mercredi 28 mars 2012

Entretien avec : M. Hamadi Jebali, chef du gouvernement provisoire, à La Presse:

Le combat du Tunisien n’est pas de savoir s’il est musulman ou non

Le combat du Tunisien n’est pas de savoir s’il est musulman ou non

Au terme des cent jours de l’accession du gouvernement provisoire au pouvoir, l’heure est moins au bilan des réalisations accomplies qu’à l’énumération des faiblesses et des erreurs, par ailleurs admises par M. Hamadi Jebali, chef du gouvernement provisoire. Faiblesses qu’il impute au manque d’expérience de l’équipe gouvernementale, mais face à quoi il fait valoir, cependant, les qualités d’honnêteté et de bonne gouvernance.
Reconnaître ses erreurs, c’est se donner les moyens de les corriger. Le nouveau programme économique, dont le chef du gouvernement révèle les priorités essentielles, servira à ses yeux d’occasion pour apporter les correctifs nécessaires.
M. Hamadi Jebali s’est prêté de bonne grâce à toutes les questions de La Presse, même celles qui fâchent. Qu’il s’agisse du laxisme dont le gouvernement est accusé face au problème salafiste, au flou qui entoure le calendrier électoral, au renchérissement du coût de la vie, au sentiment d’insatisfaction qui prévaut dans les régions ou à sa visite aux détenus de l’Aouina, le chef du gouvernement a répondu sans détour.
A propos de l’initiative de M. Béji Caïd Essebsi, le chef du gouvernement n’a pas mâché ses mots, appelant l’ancien compagnon de Bourguiba «à garder la mesure de son rôle et à ne pas chercher à souffler dans des corps inanimés». Interview .


Le parti Ennahdha a annoncé dimanche dernier, dans un communiqué, avoir accepté le maintien de l’article 1er de la Constitution de 1959 dans la nouvelle Constitution. En tant que chef de gouvernement, comment jugez-vous cette position?J’ai été informé comme vous de la décision. Je n’ai pas participé directement à la réunion du mouvement Ennahdha qui a, après concertation, accepté le maintien de l’article 1er de la Constitution de 1959 dans la nouvelle Constitution. C’est une bonne décision, car nous n’avons pas besoin d’introduire une autre nouvelle disposition dans la Constitution.
L’article 1er constitue une plateforme commune qui symbolise l’identité nationale des Tunisiens d’autant que nous n’avons pas besoin d’ouvrir d’autres fronts, bien au contraire. Notre objectif étant, plutôt, de rassembler toutes nos potentialités intellectuelles et matérielles en vue du combat essentiel du peuple tunisien, en l’occurrence les situations économique et sociale difficiles, pour se consacrer entièrement aux causes capitales de notre peuple et de notre révolution comme le chômage, la pauvreté et le développement.
Les déclarations concernant le calendrier des prochaines élections législatives et présidentielles se sont multipliées, ces derniers temps, à travers des annonces contradictoires semant encore davantage le doute dans les esprits. Le président de l’ANC a annoncé les dates du 20 mars ou 9 avril 2013, les présidences de la République et du gouvernement l’ont démenti. Cela signifie-t-il l’absence de consensus au niveau de la Troïka sur ce sujet ?J’ai déclaré à maintes reprises que le gouvernement issu d’une coalition a signé une déclaration avec 11 partis qui se sont engagés pour l’organisation de nouvelles élections dans un délai ne dépassant pas les 13 mois. Le gouvernement respectera ses engagements qu’il considère comme une obligation morale.
Néanmoins, j’estime que l’annonce d’un calendrier précis est tributaire du travail de l’Assemblée nationale constituante (ANC).
La question n’est pas du ressort du gouvernement qui a demandé à l’ANC d’établir un calendrier sur ses activités. Nous souhaitons vivement que l’ANC fournisse l’effort nécessaire pour accélérer le processus de rédaction de la Constitution d’autant plus que l’éventualité de l’organisation d’un référendum n’est pas à exclure au cas où le projet élaboré ne parviendrait pas à obtenir les deux tiers des voix requises. Un tel cas de figure aboutirait à la dissolution de l’ANC.
