mercredi 11 juillet 2012

Propos festivaliers- Isteftah à Carthage: la relève est assurée

 Par Samira DAMI
 Le public nombreux, parmi lequel beaucoup de figures politiques aussi bien du gouvernement que  de l’Assemblée nationale constituante, qui s’est déplacé au Théâtre romain de Carthage ne l’a sûrement pas regretté, tant il a été enchanté par la qualité du concert d’ouverture bien nommé : Isteftah.  Lequel a été offert par plus d’une centaine d’artistes, entre musiciens et chanteurs, sous la férule de l’homme-orchestre Zied Gharsa, une grosse pointure de la musique et de la chanson tunisiennes dont le savoir-faire et le talent ne sont plus à prouver. Ce soir-là, il dirigea de main de maître la troupe qui accompagna l’Ensemble vocal très particulier composé d’artistes parmi les plus belles voix que compte le pays tels Lotfi Bouchnaq, Noureddine Béji, Hsan Dahmani, Leïla Hjaeij et tant d’autres. C’est que le concept de ce spectacle, dédié aux aînés et particulièrement  au regretté Ali Riahi à l’occasion de son centenaire, se veut rassembleur des différentes générations les réunissant autour d’un des meilleurs crus de notre patrimoine de musique et de chant : le malouf mais aussi le legs artistique d’un des meilleurs auteurs, chanteurs et compositeurs de l’histoire de la chanson tunisienne. Legs dont de nombreux  succès ont été interprétés avec ingéniosité par la grâce et l’expérience des chanteurs confirmés formant la chorale, la fougue et l’énergie des jeunes voix, entre duos et solos, et enfin  la maîtrise des instrumentistes dont plusieurs jeunes talents. Que veut le peuple ?
L’image est, donc, inédite et éloquente : quand on voit les «Seniors», même s’ils n’étaient pas tous là, donner la réplique aux «Juniors» avec la modestie et l’humilité, dont seuls les grands sont capables, n’hésitant pas à les applaudir chaleureusement à chaque belle saillie vocale. Quand on voit de jeunes instrumentistes, tel   le luthiste Béchir Gharbi, se distinguer par sa technicité et son inventivité dans un bref solo. Quand on se plaît à apprécier des voix montantes comme Soufiane Zaïdi, qui a été bissé tant il a convaincu dans Zina ya bent El Henchir, Asma Ben Ahmed et Marwane Ali, excellents dans Fi Dhaou El Koumaira, Maryam Kahlaoui et Ahmed Ifrit dans Ma habitch, on ne peut que se rassurer : la relève est bel et bien assurée et on ne peut que se réjouir et applaudir. Cette photo de  famille est d’autant plus la bienvenue que les arts, en général, sont confrontés, dans cette conjoncture, aux problèmes de l’obscurantisme et du fanatisme ambiants. On pourrait reprocher, hélas, à ce spectacle sa longueur, car après deux heures, il est difficile de retenir davantage l’attention des spectateurs, qui, d’ailleurs, ont commencé à quitter les gradins vers minuit. Tous les grands shows et spectacles de par le monde ne dépassent presque jamais les deux heures. Le maître d’œuvre aurait dû donc opérer le «Cut final», comme on dit dans le langage cinématographique, à minuit tapante, afin que les artistes ne quittent pas la scène devant des gradins commençant à se vider. Dorénavant ça devrait être la règle et la norme. 
In fine, cette ouverture 100% made in Tunisia prouve, nostalgie mise à part, que notre patrimoine est si beau, si riche qu’on ne se lassera jamais de l’écouter, a fortiori quand il est bien interprété avec ce supplément d’âme nécessaire, comme ce fut le cas jeudi dernier à «Carthage». Mais il faudrait savoir, aussi, qu’on peut explorer ce patrimoine pour le recréer, le réinventer afin de ne pas se contenter de le ressasser. Car, en fait, rien ne se perd, rien ne se crée, tout se transforme.

 Et leur part d’horizon musical et festif ?
Tous les Tunisiens ne peuvent pas, pour différentes raisons, faute d’argent, de transport ou autres, fréquenter les différents festivals  du pays, car se déplacer à Carthage, Hammamet, El Djem et autres suppose un petit pactole. Que faire alors ? Va-t-on priver de spectacles ceux qui ne peuvent s’offrir l’art et la culture ? Assurément non. Pourquoi ne pas opter pour l’animation de rue dans chaque quartier en invitant à travers l’échange culturel des troupes de musique et d’arts populaires de la Tunisie profonde, du Maghreb et d’Afrique, ainsi que d’Occident et autres.
Mieux, pourquoi ne pas consacrer une ou plusieurs journées du mois de juillet à une sorte de fête de la musique, comme celle fêtée de par le monde, le premier jour de l’été, soit le 21 juin. De passage à Paris nous avons assisté à cette fête : d’un quartier, d’une place, d’une rue à l’autre, sur des scènes improvisées ou montées comme c’était le cas au parc de Denfert Rochereau, sur le parvis de Beaubourg, ou encore à la place Saint-Michel, Saint Germain des Prés ou à Montmartre, le public parisien et autre venu en grand nombre de toute l’Europe, ont fait la fête, durant toute la nuit, au rythme du rock, jazz, de la salsa et autres sons africains. Musiciens professionnels et amateurs et  intermittents du spectacle ont joué bénévolement devant des milliers de spectateurs. Chaque année, cette fête permet l’organisation de 1.800 concerts par 5 millions de musiciens. Pour que la fête soit totale, les moyens de transport étaient de la partie, puisque le métro et les bus ont assuré le service sans interruption. 
La fête de la musique est entrée dans nos mœurs, il y a quelques années, dans une atmosphère bon enfant, mais elle n’est pas encore généralisée à l’ensemble du territoire, or, la particularité d’une telle manifestation c’est justement la gratuité, le public pouvant avoir accès gratuitement à tous les concerts qu’il désire voir, même ceux qui se déroulent dans des salles. En fait, cette manifestation permet non seulement aux citoyens  d’accéder gratis à différents genres de musique, traditionnelle, classique, contemporaine, world music, jazz, rock, mais représente, aussi, une occasion pour les musiciens professionnels et amateurs de se produire bénévolement dans les rues et les  espaces publics. Pourquoi ne pas ancrer cette tradition et faire en sorte d’être en phase avec l’esprit de la Révolution favorisant la non-exclusion de quiconque et la liberté d’expression et de création ? Ainsi, pour démocratiser l’art et la culture, pourquoi pas une fête de la musique, d’une semaine au moins,  dans toutes les régions du pays en pleine saison festivalière, pour que tout le monde ait sa part d’horizon musical et festif.

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