samedi 3 mars 2012

Entretien avec : Abderrahmane Ladgham, ministre délégué auprès du Chef du gouvernement, chargé de la gouvernance et de la lutte contre la corruption

La corruption coûte deux points de croissance à l’économie tunisienne

La corruption coûte deux points de croissance à l’économie tunisienne
• «Un Monsieur Bonne gouvernance» dans tous les ministères
Abderrahmane Ladgham, ministre délégué auprès du chef du gouvernement, chargé de la gouvernance et de la lutte contre la corruption, a fait plusieurs annonces au cours de cet entretien accordé à La Presse. Entre autres: la création d’un conseil supérieur de suivi présidé par le Chef du gouvernement, dans le but d’accélérer le recouvrement des biens spoliés à l’intérieur et à l’extérieur du pays, une grande réforme concernant les achats publics et la formation des 5.000 acheteurs publics que compte l’administration et l’institution d’une législation dissuasive pour sanctionner la corruption.
Enfin, une campagne multimédia et un site web de gouvernance afin d’ancrer la culture de l’anticorruption et de l’éthique.


Qu’est-ce qui a été entrepris par votre ministère pour la récupération des fonds spoliés par le clan Ben Ali - Trabelsi ?
On ne peut plus attendre éternellement, il faut trouver les procédures les plus courtes et les plus transparentes. En tant que gouvernement, nous suivons cette commission nationale de récupération des fonds détournés par le clan Ben Ali - Trabelsi.
Je fais partie de cette commission et j’ai rencontré M. Mustapha Nabli, le gouverneur de la Banque centrale, qui la préside une seule fois, j’attends encore qu’on se rencontre de nouveau.
Je constate que les choses vont lentement, je constate une certaine opacité. Qu’a-t-on fait, par exemple, pour les avoirs dans les pays d’Amérique Latine ?
Je sais qu’en Suisse, les procédures sont engagées et qu’une plainte a été déposée, je sais également qu’au Canada, Belhassen Trabelsi a fait opposition alors que le gouvernement canadien veut trouver une solution pour rendre les avoirs tunisiens d’autant qu’il a voté, en raison de l’affaire Belhassen et de la demande de retour de ses avoirs, une loi contre le blanchiment de l’argent.
Nous voulons que la commission aille plus vite, d’ailleurs elle sera mise sous la responsabilité d’un conseil supérieur de suivi présidé par le Chef du gouvernement. Ce conseil supérieur comprendra également la commission de confiscation présidée par le magistrat Adel Ben Ismaïel, ainsi que la commission de gestion des biens confisqués, sans compter la présence d’experts et des ministres et responsables concernés et de représentants de l’Assemblée constituante et de la société civile pour le maximum de coordination et de transparence.

Lutter contre la corruption, qui s’est généralisée dans l’administration, demande un effort titanesque ainsi que des moyens efficaces. Par quel bout allez-vous commencer ?
Il est vrai que la corruption coûte deux points de croissance à l’économie tunisienne, selon les experts. Or, il y a deux types de corruption : la corruption publique et la corruption privée. En général, les corrupteurs sont les citoyens, les corrompus sont les employés de l’administration. Mais ça c’est de la petite corruption comparée à la grosse corruption qui se situe au niveau des marchés publics qui occupent 20% du PIB (produit intérieur brut), soit dix mille milliards.
Or, s’il n’y a pas une bonne gouvernance, toutes les commandes de l’Etat risquent d’être entachées d’irrégularités et au lieu que les études, les appels d’offres et la réponse des commissions techniques se fassent en trois mois, ils traîneront des années parce qu’il y a des coups montés et des changements qui, par ailleurs, engendrent des avenants, d’où les surcoûts aussi bien des marchés que de la corruption.
Maintenant, sachant comment tout cela se passe de l’intérieur, nous allons transformer la législation, notamment concernant les lois qui sanctionnent et punissent la corruption.
Sachez que dans plusieurs pays du monde, il existe une législation qui punit les corrupteurs nationaux qui corrompent les étrangers concernant les offres de marchés publics. On va faire de même contre les corrupteurs nationaux car actuellement, il n’y a pas de sanctions importantes qui combattent franchement la corruption.
Il faudrait, donc, créer une culture nouvelle de lutte contre la corruption. Nous comptons former des formateurs qui auront la tâche de former les acheteurs publics. Nous ferons tout pour ancrer une culture de l’anticorruption et créer une éthique nationale pour éradiquer la corruption.
Je sais que cela va prendre du temps, mais nous comptons créer un «Monsieur bonne gouvernance» dans tous les ministères. Il faut beaucoup de patience et je suis certain qu’avec le temps, la pratique et le changement des mentalités, on peut ancrer dans les esprits cette bonne gouvernance, que ce soit dans le domaine public ou privé.
L’autre volet de la lutte contre la corruption, c’est la dématérialisation des procédures par l’utilisation de l’électronique, de numéros pour les participants aux appels d’offres, etc.
Sur un autre plan, il faut allier les grands intérêts macroéconomiques aux intérêts microéconomiques du particulier en développant tous les domaines de la vie, la santé, l’emploi, le transport, l’éducation et autres, afin de diminuer les contradictions et la pauvreté et non les différences bien entendu.

