Rétrovision du 15 mars
Quand on veut ridiculiser l’élite !
Le penseur et historien Mohamed Talbi, a été, au cours d’une
seule semaine, à trois reprises, l’invité de la chaîne Al Hiwar Ettounssi, la
première fois dans l’émission d’actualité politique «Tunisie 7/24», présentée
par Lyes Gharbi, la deuxième fois dans le divertissement «Labès» animée par Nawfel
Ouertani et la troisième fois dans «Liman
Yajro Faqat» présentée par Samir El Wafi. Il est vrai que la polémique et
le tollé suscités par la conclusion publiée récemment par l’association
internationale des musulmans coraniques, que Dr Talbi a fondée en 2013, a été
vif et violent. Ainsi en se référant à plusieurs versets du Coran, plusieurs Oulémas ou savants de par le monde ont conclu
que l’alcool n’a été, nulle part, interdit dans le livre saint. La question
d’un enjeu capital méritait, donc, un débat sérieux où les principaux intervenants
prennent tout le temps nécessaire pour répondre, méthodiquement et calmement
sans être pressés et bousculés par cette éternelle course contre la montre,
argument ressassé par les animateurs, à tous les questionnements et
argumentaires des uns et des autres.
Mais à deux reprises ni dans «Tunisie 7/24» ni dans «Labés»
l’historien n’a pu placer un mot sans être interrompu soit par les animateurs
soit par ses contradicteurs, respectivement Hassan Ghodhbani , avocat, et
Chaker Chorfi, professeur de pensée islamique. Bien sûr la lanterne des
téléspectateurs n’a pas été éclairée, Mohamed Talbi ayant quitté le plateau des
deux émissions sans avoir exposé les tenants et aboutissants de la conclusion
de son association sur la non interdiction formelle de l’alcool par le Coran.
Alors que ses contradicteurs ont pu présenter et justifier longuement leur
point de vue. Encore heureux que dans «Liman
Yajro Faqat» il a pu en tant qu’invité principal de l’émission développer
son argumentaire en solo, puis de débattre avec les autres invités, le penseur
et philosophe Youssef Seddik, le cheikh Fèrid Béji, l’écrivain Hassan Ben Othman et enfin Ridha Belhaj
président du parti Ettahrir.
Dans Labés l’historien a juste eu le temps de dire que « la Charia s’est divisée sur la question,
dans le 3e siècle de l’Hégire, l’école juridique Hanafite considérant
la boisson de l’alccol comme licite tandis que celle Malikite, plus radicale, a
décrété le vin comme illicite. Or, il n’en est rien car dans le Coran l’alcool
n’est pas interdit, mais il faut seulement l’éviter, d’autant que si Dieu l’avait
voulu, il l’aurait interdit dans la série des interdictions concernant la bête morte, le sang et la chair de porc».
Mohamed Talbi rejette la Charia et
aspire à réformer la pensée islamique figée depuis 14 siècles et se présente
comme un historien usant d’une méthodologie propre à l’histoire et ne se
considère pas comme une autorité
religieuse ni un Mufti.
Or, on le sait tout savant, penseur et érudit a besoin de développer, de manière méthodique
et didactique, son analyse sans être interrompu à tout bout de champ. Ce que
n’a pu faire Dr Talbi face au professeur
de pensée islamique, Chaker Chorfi, qui, lui, a pu justement, développer le
point de vue contraire expliquant que l’alcool est interdit par le Coran, parce
que Talbi l’a écouté religieusement sans
jamais l’interrompre.
En raison de leur entêtement à vouloir coûte que coûte
placer des questions, afin d’éviter soi disant que l’intervention de Dr Talbi ne tourne à la conférence, ce qu’on nous
a appris sur les bancs des écoles de journalisme, or, ici l’enjeu est si important,
que pour une fois, on peut faire fi de cette règle journalistique. Mais les
animateurs de «Tunisie 7/24» et de «Labés » ont tout simplement provoqué l’ire de Talbi et
ont raté l’occasion de susciter le débat
et d’éclairer les téléspectateurs. D’ailleurs on se demande pourquoi ils l’ont tout
simplement invité s’ils ont tenu à lui couper la parole à chaque détour de
phrase ? Pourquoi craignaient-ils que Talbi développe sa pensée ? Pourquoi
l’animateur de Labés ne l’a-t-il pas
invité à s’exprimer d’abord en solo, comme il l’a toujours fait pour tous les autres
invités, et de faire entrer, par la suite, le second invité afin de créer
l’échange et la discussion. Il faut dire que nous sommes au temps où des hommes
d’affaires combinards et des chanteurs de 10e ordre officient,
pendant des heures, sur les plateaux de télé
alors qu’un penseur de la trempe de Dr Talbi, qu’on adhère à ses idées ou non, est sommé de s’expliquer,
façon express, sans avoir le temps de développer sa démarche et ses idées.
