dimanche 2 novembre 2014

Entretien avec Sadok Belaïd — Lecture des résultats des législatives

« Une plateforme pour un programme commun »

 C’est ce que Nida Tounès devrait proposer afin de former un gouvernement solide et éviter le blocage

A la lumière des résultats bruts des législatives, communiqués par l’Isie, avant les recours définitifs, une lecture et des questions s’imposent : la composition de l’Assemblée des députés du peuple permet-elle la formation d’un gouvernement solide? Avec qui Nida Tounès compte-t-il coaliser ? Selon quelles conditions et à quelle fin ? Mais s’il y a blocage, comment sortir du bout du tunnel ? Pour répondre à toutes ces questions et éclairer notre lanterne, nous avons approché Sadok Belaïd, doyen et professeur de droit constitutionnel. Entretien.

L’actuelle composition de l’Assemblée des députés permet-elle au parti victorieux, Nida Tounès, de former un gouvernement solide en tenant compte des différentes couleurs et sensibilités politiques ?
D’abord, laissez-moi vous dire que les résultats communiqués par l’Isie sont bruts et ne deviendront officiels qu’après la fin des recours. Maintenant, notre lecture des résultats nous fait constater que deux partis, Nida Tounès et Ennahdha, ont décroché le plus grand nombre de sièges. Ensemble, ces deux formations politiques ont obtenu 154 sièges sur 217, autrement dit les 4/5. Le reste des sièges, au nombre de 43, ont deux particularité : primo, ils sont hétéroclites et sont répartis sur une multitude de partis, soit une douzaine en tout.
Secundo : ces partis sont dispersés et n’ont aucun lien de parenté politique et/ou idéologique. Par exemple à côté de l’UPL, dirigée par un homme d’affaires et en même temps dirigeant d’un club de football, le Front populaire se décline comme un parti de militants proche des communistes. Or, comment peut-on concilier Slim Riahi et Hamma Hammami ?
Par conséquent, les coalitions seront difficiles, outre que les deux grands partis, Nida Tounès et Ennahdha, ne peuvent former un gouvernement, car aucun des deux n’a la majorité, puisqu’il faut un vote de 109 voix pour que le prochain gouvernement passe.
Ces deux formations sont idéologiquement et politiquement opposés. Le parti de Béji Caïd Essebsi s’affiche comme un parti moderniste et ouvert, alors que le parti de Rached Ghannouchi n’a pas annoncé qu’il se départit de son orientation islamiste.
Par conséquent, ils ne peuvent, visiblement, trouver un terrain d’entente et chacun d’entre eux tentera de combler son déficit en s’adressant au reste des partis et députés indépendants.
Imaginons qu’Ennahdha, qui a déjà exercé le pouvoir, veuille rassembler une majorité au sein de l’Assemblée, ce que lui permet la Constitution, pour former le gouvernement. Or, ce parti n’a que 69 députés et ne peut réunir les 43 autres qui sont de sensibilité opposée ou carrément indépendants.

Que faire dans ce cas pour former un gouvernement solide capable de relever les grands défis qui l’attendent dans tous les secteurs et domaines de la vie ? 
Afin d’éviter la formation d’un gouvernement fragile et éphémère, Nida Tounès doit trouver des alternatives, car la Tunisie ne peut être gouvernée que par un gouvernement consensuel ou d’union nationale. Puisque chaque parti ira de son point de vue, ce qui dispersera les programmes et les objectifs. Il faut donc trouver une solution de rapprochement tout en évitant de perdre sa légitimité et le soutien de son électorat. C’est pourquoi on parle aujourd’hui de retour du Dialogue national, et le secrétaire adjoint de l’Ugtt, Bouali Mbarki, y a fait allusion. Le Dialogue national jouera, ainsi, le rôle de temporisateur et de liant.
Il s’agit donc de mettre les cartes sur la table, et sous la coupe du quartet du Dialogue national, et de voir comment faire des concessions, en dépassant les différences politiques et les tiraillements, pour pouvoir former un gouvernement de cohésion capable d’affronter et de relever les défis économiques et sociaux.
Or, le problème c’est qu’il existe un marchandage  même chez certains partis politiques qui avancent l’idée d’un gouvernement de technocrates. D’ailleurs, le nom de Mehdi Jomaâ a été proposé…
Toutefois, il existe une autre  voie : Nida Tounès doit assumer la tâche et la responsabilité que son électorat  lui a confiées. Car le problème n’est pas de constituer un gouvernement répondant t aux exigences de la Constitution, avec une majorité de 50+1%, mais qui seras fragile et instable car chaque parti essayera de favoriser son propre programme.
Mais, la meilleure approche est que Nida Tounès déclare qu’un défi s’impose à tous : «Sortir  le pays de la crise et pour cela il faut s’entendre sur un programme de salut national grâce à la plateforme de politique générale commune afin de sauver le pays au-delà des différences partisanes».
Il s’agit donc de proposer un genre de pacte national pour une période de 5 ans, soutenu par tous les partis, quelle que soit  leur appartenance, afin de remettre en marche l’économie, de résoudre les problèmes du chômage, de l’insécurité, du développement agricole et industriel, de la santé, de l’éducation et autres. Sans que d’autres partis viennent mettre des bâtons dans les roues.
C’est là un défi dans lequel Nida Tounès doit impliquer tous les partis afin de les mettre au pied du mur et devant leurs responsabilités.

Pensez-vous que ce pacte national sera accepté par les autres partis ?
En tout cas, cela contribuera à clarifier le débat et à mettre tout le monde devant ses responsabilité et cela montrera le degré de  patriotisme des uns et des autres dans le but de servir le pays aux dépens de la course aux postes de responsabilité. Pour ça, il faudrait laisser de côté toutes nos différences politiques pour servir  le pays et œuvrer à le sortir de la crise économique et sociale.
D’ailleurs, c’est ce qu’a fait de Gaulle après la Seconde Guerre mondiale et lors de la guerre d’Algérie en proclamant : «Je suis la France», en se mettant au-dessus des partis afin de redresser l’économie du pays. Et il a été  suivi par François Mitterrand en 1981 qui a proposé une plateforme commune réunissant la gauche et la droite pour sortir son pays de la crise économique sur la base d’un programme commun.
Nida Tounès pourrait, en tant que parti qui a récolté le plus de sièges à l’Assemblée, faire de même, en faisant participer toutes les sensibilités politiques à la réalisation d’un programme national et contribuer ainsi à jeter les bases d’un développement  économique et social solide et profitable à tous.
Auteur : Propos recueillis par Samira DAMI
Ajouté le : 01-11-2014

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