dimanche 12 avril 2015

ARRET SUR IMAGE

Mass’art ne doit pas fermer

Par Samira DAMI

En ces temps où le terrorisme frappe de façon quasi-périodique aussi bien dans les régions de l’intérieur du pays que dans la capitale, plusieurs voix du monde politique et artistique et de la société civile se sont élevées criant, haut et fort, que «la culture est le meilleur rempart contre l’extrémisme et le terrorisme».Voilà qui est bien, diriez-vous, pourtant il semble, encore une fois, au vu de certains faits et de la réalité que tout cela n’est que littérature et pur sophisme. A preuve, la fermeture plus que révoltante d’un espace culturel alternatif, baptisé Mass’Art, et situé dans le quartier populaire de Bab Laâssa. Les raisons de la fermeture de ce temple culturel qui assure plusieurs activités entre lecture, poésie, théâtre et autres, sont pour le moins kafkaïennes.

Cette fermeture est survenue suite à la fin du bail de location. Pis, le directeur de l’espace, Salah Hamouda, qui en est le locataire, n’a même pas le droit de bénéficier du fonds du commerce, la justice ayant considéré «qu’un espace culturel ne peut avoir une vocation commerciale». Or, nous avons évoqué cette dimension, dimanche dernier, dans cette même rubrique, en prenant l’exemple de la France où la culture, au sens large du terme, contribue sept fois plus au PIB (Produit intérieur brut) que l’industrie automobile avec 57,8 milliards d’euros de valeur ajoutée par an. Donc, la culture, ça rapporte aussi.
En attendant que la justice se prononce de nouveau sur le fond de l’affaire, le directeur et les animateurs de l’espace sont en sit-in devant les portes closes de l’espace ne pouvant accéder à leur matériel, équipements techniques, dossiers administratifs et textes de pièces de théâtre, etc.
Ils sont soutenus, dans leur action, par ceux qui ont fréquenté l’espace et qui ont, selon leurs dires, «beaucoup appris» sans compter que l’amour des arts leur a été inculqué. Une poignée d’artistes, d’activistes et de figures politiques, exclusivement du parti Al Massar, dont Samir Taïeb et Salma Baccar, ont soutenu lors du rassemblement du 6 mars ces hommes de culture jetés à la rue.

La culture est un rempart contre le terrorisme ?
Sidérée par le laxisme des autorités et du ministère de la Culture qui n’ont pas assez fait, selon elle, pour empêcher cette situation morbide née d’un malentendu sur la vocation d’un espace culturel, Salma Baccar s’indigne : «Comment peut-on juger que la culture n’a pas de dimensions lucrative et commerciale ? Comment accepter qu’on ferme les portes d’un espace culturel qui réunit un grand nombre d’enfants et de jeunes du quartier qui ont beaucoup appris en s’adonnant à des activités culturelles et en jouissant de plusieurs spectacles de théâtre et autres ?»
Salah Hamouda a abattu un travail fou avec les jeunes et les enfants qui fréquentent cet espace de proximité, plus il a établi des liens avec les écoles et lycées environnants à telle enseigne, que lors du sit-in de soutien à cet espace, j’ai vu des mères soutenir les mouvements de rassemblement et de sit-in car elles considèrent que ce lieu qui accueille et réunit leurs enfants les empêche, ainsi, de prendre de mauvais chemins et de subir l’influence des extrémistes du quartier. L’ancienne députée d’Al-Massar s’étonne, enfin, qu’au moment où tout le monde s’accorde à dire que la culture constitue la meilleure arme contre le terrorisme, personne parmi les politiques au pouvoir et les autorités ne bouge ou ne lève le petit doigt afin d’empêcher la fermeture de Mass’Art. «C’est inadmissible et honteux», proteste-t-elle.
D’autres citoyens indignés ont lancé une pétition de soutien à cet espace sur internet estimant que les procédures judiciaires n’ont pas été respectées. Les forces de l’ordre auraient dû surseoir à l’exécution du jugement, surtout que le directeur de l’espace a fait appel. tous ces citoyens choqués pensent qu’il y a anguille sous roche.

En finir avec l’indifférence
De son côté, le directeur de l’espace se plaint de l’attitude négative des autorités et de la police enclines à gâcher les activités et événements organisés dans l’espace.
Pis, il affirme avoir reçu des menaces émanant d’extrémistes religieux, ennemis des arts et de la culture qui jugent qu’ils ne font que pervertir les jeunes.
Maintenant, quand on sait que les espaces culturels ne sont pas légion sous nos cieux, notamment ceux alternatifs et de proximité, on ne peut qu’être ahuri et choqué face au silence et au laxisme des autorités, des partis politique et de la société civile. D’autant que, normalement, on devrait s’attendre à l’encouragement et au développement de la culture sous tous ses genres et ses formes. Fermer un espace culturel, c’est encourager indirectement l’extrémisme et au bout du chemin le terrorisme.
Mass’Art ne doit, donc, pas fermer ses portes. Qu’on se le tienne pour dit.
Alors à quand donc une réelle politique culturelle qui aide et soutient tout investissement et initiative culturelle privés dont le but est de susciter l’amour des arts et du savoir, de répandre la culture et d’inciter les citoyens, jeunes et moins jeunes, à la pratique culturelle ?
N’est-il pas temps, face à la paupérisation de l’infrastructure culturelle et au délitement ambiant de l’action culturelle publique de tracer une réelle politique de la culture et d’en finir avec l’indifférence a fortiori à l’heure où nous sommes censés mener une guerre sans merci contre le terrorisme ?

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