dimanche 29 mars 2015

Rétrovision du 15 mars
Quand on veut ridiculiser l’élite !

Le penseur et historien Mohamed Talbi, a été, au cours d’une seule semaine, à trois reprises, l’invité de la chaîne Al Hiwar Ettounssi, la première fois dans l’émission d’actualité politique «Tunisie 7/24», présentée par Lyes Gharbi, la deuxième fois dans le divertissement  «Labès» animée par Nawfel Ouertani et la troisième fois dans «Liman Yajro Faqat» présentée par Samir El Wafi. Il est vrai que la polémique et le tollé suscités par la conclusion publiée récemment par l’association internationale des musulmans coraniques, que Dr Talbi a fondée en 2013, a été vif et violent. Ainsi en se référant à plusieurs versets du Coran, plusieurs  Oulémas ou savants de par le monde ont conclu que l’alcool n’a été, nulle part, interdit dans le livre saint. La question d’un enjeu capital méritait, donc, un débat sérieux où les principaux intervenants prennent tout le temps nécessaire pour répondre, méthodiquement et calmement sans être pressés et bousculés par cette éternelle course contre la montre, argument ressassé par les animateurs, à tous les questionnements et argumentaires des uns et des autres.

Mais à deux reprises ni dans «Tunisie 7/24» ni dans «Labés» l’historien n’a pu placer un mot sans être interrompu soit par les animateurs soit par ses contradicteurs, respectivement Hassan Ghodhbani , avocat, et Chaker Chorfi, professeur de pensée islamique. Bien sûr la lanterne des téléspectateurs n’a pas été éclairée, Mohamed Talbi ayant quitté le plateau des deux émissions sans avoir exposé les tenants et aboutissants de la conclusion de son association sur la non interdiction formelle de l’alcool par le Coran. Alors que ses contradicteurs ont pu présenter et justifier longuement leur point de vue. Encore heureux que dans «Liman Yajro Faqat» il a pu en tant qu’invité principal de l’émission développer son argumentaire en solo, puis de débattre avec les autres invités, le penseur et philosophe Youssef Seddik, le cheikh Fèrid Béji, l’écrivain  Hassan Ben Othman et enfin Ridha Belhaj président du parti Ettahrir.
Dans Labés  l’historien a juste eu le temps de dire que « la Charia s’est divisée sur la question, dans le 3e siècle de l’Hégire, l’école juridique Hanafite considérant la boisson de l’alccol comme licite tandis que celle Malikite, plus radicale, a décrété le vin comme illicite. Or, il n’en est rien car dans le Coran l’alcool n’est pas interdit, mais il faut seulement l’éviter, d’autant que si Dieu l’avait voulu, il l’aurait interdit dans la série des interdictions concernant  la bête morte, le sang et la chair de porc».  Mohamed Talbi rejette la Charia et aspire à réformer la pensée islamique figée depuis 14 siècles et se présente comme un historien usant d’une méthodologie propre à l’histoire et ne se considère pas  comme une autorité religieuse ni un Mufti.
Or, on le sait tout savant, penseur et érudit  a besoin de développer, de manière méthodique et didactique, son analyse sans être interrompu à tout bout de champ. Ce que n’a pu faire  Dr Talbi face au professeur de pensée islamique, Chaker Chorfi, qui, lui, a pu justement, développer le point de vue contraire expliquant que l’alcool est interdit par le Coran, parce que  Talbi l’a écouté religieusement sans jamais l’interrompre.
En raison de leur entêtement à vouloir coûte que coûte placer des questions, afin d’éviter soi disant que l’intervention de  Dr Talbi ne tourne à la conférence, ce qu’on nous a appris sur les bancs des écoles de journalisme, or, ici l’enjeu est si important, que pour une fois, on peut faire fi de cette règle journalistique. Mais les animateurs de «Tunisie 7/24» et de «Labés » ont  tout simplement provoqué l’ire de Talbi et ont raté l’occasion  de susciter le débat et d’éclairer les téléspectateurs. D’ailleurs on se demande pourquoi ils l’ont tout simplement invité s’ils ont tenu à lui couper la parole à chaque détour de phrase ? Pourquoi craignaient-ils que Talbi développe sa pensée ? Pourquoi l’animateur de Labés ne l’a-t-il pas invité à s’exprimer d’abord en solo, comme il l’a toujours fait pour tous les autres invités, et de faire entrer, par la suite, le second invité afin de créer l’échange et la discussion. Il faut dire que nous sommes au temps où des hommes d’affaires combinards et des chanteurs de 10e ordre officient, pendant des heures, sur les plateaux de télé  alors qu’un penseur de la trempe de Dr Talbi, qu’on adhère à  ses idées ou non, est sommé de s’expliquer, façon express, sans avoir le temps de développer sa démarche et ses idées. C’est, on dirait, le temps de l’inculture et de l’ignorance où l’élite intellectuelle du pays est ridiculisée et marginalisée et où le populisme est sacralisé, audimat oblige.
