vendredi 26 décembre 2014

Conférence de presse de Jean Pierre Chevènement sur "Le Maghreb et la France dans le siècle qui vient"

Un binôme structurant 


"La Tunisie, un exemple extraordinaire de maturité et un phare aussi bien pour le Maghreb que pour l’humanité entière" selon J.P. Chevènement  

«Le Maghreb et la France dans le siècle qui vient», c’est l’intitulé de la conférence donnée vendredi dernier, à l’espace culturel l’Agora, à La Marsa, par Jean-Pierre Chevènement. Homme politique et  ancien ministre français connu pour ses positions indépendantes et courageuses, aux accents gaulliens, notamment lors de la guerre du Golfe, il est aujourd’hui président d’honneur du Mouvement républicain et citoyen et de la Fondation Res Publica. Cette conférence initiée par l’ambassade de France s’est focalisée sur les défis que le Maghreb et la France doivent relever ensemble.
Le conférencier a été présenté par le maître de céans, Mohamed Ali Okbi, qui a rappelé « la force de conviction, la droiture et la détermination de l’homme de gauche, à la parole pertinente et en phase avec les principes de citoyenneté et les valeurs républicaines ». Il a également insisté sur la considération et l’affection que lui vouent les peuples arabes, notamment en raison de sa position lors de la première guerre du Golfe quand il démissionna, en 1991, de son poste de ministre de la Défense afin de protester contre l’engagement de l’armée française dans la guerre en Irak.
Bref, c’est devant un aréopage d’hommes politiques et d’intellectuels tunisiens, et en présence de l’ambassadeur de France en Tunisie, François Gouyette, que l’intervenant donna le ton en affichant sa  satisfaction «d’être à Tunis à un moment exceptionnel et privilégié où la Tunisie donne un exemple remarquable et que le monde a les yeux braqués sur elle en raison des élections présidentielles et du processus démocratique qu’elle a entamé ».

C’est en trois axes que le vaste sujet de la conférence a été ventilé : d’abord le contexte politique et économique mondial en relation avec le Moyen-Orient, l’Afrique, le Maghreb et l’Europe, ensuite une projection de la croissance démographique et économique dans ces continents ainsi qu’en Chine et en Inde, enfin les atouts de la construction de l’Ensemble Méditerranée-Afrique et Maghreb-France et les défis à relever.
Jean-Pierre Chevènement a commencé par rappeler que le Maghreb et la France peuvent être ensemble un binôme structurant ou un catalyseur des actions à mener pour relever les défis du siècle qui vient, notamment  avec les atouts qui sont les leurs. Avec leurs positions historique et géographique, ils peuvent, en agissant de concert, en se rapprochant, en se parlant et en dialoguant, aider à relever ces défis qui sont considérables ».
S’agissant du contexte mondial, l’intervenant explique que nous ne sommes plus à l’époque  de la rivalité des blocs entre Américains et Soviétiques, mais néanmoins on voit qu’il y a encore des tensions, la crise ukrainienne et la politique des sanctions. Mais nous ne sommes plus, non plus, à l’époque de l’hyperpuissance américaine tel que désigné par Hubert Védrine, ancien ministre français des Affaires étrangères, après l’implosion soviétique. Le temps de l’hyperpuissance n’a duré que quelques années, disons de 2001 à 2005, quand l’échec de l’invasion de l’Irak par l’Onu est devenu flagrant et que les choses ont commencé à mal tourner en Afghanistan. Le président Barack Obama  a voulu, en 2008, réorganiser le leadership américain sur des bases plus réalistes. Au Moyen-Orient, il a ordonné le retrait des troupes américaines de l’Irak ensuite de l’Afghanistan en 2011.
Cette volonté de changement, le président américain l’a déclinée, poursuit le conférencier, «dans le discours du Caire, prononcé le 9 juin 2009, et que Georges Korm, politologue, a jugé comme une façon courtoise et polie de paraphraser le discours de J.W.Bush en l’agrémentant de citations et de versets du Coran. Ce discours comporte plusieurs items : la lutte contre le terrorisme, la création de deux Etats, côte à côte, la Palestine et Israël, la dénucléarisation de l’Iran, une condition de sa réintégration à la communauté internationale, la liberté religieuse, la démocratie, le droit des femmes, l’innovation, le développement économique et l’éducation. Or, quand on voit ces différents items, on constate qu’il y a comme un parfum d’échec : la lutte contre le terrorisme ne s’est pas arrangée avec  Daech et le retour plus qu’amorcé des talibans en Afghanistan…».

