vendredi 14 novembre 2014

Entretien avec Noureddine Hached, candidat à la Présidentielle

"Je fais partie de la solution 
 et non du problème"

 Sa candidature à la présidentielle est portée par sa propre histoire, riche du legs paternel, le martyr Farhat Hached, symbole de la lutte nationale et syndicale, et par son affiliation depuis toujours à la centrale syndicale ouvrière. Sa vision de la présidence de la République est claire, c’est celle de «la Tunisie éternelle». Porteur d’un projet et d’un plan d’action, Noureddine Hached se présente en tant que candidat indépendant «qui fait partie, selon lui, de la solution et non du problème». Entretien.
Quelles sont les raisons qui vous ont incité à vous porter candidat à la présidence de la République ? 
Il faut dire que je suis habité, depuis quelque temps, par cette idée et je tenais à vérifier dans quelle mesure j’étais prêt à assumer cette responsabilité, surtout qu’elle s’inscrit dans mon parcours et dans mon histoire. Chacun porte en lui sa petite et sa grande histoire.
Le choix de me porter candidat à la présidence de la République est lié à mon histoire parce que je n’ai jamais guéri de la perte de  mon père, depuis 1952. Autant nous avons vécu dans la famille ce drame comme un grand honneur, mon père étant devenu un héros de la Tunisie, autant je ne lui ai pas pardonné d’être mort et à chaque fois que la Tunisie traverse une crise, je la vis doublement en tant que citoyen et en tant que fils du martyr Farhat Hached. Car en même temps, je me demande si son martyre n’a pas été vain. Au cours de ces trois dernières années, j’ai ainsi vécu doublement les événements qu’a vécus le pays et mon lien avec toute la classe politique m’a poussé à m’investir pour trouver des réponses à ma double interrogation et comme l’Ugtt a joué un rôle de médiateur et de facilitateur au sein du Dialogue national cela correspond à mon histoire et à la mission de la Centrale syndicale telle que l’a voulu son fondateur Farhat Hached et dont la devise est «La Tunisie pérenne».
Je me présente, donc, en tant que candidat indépendant et j’ai choisi depuis longtemps mon indépendance, je suis indépendant mais pas neutre. J’ai mes propres convictions et mes propres idées. J’ai d’ailleurs reçu des compliments d’une personne qui m’a dit : «Bravo Noureddine, tu as donné un prénom à ton nom». Je vous avoue que j’ai pesé le pour et le contre avant de m’engager pour la présidentielle. Je me suis présenté à la candidature présidentielle pour tester vis-à-vis de moi-même et du peuple dans quelle mesure je suis prêt et préparé à assumer la fonction. J’y pense depuis un an et demi et ma candidature n’est pas due à un coup de tête.
J’ai considéré que c’est une condition nécessaire mais pas suffisante. Car il faut être préparé à savoir que les cinq années à venir seront les plus difficiles qu’aura à vivre le pays vu les difficultés et les problèmes de toutes sortes accumulés au fil des années, le peuple tunisien s’est beaucoup sacrifié, a beaucoup patienté et au final, il est fatigué alors qu’il reste tant à faire et ce qui doit être fait est phénoménal car il y a tellement de chantiers à ouvrir, ce ne sera certainement pas une sinécure.
Ce qui m’a encouragé à me présenter à la présidentielle, c’est que depuis le 14 janvier 2011 et jusqu’à aujourd’hui, le peuple a intégré le jeu démocratique. Il a dit «oui» à la Constitution, «oui» aux élections mais il a dit «non» aux deux premiers gouvernements et il a poussé pour leur changement.
J’ai compris que le peuple a fait la part des choses entre les législatives et la présidentielle. Il a intégré que dans le processus démocratique, l’Assemblée des députés du peuple est un jeu subtil entre les partis, et les résultats des législatives le démontrent puisque le peuple s’est même amusé à donner la migraine aux partis politiques. Le peuple tunisien est extraordinaire, il a compris que le président doit être «son» propre président. Il s’approprie le président après avoir tiré les enseignements des trois dernières années. Le peuple est mécontent et n’a pas apprécié la distribution des pouvoirs après les élections du 23 octobre 2011 dont un président de la République issu de l’ANC. Donc, à ses yeux le président de la République doit être indépendant, alors que les partis politiques le voient comme partisan.
Autre constat important : le peuple arrive, maintenant, à mettre un nom sur chaque visage, il sait qui est qui et peut choisir. C’est ce qui d’ailleurs m’a également convaincu de me porter candidat à la présidence. Et je me vois porteur d’un projet pour la prochaine étape et je suis convaincu que je peux être une partie de la solution et non du problème. Le président ne doit pas être une partie des problèmes mais aider les Tunisiens à dépasser leurs différends et je suis cet homme parce que j’ai une vision très claire et très lucide des choses et je m’inscris dans le slogan que moi-même et mon équipe de campagne avons choisi: «La Tunisie éternelle».

