dimanche 21 octobre 2012


Conférence de Dialogue National

Témoignages

 M. Slim Abdessalem (Indépendant) : «Le 23 octobre, on ne verra pas le pays à feu et à sang»
L’initiative de l’Ugtt a permis, entre autres, au patronat et à l’Ugtt de discuter ensemble. Sans compter l’intervention de M. Ahmed Mestiri qui nous a fait part de son expérience en partant de l’histoire et nous a conseillé d’éviter les mêmes erreurs commises par le passé. Concernant l’absence d’Ennahdha et  du CPR, je dirais que c’est leur affaire et je ne m’y ingère pas.
Mais cette initiative de l’Ugtt implique la participation de tous les partis. Et cela aurait été bon de voir tous les partis y participer pour le bien du pays.
Par cette initiative, les choses ont l’air de se calmer et toute l’agitation qu’on a vue autour du 23 octobre n’aura été qu’une agitation verbale et on ne verra pas le pays à feu et à sang.
J’espère qu’on va continuer sur cette  voie. Quant aux dates proposées par la Troïka, elles sont intenables, illogiques et insensées. C’est  impossible de faire les élections le 23 juin. D’autant que la Constitution nécessite encore l’étude de 200 articles avec les éventuels amendements, sans compter les plénières, le vote de la loi de finances qui prendra trois semaines, en décembre et autres lois et échéances. Cela outre la campagne elle-même qui prendra deux mois si jamais il y a consensus au 2/3 et qu’on ne recoure pas au référendum.

Hamma Hammami (Front populaire) : «Je déplore le huis clos et l’absence de la presse aux assises de la conférence»
Parmi les principaux problèmes que nous avons soulevés — dans nos interventions — c’est l’absence de la presse dans la salle pour assister aux assises de la conférence. Les journalistes auraient dû, comme ils l’ont fait, lors de la séance d’ouverture, être présents pour écouter les interventions des partis politiques et de la société civile afin de communiquer nos propositions à l’opinion publique.
Je déplore que l’Ugtt, la Ligue des droits de l’Homme et l’Ordre national des avocats aient opté pour ce choix. Les autres points que nous avons soulevés, ce sont le calendrier des élections, proposé par la Troïka, la conjoncture tendue dans le pays qui ne peut être limitée à la question du calendrier, mais qui doit englober les questions de la justice, l’administration, l’information, le système éducatif, la répression, les contestations sociales, ainsi que la nécessité de relâcher les personnes arrêtées suite à des revendications sociales, etc.
L’absence d’Ennahdha et du CPR et la non-participation des trois présidents au dialogue ont été également soulevées. Ce comportement reflète le manque de prise de conscience de la profondeur de la crise que connaît le pays.
L’absence de certains partis a des conséquences sur ce dialogue car Ennahdha et le CPR fuient la critique et les propositions, c’est comme s’ils nous disaient dites ce que vous voulez, nous déciderons après. Ce dialogue est donc partiel car le reste du dialogue se fera sur le terrain de manière pacifique.
Nous avons également évoqué les libertés, la nécessité des réformes ainsi que les décisions économiques et sociales qu’exige actuellement le pays. Car, aujourd’hui la crise est sérieuse, elle est aussi bien politique que sociale. Et cette histoire de la réunion du 18 octobre est superflue. Que vont proposer les partis qui étaient absents, aujourd’hui, il fallait qu’ils soient avec nous pour discuter et débattre de tous les problèmes qui constituent un frein au processus de transition démocratique.

Selma Baccar (Al Massar) : «Il  y a des failles… qui sont des signes positifs»
Pour le citoyen, peu importe qui a pris l’initiative, l’essentiel à ses yeux c’est le consensus sur un calendrier, sur une conception et une vision qui assure une vraie démocratie en mettant en place les structures principales, l’Isie, les instances de la magistrature et de l’information. C’est ça le vrai enjeu, parce que pour l’esprit de la Constitution, on est plus ou moins rassuré. J’ai eu des craintes mais depuis la séance avec la commission de coordination, on est en train d’aller vers un consensus.
Reste la bataille à propos de la nature du pouvoir: qu’entend-on par  régime mixte ?
Je suis relativement optimiste par rapport à la Constitution et aujourd’hui, je vois toutes les forces réunies autour d’une telle initiative, ça ne peut que m’apporter de l’espoir parce que je suis pour un accord entre les partis, la société civile, l’Ugtt, l’Utica, la Ligue des droits de l’Homme, l’Ordre des avocats. Cela ne peut que prédire un avenir meilleur. Mais ça ne veut pas dire qu’on est au bout de nos peines. Il reste encore un long chemin à parcourir. Je pense qu’on commence à découvrir le vrai chemin de la démocratie qui ne peut aboutir sans le dialogue et l’écoute de l’autre. Or jusqu’à présent, on se trouve comme dans un drame kafkaïen car la moitié de la société est autiste. Aujourd’hui, malgré l’absence d’Ennahdha et du CPR, il y a des failles. Moncef Marzouki et Hammadi Jebali étaient là aussi.
Ces failles sont à mes yeux des signes positifs et même M. Lotfi Zitoun, malgré ses différends avec les médias, est là bien sûr pour accompagner son président mais il est là quand même.
C’est une image équivoque mais qui peut être un signe: on  peut être différent et être d’accord, mais c’est le dialogue de sourds qui est nuisible et peut mettre le pays en danger.

