jeudi 23 août 2012


Propos festivaliers 

 Nacir Chemma à Carthage : la musique instrumentale, un genre
à privilégier

Ce soir s’achève la 48ième édition du festival international de Carthage avec le chanteur-luthiste Dhafer Youssef dans un concert intitulé : «La danse des derviches invisibles». L’artiste sera accompagné de son Quartet et d’une quinzaine de musiciens à cordes. Bien du plaisir en perspective. Mais quelques jours plus tôt, le lundi, 6 août, le public a eu droit à un concert consacrant, également, les instruments à cordes avec le virtuose irakien du Oud, Nacir Chemma et son orchestre Echarq, formé d’une trentaine de musiciens, qu’il a lui-même formé à la Maison du Oud arabe, qu’il a fondé à l’opéra du Caire. Dommage que ce Beït Al Oud qu’il a rêvé à Tunis, où il s’est exilé, après la guerre du Golfe, a, finalement, vu le jour dans la capitale égyptienne, en raison de l’envie morbide des uns et du manque de perspicacité et de volonté politique des autres. Cet établissement aurait pu, s’il était né sous nos cieux, former des générations de luthistes et d’instrumentistes de valeur sûre et constituer un fleuron qu’on nous envierait. Mais le manque de vision, de stratégie musicale et culturelle en a décidé autrement. Et l’on regrette d’autant plus que le résultat  de la fondation de la Maison du Oud arabe qui, ce soir là, s’offrait à nos yeux sur la scène du théâtre de Carthage était des plus convaincants : des musiciens de  nationalités diverses, grecque, Turque, égyptienne, Tunisienne, encore heureux, Chinoise, Américaine, Pakistanaise ont émerveillé le public, en maniant une multitude d’instruments à cordes, mais aussi de percussion, secrétant des mélodies orientales où la technique était au service du Tarab. Des Taqacim, improvisations et compositions du maître ont transporté le public dans un voyage, entre plaisir et émotion. Une des pièces exécutées par l’orchestre, Massir Wahid (Destin commun) a été dédiée aux Révolutions arabes, il faut dire que c’est dans l’air du temps, mais la qualité de la mélodie et de l’exécution, pétrie d’une grande sensibilité  orientale, était telle, que l’on ne pouvait qu’apprécier. Idem pour Fresque de la vie et d’autres pièces où se sont invitées des mélodies arabes connues, dont Taht El Yasmina fil lil du grand Jouini, interprétée en chœur par les 3 à 4000 spectateurs présents  ce soir-là. Cependant, Nacir Chemma a cru bon, comme si la musique instrumentale ne se suffisait pas à elle-même, de recourir au vocal, à travers l’interprétation, banale d’ailleurs, par Anwar Abu Barrar, entre autres, de la très belle chanson du patrimoine irakien Foug Ennakhel.
Najet Attia, guest-star non annoncée

Fait imprévu dans ce spectacle : le compositeur a invité Najet Attia, présente parmi le public, à le rejoindre sur scène. Improvisation ou arrangement ?  Dieu seul sait. La «guest-star», non annoncée, a interprété la mémorable Inta Omri. Ce mélange de genre entre musique instrumentale et musique vocale était certes impromptu, mais le public semble avoir apprécié, malgré la difficulté que la chanteuse a éprouvée pour retrouver ses repères. Cette courte  prestation s’est déclinée comme un avant-goût de son concert prévu au festival de la Médina où elle a justement proposé des Kalthoumiat  et où assurément, mieux préparée, elle a mis en avant sa technicité et le beau timbre de sa voix. Pour clore cette digression, disons que reprendre des chansons de la Diva égyptienne c’est bien beau, mais on aimerait retrouver l’artiste dans de nouvelles créations et chansons personnelles, bien de chez nous, qui créeraient un sens à son parcours et exprimeraient son évolution.
Enfin, le compositeur de l’inoubliable El Amiriya, créé lors de la guerre du Golfe, ne s’est pas privé d’afficher ses choix politiques non seulement en consacrant des compositions aux Révolutions arabes, mais en interprétant un morceau «en soutien au peuple syrien contre le dictateur Bachar El Assad». Ce à quoi une spectatrice en colère a répliqué : «Plutôt contre El wahabiya, contre le Qatar, contre l’Amérique ». Puis, de quitter les lieux visiblement très irritée. Quand les artistes font de la politique sur scène ils font des mécontents et perdent assurément une partie ou certains de leurs  spectateurs…La Tunisie n’était pas absente de ce concert puisque le luthiste et compositeur lui a dédicacé un morceau intitulé Khamsa wa Khmiss ala Tounés
Au final, ce spectacle a surtout valu par les pièces instrumentales mélodieuses et rythmées, les sonorités homogènes ainsi que les solos des musiciens où dextérité, technique et doigté ont, franchement conquis le public. On est bien loin du vacarme des soi-disant concerts des Ragheb Allama, Waeil Jassar, Assala Nasri qui était, elle,  vraiment à côté de la plaque, troublée, sans doute, par des gradins, loin d’être pleins (On a même avancé que beaucoup de spectateurs ont bénéficié de billets distribués gratuitement) comme c’était le cas pour ses pairs libanais.
Bref, s’il y a un enseignement  à tirer de ce concert, c’est que la musique instrumentale, si rare sous les cieux arabes, offre, quand la qualité y est, d’excellents moments artistiques. C’est pourquoi sa programmation  dans les festivals  d’été est à développer et à privilégier. Pour le bon plaisir des férus du genre.
S.D.

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