En tant que gouvernement, nous considérons que les prochaines élections ne devraient pas dépasser le mois de juin 2013.Il est préférable qu’elles se tiennent le 9 avril ou à la fin du mois de juin après l’achèvement de l’année scolaire et universitaire. Cela pour permettre au nouveau gouvernement d’entamer ses activités en septembre 2013 sans qu’il soit perturbé comme nous l’avions été nous-mêmes lors de la prise de nos fonctions.
Allez-vous donc réactiver l’Isie (Instance supérieure indépendante des élections) et maintenir son président, M. Kamel Jendoubi ?En tant que Troïka et gouvernement, nous avons décidé de réactiver l’ISIE et il existe un accord implicite pour reconduire M. Kamel Jendoubi à la tête de cette Instance. Mais, mise à part la présidence de l’ISIE, sa composition au niveau national et régional et sa méthode de travail demeurent objet de concertation; rien n’est définitif. C’est une question qui nécessite dialogue et débat pour prendre une décision.
Nous entendons demander à M. Kamel Jendoubi d’engager rapidement une concertation avec toutes les parties concernées, notamment le gouvernement, aussi bien sur la composition que sur le fond et la forme de cette Instance. Cette concertation concerne aussi la Haica (Haute autorité indépendante de la communication audiovisuelle ) qu’il faut concrétiser et mettre en place, toujours dans le cadre de la concertation et du débat avec les parties intervenantes et directement concernées, notamment avec les professionnels. Nous sommes également déterminés à maintenir l’Instance technique des études juridiques ( ITEJ) présidée par le professeur Yadh Ben Achour, mais sa composition, son administration et son calendrier demeurent également ouverts au dialogue et à la discussion.
Le gouvernement de la Troïka bouclera bientôt les 100 premiers jours de son accession au pouvoir. Aujourd’hui, un sentiment mitigé, voire de mécontentement, domine chez les citoyens au regard de l’absence de changement et d’amélioration aux plans politique, économique et social. Quelle action entendez-vous engager pour restaurer la confiance des Tunisiens, notamment au niveau de l’emploi et de l’amélioration des conditions de vie des citoyens?Je ne vais pas, comme il était de coutume sous le régime déchu, énumérer les réalisations accomplies. Le peuple tunisien en a assez. Je vais évoquer les aspects négatifs plutôt que les aspects positifs. Le démarrage a été difficile, et il est vrai que la majorité des membres du gouvernement accèdent pour la première fois à des postes de responsabilité gouvernementale, mais ils ne manquent pas d’expérience comme le prétendent certains. Laissez-moi vous dire que l’expérience est certes nécessaire, mais elle s’acquiert, aussi, avec le temps. Toutefois, il y a une chose qui ne s’acquiert pas : c’est la volonté politique, le sens de la responsabilité, la transparence et la bonne gouvernance. Il n’est nul besoin de trouver des profils qui ne répondent pas à ces critères. Ben Ali a recouru au service des meilleures compétences universitaires, recrutées aussi bien à l’intérieur qu’à l’extérieur du pays, mais qu’en a-t-il résulté pour le pays et où ces compétences, vu parfois leur injustice, nous ont-elles menés ?
Maintenant, plus que l’expérience, le peuple tunisien désire une vraie volonté de changement. L’expérience s’acquerra, si Dieu le veut, et rapidement, et c’est notre responsabilité. Je souhaite que cela ne traîne pas en longueur et nous sommes en train de trouver des solutions à nos erreurs avec le recours aux compétences reconnues et intègres qui ne manquent pas en Tunisie. On sait comment travaillaient les gouvernements précédemment, et qu’on ne fasse pas de surenchère concernant les compétences.
Il est vrai que les débuts ont été difficiles,il ne s’agit pas seulement de gouverner, il s’agit aussi d’apprendre. Cette équation, on finira par l’acquérir et la gagner, on est en train de l’acquérir et nous sommes en train de corriger nos erreurs et celui qui ne reconnaît pas ses erreurs et qui ne fait pas en sorte de les corriger est un mégalomane; ce qui ne s’acquiert pas, c’est l’honnêteté. Ce qui manque à la Tunisie et au monde, ce n’est pas tant l’expérience, c’est la morale du métier, la morale politique, la morale économique et la morale de la gouvernance et du management. C’est là la raison de la crise mondiale des sociétés et des civilisations. Nous ne prétendons pas être les seuls à posséder cette morale, mais l’expérience a montré que le recours aux compétences uniquement ne suffit pas, c’est même nuisible, et la perte pourrait être double.
