Propos festivaliers
Nacir Chemma à Carthage : la musique
instrumentale, un genre
à privilégier
Ce soir s’achève la 48ième édition du festival
international de Carthage avec le chanteur-luthiste Dhafer Youssef dans un
concert intitulé : «La danse des derviches invisibles». L’artiste sera
accompagné de son Quartet et d’une quinzaine de musiciens à cordes. Bien du
plaisir en perspective. Mais quelques jours plus tôt, le lundi, 6 août, le
public a eu droit à un concert consacrant, également, les instruments à cordes
avec le virtuose irakien du Oud, Nacir Chemma et son orchestre Echarq, formé d’une trentaine de
musiciens, qu’il a lui-même formé à la Maison du Oud arabe, qu’il a fondé à
l’opéra du Caire. Dommage que ce Beït Al
Oud qu’il a rêvé à Tunis, où il s’est exilé, après la guerre du Golfe, a,
finalement, vu le jour dans la capitale égyptienne, en raison de l’envie
morbide des uns et du manque de perspicacité et de volonté politique des
autres. Cet établissement aurait pu, s’il était né sous nos cieux, former des
générations de luthistes et d’instrumentistes de valeur sûre et constituer un
fleuron qu’on nous envierait. Mais le manque de vision, de stratégie musicale
et culturelle en a décidé autrement. Et l’on regrette d’autant plus que le
résultat de la fondation de la Maison du
Oud arabe qui, ce soir là, s’offrait à nos yeux sur la scène du théâtre de
Carthage était des plus convaincants : des musiciens de nationalités diverses, grecque, Turque, égyptienne,
Tunisienne, encore heureux, Chinoise, Américaine, Pakistanaise ont émerveillé
le public, en maniant une multitude d’instruments à cordes, mais aussi de
percussion, secrétant des mélodies orientales où la technique était au service
du Tarab. Des Taqacim, improvisations
et compositions du maître ont transporté le public dans un voyage, entre
plaisir et émotion. Une des pièces exécutées par l’orchestre, Massir Wahid (Destin commun) a été
dédiée aux Révolutions arabes, il faut dire que c’est dans l’air du temps, mais
la qualité de la mélodie et de l’exécution, pétrie d’une grande sensibilité orientale, était telle, que l’on ne pouvait qu’apprécier.
Idem pour Fresque de la vie et d’autres
pièces où se sont invitées des mélodies arabes connues, dont Taht El Yasmina fil lil du grand Jouini,
interprétée en chœur par les 3 à 4000 spectateurs présents ce soir-là. Cependant, Nacir Chemma a cru bon,
comme si la musique instrumentale ne se suffisait pas à elle-même, de recourir
au vocal, à travers l’interprétation, banale d’ailleurs, par Anwar Abu Barrar,
entre autres, de la très belle chanson du patrimoine irakien Foug Ennakhel.
Najet Attia,
guest-star non annoncée
Fait imprévu dans ce spectacle : le compositeur a
invité Najet Attia, présente parmi le public, à le rejoindre sur scène. Improvisation
ou arrangement ? Dieu seul sait. La «guest-star»,
non annoncée, a interprété la mémorable Inta
Omri. Ce mélange de genre entre musique instrumentale et musique vocale
était certes impromptu, mais le public semble avoir apprécié, malgré la
difficulté que la chanteuse a éprouvée pour retrouver ses repères. Cette
courte prestation s’est déclinée comme
un avant-goût de son concert prévu au festival de la Médina où elle a justement
proposé des Kalthoumiat et où assurément, mieux préparée, elle a mis
en avant sa technicité et le beau timbre de sa voix. Pour clore cette
digression, disons que reprendre des chansons de la Diva égyptienne c’est bien
beau, mais on aimerait retrouver l’artiste dans de nouvelles créations et chansons
personnelles, bien de chez nous, qui créeraient un sens à son parcours et exprimeraient
son évolution.
Enfin, le compositeur de l’inoubliable El Amiriya, créé lors de la guerre du Golfe, ne s’est pas privé d’afficher
ses choix politiques non seulement en consacrant des compositions aux
Révolutions arabes, mais en interprétant un morceau «en soutien au peuple syrien
contre le dictateur Bachar El
Assad». Ce à quoi une spectatrice en colère a répliqué : «Plutôt contre El wahabiya, contre le Qatar, contre l’Amérique ».
Puis, de quitter les lieux visiblement très irritée. Quand les artistes font de
la politique sur scène ils font des mécontents et perdent assurément une partie
ou certains de leurs spectateurs…La
Tunisie n’était pas absente de ce concert puisque le luthiste et compositeur
lui a dédicacé un morceau intitulé Khamsa
wa Khmiss ala Tounés
Au final, ce spectacle a surtout valu par les pièces
instrumentales mélodieuses et rythmées, les sonorités homogènes ainsi que les solos
des musiciens où dextérité, technique et doigté ont, franchement conquis le
public. On est bien loin du vacarme des soi-disant concerts des Ragheb Allama,
Waeil Jassar, Assala Nasri qui était, elle, vraiment à côté de la plaque, troublée, sans
doute, par des gradins, loin d’être pleins (On a même avancé que beaucoup de
spectateurs ont bénéficié de billets distribués gratuitement) comme c’était le
cas pour ses pairs libanais.
Bref, s’il y a un enseignement à tirer de ce concert, c’est que la musique
instrumentale, si rare sous les cieux arabes, offre, quand la qualité y est, d’excellents
moments artistiques. C’est pourquoi sa programmation dans les festivals d’été est à développer et à privilégier. Pour
le bon plaisir des férus du genre.
S.D.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire