mercredi 13 juillet 2011

Entretien avec : Ahmed Brahim, premier secrétaire du Mouvement Ettajdid

« Notre ouverture sur tous les apports progressistes est une constante »

« Notre ouverture sur tous les apports progressistes est une constante »
Après la révolution est-ce que votre parti a affiné davantage les références idéologiques et intellectuelles dans la perspective d’éventuelles alliances ?
Fondé sur la diversité et l’ouverture, notre mouvement n’a pas de références idéologiques rigides. C’est un rassemblement de progressistes et de démocrates qui ont des itinéraires idéologiques différents qui se retrouvent autour de principes et d’objectifs démocratiques et progressistes. Cette souplesse intellectuelle et cette ouverture sur les apports progressistes sont une constante de l’identité d’Ettajdid. C’est même sur cette base qu’il a été fondé en 1993, en rompant clairement avec les schémas anciens et en développant une expérience de rénovation continue dont l’une des caractéristiques est la recherche des alliances les plus larges. En témoignent les expériences de 2004 et de 2009 quand nous avons présenté deux candidats d’unité contre le système Ben Ali. C’étaient respectivement Mohamed Ali Halouani et moi-même.
Ces candidatures ont été le fait d’alliances très larges. En 2004 c’était avec des indépendants démocrates dans le cadre d’une initiative démocratique et en 2009 j’ai été soutenu par un faisceau très large de partis et de personnalités.
Tout cela pour dire que la recherche des alliances dans la perspective des élections de la Constituante est un fait naturel pour un mouvement comme le nôtre.
L’appel à un pôle démocratique lancé au mois de mars 2011 pour une large alliance, en partie concrétisée dans le Pôle démocratique et moderniste (PDM), constitue pour nous la réponse adéquate au défi et aux enjeux des prochaines échéances. Il s’agit d’enjeux nationaux qui transcendent les intérêts partisans. Réussir la transition démocratique, construire une nouvelle République qui, tout en consacrant la souveraineté populaire, préserve et développe les acquis modernistes de la Tunisie : tels sont les objectifs qui doivent avoir, à nos yeux, la primauté sur l’intérêt des partis.


Quels sont les partis qui composent le PDM ?
Le Pôle démocratique moderniste est, aujourd’hui, formé du Mouvement Ettajdid et de quatre autres partis, le PSG (Parti socialiste de gauche) «El Wifak El Joumhouri», «la Voie du Centre» et «El Mouwatana wal adala», mais aussi d’initiatives citoyennes notamment, regroupant des personnalités et des militants indépendants.
Aujourd’hui, il y a une dynamique unitaire appelée à se développer et à s’élargir.

Quel est votre programme économique et que comptez-vous faire, en particulier, pour les régions ?
Nous avons déjà un programme qui répond aux nécessités de l’heure, c’est-à-dire rompre l’isolement des régions historiquement marginalisées. Il est impératif d’intégrer ces régions dans l’espace national naturel, de les doter de l’infrastructure et des équipements structurants tels les réseaux routiers et autoroutiers, les voies ferrées, les moyens de communication, les pôles industriels, les pôles technologiques, les zones d’activités industrielles et artisanales et dans tous les domaines éducation, culture, santé, etc.
Soit un véritable plan de mise à niveau urbain, pour une vie décente associé à une décentralisation donnant de larges pouvoirs aux structures régionales élues.
Nous comptons engager également une dynamique de croissance économique permettant de résoudre le problème de l’emploi, dans le cadre d’une orientation de solidarité et de justice sociale et d’une option économique radicalement différente de l’option de l’ancien régime et dans laquelle l’Etat jouera son rôle de stratège et de moteur du développement intégral au service du peuple. Depuis deux semaines, des dizaines de commissions regroupant des spécialistes parmi les meilleurs du pays sont en train de préparer pour Ettajdid un programme économique détaillé. Il s’agit pour nous d’apporter les réponses adéquates à partir d’une analyse précise de la situation qui n’occulte en aucune façon les difficultés énormes et qui évite toutes les tentations démagogiques et les promesses fantaisistes que font parfois certains partis politiques.

Par quoi se démarque, en particulier, votre programme politique ?
Nous sommes un parti connu pour son sérieux, son sens de l’intérêt national et son engagement aux côtéx du peuple. C’est ce qui donne à notre mouvement un capital confiance auprès de l’opinion publique. Dans la phase actuelle, le grand enjeu c’est de réaliser cette relation dynamique et dialectique`entre la démocratie et la modernité.
Nous voulons un Etat démocratique fondé sur les principes universels des droits de l’Homme et de la démocratie qui sont, quoi qu’en disent certains, tout à fait en harmonie avec tout ce qui est éclairé, rationel et progressiste dans notre patrimoine arabo-musulman.

L’image de votre parti paraît trop sage, trop gentille, ce qui l’empêche d’être suffisamment visible pour l’opinion. Est-ce une question de discipline ou de manque d’innovation ?
Nous sommes un parti responsable. Ce qui ne veut pas dire que nous soyons trop sages ou que nous n’innovions pas. Nous organisons des meetings et des initiatives multiples, culturelles et citoyennes un peu partout à travers la République qui sont malheureusement occultés par les médias. Il y a certes un effort à faire de notre côté au niveau de la communication, mais à la limite des moyens matériels dont nous disposons. Nos meetings, les actions que nous menons à travers le pays sont quasi systématiquement ignorées.
C’est là un handicap que les moyens financiers limités dont nous disposons ne nous permettent pas de dépasser pour mener des campagnes multimédias (affiches, télévisions, radios, journaux, etc.) à l’instar d’autres partis devenus soudainement et brusquement très riches.
D’un autre côté, beaucoup crient que nous sommes partout, que nous exerçons une hégémonie sur le paysage politique.
Sur le terrain, nous prenons des initiatives importantes que la population connaît au niveau national et régional. Exemples : lors des derniers événements à Metlaoui et à Sbeïtla, nos camarades ont agi pour régler le conflit. Sans compter l’initiative citoyenne pour les villes propres, à Sfax tout dernièrement. Que les médias mettent un voile sur ces actions dynamiques voilà qui n’est pas normal.

Comment expliquez-vous cette absence de couverture par les médias ?
Je n’ai pas d’explications c’est incompréhensible et inadmissible puisque nous alertons les médias à chacune de nos actions et à chacun de nos meetings, mais peu se déplacent et répondent à l’appel.

Certains non seulement accusent Ettajdid de dominer la Haute Instance pour la réforme politique, mais insinuent que la plupart des indépendants roulent pour votre mouvement ?
Les attaques contre la Haute instance sont tout à fait excessives et injustes, elle a été constituée dans des conditions que l’on sait sur la base de consultations très larges de sorte que toutes les sensibilités y ont été représentées au mieux. Cette représentation n’est pas parfaite, certes, mais cela n’a pas empêché la Haute Instance d’accomplir des réalisations importantes pour la transition comme le Code électoral, l’élection de l’Instance supérieure indépendante pour les élections et autres. Certaines décisions ont été prises dans lesquelles nous étions minoritaires, d’autres majoritaires. La Haute Instance fonctionnait normalement et personne ne s’en est plaint pendant des mois.
Brusquement, voilà que lorsqu’il s’agit de questions vitales pour la transition comme la supervision des élections par une instance indépendante, dont le président Kamel Jendoubi a été élu à une majorité de 112 voix, certains partis comme celui d’Ennahdha crient à l’hégémonie d’Ettajdid sur la Haute instance.

Au-delà de cette question quel est le vrai problème de fond ?
Le vrai problème de fond c’est qu’il y a un refus de recherche de solution consensuelle et une volonté d’imposer un diktat. Le consensus ne signifie pas être d’accord sur tout ce que tel ou tel autre parti veut.
Il s’agit là, à mes yeux, de problèmes artificiels qui procèdent d’une intolérance à l’égard de tout ce qui ne correspond pas à la volonté de certains partis. On a constaté des retraits intempestifs suivis de retour à la Haute Instance.
Nous revoilà dans une situation de nouveauw retraits de certains partis sous des prétextes fallacieux.
Tout le monde sait que derrière tout ça, il y a la question du financement des partis et de la nécessaire moralisation des rapports entre la politique et l’argent. C’est là une nécessité urgente que personne ne doit fuir ou différer. N’empêche que le travail de la Haute Instance peut être amélioré, que les lacunes peuvent être comblées c’est ce que veulent les hommes et les femmes de bonne volonté et nous soutenons tous les efforts qui sont faits actuellement pour dépasser ces conflits artificiels.