La bipolarité Chine-Etats-Unis
 La montée de la Chine n’est pas étrangère, selon le conférencier, à l’ordre de pivotement des moyens militaires de la flotte américaine de l’Atlantique vers le Pacifique, donné par Obama, parce que l’une des caractéristiques du monde futur, c’est aussi une bipolarité qui n’est plus entre les Etats-Unis et l’Union soviétique mais entre les Etats-Unis et la Chine dont le PNB a dépassé celui des USA, soit 16 milliards contre 15 milliards, en parité de pouvoir d’achat et non en dollars courants. La montée de la Chine donne lieu de la part des Etats-Unis à une stratégie d’endiguement, de l’Inde au Japon, en passant par une série d’Etats intermédiaires. La conclusion de traités de libre-échange transatlantique et transpacifique procède aussi de cette volonté d’organiser le monde autour des Etats-Unis et de leurs normes, d’instaurer une mesure de libre-échange en isolant autant que possible la Chine. Ce monde ne se laisse pas, toutefois, réduire à une grille de lecture aussi simple, d’abord parce que la montée de la Chine n’est pas la seule, car il y a la montée des émergences, ce qu’on appelle les Bric, mais on dirait que le Brésil n’est plus très performant et que la Russie plonge sous l’effet des sanctions. Il y a aussi l’Inde, un grand pays dont la population dépassera celle de la Chine, il y a, évidemment, l’Afrique du Sud et d’autres Etats nombreux qui abordent l’avenir avec un esprit de confiance et d’optimisme, avec un esprit conquérant, ce qui est la marque de pays qui veulent laver les humiliations qu’ils considèrent avoir subies au 19e siècle, pendant la période coloniale.
Pour l’ancien ministre de la Défense, l’arc des crises qu’on décrivait dans le livre blanc français sur la sécurité, en 2008, de l’Atlantique au Pakistan n’est pas vraiment éteint. Ce qui pose un problème. D’un autre côté, la crise du capitalisme financier n’a pas été surmontée, il existe des masses considérables de capitaux flottants, les actifs bancaires représentent 4 fois le PIB mondial, en France 6 fois, en Angleterre 8 fois. Les masses de capitaux spéculatifs sont des éléments de déstabilisation de l’économie mondiale. La crise de l’Euro est entrée dans une nouvelle phase, elle débouche sur une stagnation de longue durée, puisque dans le traité du TGC sur la stabilité, la coopération et la gouvernance, on prévoit la réduction de stocks de dettes à 60% du PIB, autant dire qu’on n’en a pour 120 ans, c’est un traité qui n’est pas réaliste. Enfin, J.P. Chevènement insiste sur les défis du monde qui viennent et qui concernent le retard de la transition démographique en Asie du Sud et en Afrique qui sera à l’origine de nouveaux déséquilibres. En Asie du Sud, l’Inde va dépasser la Chine avec 1,7 milliard d’habitants, en 2050, des pays comme l’Indonésie, le Bangladesh et le Pakistan dépasseront les 300 millions d’habitants tandis que les Philippines, le Vietnam et la Thaïlande seront autour de 150 millions d’habitants. Or, l’Afrique, qui avait 180 millions d’habitants en 1950,  aura 2,100 milliards d’habitants en 2050, soit 12 fois plus, alors qu’aujourd’hui elle en compte un milliard. Cette population va se concentrer dans un certain nombre de pays. Le Nigeria, la République démocratique du Congo et l’Ethiopie et d’autres encore, leur taux de fécondité se situant à hauteur de 5,6 voire 7%. Donc cette croissance  a un aspect positif qu’il ne faut pas cacher, c’est un facteur de dynamisme, de vitalité qui est à la source d’une urbanité, d’un phénomène de montée de classes moyennes avec l’augmentation du prix des matières premières, surtout que sur la longue durée la tendance est à la hausse. L’Afrique, ainsi, a une croissance de 5%, quoique cette croissance soit de nature rentière, elle existe et génère une sorte de dynamisme. Mais il y a un aspect négatif, cette croissance empêche l’épargne et l’investissement dans des secteurs comme l’éducation ou la santé ou encore la construction d’Etats viables. Voilà pour les défis à grande échelle.