Radhia Nasraoui (Organisation de lutte contre la torture en Tunisie) : «Les participants sont contre le calendrier de la Troïka»
Plusieurs représentants de partis ont pris la parole pour donner leurs avis sur les problèmes que vit actuellement la Tunisie, et sur le calendrier des élections proposé par la Troïka. Des critiques ont été faites sur la date du 23 juin, les participants trouvent que ce n’est pas raisonnable car au mois de juin se déroulent les examens, la moisson agricole, la saison touristique, etc.
Ils rejettent ce calendrier et proposent que ce soit l’Isie qui avance des propositions sur le calendrier des élections.
Le problème des détenus de la région de Sidi Bouzid a été également soulevé. Les participants ont demandé leur relâchement et ont dressé un tableau noir de la situation dans le pays mais le représentant d’Ettakatol, M. Mouldi Riahi, a trouvé que c’était exagéré.
En tant que représentante de l’Octt, j’ai soulevé le problème de la torture qui perdure dans les prisons et postes de police. La situation n’a pas changé et cette pratique moyenâgeuse continue et je n’ai pas l’impression que le pouvoir en place fait quelque chose. C’est vrai qu’on ne peut pas éradiquer la torture du jour au lendemain, c’est une pratique à laquelle les policiers et les gardiens de prison se sont habitués pendant des dizaines d’années. Mais au moins que le pouvoir montre qu’il prend les mesures nécessaires pour freiner cette pratique, aujourd’hui systématique, et qui a pour objectif de faire taire les Tunisiens comme au temps de Ben Ali.

Chokri Belaïd (Front populaire) : «Les responsables de la crise du pays sont absents»
Notre intervention a consisté en quatre points : le calendrier des élections, le contexte général et les mesures urgentes à prendre pour créer un climat positif à même de nous mener à des élections transparentes, libres et démocratiques selon les normes internationales.
Cette Conférence de dialogue national a vu le jour parce que tout le monde reconnaît qu’il y a une crise sociale, économique et politique asphyxiante dans le pays. Or, nous pensons que celui qui est responsable de cette crise n’est autre que le gouvernement et essentiellement Ennahdha. Mais celui qui est responsable de la crise ne peut y apporter les solutions nécessaires. Donc, il faut mettre en place un gouvernement de crise qui ne dépasserait pas 15 membres, soit des compétences nationales qui n’auront pour tâche que d’étudier leurs dossiers sans possibilité de se présenter aux élections comme cela fut le cas sous le gouvernement provisoire avant les élections du 23 octobre.
Maintenant, l’absence du CPR et d’Ennahdha montre que ces deux partis favorisent leurs intérêts au détriment de ceux de la Tunisie. Ils poussent donc le pays à sombrer davantage dans la crise et les tensions sociales sans compter la détérioration de l’économie, la discorde politique, le chaos et l’inconnu. Ce qui montre un manque de responsabilité. Or, le pays ne peut plus supporter toutes ces protestations et grèves. L’absence des pouvoirs politiques, l’absence des services, les agressions contre les médias, les hommes et partis politiques de l’opposition, l’emprisonnement des contestataires, c’est ce que le parti majoritaire au pouvoir propose aux Tunisiens. Pis, il s’absente et refuse de trouver des solutions avec les autres partis politiques et la société civile.

