lundi 2 juillet 2012


RETRO 1 juillet

Trocs et tracas de la Troïka

 Houleuse était la séance du mardi dernier, à l’Assemblée  nationale constituante, en raison des  divergences que l’on sait  concernant  l’extradition, en catimini de Baghdadi Mahmoudi  en Lybie,  les députés de l’opposition la considérant comme incongrue a fortiori avant l’élection d’une autorité légitime et en l’absence d’institutions judiciaires garantissant un procès  équitable à l’extradé. Ce qui, à leurs yeux, altère l’image de la Tunisie et la discrédite auprès des organisations internationales des Droits de l’homme, d’autant que la décision d’extradition n’a pas été signée  par le président de la République qui, du coup a même pensé à démissionner, mais sans passer à l’acte, ayant été dissuadé par ses conseillers.  C’est le timing choisi et non le principe d’extradition qui est remis en cause par les Constituants en colère vus en direct sur la première chaîne publique. Appartenant à El Kotla Eddimokratiya, El Aridha Eccaâbiya, El Wafa et même le CPR,  ces derniers ont contesté  le refus du président  Mustapha Ben Jaâfar  de modifier l’ordre du jour, comme le permet l’article 81 du règlement intérieur de l’ANC, afin d’y inscrire l’examen de l’affaire  Mahmoudi. Les interventions et les points d’ordre se suivent, le ton monte, ça proteste très fort : «Nous ne sommes pas des soldats en carton» lance Iyed Dahmani. «Il faut que le différend entre le président de la République et du gouvernement soit résolu ici et pas ailleurs» crie un autre. Ben Jaâfar insiste : «Une séance extraordinaire sera consacrée à l’examen de la question en présence du chef du gouvernement, Mohamed Jebali, au cours de la semaine et c’est ce qui a été convenu avec les représentants des différentes coalitions ». Lesquels  réfutent en bloc.  Le ton monte encore d’un cran, et quand l’homme au perchoir coupe le micro aux élus protestataires, les téléspectateurs  doivent se contenter de les voir remuer les lèvres. Ce qui suscite une mauvaise impression de déjà vu du temps de l’ancienne ère honnie quand la parole était confisquée.  Le résultat ne se fait pas attendre les députés dépités de l’opposition et d’autres de la Troïka se lèvent, entonnent l’hymne national avant de quitter la séance. Seuls les constituants  d’Ennahdha ne quittent pas leur siège, et l’un de leur pair, en l’occurrence, Habib Khedher accuse les députés de l’opposition de commercer avec l’hymne national. Enfin  Selim Ben Abdesselem  d’Ettakatol intervient pour demander une pause de dix minutes afin que les chefs de coalition se consultent. La division sur cette affaire donne une configuration inédite à l’ANC, pour une fois les députés du CPR et d’Ettakatol ne font pas bloc avec ceux d’Ennahdha.


