lundi 4 janvier 2016

RETROVISION

PAYSAGE AUDIOVISUEL
ETAT DES LIEUX ET DEVENIR
LE paysage audiovisuel tunisien (PAT) s’est transformé en profondeur après le 14 janvier 2011, au plan quantitatif, notamment, vu l’augmentation remarquable des chaînes de radio et de télé. Ainsi, quatre ans après la révolution, le paysage médiatique audiovisuel national s’est enrichi d’un nombre important de chaînes aussi bien légales qu’illégales émettant sans l’autorisation accordée par la Haica (Haute autorité indépendante de la communication), créée en mai 2013 par le décret-loi 116 du 2 novembre 2011, afin d’organiser, de réguler et de réformer le secteur. On compte, donc, 59 médias audiovisuels légaux, dont 47 radios et 12 télés, ainsi que 6 radios et 4 télés pirates tels, selon la Haica, Zitouna TV, Ettounsia TV, Sousse FM et El Qoran el karim. Sur les 47 radios ayant leur licence, 9 sont publiques, 28 privées et 10 associatives. Sur les 12 chaînes de télé légales, on compte deux satellitaires publiques seulement. Avant le 14 janvier 2011, le paysage audiovisuel ne comptait que 15 médias, dont 11 radios et 4 chaînes de télé, dont deux privées. On constate ainsi que le nombre des médias audiovisuels qui diffusent leurs programmes en toute légalité a tout simplement triplé. La majorité des médias légaux nés après la révolution ont obtenu leur licence, en répondant à des critères définis et fixés d’abord par l’Inric (Instance nationale pour la réforme de l’information et de la communication) créée par le décret-loi du 2 mars 2011 et qui a mis fin à ses activités en juillet 2012, et ensuite par la Haica à partir de novembre 2013. Après les années de plomb du temps de l’ancien régime où pluralisme et liberté d’information relevaient du domaine de l’impossible, les deux instances se sont successivement fixé comme objectifs d’instaurer «une information libre, pluraliste et diversifiée afin de répondre aux aspirations des Tunisiens». La tâche n’est pas aisée, mais pas impossible a fortiori si pareilles instances, aujourd’hui la Haica, sont soutenues par une forte volonté politique, sans laquelle rien ne pourrait être entrepris : ni organisation, ni régulation, ni encore moins de réforme. Toutefois, il est clair qu'aujourd’hui, malgré toutes les chaînes pirates et tous les dépassements, un certain pluralisme et une certaine diversité se dégagent du Pat. Le pluralisme se décline à travers les différentes lignes éditoriales, tandis que la diversité se manifeste à travers les chaînes publiques, privées et associatives, qu’elles soient généralistes, thématiques et locales, tels Msaken-FM, qui est à caractère économique, et Nejma-FM focalisée sur l’emploi et les jeunes. L’impérative régulation 
L a diversité au sein du PAT s’affiche également à travers les radios associatives, comme à Kasserine, Rgueb, Kébili, Gafsa, Tunis et autres. La majorité des dix radios associatives diffusent, aujourd’hui, leurs programmes, à l’exception, faute de moyens financiers, de Houna Kasserine et de Radio Hajeb Laâyoune. Or, le rôle du gouvernement est de soutenir financièrement ce genre de radios, mais à défaut, la Haica compte mobiliser, à partir de janvier 2016, 50 mille dinars sur ses propres fonds afin d’aider ces chaînes qui pourront postuler à des subventions sur la base de critères définis aussi bien par la Haica que par les représentants du secteur. Ces subventions serviront à améliorer la qualité des programmes d’informations de proximité, la formation et l’emploi des jeunes journalistes et autres professionnels du secteur. Mais comment garantir l’indépendance et la liberté face aux liaisons dangereuses entre le médiatique et le politique, le médiatique et le monde des affaires ou du sport ? Comment combattre ce genre d’alliances pas très catholiques. Sinon par le contrôle et la régulation continus du secteur. D'où l’importance d’une instance telle la Haica qui sera prochainement remplacée par l’ACA (Autorité de la communication audiovisuelle) qui se doit de