Khemaïs  Ksila (Nida Tounès) : «Nous déplorons la politique de la chaise vide pratiquée par Ennahdha» 
Je pense que c’est une initiative qui était très attendue par l’opinion publique. La séance d’ouverture était très réussie et a rassemblé tout le monde, les partis, la société civile, les organisations des droits de l’Homme,  féminines, patronale, syndicale et judiciaires.
Je dirais que même les propositions des absents sont parvenues par l’intermédiaire des présidents de la République et du gouvernement qui étaient présents. Ce qui prouve que cette initiaitive nationale est intéressante et positive.
D’autant qu’elle est menée par l’organisation syndicale légitime. Les absents quant à eux  ont envoyé un signal négatif et nous déplorons la politique de la chaise vide pratiquée par Ennahdha et le CPR et je souhaite qu’ils révisent leur position.  Car, on ne peut dialoguer qu’avec ceux qui ont une opinion différente, on ne dialogue pas avec  soi-même.
Je ne crois pas que nous sommes visés ou responsables de l’absence d’Ennahdha et du CPR. Depuis un certain temps, nous avons gelé toute initiative partisane pour laisser le temps à l’Ugtt pour préparer ce congrès. Donc, nous sommes là avec notre feuille de route que nous allons proposer au débat et à la discussion et qui a été préparée en commun avec Al Joumhouri, Al Massar et nous sommes ouverts à toutes les propositions du Front populaire, de la Troïka et nous serons positifs.
La légitimité électorale doit être soutenue et élargie par un consensus autour d’une feuille de route claire afin de réussir le processus de transition démocratique.

Ahmed Khasskhoussi S.G. du Mouvement démocratique et social  : «Le 18 octobre est une ruse d’enfant, mais l’initiative de l’Ugtt balisera le chemin» 
Les constituants représentants de  la région de Sidi Bouzid en grève de la faim Ahmed Khasskhoussi et Brahmi ont été, à leur entrée dans la salle, fort applaudis par assistance. M. Khasskhoussi est ouvert à toute initiative qui viendrait de l’Ugtt qui a toujours constitué lors des années de braise un recours pour tous.
«Que dire, poursuit-il, quand il s’agit d’une période aussi délicate : échéance électorale, la nécessité de l’indépendance de la justice et de l’information. Nous sommes donc entièrement en accord avec cette initiative qui va baliser le chemin. Pour ceux qui s’isolent c’est une preuve de leur faiblesse et non de leur force.
Cela montre aussi qu’il est en deçà du colonisateur qui, lui, dialoguait avec les résistants. Ce mouvement est devenu sectaire et n’admet qu’un seul point de vue dans le but de changer la société, en l’islamisant, et la nature de l’Etat. Cela outre le fait que ce parti pousse les gens à la violence. Or, la démocratie c’est l’écoute de l’autre et le dialogue avec les moyens pacifiques.
L’initiative du 18 octobre est une ruse d’enfant qui ne croit pas au dialogue national. Leur but est de saper l’initiative de l’Ugtt qui est plus forte que ces manipulations simplistes et inutiles qui, au contraire, révèlent les intentions de leurs auteurs à l’opinion publique.
Les dates proposées par la Troïka prouvent qu’ils n’ont pas de sens politique ni de vision nationale qui leur permettraient de diriger le pays, chose qui exige d’eux de s’élever au-dessus des parties, la non-monopolisation de la chose politique et l’ouverture d’esprit».

Ahmed Brahim (Al Massar) : «Le chemin que prend le processus démocratique n’est pas logique»
L’initiative de l’Ugtt est importante et positive, mais la plupart des intervenants ont soulevé la nécessité de trouver des solutions à plusieurs problèmes sociaux, économiques, des libertés, la mise en place de l’Isie et des instances de la magistrature et de l’information.
Pour ma part, je soutiens que la logique partisane ne mène à rien d’autant que personne ne met en cause la légitimité des pouvoirs, les décisions, on le sait, se prennent à l’ANC. Donc la politique de la chaise vide ne sert à rien et j’espère que les partis absents à cette conférence reviendront à de meilleurs sentiments.
Je pense que ce qui prime actuellement, c’est de mettre en place l’Isie et de lui fournir les outils techniques de travail.
Et ce n’est qu’à la lumière des résultats obtenus par l’Isie que le calendrier des élections peut être fixé. Il y a aussi le fait d’organiser en même temps les élections présidentielle et législatives. C’est ce que faisait Ben Ali, c’est pourquoi il faut séparer les deux élections afin d’éviter toute confusion.
Voir le processus démocratique prendre ce chemin n’est pas logique. C’est pourquoi il faut que le dialogue s’instaure, ici, à l’ANC ou ailleurs, et qu’on arrête de chercher les prétextes. Il faut être sérieux et prendre les mesures urgentes nécessaires, si l’on veut vraiment un dialogue civique loin des différends et des tensions.
Prendre des décisions à sens unique et considérer l’ANC comme une caisse d’enregistrement n’est pas raisonnable. La seule sortie de crise n’est autre que le dialogue qui nous mènera au consensus.

Mouldi Riahi (Ettakatol) : «Certains représentants de groupes cherchaient le consensus  entre eux»
Nous avons participé à cette initiative parce que nous avons d’anciens liens avec l’Ugtt durant, notamment, les années de braise et beaucoup parmi nous sont adhérents à l’Ugtt et des responsables au sein de la Centrale à tous les niveaux.
A Ettakatol, nous appuyons tout ce qui relève du dialogue national et surtout avec ceux qui ne pensent pas comme nous.
Nous sommes d’accord sur les principes essentiels du document de la Conférence nationale : l’Etat civil, la démocratie républicaine, les acquis du peuple, les droits de l’Homme, la garantie des libertés, la citoyenneté, la justice, la rupture avec la dictature et la répression, la neutralité de l’administration, des mosquées, des institutions éducatives, la lutte contre le terrorisme, un modèle de développement qui éradique la pauvreté et stimule les investissements, etc.
Je salue donc l’initiative de l’Ugtt et, notamment, les efforts de M. Hassine Abassi, son S.G., qui a tenu à placer le dialogue sur la bonne voie afin que les intervenants ne dévient pas des thèmes à discuter et que ce dialogue ne se transforme pas en inimitié contre la Troïka.
Toutefois, certaines interventions de quelques représentants de partis politiques ne m’ont pas rassuré, surtout celles du Front populaire à l’instar de Hamma Hammami, Chokri Belaïd et Nizar Hamrouni. Leurs interventions n’avaient pour but que de critiquer la Troïka et de dresser un tableau noir de la situation politique et économique, comme si vraiment le pays est dans un état très critique.
Je m’attendais à des interventions plus raisonnables et plus efficaces politiquement et non pas à des diktats. Certaines interventions m’ont surpris en ce sens qu’elles manifestaient beaucoup de suspicion face aux propositions de la Troïka : quelques représentants de partis ont même parlé de gouvernement de salut national. M. Taïeb Baccouche, à qui je voue beaucoup de respect en tant qu’universitaire et acteur dans le paysage politique m’a surpris quand il a parlé de la nécessité d’un nouveau gouvernement après le 23 octobre, y compris des ministères de souveraineté, d’autres ont parlé de la nécessité de la suppression du ministère des Droits de l’Homme et j’en passe.
Les propositions de la Troïka concernent le système politique; elle est pour un système politique mixte. Mais ce ne sont que des propositions et nous sommes en quête d’un consensus surtout avec les groupes parlementaires et toute la société civile.
Dire donc que la Troïka confisque l’initiative de l’Ugtt est inadmissible et je ne considère pas que ce genre de propos est à même de faire avancer le dialogue national. Cela malgré les efforts de l’Ugtt. N’empêche que certaines interventions étaient raisonnables, celles de M. Abderrazak Hammami qui a évoqué la nécessité du consensus afin d’éviter la confrontation ou celle de M. Abdelwahab Héni, qui a parlé de consensus mais aussi d’élargissement du dialogue.
Je peux vous dire que sur les 38 interventions, les 2/3 visaient la surenchère et la rupture du dialogue, alors qu’Ettakatol a participé dans le but d’élargir le consensus. Je constate que ces gens-là cherchent un consensus entre eux et non pas avec la Troïka, ce qui ne facilite pas les choses, divise et fracture le paysage politique en deux pôles.
C’est Ettakatol qui a fortement poussé vers le maintien de Kamel Jendoubi en tant que président de l’Isie, et l’activation des décrets 115 et 116. Nos partenaires d’Ennahdha ont également accepté le système politique mixte. Il ne faudrait pas présenter ce parti comme ayant systématiquement des positions dures, car dans nos réunions on remarque souvent qu’il a des positions vraiment souples qu’on ne trouve pas dans les familles politiques plus proches de nos visions que ne le sont celles d’Ennahdha. Ce qui est étrange, c’est que tout le monde se positionne par rapport aux prochaines élections et non pas par rapport à des visions politiques et des choix pour un modèle social précis et cela au détriment, donc, des intérêts de la société. Ettakatol se trouve dans la Troïka afin d’éviter la bipolarisation. Or, je remarque, à mon plus grand regret, que certains veulent nous faire retourner à la case départ en divisant la société en islamistes et  en modernistes, comme si le Tunisien ne pouvait pas être musulman et moderne. Courant qui existe, en fait, au sein d’Ennahdha.
A Ettakatol, nous sommes attachés à l’Islam des lumières qui garantit les libertés et nous sommes avec le dialogue constructif qui ne divise pas, mais qui unit le paysage politique et la société.
Et j’attire l’attention que ce dialogue est un moyen pour arriver à un consensus qui mènera notre pays à des élections libres et transparentes pour une légitimité durable et l’application du nouveau «Destour», dans un Etat de droit où les libertés individuelles et collectives des citoyens sont garanties.
Témoignages recueillis par Samira DAMI


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