Quels sont les outils que vous allez utiliser pour lutter contre la corruption dont souffrent les citoyens face à l’administration ?
Nos outils de lutte sont d’abord la loi qu’il faut appliquer, le juge, le policier et le citoyen doivent être à la hauteur des espérances. Le citoyen doit dénoncer les corrompus de l’administration, la police et la justice doivent sévir. Nous envisageons, ensuite, d’instaurer une culture anticorruption grâce entre autres à une campagne multimédia et un site web de bonne gouvernance. Nous préparons aussi une grande réforme concernant les achats publics. Les acheteurs publics, qui sont au nombre de 5.000, suivront des stages de formation. Nous avons déjà passé des accords avec les Allemands pour former des spécialistes dans la gouvernance.
De son côté, la Banque mondiale nous a fait un don de 400.000 dinars pour former les acheteurs publics.

Comment expliquez-vous l’augmentation de la corruption après la révolution puisque la Tunisie a occupé en 2011 la 73e place des pays les plus corrompus, soit une perte de 14 places ?
Là il s’agit plutôt d’un indice de perception, c’est là le sentiment des citoyens, mais ils ne sont pas loin de la vérité. Du temps de Ben Ali, la corruption était instituée par la famille. Il ne s’agissait pas uniquement de corruption mais de prise en charge de l’Etat par la force, c’était devenu un automatisme. Il existait alors un système anticorruption mais il était déclenché seulement selon la volonté du prince.
La corruption a augmenté ces derniers temps vu le relâchement des systèmes sécuritaire et de contrôle et les corrompus en ont profité, mais j’espère que ce ne sera pas pour longtemps.

Est-ce que la Cnicm (Commission nationale d’investigation sur les malversations et la corruption) présidée par le défunt Abdelfattah Amor, qui a traité 11.000 dossiers dont 6.000 ont été examinés et 400 transférés à la justice, va être maintenue ou non ?
Une nouvelle commission attachée au système judiciaire remplacera la Cnicm, elle s’occupera des enquêtes et investigations avec l’aide d’experts-comptables, d’auditeurs, de la Cour des comptes, de magistrats dans les crimes économiques et autres. C’est une commission mixte qui ne s’occupera que des dossiers de corruption.

Comment enfin rétablir la confiance entre l’administration et le citoyen ?
Si le citoyen observe qu’il existe des critères logiques et des principes d’équité et de transparence à tous les niveaux: recrutements pour l’emploi, services et autres, la confiance sera rétablie s’il remarque qu’il est écouté et respecté et qu’il voit ses conditions de vie s’améliorer et la pauvreté diminuer, il se rendra bien compte que l’Etat est là pour défendre l’intérêt des Tunisiens et de la Tunisie.
Auteur : Propos recueillis par Samira DAMI

2 commentaires:

  1. Je vous connaissais plutot focalisée sur les programmes TV et la culture que sur la politique, pourquoi changer de casquette? Chaque domaine a ses spécialistes. Respectueusement.

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  2. je ne change pas de casquette, j'écris toujours dans la culture et la télé,Rétrovision le dimanche presse Magazine, à preuve le contenu du blog, mais en tant que journaliste polyvalente, et aprés le départ du tyran où le journalisme politique était synonyme de propagande, je me suis mise comme beaucoup d'autres, qui ne voulaient pas être, auparavent, des cires-pompes de Ben Ali and co, au journalisme politique. Mais cela ne veut pas dire que je n'ai aucun Back-ground, bien au contraire, j'ai toujours été une passionnée de la politique comme du cinéma et de la culture en général. D'ailleurs plusieurs journalistes culturels ce sont convertis au journalisme politique, où est le mal? Si on maîtrise les genres et le sujet traité, si on se documente comme il faut,si on pose les questions pertinentes qu'il faut, et si on travaille de manière professionnelle!!!J'aurais aimé que vous me critiquiez sur le fond en me disant ce que vous reprochez à cette interview et aux autres. Très respectueusement.

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