Propos festivaliers
Saber Rebaï n’avait pas la pêche à
Carthage
On l’appelle
«Emir Ettarab», autrement dit le prince du Tarab dont l’art secrète l’ivresse des sens
grâce à une sorte d’alchimie entre la musique, les paroles et la voix. Or, Saber
Rebaï, c’est de lui qu’il s’agit, a choisi de nous servir, dans son concert,
jeudi dernier à Carthage, un tintamarre en guise de musique et de chant. Dés
les premières notes, le ton était donné et les mélomanes savaient à quoi s’en
tenir : le parti pris était on ne peut plus clair : balancer au
public du rythme toutes options, surtout
façon «mezoued», et cela à une seule fin, provoquer les déhanchés sensuels,
mais surtout saccadés de ses jeunes et moins jeunes fans. Mission accomplie,
puisque sur les gradins aussi bien la gent féminine, voilée et non voilée, que la
gent masculine étaient déchaînées et en transe sur fond de rythmes tapageurs
générés par la panoplie d’instruments de percussion qui émaillait l’orchestre. A
tel point qu’on se serait cru, à certains moments, dans un spectacle de
Habbouba, puisque Saber Rebaï en est arrivé, en dirigeant l’orchestre, à
reproduire, la gestuelle du Roi de la chanson pop tunisienne.
Bref, Pas un «Mawal»,
pas une romance, pas un solo instrumental digne de ce nom, pas un répit pour
nos oreilles écorchées par une sono en diable, une véritable torture. Il est
vrai que le raffut de l’orchestre et du public qui, au bord de l’hystérie,
chantait et reprenait à tue tête ses vieux tubes permettait au dit «Prince du
Tarab» de se reposer. Son passage au festival de Baalbek l’aurait-il, à ce point, épuisé ou bien a-t-il cédé au
postulat : «Ce que veut le public» ? Probablement les deux à la fois.
En tous cas, pour l’art et le «Tarab», il faudra repasser. Les mélomanes déçus
et étonnés par un concert qui, au lieu d’évoluer crescendo commence et s’achève
dans le vacarme assourdissant de rythmes effrénés. A quoi sert une prestation qui
ne secrète aucun moment fort, où le chanteur ne produit aucune performance, ne
procure aucune émotion ? Pourquoi se déplacer pour le voir sur scène, ne
vaudrait-il pas mieux se contenter d’écouter ses albums tranquillement chez
soi, loin du tumulte de l’arène du théâtre romain ? La mission de Saber
Rebaï consiste-t-elle à chanter ou se limite-t-elle désormais à faire danser le
public sur fond de déclaration d’amour populiste et démagogique. Déclarer sur
scène son amour au public, comme le font systématiquement les chanteurs
égyptiens (c’est d’ailleurs leur fond de commerce) ne sert pas à grand-chose,
si en contrepartie l’artiste ne fait rien pour satisfaire ce public qui n’est
pas dupe, d’ailleurs. La meilleure manière de prouver son amour au public c’est
de faire preuve de sincérité et se donner à fond afin de lui procurer ce
plaisir et ce bonheur artistiques, sans lesquels tout récital ou autre spectacle
demeure dénué de sens. Que gagnerait Saber Rebaï à poursuivre sur cette voie empreinte
de complaisance à l’égard du public et hors des sentiers de l’art, sinon la
banalité de concerts ordinaires et de surcroît tapageurs. Cela d’autant qu’il
s’agit d’un festival aussi prestigieux que Carthage et qui exige, normalement
innovation, créativité et performance. S’arc-bouter sur sa popularité pour
sombrer dans la facilité n’assure pas la réussite et le succès. Vraiment, ce
soir là, à Carthage, «ce chanteur arabe de premier rang», comme l’a qualifié le
présentateur, n’avait vraiment pas la pêche.
S.D.
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