Nous avons accusé du retard sur beaucoup de terrains. Il est vrai qu’on aurait pu faire beaucoup mieux concernant les dossiers des martyrs et des blessés, on aurait pu faire plus et je ne peux que me le reprocher à moi-même et à mon équipe. Sur la question des prix, il y a une mafia omniprésente, dont les agissements ont dépassé tout entendement et elle sévit dans chaque rue, marché, administration, aux frontières, sur terre et sur mer. On aurait pu faire mieux, également, dans les secteurs de la douane, de la sécurité, des pouvoirs régionaux avec toutes leurs ramifications, des ministères, des entreprises publiques, des offices, des cabinets. On s’est aperçu que l’ampleur de la corruption a dépassé tout entendement.
On s’est également aperçu que la Troïka aurait pu coordonner davantage son action entre les présidences de la République , le gouvernement et la Constituante au plan des déclarations et des positions. Cela malgré l’existence d’une loi organisant ces pouvoirs. On aurait pu aussi être plus rapide dans l’engagement des projets, même ceux programmés auparavant. C’est pourquoi on devrait aller plus vite.
Le programme économique du gouvernement a été l’objet de nombreuses critiques, il a été même qualifié de «bidon» par le conseiller économique auprès du président de la République. Qu’en dites-vous ?Je ne sais pas sur quelle base ces critiques ont été fondées, avec cet empressement et ce jugement sévère et hâtif. Je respecte les déclarations du conseiller économique de la présidence qui n’a donné son avis que sur le projet de la loi de finances. Or, il s’agit du programme du gouvernement qui est complémentaire et qui comporte les volets économique, social, culturel, sécuritaire. J’ai promis, dans mon discours d’investiture, que je ne me contenterai pas de présenter une loi de finances complémentaire, mais un programme économique pour la prochaine étape qui sera soumis à tous, aussi bien à l’ANC, qu’à la presse, aux partis et à l’opinion publique internationale en toute transparence.
Pouvez-vous nous en révéler les axes essentiels?Il s’agit d’un document qui englobe les politiques globales, les orientations, les perspectives, les mesures urgentes de 2012, ainsi que les programmes intéressant chaque département, région, localité et secteur, ainsi que les réformes à engager.
Concernant les réformes structurelles, il y en a deux : des réformes qui feront l’objet d’une concertation au niveau central et des réformes qui feront l’objet d’un débat national à l’instar de la réforme des systèmes de la santé publique, la sécurité sociale, l’éducation et la formation, l’enseignement supérieur et la recherche scientifique et l’économie du savoir.
A côté de ce programme, il y a aussi la loi de finances ainsi que d’autres programmes détaillés. Ce programme économique comporte deux volets : un volet urgent et un volet de réforme structurelle. Exemple : le Code d’incitation à l’investissement figure parmi les dossiers considérés comme urgents, dans la mesure où les textes actuels constituent un frein au développement et à l’investissement à l’intérieur du pays. A ce niveau, on procédera à l’introduction d’améliorations par décret pour dépasser les obstacles institutionnels.
Comment, par exemple, procéder rapidement au déclassement d’un terrain agricole en zone industrielle. Cela dans l’attente de la refonte totale du code qui nécessite une concertation élargie avec les professionnels.
Le gouvernement fait face à une double contrainte, celle du temps et celle des moyens. Comment concilier les deux ?Le programme urgent applicable est réalisable dans l’immédiat, à court terme. Chaque ministère doit présenter son programme.
Exemples : le nombre de pistes agricoles, les adductions d’eau potable à réaliser par le ministère de l’Agriculture, les équipements à acquérir en faveur des hôpitaux régionaux concernant le ministère de la Santé. Pour l’infrastructure routière, nous avons identifié les tronçons d’autoroute à réaliser tel celui de l’Ouest, qui reliera le littoral à l’Algérie en passant par Tozeur.
Cela mis à part, il existe des créneaux prioritaires qui relèvent directement du chef du gouvernement et qui étaient appelés par le passé «projets présidentiels». J’ai donc des priorités auxquelles j’accorde une attention particulière au niveau de l’exécution et du suivi.
