jeudi 9 février 2012

Entretien avec : Fadhel Moussa, constituant indépendant, du groupe parlementaire «El Kotla»

«La République est le bien de tous les citoyens»

«La République est le bien   de tous les citoyens»
La répartition de la présidence des six commissions constituantes entre les groupes parlementaires aura lieu lundi prochain à l’Assemblée constituante.
Quel est le rôle de ces commissions, quelle sera la méthologie à adopter? Quels seront les probables points de convergence et de divergence autour des dispositions de la Constitution? Comment transcender l’esprit partisan lors de la rédaction de la Constitution et quelle en sera la probable durée?
Pour répondre à toutes ces questions centrales et à d’autres, nous avons interviewé M. Fadhel Moussa, constituant et membre du groupe parlementaire «El Kotla El Dimokratia» (le rassemblement démocratique) et par ailleurs professeur de droit public et de sciences politiques et doyen de la faculté des Sciences juridiques et sociales de Tunis. Entretien.



Quel est le rôle de la commission de coordination de la rédaction de la Constitution ?
Le projet de Constitution sera rédigé, dans un premier temps, par six commissions distinctes. Chaque commission est chargée de la rédaction d’un chapitre de la Constitution. Cela n’est qu’un plan de travail provisoire. Il se pourrait qu’à la fin il n’y ait pas six chapitres, mais une autre planification.
La première commission se chargera du chapitre «préambule, principes généraux et révision de la Constitution»; la deuxième de celui des «droits et libertés»; la troisième du «pouvoir exécutif, pouvoir législatif et leur relation»; la quatrième se chargera de la «justice judiciaire, administrative, financière et constitutionnelle»; la cinquième «des instances indépendantes», telle l’Isie; enfin, la sixième commission «des collectivités publiques locales et régionales» concernant l’organisation territoriale du pays et le statut des collectivités et circonscriptions administratives et leur degré d’autonomie.
Chaque commission est composée de 22 membres qui sont désignés sur la base de la règle de représentation proportionnelle des groupes parlementaires à l’Assemblée constituante. Dans chaque commission, il y aura une représentation de l’ensemble des groupes parlementaires représentant les différents partis en fonction du nombre de sièges dont ils disposent. La répartition des postes de président, vice-président, rapporteur, rapporteur adjoint se fait sur la même base à la proportionnelle. Ainsi le premier groupe, soit Ennahdha, aura trois postes de président, de vice-président, de rapporteur et de rapporteur adjoint à répartir entre les six commissions.
Le deuxième groupe parlementaire avec 30 membres, à savoir «El Kotla El Dimocratia» qui regroupe le PDM, le PDP, Afek, le PLM et Watad et deux indépendants, aura un poste de président, de vice-président, de rapporteur et de rapporteur adjoint à répartir également entre les six commissions.
Le troisième groupe étant le CPR avec 28 membres, le quatrième Ettakatol avec 22 membres et le cinquième est «El Aridha» avec 13 membres. Chacun de ces groupes aura un poste de président, de vice-président, de rapporteur et de rapporteur adjoint.
La répartition des présidences des commissions se fera lundi prochain lors des premières réunions de chacune des commissions.
Mais cette répartition a été officieusement effectuée et se ferait comme suit :
Le Parti Ennahdha présiderait trois commissions : «préambule, principes généraux et révision de la Constitution» et «collectivités régionales et locales», «droits et libertés», le groupe démocratique (El Kotla) présiderait la commission de «la justice judiciaire, administrative, financière et constitutionnelle».
Le CPR présiderait la commission «pouvoir exécutif, pouvoir législatif et leur relation» et Ettakatol présidera la commission des instances indépendantes.

Quelle est la fonction des commissions constituantes ?Les commissions constituantes ont pour rôle de discuter et de rédiger un projet d’articles se rapportant à l’objet attribué à la commission.

Nous avons appris qu’il y a plusieurs projets de Constitution qui ont été officiellement distribués à tous les constituants par le président de la Constituante, lequel ou lesquels selon vous seront pris en considération ?Il est vrai qu’il y a 5 ou 6 projets officieux qui ont été préparés, dont notamment celui du comité des experts de l’Instance supérieure pour la réalisation des objectifs de la révolution présidée par le doyen Yadh Ben Achour, cela sans compter les projets d’Ennahdha, de Sadok Belaïd, de l’Ugtt et de Doustourna.
Comment procéder, quand on dispose de plusieurs projets ? A mon avis, il faut que toutes les commissions s’entendent sur la méthodologie. Je pense qu’il y a deux options, soit le choix d’un des projets comme référence en gardant les autres comme des références complémentaires possibles, mais ce n’est probablement pas la meilleure méthode, car on a bien vu l’inconvénient majeur concernant le projet de loi portant organisation provisoire des pouvoirs publics et où la proposition de la Troïka a été utilisée comme référence.
Or, une Constitution c’est celle de tout un pays et non d’un parti ou d’une coalition, elle ne peut donc être fondée sur le projet d’un parti. A ce titre, le projet des experts est le plus indiqué pour être pris comme référence de par son caractère neutre, objectif, technique et non impliqué dans la Constituante. A la limite, il sera revisité et restera comme une simple référence, mais cela pourrait être un point de départ afin de faciliter méthodiquement l’opération d’élaboration de la Constitution.
Ma deuxième proposition consiste à préparer un projet qui regroupera tous les éléments de convergence des différents projets et il est sûr que, dans une très large mesure, on trouvera un fond commun de dispositions qui sont acceptables par tous, et c’est là le dénominateur commun de toute Constitution.
Il y a une opinion dominante concernant la mention que «la Tunisie est un Etat libre, indépendant et souverain. L’arabe est sa langue, l’Islam est sa religion et la République est son régime». Voilà un article type de convergence, même s’il est vrai qu’il y a beaucoup de partis politiques et de constituants qui ne souhaitent pas que la Constitution comporte des articles sur la religion. Autre grand point de convergence parmi tant d’autres : la limitation impérative du mandat du président de la République.

Et quels sont donc les points de divergence possibles ?Il pourrait y avoir beaucoup de divergences, notamment concernant les articles du chapitre «Préambule, principes généraux et révision de la Constitution».
Les questions qui vont se poser pourraient être les suivantes : la nouvelle Constitution sera-t-elle en rupture totale avec la Constitution et la première République de 1957 ? Le point de départ serait-il la révolution ? Autrement dit, s’agira-t-il d’une Constitution de l’après-14 janvier, donc en rupture totale avec la première Constitution et l’ancien régime ou s’agira-t-il d’une Constitution en rupture totale avec l’ancienne. Autres divergences possibles qui pourraient concerner le statut à accorder à la société civile et à l’initiative populaire, certains voudraient consigner le statut, d’autres pas.
Et dans le deuxième chapitre «des droits et libertés»,on peut se poser la question : y aura-t-il une place aux droits économiques et sociaux comme l’emploi, la santé, le logement, l’éducation, etc., ainsi qu’aux droits à la troisième génération tel le droit à un environnement sain ?Est-ce que, par ailleurs, on va consacrer l’idée du droit opposable qui commande à l’Etat la concrétisation effective de ses droits ?
Concernant le chapitre de la nature du régime politique, tous souhaitent un régime démocratique, mais sous quelle forme : présidentielle, parlementaire, mixte, etc? Faudrait-il une seule chambre ou deux chambres, celle des députés et celles des sénateurs ? Et dans le chapitre de la justice, pour quel type de système de spécialisation de la justice allons-nous opter, sachant qu’une justice judiciaire, administrative, financière et constitutionnelle est préconisée ?
Quant au chapitre «des instances indépendantes», les divergences peuvent concerner leur nombre, car certains préconisent plusieurs instances, celles des médias, de l’organisation des élections, de la lutte contre la corruption, etc. Outre les divergences quant à leur statut juridique et à leur degré d’indépendance.
Enfin, les divergences concernant le chapitre «des collectivités publiques, locales et régionales» auraient trait au nombre et aux types de collectivités et de circonscriptions territoriales à mettre en place.
On peut s’interroger, également, sur les formes de découpage ?
Enfin, quel sera le statut de ces collectivités, leur degré d’autonomie par rapport au pouvoir central, sachant que la Tunisie est un Etat unitaire.
Or, si on choisit la régionalisation ou la décentralisation, une deuxième chambre sera tout à fait indiquée, l’objectif étant l’équilibre régional avec l’allocation d’un budget, d’un pouvoir de décision et d’élections des exécutifs régionaux.
Le grand problème de la rédaction de la Constitution concernera les variantes, car on est d’accord sur le fond. Enfin, l’on peut aussi se poser la question de savoir s’il faut une Constitution détaillée ou est-il plus indiqué d’opter pour une Constitution plutôt sobre axée sur les principes généraux.