Pourquoi ce slogan ?
Parce que j’ai une profonde connaissance, de par ma formation d’historien anthropologue, que la Tunisie n’est pas seulement une terre mais aussi une âme, et ce, depuis l’éternité et elle doit continuer comme telle.
La tunisianité est aussi une réalité et elle est vécue par des femmes et des hommes d’une façon profonde et c’est cette particularité qui, à chaque tentative de destruction de cette âme, résiste et l’emporte. Ma vision s’inscrit dans cette tunisianité éternelle qui est notre seule chance de durer sur cette terre et le peuple tunisien a toujours combattu pour survivre et perdurer grâce à son génie.

Au cas où vous seriez élu, quels sont les chantiers prioritaires que vous ouvrirez ?
Le chantier de la démocratie, par exemple, où un pas a été franchi mais il s’agit d’ancrer définitivement cette démocratie. Il s’agira d’un examen de passage où l’on verra si les institutions constitutionnelles fonctionneront ensemble. Et les cinq années à venir seront un examen de passage de tous les jours. Il s’agit de voir si les droits humains seront respectés et si, par exemple, les forces de sécurité vivront avec les citoyens dans le respect le plus total des droits et des devoirs de chacun. C’est là un test de responsabilité et si on le réussit, la Tunisie sera définitivement sauvée, car entre-temps on aura formé des pépinières capables dans tous les domaines de prendre en charge la nouvelle Tunisie qui gagnerait la bataille contre la fragilité. C’est là l’enjeu principal de ce chantier. Et c’est pour cela qu’il faut un président négociateur, médiateur, faciliateur et pacificateur prêt à tendre la main et à composer avec le gouvernement, l’Assemblée des députés du peuple, les hauts responsables et le peuple.
Le président a cet outil extraordinaire que lui octroie la Constitution, c’est de revenir au peuple grâce au référendum.
Pour ma part, le vrai acte révolutionnaire, c’est d’amener la parole du peuple au niveau local et régional, en élargissant le sens de la décentralisation positive, l’une des dispositions de la Constitution.
Ainsi je proposerai, si je suis élu, le réaménagement du territoire en introduisant un échelon intermédiaire entre l’Etat central et le gouvernorat. C’est ce que j’appelle un district selon un processus par consensus dans le cadre du dialogue. La population votera pour le choix de la capitale du district. Ces districts doivent, à mes yeux, partager le pays horizontalement de la côte vers la frontière algérienne afin de générer ce melting-pot et cette mixité des Tunisiens. Ce district doit élire un Conseil au sens universel, lequel Conseil élira son président.
Le rôle de ce district consisterait à réfléchir et à avoir un plan annuel et quinquennal du développement durable qui devrait être intégré au plan national. Le Conseil du district devrait voter son budget annuel et une partie du budget national devrait être déléguée au Conseil et au président du district, surtout concernant la politique de gestion, d’entretiens et de suivi des établissements publics, ainsi que la politique économique et sociale du district. C’est là une sorte de pouvoir local, mais ce n’est pas une fédération ni une confédération.
L’Etat devrait, lui, à l’échelle nationale, prendre en charge les grands projets nationaux de la défense, de la sécurité, etc. Mais tout cela nécessite du courage pour son application mais je ne vois pas d’autres solutions. Sinon nous continuerons à être dans les cercles vicieux du sous-développement alors que le défi est de s’engouffrer dans les cercles vertueux de la prospérité. C’est là la seule façon de sortir de l’état où nous sommes.