Elles sont au nombre de sept : les logements sociaux d’abord, notre objectif étant de réaliser trente mille logements (30.000) dans toutes les régions du pays qui bénéficieraient aux familles nécessiteuses et démunies et dont le financement est déjà assuré.
Nous avons commencé par les logements parce que nous avons conscience des effets d’entraînement du secteur du bâtiment car, comme on dit, quand le bâtiment va, tout va.
La deuxième priorité a trait à la formation professionnelle qui doit être au service de l’emploi. Notre objectif est d’atteindre 100.000 postes de formation dans le secteur public dont quelque 25 à 30.000 qui relèvent du secteur de la défense nationale.
En plus de l’effort qui doit être fourni dans le secteur privé de la formation, cette priorité tiendra compte des besoins du marché de l’emploi. Le problème, c’est que nous avons un contingent de 800.000 chômeurs alors qu’on a du mal à trouver des profils adaptés dans des spécialités et métiers bien déterminés.
L’emploi dans toutes ses composantes et domaines est ma troisième priorité. Nous avons une série de projets tels que « La Tunisie propre», « La Tunisie verte», « La Tunisie numérique», le microcrédit, l’artisanat, tout en sachant que les compétences tunisiennes doivent être accompagnées au cours des premières phases de réalisation de leur projet. Dans chaque ministère, un «Monsieur Emploi» prendra en charge ce dossier. D’autres mesures d’incitation à l’emploi seront prises dans les entreprises, sous forme d’abattements fiscaux et, dans l’administration, sous forme d’encouragement à la retraite anticipée.
La quatrième priorité, à laquelle j’accorde une grande attention et importance, est celle du coût de la vie. Mon objectif sera de favoriser un retour à la normale des prix des produits de première nécessité d’ici le prochain Ramadan.
Pour déstructurer la mafia des circuits de distribution, nous avons prévu des mesures de contrôle et de régulation, d’application sévère des lois et de lutte contre l’écoulement illicite de produits car notre pays est en train de nourrir plus que sa population.
La cinquième priorité concerne les grands projets. Chaque gouvernorat aura son lot de grands projets, au moins deux en tout. Je prends l’exemple du gouvernorat de Sfax, où sont prévus les projets de Taparura, du port, du métro et de l’évacuation des eaux usées.
La sixième priorité intéresse la justice transitionnelle et le dossier de la corruption. Je termine par la septième priorité qui est un dénominateur commun : la sécurité.
Mais que comptez-vous faire, concrètement et dans l’immédiat, au profit des régions intérieures en proie aux protestations et aux contestations ?Ce qu’on peut faire maintenant, on le fera. Le gros lot dans le budget de développement est consacré aux régions intérieures avec une augmentation de 22,23%, soit 1000MD supplémentaires qui s’ajouteront aux 5.200MD prévus dans le cadre du budget de l’Etat.
La problématique, c’est que le taux de réalisation est faible, variant entre 30% et 40% et , d’un autre côté, 60% et 70%. Il faudrait donc veiller à l’améliorer. Avec des méthodes scientifiques et des contrats objectifs, on fera tout pour concrétiser ces priorités.
Monsieur le chef du gouvernement, vous avez affirmé que la sécurité est l’une de vos priorités. Or, justement, vous n’ignorez pas les violations répétées de la loi de la part des salafistes qui, après les événements de la faculté de La Manouba, de la profanation du drapeau national et autres, continuent à sévir dans l’impunité. Pas plus tard que dimanche dernier, ils ont gâché la Journée internationale du théâtre organisée au centre-ville de Tunis en s’attaquant aux artistes : comment allez-vous faire face à ces violations, d’autant que le gouvernement donne l’impression d’être incapable de faire appliquer la loi ?Ce gouvernement ne représente pas les intérêts d’une catégorie ou d’un parti, il est celui de tous les Tunisiens. Notre gouvernement respecte la loi et s’engage à la faire respecter, même en ce qui le concerne directement, à défaut de quoi on ne peut plus parler de bonne gouvernance.