Pourquoi aviez-vous préconisé le consensus au lieu des élections quant au choix du rapporteur général? La Constitution représente un texte fondateur de tout un pays et pas seulement de représentants éphémères d’un parti politique dans une Assemblée constituante.
Il y a un article dans la Constitution polonaise que j’apprécie beaucoup, et pour le plagier je dirai : «la République Tunisienne est le bien commun de tous les citoyens». Voilà pourquoi je persiste à défendre et à appeler à un consensus autour de la Constitution. Il faudrait, donc, que cela rejaillisse au niveau des structures telles que la commission de coordination de la rédaction de la Constitution et également des commissions à tous les niveaux. C’est un message que la Constituante aurait dû envoyer en ouvrant les portes de ces structures aux personnes qui sont objectivement les plus qualifiées loin de tout choix politique. Malheureusement ce message n’a pas été envoyé.

Le rapporteur général peut-il avoir une influence sur la rédaction de la Constitution ?Il ne peut pas influencer le cours des choses, son rôle est de rédiger ce qu’on lui demande sous le contrôle de la commission de coordination de la rédaction de la Constitution qui doit, au final, approuver le rapport général avant sa transmission à la Chambre.

Où se décidera le sort de la Constitution ? Par qui sera-t-elle adoptée ?Le rôle des commissions est très important, mais les projets de textes peuvent, être remis en question par l’Assemblée plénière. Sur le plan théorique, le vote se fera à 50+1, article par article, et aux 2/3 pour la totalité du texte. Et si les 2/3 ne sont pas atteints, on passe au référendum, à la majorité des votants. Même si je ferai en sorte d’opter pour le consensus autour de la Constitution.
Quelle sera la durée de la rédaction de la Constitution ?Je ne voudrais pas me hasarder sur la question de la durée de la rédaction de la Constitution . Mais si l’esprit du consensus que nous avons préconisé au début se réalise au niveau des commissions, cela en évitant de présenter des articles de nature à susciter des divergences importantes et des tensions, la rédaction de la Constitution peut se faire rapidement en quatre mois. A défaut elle pourrait durer bien davantage.
Je dirais, enfin, que si l’on s’entend sur l’article premier, on aura résolu la question de l’identité et de la réligion et tant qu’il s’agira de discuter des modalités de la gestion des pouvoirs publics, des droits et de libertés civiles, politiques, économiques et sociales, tout sera moins problématique.

Enfin, comment transcender les appartenances politiques et partisanes pour l’élaboration de la Constitution ?
Nous transcenderons les appartenances politiques en élaborant une Constitution civile à laquelle tous les programmes des partis politiques ont pratiquement souscrit, bien entendu en marquant l’attachement à l’identité arabo-musulmane de notre pays.

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