Créer un ensemble Europe-Méditerranée-Afrique
Pour le conférencier, « la France et le Maghreb ne sont pas à l’échelle de ces défis, car que pèsent-ils par rapport à la rivalité de partenariat des Etats-Unis et de la Chine» ? Et de répondre : «Pas grand-chose par rapport au développement de l’Afrique qui aura 2,100 milliards d’habitants en 2050 et la France qui aura entre 75 et 80 millions d’habitants, tandis que le Maghreb dépassera les 120 à 130 millions. Nous sommes à des ordres de grandeur très différents et en même temps on voit bien que des problèmes se posent au Proche et au Moyen-Orient avec un retentissement jusqu’ici au Maghreb et en Méditerranée occidentale ne sont pas résolus et qu’on ne voit pas des solutions rapides : la reconnaissance d’un Etat palestinien, la réintégration de l’Iran de la communauté internationale, l’Iran a pris une position dominante et c’est l’une des conséquences lointaines de la guerre du Golfe. Il faudra, donc, parvenir à la garantie d’un équilibre de sécurité stable au Moyen-Orient, car cela permettra le décollage économique de cette région. Que pouvons-nous y faire ? Ensemble, nous pouvons être un binôme structurant ou un catalyseur pour apporter des solutions et notamment  créer un ensemble Europe-Méditerranée-Afrique entre la Chine, qui a entraîné dans son orbite presque tous les pays de l’Asie dont elle est le premier client et le premier fournisseur, et les Etats-Unis qui déclinent, certes, tout doucement mais qui se réorganisent. Il y a, donc, place pour un ensemble, non pas intégré mais pour un ensemble à géométrie variable une sorte de système de coopération renforcée nous permettant de mieux résoudre les problèmes qui se posent à nous. Nous pouvons être ensemble un lieu d’articulation privilégié pour promouvoir cette coopération renforcée parce qu’il y a entre nous une relation historique profonde qui se traduit par le fait que nous avons des atouts : par exemple, l’existence d’une immigration maghrébine importante en France, au moins 5 millions de personnes qui sont  un pont entre les deux rives de la Méditerranée, donc  des liens très étroits, très denses, le partage d’une langue, le français, la francophonie, qui facilitent  les choses et par conséquent la possibilité de nous comprendre et de peser ensemble dans la même direction et faire de ces caractéristiques des atouts pour l’avenir, car il faut se tourner vers l’avenir, il ne faut pas s’appesantir éternellement sur le passé qui comporte beaucoup d’ombres et quelques lumières mais regarder vers l’avenir». Le Maghreb, selon l’intervenant, a un fort potentiel mais virtuel et inexploré, ses dirigeants n’ont pas été en mesure de donner forme à l’Union du Maghreb arabe, il y a le problème du Sahara mais ce n’est pas un problème cosmique, l’unité se fera par les échanges, par en bas, par la circulation des hommes, des capitaux, des entreprises, par des projets qui pourront résulter de la coopération qui existe, y compris avec les pays du Nord de la Méditerranée dans le cadre soit du 5+5 qui est un bon format, soit à travers l’Union pour la Méditerranée qui est une union de projets et qu’il ne faut pas abandonner en cours de route, parce que l’Europe aurait trop tendance à s’intéresser à ce qui se passe à son Est, par exemple l’Ukraine et pas assez vers le Sud. Or, les problèmes qui vont se poser seront au Sud. Le Maghreb n’a pas pris une place suffisamment importante dans la création de la valeur. Or, la France a un stock d’investissements à l’étranger de onze cent milliards d’euros, tandis qu’il n’est au Maghreb que 15 milliards d’euros dont 8 au Maroc.