Que pensez-vous de l’argument d’«Ettaghaouel», soit de l’hégémonie, agitée par certains partis contre le président de Nida Tounès, Béji Caïd Essebsi, s’il venait à remporter la présidentielle ?
Je ne suis pas dans ce mental d’argumentations d’ailleurs légitimes pour certains. C’est pourquoi je vous le répète la solution réside dans le choix d’un président indépendant.
Il est demandé à la coalition au sein de l’Assemblée des députés du peuple de former le nouveau gouvernement car les Tunisiens attendent un président qui préside le pays, un gouvernement qui gouverne, une Assemblée qui légifère et contrôle le gouvernement et une institution constitutionnelle qui contrôle tous les pouvoirs, c’est ça la démocratie. Il appartient, donc, à la classe politique de se hisser à ce niveau-là et je suis certain que pour qu’un gouvernement soit bientôt formé, la solution est de choisir un président indépendant. Ce n’est pas que je m’évite de penser à un autre président mais je suis dans cette logique et elle est la meilleure pour la Tunisie. Je suis convaincu que les Tunisiens ne mettront pas leurs œufs dans le même panier.

Vous semblez convaincu que les Tunisiens voteront en masse pour vous. D’où vous vient cette assurance ?
Je pense qu’en Tunisie, nous ne sommes plus dans la culture des hommes providentiels. Je ne suis pas dans ce mental-là mais dans celui qui entame cette belle aventure avec le peuple tunisien main dans la main. J’ai une certaine force en moi-même et j’ai une confiance aveugle en le peuple tunisien qui, à mon avis, tranchera la présidentielle dès le 23 novembre dont l’élection est plus claire et plus simple. Et le peuple l’abordera avec son âme et ses tripes et je pense que le pourcentage des votants ne sera pas moins de 70% sur les cinq millions et plus d’électeurs inscrits, car beaucoup parmi les Tunisiens avec lesquels je me suis entretenu ont conscience qu’ils ne doivent pas se réveiller le 24 novembre en se disant «qu’avons-nous fait ?» et de le regretter par la suite pour longtemps, puisque 5 années c’est long. C’est pour cela qu’un vote utile, responsable et conscient des enjeux et du candidat qui pourra les assumer en jouissant de la confiance du peuple s’impose. Car le mot clé de la présidentielle c’est la confiance.

Comptez-vous sur l’électorat de l’Ugtt et sur votre filiation pour remporter les élections ?
Je vous ai expliqué les raisons de ma sérénité. Je vis ma filiation et mon affiliation à l’Ugtt avec beaucoup d’honneur, mais beaucoup plus comme une responsabilité que comme un acquis.
Les Tunisiens savent que je serai toujours auprès des travailleurs et des déshérités. Mais en disant cela, je ne suis en rien contre la classe aisée et la classe d’affaires, bien au contraire, car de par mon héritage, les textes de Farhat Hached, que je connais par cœur et qui évoquent les liens indéfectibles entre le capital et le travail, constituent des fondamentaux essentiels de la paix sociale dans le pays. Je dois crier honneur au travail, remettre le pays au travail et remettre le travail à la place noble qui est la sienne par rapport à l’argent qui a pris le dessus et qui a tout fourvoyé dans le pays. Je dois favoriser la culture du devoir qui doit accompagner les droits.
C’est cela les deux données essentielles : la philosophie de Farhat Hached et la Centrale syndicale ouvrière que je dois mettre à la disposition du peuple durant les cinq futures années.
J’ai, par ailleurs, un projet qui me tient à cœur : si l’histoire retiendra une seule chose, je proposerai à nos enfants et à nos petits-enfants un pacte de confiance qu’on mettra en œuvre ensemble dans le cadre d’un Conseil de la jeunesse auprès du président et c’est inscrit dans mon plan d’action si je suis élu. Il s’agit de revoir toutes les lois et procédures qui empêchent les jeunes d’avoir du travail.

Mais en aurez-vous les moyens vu les prérogatives réduites du président de la République ?
Les moyens dont dispose le président de la République sont nombreux et je serai le garant de l’égalité entre tous en tant que président indépendant. Il s’agit aussi d’impliquer la jeunesse tunisienne dans le défi technologique. Des technologies que les jeunes doivent s’approprier par la création, l’invention et le partenariat avec le reste du monde.
L’un des projets essentiels de la jeunesse tunisienne c’est le «e-gouvernement» qui doit répondre à la gestion moderne de l’Etat. Je voudrais créer au sein de ce conseil de la jeunesse le cercle de volontariat, le cercle des incorruptibles, le cercle de viglance concernant les droits humains, la police, les écoutes téléphoniques faites en dehors de la loi. Je voudrais mettre tout cela à la disposition des jeunes et édifier les pépinières de l’avenir.
Notre siècle, le 21e, se situe dans un grand moment de rupture historique et les grands moments de l’Histoire de l’humanité ont représenté certes de grands dangers mais aussi des chances et des opportunités à saisir. Or, les atouts de la Tunisie sont nombreux et essentiellement sa jeunesse.
La question qui se pose est la suivante : la Tunisie sera-t-elle intégrée dans le monde du 21e siècle ? Je réponds «oui, elle est intégrable», car la Tunisie a été plusieurs fois leader et à l’avant-garde. Voilà comment je porte tout cela, je ne réponds pas de programme précis parce que je n’ai pas de promesses. J’ai une seule promesse : plier le genou avec les Tunisien et les jeunes surtout, afin de trouver les solutions ensemble et agir pour que les barrières bureaucratiques soient brisées, notamment quand il s’agit de choses fondamentales : le pouvoir d’achat,l’emploi, l’eau, l’électricité, la santé, l’environnement mais surtout ces enfants tunisiens qui ont quitté l’école en raison du manque de moyens et de transport et autres.
Pour moi, c’est un drame auquel le président doit donner une priorité nationale. Tout le reste n’est qu’évidence, telles la défense, la diplomatie où j’ai assez d’expérience, et la sécurité où on peut dire que malgré le martyre de certains de nos soldats et de nos forces de sécurité, la Tunisie est mieux lotie que d’autres pays arabes. La sécurité nationale est en train de reprendre santé. Mais la nouvelle étape, avec le nouveau président élu, c’est d’y aller réellement, de mettre de l’ordre et de montrer une volonté inébranlable contre tous les traîtres à la nation qui tuent et ébranlent la stabilité du pays et que je combattrai avec tous les moyens dont je dispose.
Et pour renforcer la coordination et asseoir la détermination du président dans son domaine, il faut doter la présidence d’un chef d’état-major, ce qui existe dans les autres pays du monde, et d’un Conseil national de sécurité permanent. Pour la sécurité nationale, il faudrait créer l’agence nationale de coordination du renseignement, car les renseignements chez nous sont dispersés. Or, il faut coordonner tout cela avec tous les moyens modernes.
Et tout cela doit être fait afin de constituer un signal très fort adressé à nous tous. Il faudrait également créer une commission permanente de la défense et de la sécurité nationale au sein de l’Assemblée des députés du peuple qui a un rôle de suivi des ministères concernés et de réalisation des rapports périodiques sur la situation de la défense et surtout de voter les budgets en conséquence, et enfin de sensibiliser les citoyens aux nécessités budgétaires, outre la sensibilisation de l’Assemblée à la situation matérielle et salariale de tous les corps sécuritaires.
Auteur : Entretien conduit par Samira DAMI
Ajouté le : 12-11-2014

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire