jeudi 19 juillet 2012

Propos festivaliers. Saber Rebaï n'avait pas la pêche

 Par Samira DAMI
On l’appelle «Emir Ettarab», autrement dit le prince  du tarab dont l’art sécrète l’ivresse des sens grâce à une sorte d’alchimie entre la musique, les paroles et la voix. Or, Saber Rebaï, c’est de lui qu’il s’agit, a choisi de nous servir, en guise de concert, jeudi dernier à Carthage, un tintamarre en guise de musique et de chant. Dès les premières notes, le ton était donné et les mélomanes savaient à quoi s’en tenir : le parti pris était on ne peut plus clair : balancer au public du  rythme toutes options, surtout façon «mezoued», et cela à une seule fin, provoquer les déhanchés sensuels, mais surtout saccadés de ses jeunes et moins jeunes fans.
Mission accomplie, puisque sur les gradins aussi bien la gent féminine, voilée et non voilée, que la gent masculine étaient déchaînées et en transe sur fond de rythmes tapageurs générés par la panoplie d’instruments de percussion qui émaillait l’orchestre. A tel point qu’on se serait cru, à certains moments, dans un spectacle de Habbouba, puisque Saber Rebaï en est arrivé, en dirigeant l’orchestre, à reproduire la gestuelle du Roi de la chanson pop tunisienne.
 Bref, pas un «mawal», pas une romance, pas un solo instrumental digne de ce nom, pas un répit pour nos oreilles écorchées par une sono en diable, une véritable torture. Il est vrai que le raffut de l’orchestre et du public qui, au bord de l’hystérie, chantait et reprenait à tue-tête ses vieux tubes permettait audit «Prince du Tarab» de se reposer. Son passage au festival de Baalbek l’aurait-il, à ce  point, épuisé ou bien a-t-il cédé au postulat : «Ce que veut le public»? Probablement les deux à la fois. En tout cas, pour l’art et le «tarab», il faudra repasser.
Les mélomanes déçus et étonnés par un concert qui, au lieu d’évoluer crescendo, commence et s’achève dans le vacarme assourdissant de rythmes effrénés. A quoi sert une prestation qui ne sécrète aucun moment fort, où le chanteur ne produit aucune performance, ne procure aucune émotion ? Pourquoi se déplacer pour le voir sur scène, ne vaudrait-il pas mieux se contenter d’écouter ses albums tranquillement chez soi, loin du tumulte de l’arène du théâtre romain ? La mission de Saber Rebaï consiste-t-elle à chanter ou se limite-t-elle désormais à faire danser le public sur fond de déclaration d’amour populiste et démagogique. Déclarer sur scène son amour au public, comme le font systématiquement les chanteurs égyptiens (c’est d’ailleurs leur fonds de commerce), ne sert pas à grand-chose, si en contrepartie l’artiste ne fait rien pour satisfaire ce public qui n’est pas dupe, d’ailleurs. La meilleure manière de prouver son amour au public c’est de faire preuve de sincérité et se donner à fond afin de lui procurer ce plaisir et ce bonheur artistiques, sans lesquels tout récital ou autre spectacle demeure dénué de sens.
Que gagnerait Saber Rebaï à poursuivre sur cette voie empreinte de complaisance à l’égard du public et hors des sentiers de l’art, sinon la banalité de concerts ordinaires et de surcroît tapageurs. Cela d’autant qu’il s’agit d’un festival aussi prestigieux que Carthage et qui exige, normalement, innovation, créativité et performance. S’arc-bouter sur sa popularité pour sombrer dans la facilité n’assure pas la réussite et le succès. Vraiment, ce soir-là, à Carthage, «ce chanteur arabe de premier rang», comme l’a qualifié le présentateur, n’avait vraiment pas la pêche.

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