jouer son rôle en toute indépendance, loin de toute pression que ce soit de la part du gouvernement, ou des forces financières et politiques internes ou externes ou encore des patrons des médias audiovisuels privés. Ainsi, la régulation et le contrôle des médias sont plus que jamais nécessaires afin d’éviter la chaos médiatique, la désinformation, la manipulation et la division des Tunisiens dus à l’influence politico-idéologique et à l’argent suspect occulte. Car comment expliquer la longévité de certaines chaînes aux lignes éditoriales politiquement partisanes, et dont l’origine des financements est si obscure, surtout qu’elles n’ont aucune ressource publicitaire. Pour empêcher de tels dépassements et irrégularités et afin de pouvoir appliquer la loi à tous, notamment les chaînes pirates, le gouvernement devrait faire preuve d’une réelle volonté politique en considérant la Haica comme une instance constitutionnelle partenaire ayant des pouvoirs réglementaires et consultatifs. Car l’on ne comprend pas, par exemple, le changement récent à la tête de l’ETT (Etablissement de la télévision tunisienne), opéré par le chef du gouvernement, sans consultation de la Haica. Il est vrai que dans un pays qui tend vers la démocratie, comme le nôtre, certaines résistances subsistent aussi bien de la part des politiques que des patrons et dirigeants des chaînes privées dont certains, Nessma TV, Al Hiwar Ettounsi et radio Kelima, refusent jusqu'à aujourd’hui, selon la Haica, de signer les cahiers des charges. Mais encore une fois, tout est question de volonté politique, de capacité et d’engagement réels pour l’application de la loi à tous de manière juste et équitable.
Contre la culture du buzz
Maintenant, l’appréhension générale est de voir la vacuité du sens, voire le non-sens dominer une bonne partie du Pat tant certains médias sont en quête perpétuelle du sensationnel et du buzz afin de garantir l’audimat à tout prix au détriment de la qualité, du sens et même de l’éthique professionnelle. A preuve le nombre important de chaînes et d’émissions épinglées par la Haica en raison de plusieurs dépassements entre atteintes à la vie privée et à la dignité humaine, apologie de la violence et du terrorisme, publicité pour des personnalités et des partis politiques en pleine campagne électorale de 2014, et nous en passons. L’esprit partisan, l’incitation à la haine et à la discorde sont les autres tendances constatées dans les médias privés qui servent au public un pot pourri de liaisons dangereuses entre le politique et le religieux, le sport et l’argent, etc. Autres carences caractérisant le PAT : la médiocrité, le mimétisme, le manque d’innovation et de professionnalisme, voire l’amateurisme, ainsi que la difficulté et l’incapacité de la majorité des chaînes de télé aussi bien publiques que privées à remplir les grilles de leurs programmes. D’où les rediffusions en continu jusqu’à l’overdose et l’ennui. Mais comment innover et améliorer la qualité des médias audiovisuels, sinon par cet équilibre nécessaire entre les chaînes publiques, les chaînes alternatives, façon associatives, et les chaînes privées. Cela, outre la réforme des médias publics dont la fonction n’est pas de singer les chaînes commerciales privées, mais de tirer le PAT vers le haut en jouant le rôle de locomotive qui génère du sens et de la qualité en agissant et en se positionnant contre la culture du sensationnalisme et la culture du buzz. Certes, c’est là un travail de longue haleine, mais indispensable et incontournable pour le salut et la pérennité des médias audiovisuels publics qui représentent, qu’on le veuille ou non, l’écho, le reflet et la vitrine du pays. Peut-on, par conséquent, espérer ne serait-ce qu’un début de réforme, au cours de la nouvelle année 2016, donc un changement en vue, bien entendu après mûre réflexion, de l’ensemble du secteur audiovisuel public, donc du PAT? Attendons voir. Et bonne année 2016.
S.D

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