions de l’ANC qu’au sein du parti Ennahdha, par exemple, il existe beaucoup plus de compétences féminines que masculines, et je pense à Yamina Zoghlami, Kalthoum Badreddine, Hella Hammi et d’autres, qui sont d’une grande compétence et je m’étonne qu’elles n’aient pas été présentées comme têtes de liste par Ennahdha. C’est pourquoi, ce genre d’attitude et de mentalité doit vraiment changer».

«Le choix de l’efficacité»
Pour Lazhar Akremi, porte-parole de Nida Tounès, ce n’est pas une question de mentalité : le parti a fait le choix de l’efficacité, le but ultime étant de gagner les élections en raflant le maximum de sièges. Et d’expliquer : «Il ne s’agit pas de prendre une position donnée pour entrer dans l’histoire, mais de se soucier de l’efficacité en tenant compte de la situation du parti et du pays. L’ancienne classe politique n’existe pratiquement plus et le  reste des femmes s’activent plutôt dans la société civile. Il faudrait donc s’attendre à ce que, cette étape de transition démocratique, il y ait plus de présence féminine dans  les partis, et ce, à tous les niveaux car, franchement, dans certaines régions les femmes sont pratiquement absentes de la vie politique et associative. 
Ainsi, considérant que les élections sont un résultat et non un look, nous nous sommes souciés uniquement de compétence et d’efficacité, en vue de gagner les élections». 

«Les femmes doivent s’imposer»    
Du côté d’Ettakatol, le porte-parole Mohamed Bennour insiste: «Notre parti a défendu, sans équivoque aucune, la parité horizontale, mais pour son application, nous avons eu beaucoup de difficultés à dénicher des femmes d’envergure engagées dans le parti et dans la vie politique. C’est pourquoi, pour que les partis qui sont pour la parité horizontale puissent l’appliquer, il faudrait que davantage de femmes s’impliquent dans la politique.  Les femmes doivent non seulement s’engager mais aussi militer et lutter pour pouvoir s’imposer, au niveau aussi bien local et régional que national. 
Les femmes d’Ettakatol, à l’image de Lobna Jeribi, tête de liste de Tunis 2, Salma Zenaïdi, tête de liste à Nabeul, se sont imposées d’elles-mêmes, on ne les a pas imposés et personne ne leur a fait de cadeau. 
C’est donc avec plus d’engagement de la part des femmes dans la vie politique que la parité horizontale pourra être appliquée au sein des partis convaincus de ce principe».  

«Pas de cadeau pour les femmes»
Bochra Belhaj  Hmida s’est présentée aux législatives de 2011 tête de liste dans la circonscription de Zaghouan sous la bannière d’Ettakatol. Pour les prochaines législatives, elle a préféré se représenter en tant que candidate de Nida Tounès, en 2e position dans la circonscription de Tunis II.
La candidate de Nida Tounès explique, elle, la faible présence féminine comme têtes de liste des partis à partir de plusieurs facteurs: d’abord par la misogynie qui est une réalité, même en Occident, car il existe une mentalité et une culture qui considèrent que les femmes n’ont pas leur place dans l’espace politique.
Ainsi, les pays occidentaux ont été obligés de prendre des mesures d’exception, tel que le quota en France. Et même dans ce pays, ça ne marche pas toujours, puisque le Parti socialiste a préféré payer des amendes plutôt que de respecter le quota».
Ensuite, le deuxième facteur pour Bochra Belhaj Hamida est l’absence  de stratégie personnelle et collective pour arriver  à s’imposer en tant que candidate et dans les premiers rangs: «Les femmes doivent lutter et œuvrer, pas seulement sur le dossier  et la cause des femmes au sein des partis, pour arracher de nouveaux acquis, mais aussi au plan des stratégies politiques, afin d’imposer la parité horizontale ou un quota au sein des partis.
Or, nous avons, en tant que femmes, négligé cet aspect, d’autant plus que nous n’aurions trouvé, au sein de Nida Tounès, aucune résistance.
Les femmes doivent comprendre que c’est un travail de longue haleine et que s’il n’existe pas de force réelle à cette fin, personne ne leur fera de cadeau».
Enfin, l’intervenante évoque «l’absence de solidarité entre femmes dans la majorité des partis. Car, malheureusement, elles ne sont pas conscientes que chaque acquis est un acquis pour toutes les femmes et qu’il est malheureux de le considérer ou de le vivre autrement.»
Ainsi, les femmes ne se positionnent pas comme chef de file des listes pour les législatives, mais comme des femmes au service de l’homme, reproduisant ainsi le schéma politique et sociétal traditionnel. C’est pourquoi, pour toutes ces raisons, je ne me suis pas présentée en tête de liste pour les prochaines législatives.
J’en conclus, donc, qu’il faudrait que, nous femmes, en tirions les leçons en mettant une stratégie au sein de nos partis, qui puisse s’adapter facilement à notre rôle avant-gardiste.
Nous avons donc du pain sur la planche car tous les acquis que nous avons obtenus, depuis le Code du statut personnel promulgué en 1956, est le fruit d’un long combat y compris la parité verticale arrachée au sein de l’Instance post-révolutionnaire présidée par Iyadh Ben Achour.
Je le répète, il ne faut s’attendre à aucun cadeau. Œuvrons alors pour changer l’image du paysage politique tunisien par trop masculin».
Auteur: Samira DAMI 

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