C’est, on dirait, le temps de l’inculture et de l’ignorance où l’élite
intellectuelle du pays est ridiculisée et marginalisée et où le populisme est sacralisé,
audimat oblige.
Pis dans Labés,
l’animateur s’est même permis de traiter le penseur de «dictateur» faisant montre d’un manque de respect flagrant envers son
invité dont l’âge, à lui seul, mérite
bien des égards. Car quoiqu’il en soit on ne peut traiter de la sorte un invité,
une sommité, comme l’a d’ailleurs reconnu son contradicteur se considérant
comme l’élève de Talbi. Les téléspectateurs ont eu droit, ensuite, à une séquence
pathétique, mais paradoxalement pédagogique, où le penseur excédé par tant de
manque d’égard répétait en boucle « Le Coran n’a pas interdit l’alcool» sous les rires du public
présent. Et d’énumérer ce qu’il endure de certains Cheikhs d’Ezzitouna et autres «Ils ne me laissent pas parler, disent des mensonges sur mon compte, me
considèrent comme fou, m’accusent d’apostasie et veulent me tuer ». Cela ne nous
rappelle que trop ce qu’a supporté et
souffert le grand militant et féministe Tahar Haddad à la suite de la parution
de son ouvrage «Notre femme dans la
Charia et la société» paru en 1930. Mais, on le sait, l’histoire a donné,
au final, raison à Tahar Haddad puisqu’il est actuellement, généralement admis,
à l’exception de certains esprits obscurantistes, que toute société ne peut se développer sans
l’amélioration de la condition de la femme qui constitue la moitié de la
société.
Bref, il est certain qu’une question aussi importante que la
conclusion de l’association Coranique, ne peut être débattue dans une émission
traitant de l’actualité ou dans un divertissement aussi léger que Labés, et on l’a bien vu et vérifié. Il
faudrait, donc, que d’autres émissions plus sérieuses s’en emparent que ce soit
sur les chaînes publiques ou privées. Et nous verrons très bien l’émission Maghribouna fi Tahrir wel Tanwir animée
par Abdelhalim Messaoudi sur Nessma-TV s’en charger, car elle se focalise,
spécifiquement, sur ce genre de questions. Il s’agirait d’inviter des savants
et des penseurs, des vrais, pour échanger et débattre avec le penseur et
historien Mohamed Talbi sur cette conclusion qui suscite la controverse, le
public étant avide de connaitre les différents points de vue critiques.
Cette curiosité n’a pas été tellement satisfaite non plus
lors du débat haché et tendu, dans «Liman
Yajro Faqat», chacun des invités qui sont contre la conclusion de
l’association coranique ayant énoncé de manière hystérique ses arguments, selon
le Coran et la «Sunna». Bien sûr
chacun a campé sur ses positions, Hassan
Ben Othman explique, lui, que «le refus des Cheikh de débattre avec Talbi,
préférant l’insulte et l’invective, est due au fait qu’ils utilisent la
religion comme fonds de commerce, craignant pour leur pouvoir religieux ou
politico-religieux». De son côté Talbi persiste et signe : «Eviter l’alcool ne signifie pas son
interdiction», mais au moins, cette fois-ci il n’a pas quitté le plateau
comme il l’a fait dans les émissions citées plus haut.
La leçon à tirer de tout ça, comme l’a affirmé le penseur et philosophe Youssef seddik, c’est «qu’il est désormais temps de changer les évidences et les dogmes qui durent depuis 14 siècles». Et d’ajouter «j’invite
tout le monde à une relecture du Coran et du «Hadith»
fondée sur l’anthropologie, la linguistique et l’archéologie, car même
l’interprétation de Tahar Ben Achour ne me convient plus». Justement
verrons-nous, un jour, une relecture moderne et intelligente du Coran et des «Hadiths» ?
Mais, tel que le débat s’est déroulé sur le plateau faudrait-il répéter, encore
une fois : ce n’est pas demain la veille !
S.D.
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