Le Maghreb très attractif 
C’est pourquoi le Maghreb doit être, explique le conférencier, une idée directrice, avec bientôt 100 millions de consommateurs, il devient, ainsi, très attractif et des domaines prioritaires s’imposent à l’évidence, l’énergie, soit les hydrocarbures, mais aussi le solaire, les engrais, le phosphate, le transport, les investissements croisés. Le coût du non-Maghreb a été évalué à  2 points de croissance par an. La Tunisie peut jouer, selon le conférencier, un rôle très utile, elle est en train de donner un exemple tout à fait remarquable, celui d’une capacité de gouvernance démocratique comportant l’alternance, la légitimité inscrite dans la démocratie. Mais il n’y a pas de légitimité pour l’avenir qui ne procède, plus ou moins de la démocratie, chaque pays a ses caractéristiques propres, chaque pays est compliqué et il faut tenir compte de sa géographie, de son histoire et de sa composition ethnique, ce sont là des équilibres qu’il faut savoir respecter.
Et d’ajouter : «Le Maghreb est relativement au monde arabe un pôle de stabilité, soit en Algérie, au Maroc et en Tunisie, au-delà, en Libye ce n’est pas le cas, il faut dire que l’intervention décidée en 2011, en principe pour protéger les populations, va au-delà, vers un changement de régime car on prenait trop de liberté avec le texte de la résolution des Nations unies  n° 1973 et aujourd’hui la Libye pose un problème, heureusement il y a  la Tunisie qui s’impose à bien des égards comme un modèle et je crois que pour le Maghreb, c’est important. Le Maghreb est riverain du Sahara mais le développement des pays africains au Sud, comme d’ailleurs celui des autres pays arabes, dépendra beaucoup de la stabilité de cet espace. Et par conséquent, c’est un problème que nous devons résoudre en commun ».

La France a encore une gamme d’atouts…
La France n’est plus la grande puissance qu’elle a été jusqu’à la seconde guerre mondiale, affirme Jean-Pierre Chevènement, mais elle garde la gamme complète des attributs d’une grande puissance, ce qui est assez rare quand on regarde le monde, il y a très peu de pays qui possèdent la gamme complète. Il y a des pays très puissants mais qui n’ont pas tous ces moyens d’influence, y compris diplomatiques et militaires ou culturels. La France a le 5e PNB mondial, elle est membre permanent  du Conseil de sécurité  des Nations unies, elle est dotée de l’arme nucléaire comme les quatre autres, c’est ce qu’on appelle le P5, elle a un réseau diplomatique de grande taille et une capacité de projection militaire qui, en Europe, n’existe que pour la Grande-Bretagne, elle a un rôle essentiel dans le lancement de la  construction européenne. Car la France a été à l’initiative de la construction de l’Europe avec l’Allemagne et l’Italie. Avec une démographie qui en fait le deuxième pays d’Europe qui la mettra à égalité avec l’Allemagne vers 2040, au cœur d’un ensemble, la francophonie qui comporte environ 200 millions de locuteurs et qui en comportera beaucoup plus au milieu du siècle qui vient si l’on sait faire un effort de formation et notamment de formation d’enseignants que cela implique avec une  recherche située au 4e ou 5e rang mondial, des firmes multinationales, 31 parmi les instances premières. C’est, donc, une gamme de potentialités montrant que la France ne manque pas d’atouts, mais ces facteurs positifs sont contrebalancés par une extrême morosité qui contraste avec l’arrogance qu’on prêtait traditionnellement aux Français qui sont passés d’un extrême à un autre et sont devenus extrêmement pessimistes comme s’ils ressentaient un certain déclassement oubliant, au fond, que La France est le pays qui a fait la révolution et qui a lancé un processus qui a gagné le monde entier». La France, exlique le conférencier, possède des atouts qu’elle conserve comme au Mali où elle a su montrer une grande agilité dont l’Europe n’était pas capable et d’intervenir en extrême urgence pour empêcher l’instauration d’un Califat  islamique, une sorte d’apanage d’un nouveau Daech. Cette agilité est  importante, notamment dans le cadre de l’ONU et dans le cadre de la légalité internationale avec l’accord des gouvernements intéressés et de l’Union africaine et de ses organisations régionales.