Si le gouvernement tombe dans le laxisme, ce n’est plus un Etat de citoyenneté, mais celui d’une catégorie ou d’un parti. Ce qui est dangereux. Or je veux rassurer les Tunisiens: la loi sera appliquée avec la même rigueur à l’encontre de tous ceux qui l’enfreignent, quelle que soit leur appartenance politique.
On favorisera la justice et l’équité applicables à tous nos fils sans distinction, car «la justice est le fondement de la civilisation». Le salafisme est un phénomène, à l’image du chômage, de la criminalité et de l’extrémisme.
Il est certain que nous n’avons pas besoin de diviser le peuple qui est en harmonie avec son identité.
La question identitaire de la Tunisie est résolue. Il ne faut pas défoncer des portes ouvertes. Mais excepté cela, tout le reste est une manœuvre pour entraîner le pays dans des luttes marginales.
Le combat du Tunisien, ce n’est pas tant de savoir s’il est musulman ou non, c’est surtout le travail, le coût de la vie, le loyer, le transport. C’est ça le Tunisien : il n’a pas de problème de libertés de culte, d’expression et d’habillement. Il peut s’exprimer, constituer une association, un parti. Y a-t-il un danger en cela ? Certainement pas. Pourquoi donc cette polarisation idéologique et ces exhortations étranges ?
Nous sommes contre toute forme d’extrémisme de quelque partie que ce soit, parce qu’en face, il y a aussi un autre extrémisme.
Il y a en fait deux extrémismes : celui de droite et celui de gauche. Il y a deux salafismes: le salafisme djihadiste et le salafisme de l’anarchie et du chaos. Quand ces deux salafismes, de droite et de gauche, s’accordent sur leur absence de confiance dans les libertés, dans la démocratie et les urnes et se croient détenteurs de la vérité absolue, nous disons: non et nous disons à notre peuple que notre société est caractérisée par son attachement à la modération et à l’équilibre.
Notre peuple peut dialoguer, quelles que soient les difficultés, mais pas sous l’emprise du bâton et des coups de poing et a fortiori sous la menace des armes.
Pourquoi recourir aux armes et à la contrainte, qui empêche tout un chacun de s’exprimer ou d’adhérer à un parti? Pourquoi cette violence que nous refusons catégoriquement en tant que gouvernement de coalition?
Quand j’ai été informé par le ministre de l’Intérieur de tout ce qui s’est passé dimanche dernier devant le Théâtre municipal et du retranchement des artistes qui se sont réfugiés dans le théâtre, j’ai répondu qu’il ne fallait pas que l’issue de la confrontation soit perçue comme la victoire d’un camp sur un autre. Et j’ai donné des instructions pour s’interposer entre les deux groupes et de laisser seulement dix minutes aux manifestants salafistes afin d’évacuer les lieux, parce qu’ils comptaient rester au centre-ville jusqu’à la prière d’El Asr.
J’ai donc recommandé de les disperser, quitte à utiliser tous les moyens. Puis j’ai été informé que, suite à des pourparlers, ils ont commencé à quitter les lieux. Certains nous ont reproché de les avoir protégés: ce qui n’est pas du tout le cas.
Pourtant, le fait de ne pas avoir arrêté jusqu’a présent les agresseurs des journalistes et du profanateur du drapeau conforte les citoyens dans l’idée que vous les protégez.
Je vais vous dire : sachez qu’en tant qu’ancien militant condamné à mort, je me promenais en plein centre-ville et je prenais mes repas dans un restaurant mitoyen du ministère de l’Intérieur et j’ai même rencontré, alors, M. Moncef Marzouki au centre-ville de Tunis devant l’ancienne mairie de l’avenue de Carthage.
L’erreur, c’est de ne pas avoir arrêté le profanateur du drapeau national sur place et à temps. Sachez que même ses amis ont été surpris par son acte. Outre l’indécision du doyen de la faculté de La Manouba , le poste de police le plus proche se trouve à la cité Ibn Khaldoun, rendant son arrestation des plus improbables. Sans compter que cet individu qui défend une idéologie a certainement trouvé refuge chez ses acolytes, qui l’ont sûrement aidé. Je suis persuadé qu’il se trouve actuellement hors de la capitale. Je parle en connaissance de cause. Quand Ben Ali me pourchassait, je n’avais trouvé aucune difficulté à trouver un refuge. J’étais comme un poisson dans l’eau. Pourquoi voulez-vous qu’on renonce à l’arrêter lui et celui qui a tué le prédicateur (Ndlr : Lotfi Kallel). Bien au contraire, cela ne peut que nuire à notre image.
