samedi 6 juin 2015


68e festival international de Cannes

L’Art est transgression, mais pas à tout prix

De notre envoyée spéciale à CannesSamira DAMI 
Pour la première fois, la section officielle du festival de Cannes présente cinq films français en compétition. Après la projection de «Mon Roi» de la réalisatrice Maïwenn, mettant en scène la libération d’une femme d’une passion étouffante et destructrice et qui a reçu un accueil mitigé sur la Croisette, deux autres opus, «La loi du marché» de Stéphane Brizé et «Marguerite et Julien» de Valérie Donzelli, ont été programmés. Cela en attendant la projection des deux derniers de la liste «Dheepan »n de Jacques Audiard et «Valley of Love» de Guillaume Nicloux avec un casting façon duo d’enfer : en l’occurrence Gérard Depardieu et Isabelle Huppert.
Mais revenons d’abord à «La loi du marché » qui se focalise sur Thierry (Vincent Lindon) qui, à 51 ans, se retrouve au chômage et ce n’est qu’après 20 mois de recherche d’emploi qu’il commence un nouveau travail qui le met bientôt face à un dilemme moral. Pour garder son travail peut-il tout accepter ? Le film débute avec force en suivant Thierry dans sa quête d’emploi d’autant que son fils handicapé doit poursuivre ses études dans un collège spécialisé privé et qu’il doit emprunter de l’argent à sa banque. Les entretiens d’embauche de vive voix et même via Skype, les coachings pour impressionner et convaincre le recruteur se suivent dans des plans serrés, qui expriment les difficultés de la  vie et l’absence de perspective d’avenir. L’intervention de la banquière qui incite Thierry à vendre son unique bien, un mobil-home ; et les négociations avec un éventuel acquéreur pour fixer le prix de vente montrent toute la détresse humaine dans une époque terrible où le chômage sévit et où plus rien ne garantit  la dignité humaine qui ne peut exister sans travail ni argent. Mais hélas, alors qu’on s’attendait à ce que la descente aux enfers de Thierry continue, voilà qu’en son beau milieu, le film bifurque et l’on ne comprend pas comment le personnage central décroche un travail comme vigile, dans un supermarché ; les yeux bien ouverts sur les vols que peuvent commettre les clients et les caissières. Le personnage perd de sa cohérence et de sa force et n’évolue plus logiquement car la lutte contre la misère et les difficultés de la vie se transforme, sans crier gare, on ne sait trop pourquoi, en un problème de conscience et de morale. Même si le réalisateur en a profité pour montrer l’inhumanité du monde sans scrupule du capital.  Dommage que Stéphane Brizé ait, ainsi, abandonné son personnage en cours de route pour en dépeindre un autre. Or, ce personnage à double tête, par manque de profondeur, nous laisse sur notre faim. Mais n’oublions pas de relever le jeu maîtrisé de Vincent Lindon qui peut prétendre à un prix d’interprétation.

L’inceste banalisé

«Marguerite et Julien», dont l’action se situe au 17e siècle, met en scène l’histoire de deux personnages, Marguerite De Ravalet (Anaïs Demoustier) et son frère Julien (Jérémie Elkaïm) qui, depuis leur enfance, s’aiment tendrement mais en grandissant leur tendresse se mue en passion dévorante, leur aventure scandalise la société qui les pourchasse. La réalisatrice a adapté un scénario de Jean Gruault pensé en 1970 pour François Truffaut. Mais au lieu d’une réflexion sur cet interdit intemporel, Valérie Donzelli banalise l’inceste en le racontant dans le film à un public d’enfants dans un dortoir comme s’il s’agissait d’un amour possible et l’on comprend que la critique se gausse à Cannes d’un film où l’on défend presque l’inceste par une possible identification aux personnages.
Cela sans compter les anachronismes intentionnels et revendiqués au niveau des costumes et des accessoires, outre notamment cet hélicoptère utilisé pour rechercher les fugitifs ; les dialogues vides de sens et l’ennui ambiant où baigne la 2e partie de ce long métrage. Que ne ferait-t-on pas pour commettre à tout prix des transgressions au cinéma afin d’accrocher les spectateurs. Mais le résultat ne dépasse pas l’envergure d’un téléfilm car il ne s’agit pas de transgresser pour transgresser ; certes l’art est transgression mais pas gratuitement. Bref ; il semble que les sujets traitant de l’inceste et de l’homosexualité sont devenus très tendance durant les trois dernières éditions de Cannes, depuis que «La vie d’Adèle» d’Abdellatif Kechiche a remporté la Palme d’Or en 2013. Car  il en est est de même pour « Carol» du réalisateur américain Todd Haynes, programmé en compétition, qui narre l’attirance entre deux femmes : Thérèse (Roney Mara) et Carol (Cate Blanchett), dans le New York des années 1950 et qui se retrouvent en prise avec les conventions. Ce film adapté du roman de Patricia Higshmith est différent de celui de Kechiche car ça se passe  plutôt dans l’esprit et la pensée de Thérèse la narratrice, vu l’influence pesante de la société de l’époque des années 50 sur la relation des deux femmes. Et si «La vie d’Adèle» est moderne et naturaliste, «Carol» est un film d’époque, conventionnel dans la forme. Mais il est vrai que «Carol» est tout aussi magnifiquement réalisé, outre que les actrices sont superbes et sont, du coup, pressenties pour un prix d’interprétation.
Ainsi le cinéma français, hyper-représenté cette année à Cannes, n’a pas encore révélé ce film qui sort du lot parmi les cinq opus en compétition. Serait-ce alors «Dheepan» d’Audiard ou «Valley of Love avec l’immense Depardieu ? Attendons voir.
S.D.

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire