samedi 23 mai 2015

68e édition du festival international de Cannes

Scènes de violence et de deuil


De notre envoyée spéciale à Cannes, Samira DAMI
Dans l’attente de la projection de «Macbeth» de Justin Kurzel, dernier film programmé dans le lot des 19 longs métrages en course pour la Palme d’Or de cette 68e édition du festival international
de Cannes, focalisons sur les films, toujours en compétition, vus  hier sur la Croisette
«Je n’ai pas d’avis à donner, personne n’y comprend rien à l’Ukraine, à la grande Russie, ce n’est pas du tout de mon ressort. J’aime l’Ukraine, mais je n’aime pas la guerre et les conflits». C’est ce qu’a déclaré Gérard Depardieu à la question d’une journaliste, lors de la conférence de presse organisée dans la foulée de la projection de «The Valley of Love» de Guillaume Nicloux, qui concourt pour la Palme d’Or.
Le comédien, qui a désormais la double nationalité franco-russe, a évité de parler politique, préférant se focaliser sur son rôle dans ce film où il incarne un personnage d’acteur qui porte également le prénom de Gérard. Lequel doit se rendre à «La Vallée de la Mort», en Californie, afin de rencontrer son ex-épouse, Isabelle (Isabelle Huppert). Un rendez-vous bien étrange, car ils ne se sont pas revus depuis une trentaine d’années. Ils répondent à une invitation de leur fils Michael, photographe, qui s’est suicidé 6 mois auparavant, mais qui leur a promis, dans deux lettres adressées, à chacun d’entre eux, de revenir si jamais ils passaient ensemble une semaine dans «La Vallée de la mort», où sévit une chaleur de 60°, et de suivre le programme initiatique qu’il a imaginé. Malgré l’absurdité de la situation, l’ancien couple décide de s’y rendre.
Toujours dans la conférence de presse, Gérard Depardieu et Isabelle Huppert ont répondu aux questions des journalistes et ont défendu ce 5e film français en compétition, en donnant la nette impression d’admettre cette possible réincarnation à laquelle nous avons du mal à croire, même si elle relève du fantastique et se passe dans un lieu mythologique où des parents font le deuil de leur fils décédé. Un fils qu’ils ont délaissé, puisque sa mère ne l’a plus revu depuis qu’il avait 7 ans, alors que son père ne lui a jamais parlé, n’arrivant pas à communiquer avec lui. Mais tout ça nous paraît peu crédible en raison du traitement réaliste d’une fable fantastique. Mieux : malgré l’élément déterminant du décor, soit le désert californien mythique et mystique, dont l’immensité, l’intensité, la chaleur insupportable, la dureté, l’impénétrabilité et l’inhumanité qui aurait dû impressionner, le réalisateur n’est pas arrivé à créer une atmosphère, encore moins à convaincre.
Bref, il ne se passe pas grand-chose dans ce parcours initiatique, sauf quand les deux protagonistes se disputent un peu, ou quand Gérard révèle sa maladie à Isabelle ou, enfin, lorsque Isabelle et Gérard sont confrontés à la présence fantomatique de leur fils. Mais ce dernier est-il vraiment de retour ou ne s’agit-il pas pour lui que d’un moyen afin de les rapprocher après sa mort. La réponse tombe, bien entendu, sous le sens.
Encore et toujours dans la conférence de presse, Depardieu a confié  :«  Quand j’ai lu le script, j’ai été émerveillé par la petite touche de fantastique. Par ces parents qui se retrouvent face au vide qu’ils ont connu pendant trente ans. Ces questions auxquelles on ne peut pas répondre. Ces actes manqués de l’oubli qui leur tombent sur la gueule. Je n’ai pas vu cela dans beaucoup de films ni dans beaucoup de livres sauf peut-être chez Lovecraft ou Bradbury». Ajoutant que «le lieu du tournage a une force tellement intense qu’il agit sur nos émotions». Or, il n’y a nullement trace d’émotion dans ce film, lequel sans la présence de Depardieu et d’Huppert, qui se retrouvent 35 ans après avoir été réuni dans  «Loulou» de Maurice Pialat, n’aurait sans doute suscité aucun intérêt. Bien qu’ Isabelle Huppert ait versé dans le sur-jeu, Gérard Depardieu, lui, s’en tient à la justesse dans l’action. L’acteur physiquement énorme, monumental, gargantuesque, suant de tout son corps, impressionne aussi bien par son physique que par son jeu.

Violence affichée, violence intériorisée

Ainsi, «The Valley of Love» fait partie du lot des 5 films français sélectionnés en compétition, outre «Dheepan» de Jacques Audiard, un film sur l’exil politique et l’espoir de se reconstruire dans un pays étranger. Le film met en scène l’histoire de «Dheepan, un guerrier tamoul, un Tigre, qui se bat pour l’indépendance tamoule au Sri Lanka. Il décide de fuir son pays meurtri par la violence et la défaite en partant avec une femme et une enfant qui ne sont pas les siens, à Paris, dans l’espoir d’une vie meilleure. Sur place, Dheepan devient alors gardien d’immeuble, mais la précarité de sa situation et la fragilité de son foyer le forcent à se battre, encore, pour cette vie nouvelle ». Audiard, et il l’a avoué lui-même, n’a pas fait un film politique et ne prend pas position sur ce conflit. Or, justement son film est resté factuel, avec notamment cette violence des gangs dans la banlieue parisienne qui fait irruption au beau milieu du film. Car ce guerrier tamoul qui a fui la guerre civile dans son pays se retrouve en pleine guerre de la jungle urbaine parisienne. Le réalisateur opposant ainsi la quête de la paix à la violence qui «pourchasse» Dheepan. Mais, justement, traiter de la jungle de la banlieue parisienne par l’intermédiaire du personnage tamoul est-il approprié ? Le réalisateur connaît-il assez ce milieu? Une autre bizarrerie du scénario : le dénouement du film est plus qu’étrange, le réalisateur estimant que «la paix pour cette fausse famille recomposée est possible en Grande-Bretagne, à Londres plus précisément» (Sic).
Pour ce film, Jacques Audiard a fait appel entre autres à des acteurs tamouls non professionnels, notamment, à Antonythasan Jesuthasan, écrivain de son état, pour jouer le rôle principal et qui, pour un essai, s’en tire plutôt bien. Mais, jusqu’ici «Un prophète», pour lequel il a reçu à Cannes 2009, le Grand Prix demeure de loin le meilleur film d’Audiard.
Autre film sur la violence mais intériorisée et sur le deuil  : «Chronic» du mexicain Michel Franco, qui concourt sous la bannière des Etats-Unis. David (Tim Roth) est un aide-soignant travaillant auprès de malades en phase terminale, méticuleux, efficace, dévoué, et passionné par son métier, il noue de véritables relations intimes et humaines avec ses patients. Mais dans sa vie privée, David est inefficace, maladroit et réservé, il ne peut s’épanouir qu’au contact de ses patients. Le personnage central est pétri de contradictions et son esprit n’arrive pas à tracer les frontières entre son travail et sa vie privée. A l’instar de «The Valley of Love»,«Chronic» traite du deuil mais sur un ton froid, clinique et hyper-réaliste en se focalisant sur la dépression d’un infirmier confronté à l’état émotionnel de ses patients. Et pour accentuer ce réalisme, Michel Franco a eu recours aux côtés des acteurs professionnels à des non-professionnels. Le film choque, dérange, entre scènes insoutenables de malades plus proches de la mort que de la vie et dont David exploite la dépendance et la détresse pour supporter sa dépression. Tim Roth s’impose ici en tant qu’interprète susceptible de rafler un prix d’interprétation. Qu’en pense le jury ? Nous le saurons demain, dimanche, journée de la proclamation du palmarès.

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