Les défis de la sécurité et de la paix 
S’agissant des défis à relever et qui sont la sécurité et la paix, l’intervenant indique que concernant la sécurité, l’Union européenne doit être sensibilisée à la dimension du Sud et au fait qu’il n’y a pas de développement sans sécurité. Il faut, selon lui, qu’il y ait des Etats qui exercent le monopole de la violence légitime pour qu’il puisse y avoir un développement économique et des investissements. Le principe de base est que la sécurité doit être assurée, en priorité, par les Africains eux-mêmes et c’est là le rôle de l’Union africaine qui siège à Adis-Abeba, de ses organisations régionales, comme la Cedao, l’Afrique Occidentale, l’Afrique Centrale, l’Afrique Australe outre le cadre de l’ONU et des nombreuses opérations de maintien de la paix qu’elle promeut en Afrique, souvent dans des conditions difficiles. Concernant l’armée française, il s’agit, indique-t-il, d’une petite armée de 220.000 hommes, elle est extrêmement mobile mais elle ne peut jouer qu’un rôle de corde de rappel, elle ne défend pas des intérêts français mais les intérêts de l’Afrique et des pays africains, en intervenant  toujours dans le cadre de la légalité internationale et à la demande des gouvernements. C’est en tout cas la règle qui doit s’imposer.
Le rôle de la coopération entre les pays du Maghreb et la France en matière de sécurité est tout à fait essentiel, ajoute-t-il, «pour stabiliser l’espace sahélien, c’est-à-dire l’espace qui sépare le Maghreb de l’Afrique noire et si on y arrive il y a  une chance pour que l’Afrique soit un continent de paix et non pas un continent ravagé par des guerres civiles meurtrières, des génocides, tel au Rwanda, ou des  guerres silencieuses comme celles qui se sont déroulées au Congo, au début des années 2000.
Le défi de la paix qui n’est pas le défi de la sécurité, la paix est une notion politique, elle implique la réunion d’un certain nombre de conditions politiques et par conséquent elle doit obéir à une politique de principe. Concernant le problème palestinien, on voit que ce n’est pas l’Europe qui détient les clés, ce sont les Etats-Unis. Mais il faut toujours rappeler que ce problème nous empêche d’aborder sérieusement, sereinement, solidement les questions de sécurité. Il y a aussi la question de l’Iran qui est une puissance régionale incontestable mais on n’a pas intérêt à nucléariser le Moyen-Orient, il y a déjà suffisamment de facteurs de troubles comme cela.
Pour le défi du développement, il faut aussi rappeler à l’Union européenne que les financements doivent être orientés vers le Sud et c’est le rôle de la France, des pays du Maghreb et du 5+5 de dire qu’il doit y avoir un meilleur équilibre entre les financements qui vont vers l’Est et ceux qui vont vers le Sud. L’éducation est importante pour la formation de cadres mais aussi de techniciens dont l’Afrique a besoin dans tous les domaines, il faudrait recruter un million d’instituteurs en Afrique pour répondre aux besoins de l’alphabétisation. Il y a aussi le problème de la santé avec le développement d’épidémie comme Ebola ou d’anciens virus. Il y a le problème du transport dont les infrastructures sont insuffisantes et qu’il faut développer, ne serait-ce que pour relier les très grandes villes et les très nombreuses villes moyennes qui sont, maintenant, le socle de nouvelles croissances que nous voyons se développer. L’Afriques est un défi pour le Maghreb comme pour la France et l’Europe, et c’est un défi que nous devons relever ensemble.  Parce que la croissance de l’Afrique peut être une chance, car il y a beaucoup de choses à faire, beaucoup d’initiatives à prendre, beaucoup d’argent à gagner et il faut aider l’Afrique à s’en sortir, l’Afrique est dans la mondialisation et elle doit en maîtriser les ressorts».

