mardi 20 septembre 2011

Cinéma - 26e édition du Fifak

Images saccadées ou la mémoire retrouvée

Images saccadées ou la mémoire retrouvée
En 2012, la Ftca (Fédération tunisienne des cinéastes amateurs) soufflera ses 50 bougies.
En guise d’avant-goût de cet événement marquant un demi-siècle d’action et de création, la 26e édition du Fifak (Festival international du film amateur de Kélibia) a organisé, jeudi dernier, une soirée spéciale dédiée à cette association, où ont été projetés le long métrage Images saccadées de Hbib Mestiri produit par Radhi Trimech, qui retrace l’historique et l’histoire de la Ftca, créée, en 1962, ainsi que des courts-métrages produits par cette fédération, tels Le cuirassé Abdelkrim de Walid Mattar, Flagrant délit de Ridha Ben Hlima, Mur et d’autres.
Mais focalisons-nous sur Images saccadées entamé en 2006 et définitivement achevé cinq ans après en 2011.
«Ce film, explique le réalisateur sur la scène du théâtre de plein air de Kélibia, n’est pas forcément une histoire, mais l’idée d’un trajet, d’un parcours, d’un dispositif d’abord, d’où émerge la genèse du cinéma aussi bien amateur, en particulier, que tunisien en général, car, la Ftca n’est pas seulement une structure, mais une véritable école de formation qui a donné au pays ses cinéastes et techniciens de l’image».

Place au film maintenant. Dès les premières images d’archives en noir et blanc, la nostalgie suinte, dégouline…
Il est vrai que depuis la création de la Ftca par Hassan Bouzriba, aujourd’hui disparu, la Ftca a connu et vécu une véritable épopée avec du bon et du moins bon, des mouvements et des tournants mais, l’important, c’est qu’elle ait résisté tant d’années malgré la répression et la dictature, car n’a-t-on pas menacé de la dissoudre dans les années 70 ? N’est-ce pas là la culture de la résistance, signe sous lequel se déroule cette 26e édition ? Assurément. Bref, le film s’ouvre sur une scène où l’ont voit le réalisateur Ahmed Harzallah déambuler devant l’ancien local de la Ftca, au 3 rue de Grèce, devenu un chantier de l’extension d’une banque de la place.
Harzallah était, dès 1962, le premier formateur des cinéastes amateurs surtout qu’il venait de débarquer d’Italie où il avait suivi des études de cinéma à Cinecitta.
Comment raconter une longue histoire de 50 ans avec tous ces moments-clés, ces tournants et retournements ? Comment restituer ce pan de mémoire du cinéma amateur, voire tunisien ?
Pour cela, le réalisateur a fait appel à des cinéastes amateurs de différentes générations, des politiques, décideurs et critiques.
Les uns affiliés à la Ftca, ayant réalisé des films qui ont marqué son histoire : Abdelwaheb Bouden, Ridha Ben Hlima, Moncef Ben Mrad, Radhi Trimech, d’autres devenus des cinéastes professionnels, tels Ridha Béhi, Ahmed Khechine, Férid Boughdir, etc.
Mais aussi des témoins qui portent un regard extérieur sur l’histoire de la fédération, des politiques comme Ahmed Ben Salah, président honorifique de la Ftca de 1964 à 1969 et Abdelhak Lassoued, ancien gouverneur de Nabeul et l’un des initiateurs du festival et aussi des critiques de cinéma, dont Hédi Khelil et Kamel Ben Ouannès.
Tous ces membres de la Ftca et ces observateurs racontent, tissent l’histoire et la mémoire d’une des plus anciennes structures cinématographiques : la naissance, la mise sur pieds des clubs (Sfax, Tunis, Sousse, Kairouan, Gabès, etc.) une vingtaine en tout équipés en 16 mn, le processus de formation, création du festival de Kélibia en 1964. Et ce, jusqu’à l’apogée du cinéma amateur avec la maîtrise de l’outil technique.
Au fil des témoignages s’égrènent les extraits de films en noir et blanc ou en couleurs, en super 8, en 16 mm ou en vidéo. Les extraits ne sont pas datés, mais c’est la focalisation sur les époques marquantes, les tournants dans l’histoire de la structure révélant le passage du temps, l’évolution des idées, des esprits et de l’esthétique.

La réforme et la plateforme

Le premier mouvement-clé, un des tournants de l’histoire de la Ftca a été celui de la réforme au début des années 70, menée par Abdelwaheb Bouden, et qui prônait une direction collégiale de l’organisation, une formation progressive et une ouverture sur la société concrétisée à travers des films du genre Duel du même A.Bouden, Les galériens de Hamadi Ghlala.
Ce mouvement a été suivi, dans un autre tournant de l’histoire de la Ftca celui de «la Plateforme culturelle» adopté en 1981 lors du congrès de Mjaz El Bab, exprimant une radicalisation de la fédération après l’incident qui s’est produit en 1979 lors du festival de Kélibia quand le ministre de la Culture a décidé de censurer deux films amateurs : Duel celui-là de Néji Gacem et «Invalidés» de Lotfi Moudoud.
Ce mouvement de «la plateforme» prône, lui, un cinéma militant et un attitude radicale de gauche (la Ftca étant alors traversée par plusieurs courants gauchistes) où les films étaient dans l’obligation presque de traiter et refléter les causes sociales même dans une forme laissant à désirer. L’important étant le propos et non la qualité esthétique des films.
Quelques documentaires importants ont, malgré tout, vu le jour : Sueurs de petits fronts un film collectif du club Heni Jawharia de Sfax qui dénonçait le travail des enfants et Contre l’oubli de Ridha Ben Hlima, traitant des évènements du 26 janvier 1978.
Images saccadés (re)construit, donc, l’histoire, c’est la mémoire retrouvée au fil des témoignages des mouvements et des extraits de films qui défilent jusqu’à la période des années 90 où La Plateforme culturelle s’est estompée au profit d’un combat acharné pour l’indépendance de la Ftca à travers un autre mouvement prônant la conciliation entre le fond et la forme, le propos et l’esthétique. Mouvement illustré par des opus, comme Tunnel de Ridha Ben Hlima, Cinéma-cinéma de Mohamed Abdessalem, Rêves en éveil de Hbib Mestiri, Le voleur de Jasmin de Khaled Barsaoui, etc.
Les années 2000 ont vu, elles, la naissance d’une nouvelle génération de cinéastes, Ghassen Amamou, Walid Mattar, Nadia Touijer, Walid Ettayaâ, dont les films sont marqués par un souci d’esthétique et de réflexion sur des thèmes actuels : la crise de la jeunesse, les conflits de génération, l’immigration clandestine… Ce mouvement se poursuit jusqu’à nos jours avec des hauts et des bas.
Le titre d’Images saccadées, comme il l’indique, révèle les irruptions de mouvements dont l’enjeu n’est autre que l’amour du cinéma, de la liberté d’expression et de création marqués par l’audace et la liberté de ton. Ce documentaire a le mérite également de nous faire découvrir des archives et des films qu’on croyait à jamais perdu, tel Le Roi de Moncef Ben Mrad, censuré à l’époque, mais dont le négatif a été retrouvé en bon état à Gammarth (ex-Satpec) en fait partie.
(Re) Découvrir ce patrimoine fabuleux, retrouver tous ces témoins dont certains sont décédés, revoir la Tunisie d’antan représentent de vrais moments pour le public, même si parfois le film n’est pas très explicite dans le traitement de ces mouvements que sont «La Réforme» et «la Plateforme culturelle» qui, à eux seuls, méritent d’autres documentaires. Espérons!
Mais ne faisons pas trop la fine bouche, car Images saccadées, produit avec l’aide du ministère de la Culture, fait, sans conteste, partie de ces films du genre œuvre utile pour l’histoire et la mémoire.

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