Quelle est la position du gouvernement à propos des slogans qui ont été scandés, à plusieurs reprises, contre les Juifs dans les manifestations organisées par les salafistes ?Je condamne fermement ces slogans qui ont été scandés dimanche dernier et à l’occasion de la dernière visite du Secrétaire Général du mouvement palestinien Hamas, Ismaïl Hnia, en Tunisie, car ils portent atteinte à l’Islam et à la Tunisie.
Les Juifs tunisiens sont des citoyens à part entière, en droits et en obligations, et ne doivent aucunement subir des attitudes xénophobes de la part de certains. C’est une erreur légale et politique que le gouvernement réprouve et condamne énergiquement.
Votre visite aux détenus de l’Aouina a été interprétée comme une transaction avec les autorités saoudiennes pour relâcher les symboles de l’ancien régime : est-ce que cela veut dire qu’ils ne seront pas jugés ?A ceux qui font de la surenchère, qu’ils sachent que je suis allé rendre visite à des gens dont certains étaient mes bourreaux.
C’était tout simplement sur l’initiative de M. Samir Dilou, qui m’avait informé que les familles des détenus se plaignaient des conditions de détention : le froid, l’humidité, la maladie et l’isolement.
Comme j’habitais l’Aouina, je l’ai accompagné, en toute spontanéité, pour éviter toute accusation de laxisme revanchard. C’était, à mes yeux, une visite pour des raisons purement humanitaires. Je voulais m’assurer moi-même de leurs conditions. Alléguer l’existence d’une transaction avec les Saoudiens relève de la pure fantaisie. Peut-on croire que le chef du gouvernement issu de la Révolution et non moins militant accepterait un tel deal ? Il n’y a pas de diktat. Même Cheikh Rached Ghannouchi ne permettrait pas de telles pratiques.
Pour leur jugement, c’est une autre histoire. Je ne connais même pas le contenu de leur dossier judiciaire.
D’ailleurs, j’ai programmé des visites à d’autres prisons du pays...
Que pensez-vous de l’initiative de M Béji Caïd Essebsi consistant à réunir les forces centristes du pays et appelant le gouvernement à établir un calendrier précis des prochaines élections ?Je ne veux pas parler maintenant de M. Béji Caïd Essebsi, mais je lui dirais : De grâce, vous n’êtes pas un donneur d’ordres. Nous sommes modestes, soyez-le autant et ne vous présentez pas comme le leader que la Tunisie a perdu et ne cherchez pas à souffler dans les corps inanimés.
Nous sommes modestes, et c’est l’une de nos qualités, mais nous ne sommes pas faibles. Nous n’acceptons pas que quelqu’un nous donne des ordres. Nous ne l’avons pas accepté ni de Bourguiba ni de Ben Ali. Que M Béji Caïd Essebssi garde donc la mesure de son rôle. La Tunisie a besoin d’une opposition forte et j’appréhende le déséquilibre des forces. Nous n’avons donc pas peur des coalitions et des alliances : c’est ça la démocratie. Un bon match, c’est celui qui met aux prises deux équipes fortes. Lors de la conquête de Badr, les notables de Koraich ont refusé de combattre de simples soldats, réclamant les leaders des Musulmans. Nous souhaitons que le combat politique se fasse entre les grandes coalitions, afin de déboucher sur une alternative, comme partout ailleurs dans les démocraties; à défaut, c’est le déséquilibre qui guette et qui conduit à la dictature. Le pouvoir unique et absolu génère la violence et la répression. C’est ce qu’a fait Ben Ali, qui a rompu les ponts avec l’Ugtt et le parti Ennahdha. Ce qui a mené tout droit au naufrage du pays.
Et vous, vous n’allez pas rompre les ponts avec l’Ugtt ?
Au contraire, l’Ugtt constitue une force importante dans le pays dont nous tenons compte. L’opposition, c’est une fonction sociale nécessaire. Il faut même payer pour qu’elle puisse exister.
Auteur : Propos recueillis par Samira Dami et Néjib OUERGHI

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire