dimanche 21 octobre 2012


Actualités : Nation

Conférence de dialogue national - Interview exclusive de M. Hassine Abbassi, S.G. de l’Ugtt, à La Presse

« Notre initiative, une planche de salut pour tous »

« Notre initiative, une planche de salut pour tous »
Les travaux de la conférence de dialogue national, à  l’initiative de l’Ugtt, démarrent demain matin au Palais des Congrès de Tunis.
Participeront à ces assises plus de 35 partis politiques, 20 associations et organisations de la société civile, des personnalités nationales indépendantes et un certain nombre d’experts.
Cette initiative, lancée par l’Ugtt il y a quatre mois, est revenue sur le devant de la scène nationale suite à une série d’événements, de tiraillements et de tensions qui ont marqué ces dernières semaines le paysage politique national.
Aujourd’hui, l’ensemble de la classe politique semble reconnaître la dimension importante que revêt cette  initiative.
A une journée du démarrage de la conférence, La Presse a rencontré M. Hassine Abassi, secrétaire général de l’Ugtt, pour l’interroger sur les tenants et les aboutissants de cette initiative qui se présente comme une planche de salut tendue à toutes les forces politiques et qui permettra de dépasser, espérons-le, les divisions et controverses et de débloquer le processus de transition démocratique quasiment en panne. Interview.


Voulez-vous rappeler aux lecteurs de La Presse l’esprit et la lettre de votre initiative qui démarrera demain ?
Avant de répondre à votre question, j’aimerais faire un bref rappel : on s’est rendu compte qu’après la révolution du 14 janvier et les élections du 23 octobre, la situation du pays ne s’est pas stabilisée de la manière escomptée.
Les tiraillements se sont multipliés, les conflits se sont accentués. Pis encore, de multiples actes de violence se sont manifestés sous plusieurs formes : qui, a proclamé un émirat, qui, a incendié des postes de police, qui, a attaqué de nombreuses institutions de souveraineté et de service public.
Dès lors, on a pensé qu’une force doit émerger pour lancer une initiative afin de faire retomber les tensions et réunir autour d’une table les protagonistes, les acteurs politiques et autres parties concernées.
C’est donc à la suite de l’analyse minutieuse de la situation du pays qu’on a lancé cette initiative. Il s’agit, à cette occasion, d’élaborer un document de travail qui recèle une série de constantes et de principes inspirés des objectifs de la révolution.
On s’est dit pourquoi ne pas inviter les principaux acteurs politiques dans le but de faire des propositions et de trouver des solutions à tous ces problèmes. Dès lors qu’une partie souhaite réunir des protagonistes, elle doit mettre en avant des principes qui font l’objet d’un consensus entre les différents participants.
Toute la difficulté résidait dans le fait de trouver les dénominateurs communs entre les différentes parties prenantes. A la réflexion, nous n’avons pas trouvé mieux que de revenir à l’esprit du 14 janvier et même aux réalités qui ont prévalu avant la révolution.
Toutes les parties sont unanimes sur un certain nombre de points auxquels nous sommes revenus pour sauver le pays. Cette unanimité est d’autant plus vraie qu’elle était valable avant les élections du 23 octobre. Que dire alors, aujourd’hui, dans un contexte de légitimité issue de ces élections ! Depuis le mois de juin, nous avons pris contact avec les partis politiques dont plus de 95% sont d’accord avec notre initiative. Les 5% restants ont soit émis des réserves sur les thèmes, soit exprimé leur refus en raison de leur rejet de la révolution, tandis qu’une troisième catégorie parmi les protagonistes considère la démocratie, l’élaboration d’une Constitution ainsi que l’ensemble du processus démocratique engagé dans le pays comme une absurdité.


Avez-vous adressé des invitations à cette dernière catégorie ?
Pourquoi les inviter alors qu’ils refusent les principes qui fondent notre initiative ?

Quels sont les thèmes prioritaires qui seront discutés par la conférence ?
Parmi les principes il y a onze points qui font l’objet de controverses mais le congrès ne peut pas les examiner en totalité.
La conférence du dialogue national aura à hiérarchiser l’ordre des priorités et à définir les points à traiter à cette occasion et à reporter la discussion des autres points à un proche avenir. Je distingue pour ma part trois étapes principales: des questions urgentes, des questions à moyen et à long terme.
Concernant les questions urgentes, il est indispensable de parvenir à un consensus à propos du régime de gouvernance politique (régime parlementaire, présidentiel ou présidentiel aménagé).
Cette question pose problème et fait l’objet de controverse. Je rappelle que le parti Ennahdha plaidait pour un  régime parlementaire.
Mais suite à des discussions intensives, il semble avoir abandonné ce choix, dans le sens d’une recherche de consensus. C’est très important car continuer à se quereller à propos de cette question cruciale risque de nous mener tout droit au référendum. Le consensus nous permettra de maîtriser la période d’avant les élections.
La deuxième question urgente concerne l’accélération du consensus autour de la création de l’Isie (Instance supérieure indépendante des élections) qui aura besoin de plusieurs mois en vue de préparer matériellement les élections, au moins huit mois, à l’instar des élections du 23 octobre.
Au cas où l’Isie ne serait pas mise en place, on ne pourra plus avancer dans le processus des élections législatives et présidentielle.
Dès à présent, il faut se mettre, donc, d’accord sur la création de l’Isie. Une fois que la vision est claire pour l’ensemble des Tunisiens, le chemin sera balisé. A ce moment là on peut définir la date de la rédaction de la Constitution et fixer le calendrier des élections présidentielle, législatives et municipales.
Voilà, donc, les questions les plus urgentes qui, une fois résolues, rassureront les citoyens sur la marche du processus démocratique et l’on saura ainsi quand la Tunisie sortira du provisoire vers la stabilité.
Autres questions urgentes: la création de l’Instance indépendante de la magistrature judiciaire qui fait, aussi, l’objet de tiraillements, d’accusations réciproques et de controverses. Aujourd’hui, personne n’est rassuré sur l’état de la magistrature et de son indépendance.
Et ce sont les structures représentatives des magistrats telles que l’Association des magistrats tunisiens (AMT) qui observent actuellement un sit-in contre le dernier mouvement dans le  corps des magistrats et le Syndicat des magistrat tunisiens (SMT) qui l’ont reconnu bien avant nous. L’observatoire de l’indépendance de la magistrature, dirigé par Ahmed Rahmouni, fait aussi le même constat
Plus important, l’Isie peut faire des erreurs et le pouvoir judiciaire aussi si la crise de la justice n’est pas résolue, vers qui les justiciables vont-ils s’adresser si la justice est objet de méfiance de la part de tous ?
Le secteur des médias est lui aussi objet de tensions et de tentatives d’hégémonie de la part du gouvernement, des partis et du capital pour que l’information ne demeure pas libre et indépendante.
Or, on ne peut pas mener une opération électorale démocratique en l’absence de médias libres et transparents qui dévoilent et dénoncent les dépassements et dérives.
D’autre part, en présence de plumes audacieuse et libres, les acteurs politiques réfléchiront à deux fois avant de commettre une incartade.
Aujourd’hui, les journaux de caniveau non seulement existent mais se multiplient. D’ailleurs, 50 procès ont été intentés contre un même journal appartenant à cette catégorie sans que la justice ne s’y prononce. Ce qui pose à ce propos la question de la justice. D’autant que ces journaux n’épargnent personne, ni les plumes audacieuses, ni les acteurs principaux du paysage politique ni les personnalités nationales.
Quand il y aura une instance libre de l’information, elle pourra combattre ces dérives et réguler le secteur.
Nous avons besoin de cette instance qui défende l’honneur du métier et impose  le respect de la déontologie. L’instance des médias est capable de gérer le secteur sans l’intervention hégémonique des pouvoirs.
Les questions intéressent par exemple la loi électorale. Certaines parties proposent même la révision du régime électoral proportionnel pratiqué lors des dernières élections et appellent à appliquer le système des plus grands scores moyens (moutawassitate), ce qui  représentera un coup dur aussi bien pour la démocratie que pour la représentativité.
Ce régime favorisera l’hégémonie des grands partis et la disparition des petites formations.
D’autres thèmes à moyen terme peuvent être aussi discutés, tels que le modèle de développement. Mais je ne pense pas que l’on puisse, en quatre ou cinq mois, examiner et mettre en place un nouveau modèle de développement. Ce qui pourra être résolu d’ici les élections, le sera. Pour les autres questions, le dialogue se poursuivra après les élections.