L’Importance de la construction des Etats
Et de conclure, en indiquant que ce «qui va lester le développement de l’Afrique, c’est l’insuffisance des Etats, il n’y a pas assez d’Etats organisés, à plus forte raison d’Etats de droit, et  de ce point de vue-là la Tunisie est un exemple absolument extraordinaire parce qu’il doit nous permettre de montrer ce qu’il faut faire. Il faut qu’il y ait des  Etats fondés sur des notions qui paraissent simples, le respect de la loi, la citoyenneté, la légitimité démocratique, l’acceptation de l’alternance, l’éducation parce qu’il ne suffit pas de dire qu’on va faire des révolutions arabes ou africaines, il faut qu’il y ait aussi un socle  de citoyens et une maturité dans la population qui permettent à ces jeunes démocraties d’avancer plus sûrement sur le chemin de l’avenir. A cet égard, la Tunisie donne un remarquable exemple de maturité. Je pense qu’elle sera un phare non seulement pour le Maghreb, pour l’Afrique, pour le monde arabe, mais pour l’humanité toute entière».
La conférence de presse a été suivie d’un débat au cours duquel le conférencier a répondu à plusieurs questions dont l’une a porté sur la régression de la coopération entre la France et la Tunisie dans plusieurs domaines, entre autres l’éducation d’où un sentiment d’abandon. Ce à quoi le conférencier a répondu qu’il s’agit «de raisons politiques et d’une certaine méfiance manifestée après les révolutions arabes, car tout ne s’est pas déroulé comme en Tunisie où vous avez maîtrisé l’affaire  de matière splendide montrant toutes les qualités du peuple tunisien. Or, dans les pays comme l’Egypte, je ne parlerai pas du Yémen, de la Libye, du Bahreïn, de la Syrie, où ça a tourné autrement, il y a eu une répercussion  par assimilation et amalgame. On le voit  dans le domaine du tourisme. Je pense que cela ne durera pas, ce qui se passe en Tunisie, aujourd’hui, permettra de revenir à une situation meilleure. Il y a l’aspect économique qui est dramatique, vu la stagnation dans laquelle l’Europe s’est enfermée, car depuis 5 ans la production n’a pas augmenté. Nous n’avons pas retrouvé le niveau de production industrielle de 2007 et par conséquent l’Italie et l’Espagne ont connu une diminution importante de leur production, l’Allemagne a connu une croissance très faible et ce n’est pas dans l’intérêt des pays du Maghreb que l’Europe soit à ce point aliénée. D’où le besoin d’un grand souffle d’air frais pour se débarrasser d’un certain nombre de postulats néolibéraux, des événements politiques vont se passer en Europe, c’est certain, et ils vont bouleverser la donne. Nous sommes au début d’une phase où cela va secouer de l’autre côté de la Méditerranée. La montée de l’extrême droite en France et en Europe est due aux différentes réactions dirigées contre l’Islam, des réactions identitaires comme en Grande-Bretagne avec «you Keep» ou en Allemagne. En France, je pense que le Front national traduit un mécontentement et le rejet d’un système faussement binaire qui propose la même politique depuis au moins le traité de Maastricht et qui s’enracine naturellement dans une conception de l’Europe comme si elle était un substitut de la nation. Or, je pense que c’est une erreur. L’Europe peut être construite dans le prolongement. Le FN capte ce mécontentement plus que le front de gauche puisque moi-même j’ai essayé en 1993 de créer le mouvement des citoyens, mais ça n’a pas décollé parce que probablement nous nous adressons trop à l’intelligence des citoyens. Or, finalement c’est à partir de réflexes sommaires, qu’on arrive à mobiliser les grandes masses. Est-ce que cela aura des conséquences politiques ? Je ne le pense pas. Mme Le Pen sera au second tour probablement en 2017 mais ne sera pas élue pour autant. Je crois que ça secouera assez le système pour qu’il génère des gens qui proposeront une véritable alternative.
Quand on porte un regard approfondi sur la manière dont les choses se passent, la France a été un pays d’intégration jusqu’il y a une trentaine d’années, on peut dire qu’elle marche moins bien mais elle marche encore, et il y a beaucoup d’exemples de classes moyenne et éduquée où des personnes d’origine maghrébine réussissent leurs études en devenant ingénieurs, médecins, commerçants, il n’y a pas que les petits délinquants qui sont dans le trafic de drogue comme on tend à le faire croire.
Il faut tenir un discours raisonnable, il s’agit d’une crise et on la surmontera. La France en a surmonté d’autres dans son histoire, mais c’est une crise grave et elle est devant nous ».
Samira DAMI

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