RETRO 1 juillet
Trocs et tracas de la
Troïka
Houleuse était la
séance du mardi dernier, à l’Assemblée
nationale constituante, en raison des divergences que l’on sait concernant
l’extradition, en catimini de Baghdadi Mahmoudi en Lybie, les députés de l’opposition la considérant comme
incongrue a fortiori avant l’élection d’une autorité légitime et en l’absence d’institutions
judiciaires garantissant un procès
équitable à l’extradé. Ce qui, à leurs yeux, altère l’image de la
Tunisie et la discrédite auprès des organisations internationales des Droits de
l’homme, d’autant que la décision d’extradition n’a pas été signée par le président de la République qui, du coup
a même pensé à démissionner, mais sans passer à l’acte, ayant été dissuadé par
ses conseillers. C’est le timing choisi et non le principe
d’extradition qui est remis en cause par les Constituants en colère vus en direct sur la première chaîne
publique. Appartenant à El Kotla Eddimokratiya, El Aridha Eccaâbiya, El Wafa et
même le CPR, ces derniers ont contesté le refus du président Mustapha Ben Jaâfar de modifier l’ordre du jour, comme le permet
l’article 81 du règlement intérieur de l’ANC, afin d’y inscrire l’examen de
l’affaire Mahmoudi. Les interventions et
les points d’ordre se suivent, le ton monte, ça proteste très fort : «Nous ne sommes pas des soldats en carton» lance Iyed Dahmani. «Il faut que le différend entre le président
de la République et du gouvernement
soit résolu ici et pas ailleurs» crie un autre. Ben Jaâfar insiste : «Une séance extraordinaire sera consacrée à
l’examen de la question en présence du chef du gouvernement, Mohamed Jebali, au
cours de la semaine et c’est ce qui a été
convenu avec les représentants des différentes coalitions ». Lesquels réfutent en bloc. Le ton monte encore d’un cran, et quand
l’homme au perchoir coupe le micro aux élus protestataires, les téléspectateurs
doivent se contenter de les voir remuer les
lèvres. Ce qui suscite une mauvaise impression de déjà vu du temps de l’ancienne
ère honnie quand la parole était confisquée. Le résultat ne se fait pas attendre les
députés dépités de l’opposition et d’autres de la Troïka se lèvent, entonnent
l’hymne national avant de quitter la séance. Seuls les constituants d’Ennahdha ne quittent pas leur siège, et l’un
de leur pair, en l’occurrence, Habib Khedher accuse les députés de l’opposition
de commercer avec l’hymne national. Enfin
Selim Ben Abdesselem d’Ettakatol intervient
pour demander une pause de dix minutes afin que les chefs de coalition se
consultent. La division sur cette affaire donne une configuration inédite à
l’ANC, pour une fois les députés du CPR et d’Ettakatol ne font pas bloc avec
ceux d’Ennahdha.
Sur la satellitaire El Hiwar Ettounssi , Fadhel Moussa d’El
Kotla Eddimokratya énonce clairement ses
propos : «Tout le monde a parlé de l’extradition de l’ancien premier
ministre libyen, les citoyens, les médias et autres, or, le peuple attend la
réaction de ses élus. Pourquoi, donc, leur refuse-t-on de parler de l’affaire de l’heure, surtout si l’on sait
que les deux présidents de la République et du gouvernement sont en désaccord
sur cette question ? Quel mal y aurait-il si on en avait discuté pendant
deux heures de temps, n’est-ce-pas là le
rôle de l’Assemblée qui consiste à superviser toutes les pouvoirs,
exécutif, législatif et judiciaire de
l’Etat ? En tous cas le refus du
président de L’ANC est purement politique». Autre intervention : Ahmed
Brahim, reproche au gouvernement ses décisions hâtives, la marginalisation du
«Majliss » et l’absence de dialogue avec et au sein de l’ANC qui devrait, selon
lui, retrouver son véritable rôle de consultation et de décision au lieu d’être
une simple chambre d’enregistrement. Autre séquence inédite et grave :
Rabah Khraifi, député d’El Kotla Eddimokratiya lit une motion de censure contre
le gouvernement pour avoir outrepassé ses prérogatives sans avoir consulté au
préalable l’ANC et la présidence de la République et pour avoir extradé
Baghdadi Mahmoudi faisant fi, par là,
des objectifs de la Révolution, de toute responsabilité morale et de toutes les
conventions internationales dans le
domaine des droits de l’homme. D’où la condamnation de la Tunisie par plusieurs
organisations dont Amnesty International. Voilà qui plante la crise au sein de
la Troïka, visiblement en manque de consultation et de coordination. Et cela
est d’autant plus dramatique qu’on parle d’une traite entre une partie libyenne
et le parti majoritaire au gouvernement, «mieux » les avocats de l’extradé,
dont Maîtres Essid et Ceccaldi, ont avancé, au moment où nous mettions sous
presse, qu’il a été frappé, torturé et qu’il est même introuvable, ce qui a
été, bien évidemment, nié par les autorités libyennes et le gouvernement
tunisien. Entretemps la question des martyrs de la Révolution est passée quasi
définitivement à la trappe, à preuve leur
manifestation, mardi dernier, devant la cour militaire de justice dont l’écho
est parvenu jusqu’à l’Assemblée Constituante. Le soir même, Maître Raouf Ayedi
a déclaré, sur El Watania 2 que «La cour
de la justice militaire n’a pas la compétence
de juger l’affaire des martyrs et que jusqu’ici,
on ne sait pas qui sont les coupables et à quel corps ils appartiennent,
or, on ne peut se contenter de demi vérités, d’autant que sous l’ancien régime
dictatorial le vrai problème était l’absence de vérité outre qu’à présent, tous les dossiers et les
archives concernant Ben Ali et son système répressif, sa relation avec le
Mossad, ont été détruits. La vérité étant difficile à savoir».
D’autres questions
ont été occultées par l’affaire Mahmoudi telles ces décisions concernant
les Maghrébins qui auront désormais libre accès sur notre territoire sur simple
présentation de la carte d’identité, ce qui suppose l’ouverture de nos frontières aux quatre vents
avec tous les risques sécuritaires que cela génère, entre autres le terrorisme.
Dans ce cas l’on se demande pourquoi les tunisiens continuent-ils, et de
surcroît, après la révolution et cette nouvelle décision, à remplir la fiche de renseignement pour la
police, à leur entrée et sortie des frontières. Sont-ils dans leur propre pays
des citoyens de seconde zone par rapport aux autres maghrébins ? Pourquoi cette politique des deux poids deux
mesures pratiquée par la Troïka contre ses propres citoyens ? D’autre part
le libre accès à l’emploi pour les maghrébins au moment où le gouvernement
n’arrive pas à caser les 800.000 chômeurs que compte le pays est une
aberration. Et ce possible droit au vote aux élections municipales n’est ce pas
le bouquet ? Prendre pareille décision de manière unilatérale sans
consulter, encore une fois ni l’ANC ni le peuple, par référendum, et surtout
sans réciprocité, aucune, avec les autres pays Maghrébins est tout aussi illogique et absurde. Voilà des
décisions incongrues qui nécessitent réflexion
et consultation au préalable, donc d’être révisées.
Bref, pour revenir à
la crise au sein de la Troïka, elle semble avoir été pliée de justesse, avec
une concession pour le président Marzouki : le limogeage de M. Mustapha
Kamel Ennabli, gouverneur de la banque centrale, qui a fait les frais de cette
crise. Mais malgré les brèches colmatées, il n’empêche que la confiance est
quelque part entamée. Face à toutes ses dérives successives, provoquées par la
volonté des uns et des autres de s’accaparer le pouvoir, disons qu’il est grand
temps que la Troïka favorise le dialogue et la concertation au lieu de
privilégier les prises de décisions unilatérales et partisanes aux dépens de la
souveraineté et du prestige de l’Etat et
de l’intérêt du pays. Voilà qui éviterait les fautes graves, les errements, les malentendus et permettrait de prendre les décisions
qu’il faut, en connaissance de cause,
loin de toute précipitation, déchaînement et calcul politique zélateur générant
crises et polémiques dont les tunisiens pourraient amplement se passer, vu notamment, la
conjoncture économique délicate qui prévaut.
S.D.
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