jeudi 21 mai 2015

Actualités : Monde

68e festival international de Cannes

Quand passe le temps !

De notre envoyée spéciale, à Cannes, Samira DAMI
Deux grands films, l’un italien et l’autre chinois, ont marqué la journée du mercredi sur la croisette, «Youth» de Paolo Sorrentino et «Mountains May Depart» de Jia Zhang-Ke. Tous deux se particularisent par leur force créative et inventive et une réflexion profonde sur le passage du temps.
«Youth» est le septième long métrage de Sorrentino, qui a déjà conquis la Croisette en 2008 avec «El Divo» en remportant le prix du jury. Dans la continuité de «La Grande Belleza», son précédent opus, où il proposait une réflexion sur la vie et la mort, «Youth» ou «Jeunesse» met en scène deux vieux amis quasi octogénaires, Fred (Michail Cane) et Mick (Harvey Keitel) qui profitent de leurs vacances dans un hôtel avec spa, en Suisse. Fred, compositeur et chef d’orchestre à la retraite, n’a aucune intention ni envie de revenir à la carrière musicale qu’il a abandonnée depuis longtemps, tandis que Mick, réalisateur, travaille toujours sur l’écriture d’un scénario, sorte de testament artistique. Les deux amis décident de faire face, ensemble, à leur avenir. Mais pas seulement, car les deux personnages,si attachants, remontent le temps, avec humour et espièglerie, en évoquant leur passé avec plus ou moins de sincérité, préférant parfois le mensonge à la vérité ou prétextant parfois l’oubli et les tours que leur joue la mémoire. Ces protagonistes sont entourés d’une multitude d’autres, entre vieux et jeunes, des acteurs, des scénaristes qui coécrivent le scénario avec Mick, des couples en crise, un alpiniste, des saltimbanques, un moine bouddhiste ou le Dalaï Lama en quête de lévitation, Lena, la fille de Fred quittée par son mari, et même un personnage parodiant, l’ancien footballeur argentin Maradona, enfin une Miss Univers évanescente et divine. Le film, qui se déroule en huis clos, décline, donc, une palette de personnages qu’utilisent Sorrentino pour tisser des situations, entre éléments anecdotiques et réflexions universelles, sur le passage du temps, les amours perdus, l’obsession du jeunisme et le temps qui reste à vivre. Le film décline, également, une réflexion sur la réalité représentée ou sublimée par l’art, l’avenir de l’humanité et de l’art. La musique et le cinéma incarnent l’art dans cette œuvre, en opposition au trash, à la télé poubelle… En fait, seules les émotions restent, que ce soit dans la vie ou dans l’art, nous dit le cinéaste. Ainsi, au fil des scènes d’une grande beauté esthétique, même si une partie de la critique internationale les trouve esthétisantes, le réalisateur sculpte sa matière pour générer du grand cinéma. Tels ces plans représentant Fred immergé dans l’eau à Venise ou Mick qui voit surgir dans un pré, où paissent des vaches, tous les personnages de ses anciens films, la scène finale incarne un grand moment de cinéma et de musique. Mieux, cette comédie dramatique où se bousculent les sentiments et ressentiments est admirablement interprétée par trois grands acteurs américains voit Michael Cane, Harvey Keitel et Jane Fonda qui apparaît dans un sublime numéro d’acteur. «Youth», tout autant que «Mia Madre», a de fortes chance de figurer au palmarès que ce soit pour le prix de la mise en scène ou pour la Palme d’Or.

Perte d’identité et de valeurs 
Le film chinois «Mountains May Depart» a aussi conquis le public cannois avec un film qui traite également du passage du temps, entre passé, présent et avenir, qui est si nécessaire à la compréhension des sentiments. Jia Zhang-Ke met en scène l’histoire de Tao, «une jeune fille de Fenyangdans, la Chine de 1999, qui est courtisée par ses deux amis d’enfance, Zang et Liang. Zang, propriétaire d’une station-service, se destine à un avenir prometteur tandis que Liang travaille dans une mine de charbon. Le cœur entre les deux hommes, Tao va devoir faire un choix qui scellera le reste de sa vie et de celle de son futur fils, Dollar. Sur un quart de siècle, entre une Chine en profonde mutation et l’Australie comme promesse d’une vie meilleure, les espoirs, les amours et les désillusions de ces personnages face à leur destin».
Le film se déroule en trois parties, la première déjantée et romantique traite du choix de Tao, sur fond des mutations économiques profondes que connaît la Chine. Car le mode de vie des individus a profondément changé, l’argent et le gain étant devenus au centre de la vie, au point que Zhang a prénommé son fils Dollar, la deuxième partie dramatique évoque la séparation et la déchirure, car Tao ne verra pratiquement plus son fils, le père ayant obtenu la garde après le divorce, enfin la troisième traite du déracinement et de la rupture avec le pays, Dollar et son père ayant émigré en Australie. L’auteur de «The Touch of sin», en compétition il y a deux ans à Cannes, déplore la perte de l’identité, Dollar est perdu, il ne parle plus que l’anglais et a un vague souvenir de sa mère et ne communique avec son père qu’à travers les traductions de Google, il dénonce, en raison de la mondialisation, la perte des valeurs humaines et la rapacité des individus désormais sous l’emprise totale de l’argent. Seule Tao, enracinée dans sa province, représente les racines, l’identité et les valeurs de la Chine profonde et d’un mode de vie humain et équilibré. Dollar, déstabilisé, veut quitter ses études et pense retourner à la maison dont il a les clés que sa mère lui a données quand il avait 7 ans. Mais ce n’est pas facile pour lui. Retrouvera-t-il enfin sa génitrice ?
Ce film dramatique, teinté d’humour, est également habité par le cinéma à travers des plans d’une grande inventivité. Telles ces scènes où une marée humaine forme comme des vagues, celle du mariage ou encore la scène finale où Tao danse sur une chanson cantonaise qui a bercé sa jeunesse et qui traverse toute l’œuvre. Le tout est couronné par un jeu d’une grande maîtrise, notamment, de l’actrice principale Zhao Tao. Voilà un film qui pourrait également figurer au palmarès de cette édition. Le jury avec autant de bons films aura bien du pain sur la planche.

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire