dimanche 29 mars 2015

RÉTROVISION
Par Samira DAMI

ZOOM SUR LES MORISQUES
La mémoire sélective

Il est de certaines émissions dont on sort, une fois achevées, plus instruit et plus intelligent qu’auparavant.
Certes, ce genre d’émissions sont rares, tant la tendance, sur nos chaînes locales, est aux émissions soit politiques, soit façon talk-show bavardes qui se veulent divertissantes, mais à la longue lassantes. Ainsi, en a-t-il été d’un entretien sur la chaîne Al Moutawasset, avec Abdeljelil Témimi, historien spécialisé dans les influences culturelles et architecturales des Ottomans et Morisques dans le monde arabe.
Cet historien et universitaire, doublé d’un archiviste, est l’initiateur de la Fondation Témimi pour la recherche scientifique et l’information ; il préside des comités arabes et internationaux d’études morisques, ainsi que des revues scientifiques maghrébines et arabes.
Bref, l’entretien en question s’est focalisé, entre autres, sur l’exil forcé des morisques d’Espagne en Afrique du Nord bien après la prise de Grenade en 1492. On sait qu’outre l’exil volontaire des musulmans d’Espagne à partir de la chute de Grenade, au XVe siècle, de 400.000 à 700.000 Morisques, descendants des populations musulmanes, convertis par la force au christianisme, ont été expulsés par décret du roi Philippe III d’Espagne, en 1609, abandonnant, ainsi, leurs terres et leur territoire en plusieurs vagues, notamment de Catalogne, de Castille, d’Andalousie et du Royaume d’Aragon pour se réfugier notamment au Maroc, en Algérie et en Tunisie, cela s’ils n’ont pas été brûlés vifs sur les bûchers de l’Inquisition.

De leur côté, les juifs d’Espagne sont expulsés le 31 mars 1492 par l’édit des rois catholiques Isabelle et Ferdinand, le nombre des exilés de force varie selon les historiens de 100.000 à 300.000. Toutefois, au début du XIXe siècle, une lente réintégration des juifs dans l’Espagne moderne a commencé avec le renouement avec les juifs séfarades d’origine espagnole. «Un décret royal publié en 1924 accorde la nationalité espagnole aux juifs séfarades qui peuvent prouver leur ascendance espagnole jusqu’en 1492. La reconnaissance des séfarades est confirmée par la République espagnole en 1935 et plusieurs milliers d’entre eux retourneront en Espagne.
Ainsi, 500 ans après l’expulsion des juifs d’Espagne, la réconciliation historique entre le peuple juif et le peuple d’Espagne est promulguée par le décret du 31 mars 1992. Mieux, en novembre 2012, Madrid offre la nationalité espagnole à tous les descendants les juifs expulsés d’Espagne en 1492. Car, il s’agit, selon la déclaration du ministre de la justice, Alberto-Luiz Gallardon, de «recouvrer la mémoire de l’Espagne qu’on a fait taire et entamer une procédure pour les retrouvailles». Ajoutant «qu’un nouveau mécanisme légal va donc faciliter les aspects légaux du processus d’acquisition de la nationalité espagnole  par les citoyens séfarades de la diaspora», le candidat devra, toutefois, «démontrer des liens objectifs avec l’Espagne que ce soit par les noms, la langue familiale, la descendance directe, ou un lien de parenté collatérale avec des séfarades auxquels la nationalité espagnole a déja été accordée».

Reconnaître les erreurs du passé

Or, qu’en est-il concernant la tragédie humaine causée par l’Inquisition et l’intolérance à l’égard des musulmans et des Morisques chassés d’Espagne du XVe au XVIIe siècle ? Rien, puisque les autorités espagnoles refusent catégoriquement de reconnaître ce drame et de s’en excuser. Et il s’agit, encore moins, de réconciliation ou d’acquisition de la nationalité espagnole pour les descendants des Morisques expulsés.
Abdeljelil Témimi a même affirmé qu’il a écrit à tous les présidents et souverains arabes et occidentaux afin que cette question soit enfin traitée, que justice soit rendue et que la vérité historique sur ce drame atroce se fasse. En vain. Car aucun parmi tous les dirigeants sollicités n’a daigné répondre. Il faut dire que pour certains pays occidentaux, la mémoire est sélective comme si les musulmans et les Morisques n’ont jamais fait partie de l’histoire et de la mémoire collective de l’Espagne. La politique de l’autruche ou des deux poids deux mesures a la peau dure. A quand la reconnaissance par les autorités espagnoles de cette page sombre de leur histoire? En tout cas, l’émission a soulevé une question importante qui nécessite la conjugaison des efforts et une action de longue haleine de la part des pays arabes entre historiens, spécialistes, sociétés civiles et autres afin de sauvegarder la mémoire des Morisques et que la vérité historique éclate au grand jour.
Maintenant, il reste à dire que pareilles émissions instructives, édifiantes et utiles devraient se multiplier sur les chaînes locales privées et notamment publiques, car il est, tout de même, étrange que sur Al Watania 1 et 2 le désert culturel, intellectuel et spirituel persiste. A bon entendeur… !

S.D.

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