Sur la satellitaire El Hiwar Ettounssi , Fadhel Moussa d’El Kotla Eddimokratya  énonce clairement ses propos : «Tout le monde  a parlé de l’extradition de l’ancien premier ministre libyen, les citoyens, les médias et autres, or, le peuple attend la réaction de ses élus. Pourquoi, donc, leur refuse-t-on de parler  de l’affaire de l’heure, surtout si l’on sait que les deux présidents de la République et du gouvernement sont en désaccord sur cette question ? Quel mal y aurait-il si on en avait discuté pendant deux  heures de temps, n’est-ce-pas là le rôle de l’Assemblée qui consiste à superviser toutes les pouvoirs, exécutif, législatif et judiciaire de  l’Etat ? En tous cas le refus du président de L’ANC est purement politique». Autre intervention : Ahmed Brahim, reproche au gouvernement ses décisions hâtives, la marginalisation du «Majliss » et l’absence de dialogue avec et au sein de l’ANC qui devrait, selon lui, retrouver son véritable rôle de consultation et de décision au lieu d’être une simple chambre d’enregistrement. Autre séquence inédite et grave : Rabah Khraifi, député d’El Kotla Eddimokratiya lit une motion de censure contre le gouvernement pour avoir outrepassé ses prérogatives sans avoir consulté au préalable l’ANC et la présidence de la République et pour avoir extradé Baghdadi Mahmoudi  faisant fi, par là, des objectifs de la Révolution, de toute responsabilité morale et de toutes les conventions internationales  dans le domaine des droits de l’homme. D’où la condamnation de la Tunisie par plusieurs organisations dont Amnesty International. Voilà qui plante la crise au sein de la Troïka, visiblement en manque de consultation et de coordination. Et cela est d’autant plus dramatique qu’on parle d’une traite entre une partie libyenne et le parti majoritaire au gouvernement, «mieux » les avocats de l’extradé, dont Maîtres Essid et Ceccaldi, ont avancé, au moment où nous mettions sous presse, qu’il a été frappé, torturé et qu’il est même introuvable, ce qui a été, bien évidemment, nié par les autorités libyennes et le gouvernement tunisien. Entretemps la question des martyrs  de la Révolution est passée quasi définitivement à la trappe, à preuve  leur manifestation, mardi dernier, devant la cour militaire de justice dont l’écho est parvenu jusqu’à l’Assemblée Constituante. Le soir même, Maître Raouf Ayedi a déclaré, sur El Watania 2 que «La cour de la justice militaire n’a pas la compétence  de juger l’affaire des martyrs et que  jusqu’ici,  on ne sait pas qui sont les coupables et à quel corps ils appartiennent, or, on ne peut se contenter de demi vérités, d’autant que sous l’ancien régime dictatorial le vrai problème était l’absence de vérité outre  qu’à présent, tous les dossiers et les archives concernant Ben Ali et son système répressif, sa relation avec le Mossad, ont été détruits. La vérité étant difficile à savoir».

D’autres questions  ont été occultées par l’affaire Mahmoudi telles ces décisions concernant les Maghrébins qui auront désormais  libre accès sur notre territoire sur simple présentation de la carte d’identité, ce qui suppose  l’ouverture de nos frontières aux quatre vents avec tous les risques sécuritaires que cela génère, entre autres le terrorisme. Dans ce cas l’on se demande pourquoi les tunisiens continuent-ils, et de surcroît, après la révolution et cette nouvelle décision,  à remplir la fiche de renseignement pour la police, à leur entrée et sortie des frontières. Sont-ils dans leur propre pays des citoyens de seconde zone par rapport aux autres maghrébins ?  Pourquoi cette politique des deux poids deux mesures pratiquée par la Troïka contre ses propres citoyens ? D’autre part le libre accès à l’emploi pour les maghrébins au moment où le gouvernement n’arrive pas à caser les 800.000 chômeurs que compte le pays est une aberration. Et ce possible droit au vote aux élections municipales n’est ce pas le bouquet ? Prendre pareille décision de manière unilatérale sans consulter, encore une fois ni l’ANC ni le peuple, par référendum, et surtout sans réciprocité, aucune, avec les autres pays  Maghrébins  est tout aussi illogique et absurde. Voilà des décisions incongrues qui nécessitent réflexion  et consultation au préalable, donc d’être révisées.

 Bref, pour revenir à la crise au sein de la Troïka, elle semble avoir été pliée de justesse, avec une concession pour le président Marzouki : le limogeage de M. Mustapha Kamel Ennabli, gouverneur de la banque centrale, qui a fait les frais de cette crise. Mais malgré les brèches colmatées, il n’empêche que la confiance est quelque part entamée. Face à toutes ses dérives successives, provoquées par la volonté des uns et des autres de s’accaparer le pouvoir, disons qu’il est grand temps que la Troïka favorise le dialogue et la concertation au lieu de privilégier les prises de décisions unilatérales et partisanes aux dépens de la souveraineté  et du prestige de l’Etat et de l’intérêt du pays. Voilà qui éviterait les fautes graves, les errements,  les malentendus et permettrait de prendre les décisions  qu’il faut, en connaissance de cause, loin de toute précipitation, déchaînement et calcul politique zélateur générant crises et polémiques dont les tunisiens pourraient  amplement se passer, vu notamment, la conjoncture économique délicate qui prévaut.

S.D.

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