Pensez-vous qu’une solution consensuelle est pour bientôt dans la Haute Instance ?
Je crois savoir qu’une solution est en passe d’être trouvée dans le sens de l’élargissement de la Haute Instance, de ses commissions et d’une consolidation des modes consensuels de prise de décisions.

Qu’attendez-vous de la réunion décisive de la Haute Instance avec le Premier ministre M. Béji Caïd Essebsi prévue le 13 juillet ?
Je pense qu’elle va consacrer l’entente autour des principes de consensus et du cadre de la recherche de ce consensus. Il ne serait pas surprenant de voir le parti Ennahdha et d’autres partis qui l’ont définitivement quittée y revenir, ce qui serait un signe de retour à la raison et à la responsabilité.

Ne pensez-vous pas que les derniers événements dans les régions et les fausses polémiques qu’a connues la rue sont prémédités ?
Il y a des signes dans les régions qui montrent que derrière les affrontements il y a souvent des éléments connus pour être des symboles de l’ancien régime qui ont intérêt à semer le désordre afin que le processus de transition démocratique ne réussisse pas.
D’un autre côté, il y a un phénomène de recours à la violence constaté pour interdire telle ou telle autre manifestation culturelle ou pour saboter telle ou telle autre réunion politique, ce qui est la preuve d’une intolérance croissante à laquelle il faut mettre un terme. La force doit toujours rester à la loi, la justice doit faire son travail, les forces de l’ordre doivent protéger les manifestations culturelles et les réunions politiques. Mais il est vrai qu’il y a des phénomènes étranges.

Justement, êtes-vous satisfait du rendement de la justice ?
Non je n’en suis pas satisfait. Il y a des lenteurs incompréhensibles au moment où l’opinion attend des décisions fermes qui rendent justice aux familles des martyrs et qui sanctionnent de façon claire dans des procès justes tous les responsables des tueries et des vols de biens publics.
Il y a un goutte-à-goutte tout à fait inadmissible. Six mois après la révolution, les deux commissions de Taoufik Bouderbala et Abdelfattah Amor doivent présenter d’urgence leurs rapports à l’opinion pour annoncer où elles en sont et mettre au courant l’opinion publique. Les procès par contumace ou pour de la consommation de drogue sont des vétilles. Il faut donner des réponses à l’opinion publique.
La rupture avec les symboles de l’oppression et de la corruption de l’ancien régime doit être claire et sans aucune ambiguïté.

Partagez-vous l’appréhension d’une partie de l’opinion publique quant au risque de reporter encore une fois la date de l’élection de la Constituante ?
Non.  Il y a des appréhensions qui sont provoquées par une certaine propagande. La nouvelle date des élections fait l’objet d’un accord général et tout le monde doit s’employer à garantir les conditions pour que les élections se déroulent normalement.

Etes-vous satisfait de la prestation du gouvernement provisoire et pensez-vous qu’il communique suffisamment bien et tient l’opinion publique éclairée autour des enjeux de cette phase transitoire ?
Le mérite essentiel du gouvernement actuel est qu’il existe. Mais à part cela, il n’y a pas de quoi exprimer une satisfaction outrancière, quand ce gouvernement provisoire a été mis en place c’était pour gérer les affaires courantes. Dans la pratique cela a été synonyme de maintien du statu quo. Mais un gouvernement transitoire ne peut être apolitique, car tout est politique.
Le gouvernement devrait s’attacher, par exemple, à la veille de Ramadan, à veiller au pouvoir d’achat du citoyen qui constate impuissant l’augmentation des prix des denrées alimentaires, notamment. Il y a lieu pour le gouvernement d’agir et de contrôler les prix de manière sérieuse. Il n’y a pas de doute que certains efforts ont été fournis, mais il y a un besoin de plus de consultations, de décisions et de transparence de la part du gouvernement.

Enfin, allez-vous vous présenter à la présidentielle ?
La question est prématurées. Faisons tout d’abord pour faire réussir l’échéance des élections de la Constituante.
Auteur : Propos recueillis par Samira

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