Il y a ceux qui prônent le dialogue sur les problèmes structurels comme l’emploi, le chômage, le développement durable, les questions financières et autres... 
Quand on dit modèle de développement, on dit investissement, emploi, développement, déséquilibre régional, pauvreté, etc.
Toutes ces questions en suspens, je vais les aborder. Que peut-on réaliser maintenant dans le domaine de l’emploi par exemple ou dans celui de l’investissement qui a besoin d’une nouvelle législation et surtout de stabilité ?
Concernant l’emploi, le gouvernement annonce la création de 25.000 postes dans le secteur de la Fonction publique. Mais c’est le secteur privé qui a la capacité d’absorber la grande majorité des demandeurs d’emploi. Il reste que les investisseurs d’ici et d’ailleurs sont dans l’expectative.
Or, les investisseurs nationaux, vu les sit-in, les grèves, les manifestations de revendications sociales  sont en train de fermer leurs entreprises, ce qui cause une perte considérable d’emplois et augmente le chômage.
Pis encore, certains investisseurs vivent dans la hantise des poursuites judiciaires et hésitent à investir. Donc, il y a une situation d’hésitation auprès des investisseurs nationaux. L’investisseur étranger, lui, attend de voir ses pairs tunisiens bouger et reprendre leurs investissements ainsi que le rétablissement de la sécurité et le retour de la stabilité.
Les investisseurs étrangers attendent, donc, la relance de l’investissement interne. Une question se pose aussi : quel genre d’investissement voulons-nous ? 
Il faut chercher les investissements à même de créer le plus grand nombre d’emplois et ce sont les secteurs du textile et de l’électronique qui sont connus pour être de grands pourvoyeurs d’emplois.
Donc, il faut orienter les investisseurs vers ces deux secteurs capables d’absorber le plus grand nombre de chômeurs. Mais en cas d’échec, l’on ne pourra pas résoudre le problème aigu du chômage puisque ni le secteur public ni l’administration ne peuvent à eux seuls apporter la solution escomptée. D’autant que le taux de chômage est de 18% selon les statistiques officielles produites par l’Institut national de la statistique (INS) qui, malheureusement, après le 23 octobre, connaît une certaine frilosité, hésitation et crainte des taux qu’il publie. Ce qui est regrettable surtout après l’ouverture et l’interaction que l’INS a connues juste après le 14 janvier.
Je vous rappelle que le taux de chômage dans les régions est largement supérieur à la moyenne du taux national. Dans certaines régions, il atteint 30 à 40%. Chez les femmes, il est même de 60% dans les régions très pauvres, alors qu’on appelle à l’instauration de l’égalité entre les hommes et les femmes.
Dans les régions dites privilégiées, ce taux est beaucoup moindre, ce qui pose le problème de l’équilibre régional et de la justice au plan du développement. A l’Ugtt, nous avions du temps de Ben Ali réalisé des études sur cette question-là et sur les régions de Sidi Bouzid, Gafsa et Le Kef.
Actuellement, nous menons des études sur Siliana et Kasserine qui seront publiées dans les  15 jours à venir. Une étude sur Jendouba est également en cours et nous allons effectuer des études sur Tozeur, Kairouan et Béja.
Le déséquilibre dans le développement a des répercussions négatives sur le taux de densité démographique dans les régions et a  créé une sorte de «désertification démographique» dans la mesure où les habitants ont migré vers d’autres régions où ils espèrent accéder à l’emploi et à de meilleures conditions d’emploi. Ce qui a contribué à augmenter les prix, les loyers et les problèmes sociaux ainsi que la criminalité.

Dans une déclaration télévisée, Mustapha Ben Jaâfar a annoncé les dates des élections présidentielle législatives alors que la CPR et Ennahdha ont menacé de boycotter les travaux de la conférence en cas de participation de Nida Tounès. Qu’en dites-vous !
Nous avons annoncé une initiative et nous avons fixé les principaux thèmes à discuter. Nous avons discuté avec chacun des représentants de la Troïka, et nous allons avoir une rencontre avec une délégation commune de la Troïka.
J’ai reçu Mohamed Abbou, S.G. du CPR, qui m’a affirmé que le CPR ne participera pas à la conférence si le  Parti de «Nida Tounès» est invité. Mais il m’a toutefois informé que le CPR sera, malgré tout, présent vu que nous sommes les auteurs et les organisateurs de l’initiative.
De son côté, M. Mustapha Ben Jaâfar, président d’Ettakatol, n’a  pas exprimé une position négative ou des réserves quant à la présence de Nida Tounès.
A l’Ugtt nous sommes contre toute exclusion et nous allons envoyer des invitations à tout le monde, et si certains partis sont en conflit qu’ils règlent leurs problèmes entre eux. Nous sommes à égale distance de tous. Nous allons également inviter les chefs de groupes parlementaires au sein de la Constituante et tous ceux qui adhèrent à notre initiative.

Quels sont les critères retenus pour lancer les invitations ?
D’abord, tous les partis qui sont représentés  au sein de l’ANC ont été  invités. Ensuite, ceux qui ne sont pas représentés au sein de la Constituante et qui s’activaient lors des années de braise, qui existaient avant le 14 janvier et qui ont formé la première instance de protection de la révolution aux côtés d’autres associations et organisations de la société civile et qui, par la suite, ont contribué à la haute instance pour la réalisation des objectifs de la Révolution et de la réforme politique et de la transition démocratique  présidée par Iadh Ben Achour.
Donc il y a deux critères majeurs : la représentativité au sein de la Constituante et la participation active à la révolution sans pour autant avoir accédé au Palais du Bardo.
Concernant les personnalités nationales, je ne peux pas citer de noms : nous sommes en train de discuter avec les participants pour leur choix. Seront également présents des experts dont les noms sont encore en cours de discussion.

Mais Nida Tounès n’est pas représenté au sein de l’ANC ?
Il va être invité dans la mesure où beaucoup de constituants viennent de rejoindre ses rangs. Nous sommes contre toute exclusion de quelque parti que ce soit. L’Ugtt est indépendante et se place à égale distance de tous les acteurs du paysage politique national. Notre rôle est de lutter contre les tiraillements, divisions et tensions, notre ambition est de créer les conditions objectives pour parvenir à un consensus qui éviterait à notre pays l’instabilité et le chaos. La confiance en notre initiative réside dans le fait que nous ne sommes pas en compétition avec les partis et que nous n’avons pas l’ambition d’accéder au pouvoir. Notre seul but est de contribuer à la stabilité économique, sociale et politique de notre pays.
Pour cela, nous allons regrouper tous les partenaires de la scène politique nationale, les exhorter à se départir de l’amour de soi, de leur sectarisme et à montrer qu’ils cherchent réellement l’intérêt supérieur du pays. La compétition sera ouverte à tous les partis politiques à l’occasion des élections.
L’Ugtt a-t-elle préparé un document de travail spécial qu’elle va soumettre aux participants ? Les partis et les associations de la société civile vous ont-ils envoyé leur propre document ou leurs propositions ?
L’initiative de l’Ugtt est notre premier document de travail fondamental. Pourquoi voulez-vous que les partis et associations nous envoient des propositions ? Nous sommes en train d’examiner avec les participants l’ordre du jour de la conférence et d’étudier les résultats auxquels nous parviendrons.

Quel sera l’ordre du jour de la conférence ?
Il y aura une allocution d’ouverture et de bienvenue du S.G. de l’Ugtt. Nous sommes en pourparlers pour inviter les trois présidents de la République, du gouvernement et de l’ANC. Nous connaîtrons leur réponse aujourd’hui.
Suite à l’allocution d’ouverture, les participants auront droit chacun de 3 à 5 mn pour exposer leurs visions, approches et propositions. Ils pourront également soumettre au bureau de la conférence leur intervention écrite, le cas échéant. L’ordre d’intervention n’est pas encore fixé mais il obéira soit au critère de l’ordre alphabétique ou à celui de la représentativité au sein de l’ANC ou les deux à la fois.
Plus de 35 partis et 20 associations et organisations de la sociétés civile, tous les chefs de groupes parlementaires, des personnalités nationales, indépendantes ainsi que des experts seront de la partie. Le rapport de synthèse qui couronnera les travaux de cette conférence sera soumis à l’ANC.

Le rapport aura-t-il un caractère exécutoire et comment l’Ugtt compte-t-elle assurer le suivi de son application par l’ANC ? 
L’Ugtt n’a pas de pouvoir décisionnel, le suivi du rapport est la responsabilité de tous. Nous sommes une force de proposition et nous accomplissons une mission de bons offices.Nous n’avons pas l’intention de supplanter les pouvoirs légitimes en place auxquels reviennent les décisions à prendre.

La Troïka a annoncé qu’elle va soumettre le 18 octobre sa propre initiative. Considérez-vous que cette initiative est complémentaire à celle de l’Ugtt ou cherche-t-elle à la saper ?
Nous n’avons pas de position pour ou contre n’importe quelle initiative. Nous avons lancé notre initiative et nous avons fixé ses axes, nous n’avons pas de relation avec l’initiative du 18 octobre.
S’il y a d’autres partis qui veulent annoncer des propositions nous aimerions que cela soit par consensus. Nous avons l’ambition de fixer un calendrier et si l’initiative du 18 octobre fixe elle aussi un calendrier, cela relèvera du même esprit.

Mais la Troïka considère que la légitimité lui revient de droit…
Nous le repétons, encore une fois, notre initiative ne cherche pas à remplacer les pouvoirs en place. C’est écrit noir sur blanc dans notre document. Outre le fait que l’Ugtt n’a pas un pouvoir décisionnel.

Par votre initiative vous tendez une planche de salut à la Troïka qui vit des moment difficiles alors que vous avez fêté le 1er mai avec l’opposition ?
Si vous lisez les événements il faut le faire de manière objective. Contrairement à ce que vous prétendez, Ennahdha a publié un communiqué à l’occasion de la fête du 1er mai et bien que le ministère de l’Intérieur ait, alors, interdit de manifester sur l’avenue Bourguiba les travailleurs y ont manifesté.
Et même si les partis politiques participent à la célébration du 1er mai, ils le font comme tout le monde à la place Mohamed-Ali sans monter au balcon aux côtés du bureau exécutif. Je vous dis que tous ceux qui ont accédé au pouvoir ont eu des différends avec l’Ugtt.
Avec Ben Ali nous avons eu des problèmes, avec Bourguiba nous avons eu des crises, avec Essebsi aussi qui, dans ses trois premiers discours, n’a pas évoqué positivement la centrale.
Pour répondre à votre question, ce n’est pas à la Troïka que nous tendons la planche de salut mais à tous. Nous ne sauvons personne et nous ne demandons secours à quiconque. Nous n’avons d’objectif que de pousser les partenaires au dialogue et au consensus afin de mettre fin aux tensions et aux tiraillements qui ont affecté négativement la situation économique, sociale et sécuritaire du pays.
Si notre initiative avait pour raison ou motivation de sauver la Troïka, les autres partis adversaires de cette même Troïka ne l’auraient pas acceptée.

Au cas où l’initiative échouerait, qu’en sera-t-il ?
Je considère que l’initiative est déjà une réussite. Le fait qu’elle a été accueillie positivement par tout le monde est la preuve de sa réussite. En voici quelques-unes : toutes les parties l’ont soutenue et sont unanimes sur son contenu. Elle a touché les vrais problèmes du pays. L’acceptation par les parties concernées est une autre preuve de sa réussite. Enfin, les médias nationaux et internationaux et la société suivent avec intérêt notre initiative.
Ce qui reflète les principes, les fondements et l’esprit qui caractérisent l’Ugtt depuis sa création dans la mesure où la centrale a toujours concilié le social, le politique et les préoccupations du peuple.
Notre initiative est la première à être lancée et à susciter le consensus général, contrairement aux autres initiatives qui n’ont pas rencontré le même engouement.
Avec l’Ugtt, les gens n’ont pas de suspicion ni de méfiance et ont accueilli notre initiative à bras ouverts.
Si elle échoue, l’Ugtt aura accompli son devoir et les protagoniste auront raté la première occasion de trouver un consensus et auront dévoilé leur vrai visage.
L’Ugtt aura réussi à révéler les véritables intentions des uns et des autres ainsi que les dits et non-dits.
Je suis profondément convaincu que notre initiative a réussi avant de démarrer.

Plusieurs parmi les composantes de la société civile et politique considèrent que l’Ugtt a abandonné son rôle initial d’organisation syndicale et s’est investie dans la politique. Que leur répondez-vous ?
Je voudrais que nos accusateurs nous disent comment l’Ugtt s’est investie dans l’action politique. Avons-nous fondé un parti politique ? Avons-nous déclaré que le programme politique d’un tel parti est meilleur que celui d’un autre ?
Avons-nous soutenu un parti au détriment d’un autre ?
Dans le monde entier, tout syndicaliste est concerné par l’action politique. A l’Ugtt, nous nous intéressons à la vie politique mais nous ne pratiquons pas la politique, parce qu’il y a une différence entre s’intéresser à la politique et la pratiquer. L’Ugtt n’est pas un parti politique.
L’histoire de l’Ugtt montre que les syndicalistes ont participé à la lutte pour la libération nationale. Le grand leader Farhat Hached n’était-il pas, à la fois, un leader nationaliste et syndicaliste? L’Ugtt a, également, contribué à l’édification de l’Etat moderne.
Lors des années de braise, sous le régime déchu et lors des événements du bassin minier ainsi qu’au début de la révolution,  tous les partis politiques clamaient : où est l’Ugtt?
Tout le monde recourait à l’Ugtt qui protégeait les contestataires. Je voudrais rappeler à ceux qui l’ont oublié qu’au beau milieu de la répression sanglante contre les jeunes révolutionnaires, trois membres du bureau exécutif suivaient la situation à Sidi Bouzid et trois autres faisaient de même à Kasserine.
Quand Ben Ali a pris la fuite et qu’il s’en est suivi un vide politique et lors des élections du 23 octobre 2011, tout le monde est retourné à l’Ugtt.

Expliquez-nous les causes des rapports en dents de scie que vous entretenez avec l’actuel gouvernement ?
Il est rare qu’il y ait une entente totale et durable entre les gouvernants et les syndicalistes, dans la mesure où les intérêts sont contradictoires. Il y a toujours un flux et reflux dans leurs relations. Il y a toujours un rapport de force qui les détermine. D’autant que le pays est dans une situation révolutionnaire où les dérives existent à tous les niveaux.

Quel est le bilan de votre visite aux Etats-Unis et comment vos pairs syndicalistes américains évaluent-ils le processus démocratique en Tunisie ?
Nous avons été invités par l’AFL- CIo qui a accordé à l’Ugtt un prix spécial en signe de considération de son rôle dans la protection des droits politiques et économiques au cours de l’année 2011. Nous avons visité le Congrès, la Banque mondiale, le FMI et le Centre de la transparence.
Les syndicats américains, à l’instar des syndicats européens, considérent qu’il y a un processus révolutionnaire qui a transformé le visage du pays et saluent le rôle de l’Ugtt en matière de réalisation des objectifs de la révolution et son soutien aux revendications du peuple, ainsi que sa contribution à mettre à nu la situation économique actuelle du pays.
Aujourd’hui, les syndicats américains découvrent la réalité des choses. Ils considéraient, en effet, que le modèle de développement tunisien était une réussite.
Maintenant, ils découvrent les tares de ce modèle, plus particulièrement en ce qui concerne le taux de  pauvreté, le chômage, le déséquilibre entre les régions.
Auteur : Propos recueillis par Samira DAMI et Abdelkrim DERMECH
Ajouté le : 15-10-2012

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