Pis dans Labés, l’animateur s’est même permis de traiter le penseur de «dictateur» faisant montre d’un manque de respect flagrant envers son invité dont l’âge, à lui seul,  mérite bien des égards. Car quoiqu’il en soit on ne peut traiter de la sorte un invité, une sommité, comme l’a d’ailleurs reconnu son contradicteur se considérant comme l’élève de Talbi. Les téléspectateurs ont eu droit, ensuite, à une séquence pathétique, mais paradoxalement  pédagogique, où le penseur excédé par tant de manque d’égard répétait  en boucle « Le Coran n’a pas interdit l’alcool» sous les rires du public présent. Et d’énumérer ce qu’il endure de certains Cheikhs  d’Ezzitouna et autres «Ils ne me laissent pas parler, disent des mensonges sur mon compte, me considèrent comme fou, m’accusent d’apostasie et  veulent me tuer ». Cela ne nous rappelle  que trop ce qu’a supporté et souffert le grand militant et féministe Tahar Haddad à la suite de la parution de son ouvrage «Notre femme dans la Charia et la société» paru en 1930. Mais, on le sait, l’histoire a donné, au final, raison à Tahar Haddad puisqu’il est actuellement, généralement admis, à l’exception de certains esprits obscurantistes, que toute  société ne peut se développer sans l’amélioration de la condition de la femme qui constitue la moitié de la société.
Bref, il est certain qu’une question aussi importante que la conclusion de l’association Coranique, ne peut être débattue dans une émission traitant de l’actualité ou dans un divertissement aussi léger que Labés, et on l’a bien vu et vérifié. Il faudrait, donc, que d’autres émissions plus sérieuses s’en emparent que ce soit sur les chaînes publiques ou privées. Et nous verrons très bien l’émission Maghribouna fi Tahrir wel Tanwir animée par Abdelhalim Messaoudi sur Nessma-TV s’en charger, car elle se focalise, spécifiquement, sur ce genre de questions. Il s’agirait d’inviter des savants et des penseurs, des vrais, pour échanger et débattre avec le penseur et historien Mohamed Talbi sur cette conclusion qui suscite la controverse, le public étant avide de connaitre les différents points de vue critiques.
Cette curiosité n’a pas été tellement satisfaite non plus lors du débat haché et tendu, dans «Liman Yajro Faqat», chacun des invités qui sont contre la conclusion de l’association coranique ayant énoncé de manière hystérique ses arguments, selon le Coran et la «Sunna». Bien sûr chacun a campé sur ses positions, Hassan Ben Othman  explique, lui, que «le refus des Cheikh de débattre avec Talbi, préférant l’insulte et l’invective, est due au fait qu’ils utilisent la religion comme fonds de commerce, craignant  pour leur pouvoir religieux ou politico-religieux». De son côté Talbi persiste et signe : «Eviter l’alcool ne signifie pas son interdiction», mais au moins, cette fois-ci il n’a pas quitté le plateau comme il l’a fait dans les émissions citées plus haut.
La leçon à tirer de tout ça, comme l’a affirmé le penseur et philosophe Youssef seddik, c’est «qu’il est désormais temps de changer les évidences et les dogmes qui durent depuis 14 siècles». Et d’ajouter «j’invite tout le monde  à une relecture du Coran et du «Hadith» fondée sur l’anthropologie, la linguistique et l’archéologie, car même l’interprétation de Tahar Ben Achour ne me convient plus». Justement verrons-nous, un jour, une relecture moderne et intelligente du Coran et des «Hadiths» ? Mais, tel que le débat s’est déroulé sur le plateau faudrait-il répéter, encore une fois : ce n’est pas demain la veille !
S.D.







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