lundi 9 novembre 2015

Arrêt sur image

La mémoire en péril

Par Samira DAMI
Lors d’un passage récent dans une émission de télévision, Zied Gharsa a amèrement déploré l’absence quasi totale de conservation du patrimoine musical qu’est le malouf, qui représente indéniablement l’un des constituants de notre identité nationale. Le chanteur et musicien enfonce le clou en révélant que la totalité de l’œuvre de son géniteur, Tahar Gharsa, disciple de Khemaïs Ternane et considéré comme l’un des maîtres du malouf, n’a été ni enregistrée ni conservée par les institutions étatiques concernées.
zied gharsa a, par ailleurs, confié qu’il dispose de quelques enregistrements du riche legs musical de son père, mais lesquels, à la longue, risquent, faute de conservation idéale, purement et simplement la dégradation.
Toutefois, ce n’est pas tout puisque le chanteur a, également, révélé, au grand dam de tous, que même les 13 noubas du malouf, qui ont été sauvegardées de la déperdition grâce à la volonté et à l’ardeur lyrique et musicale du mélomane et non moins musicien Mohamed Rachid Bey, ne sont pas, aujourd’hui, entièrement enregistrées, ni conservées ni diffusées.
Contrairement, par exemple, à l’Algérie qui a sauvegardé l’ensemble de ses noubas andalouses, par l’enregistrement et la conservation.
Ainsi, notre malouf, faute d’enregistrement et de diffusion, demeure, jusqu’à nos jours, inconnu aussi bien des musiciens que du public.
Et si le malouf, reflet du cachet musical tunisien, n’est pas conservé, que dire du trésor musical de plusieurs décennies, depuis le début du XXe siècle, entre pièces musicales et chansons inimitables.
Mais le plus affligeant, c’est que l’absence de conservation et de diffusion du patrimoine culturel et artistique touche aussi bien le domaine musical que d’autres domaines artistiques : le cinéma, les arts plastiques, le théâtre, la danse traditionnelle, les sites archéologiques, l’architecture urbaine et autres.
Ainsi est-il affligeant de constater que, jusqu’à aujourd’hui, le pays ne dispose pas d’un musée des arts plastiques et que les fonds du patrimoine pictural et sculptural ne sont pas encore répertoriés et conservés dans les normes et les conditions idéales. Deux tentatives de mettre sur pied un musée des arts plastiques, et ce, successivement au milieu des années 1990 et en 2010, n’ont pas abouti. Résultat : la production des arts plastiques tunisiennes, entamée notamment à l’orée du XXe siècle, risque la détérioration en l’absence d’un musée d’art moderne et contemporain auquel ont appelé, à plusieurs reprises, les plasticiens et les académiciens. Le dernier appel en date ayant été fait en février 2015.
A défaut de musée, l’histoire et la mémoire de l’ensemble du secteur des arts plastiques demeurent, ainsi, invisibles aussi bien pour le public que pour les artistes.

Et la volonté politique ?

Côté 7e art, la conservation, la restauration et la diffusion du patrimoine cinématographique sont tout aussi aléatoires, à défaut d’une cinémathèque où le legs filmique national serait conservé dans des conditions idoines.
Pourtant, les nouveaux supports existent et il s’avère nécessaire aussi bien de restaurer tout le gisement de films disponibles et de le transposer sur les nouveaux supports technologiques.
Même situation pour le théâtre car aucun musée des costumes et des décors scéniques n’existe sous nos cieux, comme c’est le cas ailleurs, alors que la production théâtrale a commencé à l’orée du XXe siècle.
Les sites archéologiques et les trésors architecturaux urbains manquent, pour la plupart, de préservation et sont souvent profanés et pillés.
Ainsi, en est-il de plusieurs sites, entre autres Kasserine, Sbeïtla et Djerba où le site archéologique de souk El Guebli a été saccagé sous les regards laxistes et dans l’indifférence des parties concernées, entre ministère de la Culture, police et autres institutions étatiques.
D’ailleurs, l’Unesco a, dans ce sens, lancé «Une alerte contre le trafic du patrimoine archéologique qui s’accentue du fait des révoltes en Tunisie, en Egypte et en Libye, notamment».
Ainsi, le ministère de la culture et les institutions étatiques concernées ont du pain sur la planche s’il existe réellement une volonté politique pour conserver le riche patrimoine national ainsi que la mémoire dans tous les domaines de l’art.
Ce patrimoine, reflet de l’identité nationale, du génie des hommes et de la richesse des civilisations qui se sont succédé sur notre bonne terre, devrait être impérativement conservé et sauvegardé. c’est pourquoi du côté du ministère de la culture, il est temps de se réveiller et d’agir à travers la création de médiathèques, cinémathèques et photothèques, ainsi que de musées d’arts plastiques, d’arts vivants, d’arts scéniques, et autres. Car il est de notre devoir de transmettre aux générations futures le legs patrimonial qui leur est dû car ces lieux de conservation favorisent non seulement l’exposition et la diffusion mais, aussi l’étude, la recherche et la formation.
S.D.

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