RÉTROVISION
Par
Samira DAMI
ZOOM
SUR LES MORISQUES
La mémoire
sélective
Il est de certaines émissions dont
on sort, une fois achevées, plus instruit et plus intelligent qu’auparavant.
Certes, ce genre d’émissions sont
rares, tant la tendance, sur nos chaînes locales, est aux émissions soit
politiques, soit façon talk-show bavardes qui se veulent divertissantes, mais à
la longue lassantes. Ainsi, en a-t-il été d’un entretien sur la chaîne Al
Moutawasset, avec Abdeljelil Témimi, historien spécialisé dans les influences
culturelles et architecturales des Ottomans et Morisques dans le monde arabe.
Cet historien et universitaire,
doublé d’un archiviste, est l’initiateur de la Fondation Témimi pour la
recherche scientifique et l’information ; il préside des comités arabes et
internationaux d’études morisques, ainsi que des revues scientifiques
maghrébines et arabes.
Bref, l’entretien en question s’est
focalisé, entre autres, sur l’exil forcé des morisques d’Espagne en Afrique du
Nord bien après la prise de Grenade en 1492. On sait qu’outre l’exil volontaire
des musulmans d’Espagne à partir de la chute de Grenade, au XVe
siècle, de 400.000 à 700.000 Morisques, descendants des populations musulmanes,
convertis par la force au christianisme, ont été expulsés par décret du roi
Philippe III d’Espagne, en 1609, abandonnant, ainsi, leurs terres et leur
territoire en plusieurs vagues, notamment de Catalogne, de Castille,
d’Andalousie et du Royaume d’Aragon pour se réfugier notamment au Maroc, en
Algérie et en Tunisie, cela s’ils n’ont pas été brûlés vifs sur les bûchers de
l’Inquisition.
De leur côté, les juifs d’Espagne
sont expulsés le 31 mars 1492 par l’édit des rois catholiques Isabelle et
Ferdinand, le nombre des exilés de force varie selon les historiens de 100.000
à 300.000. Toutefois, au début du XIXe siècle, une lente
réintégration des juifs dans l’Espagne moderne a commencé avec le renouement
avec les juifs séfarades d’origine espagnole. «Un décret royal publié en 1924
accorde la nationalité espagnole aux juifs séfarades qui peuvent prouver leur
ascendance espagnole jusqu’en 1492. La reconnaissance des séfarades est
confirmée par la République espagnole en 1935 et plusieurs milliers d’entre eux
retourneront en Espagne.
Ainsi, 500 ans après l’expulsion des
juifs d’Espagne, la réconciliation historique entre le peuple juif et le peuple
d’Espagne est promulguée par le décret du 31 mars 1992. Mieux, en novembre
2012, Madrid offre la nationalité espagnole à tous les descendants les juifs
expulsés d’Espagne en 1492. Car, il s’agit, selon la déclaration du ministre de
la justice, Alberto-Luiz Gallardon, de «recouvrer la mémoire de l’Espagne qu’on
a fait taire et entamer une procédure pour les retrouvailles». Ajoutant «qu’un
nouveau mécanisme légal va donc faciliter les aspects légaux du processus
d’acquisition de la nationalité espagnole
par les citoyens séfarades de la diaspora», le candidat devra,
toutefois, «démontrer des liens objectifs avec l’Espagne que ce soit par les
noms, la langue familiale, la descendance directe, ou un lien de parenté
collatérale avec des séfarades auxquels la nationalité espagnole a déja été
accordée».
Reconnaître les erreurs du passé
Or, qu’en est-il concernant la
tragédie humaine causée par l’Inquisition et l’intolérance à l’égard des
musulmans et des Morisques chassés d’Espagne du XVe au XVIIe
siècle ? Rien, puisque les autorités espagnoles refusent catégoriquement
de reconnaître ce drame et de s’en excuser. Et il s’agit, encore moins, de
réconciliation ou d’acquisition de la nationalité espagnole pour les
descendants des Morisques expulsés.
Abdeljelil Témimi a même affirmé
qu’il a écrit à tous les présidents et souverains arabes et occidentaux afin
que cette question soit enfin traitée, que justice soit rendue et que la vérité
historique sur ce drame atroce se fasse. En vain. Car aucun parmi tous les
dirigeants sollicités n’a daigné répondre. Il faut dire que pour certains pays
occidentaux, la mémoire est sélective comme si les musulmans et les Morisques
n’ont jamais fait partie de l’histoire et de la mémoire collective de
l’Espagne. La politique de l’autruche ou des deux poids deux mesures a la peau
dure. A quand la reconnaissance par les autorités espagnoles de cette page
sombre de leur histoire? En tout cas, l’émission a soulevé une question
importante qui nécessite la conjugaison des efforts et une action de longue
haleine de la part des pays arabes entre historiens, spécialistes, sociétés
civiles et autres afin de sauvegarder la mémoire des Morisques et que la vérité
historique éclate au grand jour.
Maintenant, il reste à dire que
pareilles émissions instructives, édifiantes et utiles devraient se multiplier
sur les chaînes locales privées et notamment publiques, car il est, tout de
même, étrange que sur Al Watania 1 et 2 le désert culturel, intellectuel et
spirituel persiste. A bon entendeur… !
S.D.
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