mercredi 2 novembre 2011

Reportage : Manifestation féminine à La Kasbah

Des femmes jalouses de leurs droits

Des femmes jalouses de leurs droits
Dès 11h00 devant la coupole de la cité olympique d’El Menzah un attroupement de femmes se forme.
Une bonne centaine de personnes discutent en groupes dans l’attente de l’arrivée d’un bus qui doit les transporter à La Kasbah, au siège du Premier ministère, où se déroulera la manifestation décidée suite à l’action, entamée mardi dernier, au cours d’une réunion au centre culturel d’El Menzah VI afin, martèlent-elles, «de défendre et sauvegarder leurs droits et acquis dans la nouvelle Constitution».
L’une des membres, du comité d’organisation du mouvement, Mme Monia Jeguirim n’hésite pas à éclairer notre lanterne : «Nous sommes un groupe de femmes indépendantes appartenant à toutes les catégories et strates de la société et notre action, nous insistons, est tout à fait spontanée. Aujourd’hui nous vivons un rendez-vous avec l’histoire puisque la nouvelle Constitution va être rédigée autant alors y voir les droits et les acquis de la femme inscrits et consignés. Pour ce, nous rencontrerons tout à l’heure à 13h00 le Premier ministre, M. Béji Caïd Essebsi et nous ferons de même avec tous les autres chefs de partis ainsi que tous les élus de l’Assemblée constituante pour leur dire que les droits acquis des femmes sont fondamentaux et irréversibles et qu’ils doivent en tenir compte».
Déjà 11h30 et le bus n’arrive pas, quelques minutes plus tard «l’info» tombe : «le bus ne viendra pas l’agence de location a reçu des menaces, par téléphone, et craint de voir son véhicule détruit».
Les organisatrices de la manifestation décident d’opter pour le covoiturage, alors que d’autres femmes s’empressent de prendre des taxis.

Changement de décor : vers midi-trente, les femmes sont massées face à l’hôpital Aziza-Othmana et la place du Premier ministère. La foule des manifestantes a grossi, des médecins, infirmières en blouse blanche, dont certaines drapées du drapeau national, des enseignantes des écoles et lycées alentour, des employées d’administration et de banques, des ouvrières, des passantes, des retardataires, des hommes aussi se joignent au mouvement. Environ 800 personnes, scandent, à gorge déployée, toutes sortes de slogans : «Toutes ensembles pour nos acquis», «Ne touchez pas à ma fille», «Ne touchez pas au CSP», «Musulmanes et libres», «La citoyenneté n’a ni sexe ni forme», «La révolution continue et les rétrogrades dehors». Certaines brandissent des écriteaux où on peut lire notamment «une Constitution garante des droits de la femme tunisienne».

«Ne touchez pas à ma fille !»

La presse est là, les télés et les radios aussi. Les déclarations fusent passionnées : Mounira, une quinquagénaire, médecin de la santé publique s’enflamme : «Quand j’ai entendu tout ce qui se passe ces derniers jours dans les universités, les dépassements et agressions de professeurs pour leur tenue vestimentaire de la part de certains je ne peux que m’inquiétier, c’est pour cette raison que je suis là. Je suis venue soutenir l’idée que le Code du statut personnel (CSP) et les acquis de la femme doivent être respectés et inscrits dans la Constitution».
Mme Asma, enseignante, surenchérit : «Je suis libre et indépendante.Et je suis là pour défendre la société civile et les acquis de la femme que certains islamistes veulent remettre en cause. Pourquoi c’est toujours la femme qui trinque? Pourquoi est-elle toujours considérée comme un objet? Pourquoi ne s’occupent-ils pas plutôt à trouver des remèdes à la misère et au chômage?
Nous avons, comme les hommes, participé à la révolution, nous avons aussi nos martyres et les mères des martyrs, nous ne sommes pas prêtes donc à céder ne serait-ce qu’une once de nos acquis et libertés».
Aïcha, la quarantaine, cadre dans une banque, craint, elle, la légalisation du mouvement Ettahrir et il s’agit, pour elle, de garantir les droits de la femme dans la Constitution afin d’éviter toutes mauvaises surprises et de rassurer toutes les femmes sceptiques qui ont peur pour l’avenir de leurs filles.
Il est environ 13h00, une délégation de dix femmes est conviée par un officiel du Premier ministère à rencontrer le Premier ministre sous les cris de joie et de satisfaction des manifestantes.
La manifestation s’amplifie et se poursuit de plus belle sous le regard attentif des Brigades d’ordre public (Bop), des badauds et des curieux : «Vous êtes les femmes de Leïla Ben Ali», lance un jeune homme barbu. «Pourquoi précèdent-elles les événements ? Pourquoi n’attendent-elles pas la rédaction de la Constitution ?», crie une jeune fille voilée. «Alors il faudra attendre encore 50 ans si la Constitution est rédigée», rétorque une des manifestantes. Les slogans et les discussions vont bon train.
13h45, la délégation sort du Premier ministère et entonne l’hymne national, les manifestantes applaudissent, chantent «Hadhi el bidaya wa mazel mazel» (Ce n’est que le commencement…)
Les journalistes et cameramen accourent, entourant la délégation. Déclaration de Mme Jguirim : «M. Caïd Essebsi a été très réceptif, vous avez créé l’événement, nous-a-t-il dit. Saluant notre initiative, il a insisté sur l’importance des acquis de la femme, essentiels, selon lui, pour le développement du pays. Nous lui avons fait part de notre demande, il a été à l’écoute et nous a manifesté son soutien». Du coup, des sourires de satisfaction s’affichent sur les visages des manifestantes.
Interrogée par La Presse, l’intervenante conclut : «Ce n’est qu’un début, il faut poursuivre la mobilisation, on rencontrera d’autres partis : le CPR, Ettakatol, le PDP et tous les élus de la Constituante. Qu’on arrête de dire qui est derrière ce mouvement. Il est vrai qu’on s’y est mal prise lors de la réunion de mardi, je me suis présentée et je me suis excusée pour notre amateurisme, mais nous sommes de bonne foi et notre cause est noble. On nous a accusées d’être des bourgeoises, vous avez, toutefois, vu à la ‘‘manif’’ qu’il y avait des femmes de toutes les catégories sociales. Quant à l’argent pour louer le bus, sachez que nous avons fait une collecte entre nous. Pourquoi veut-on casser ce mouvement auquel ont répondu par SMS et via Facebook des femmes de bonne volonté qui, toutes affaires cessantes, sont venues défendre leur cause, je me le demande ? Maintenant je dis soyons vigilantes et continuons à nous mobiliser».
Quelques instants plus tard, les Bops demandent gentiment aux manifestantes de se disperser. Ce qu’elles firent, se donnant le mot pour rejoindre la manifestation qui s’est déroulée, hier à 14h00, devant la Cité des Sciences pour soutenir une professeure d’université agressée, par certains étudiants, pour sa tenue vestimentaire.
Auteur : Samira DAMI

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