mercredi 20 mai 2015

RETROVISION

PEU IMPORTE L'EXCES POURVU QUE CA BUZZE

PLUSIEURS concepts télévisuels européens et américains ont été empruntés, acquis ou carrément piqués, c’est selon, par certaines chaînes de télé locales, tels «Andi mankollek», «Dlilek mlak», «Labès», «Hat nahkiw», «Klem ennas» et tant d’autres. Toutefois, ces concepts venus d’Occident sont rapidement altérés et détournés, voire malmenés par une sorte de dramatisation à outrance où l’excès le dispute à la démesure, où les larmes, le plus souvent de crocodile, sont garanties afin de faire pleurer dans les chaumières et de booster, par la même occasion, l’audience et l’audimat. Ainsi, une émission comme «Andi mankollek» (sur El Hiwar Ettounsi), copiée sur «Y’a que la vérité qui compte» (TF1), est tombée dans le «Trash-TV» ou la télé-poubelle qui se nourrit exclusivement de la misère et des malheurs des petites gens à force d’exposer leur vie privée et leurs problèmes intimes au large public qui se transforme en voyeur. Sur le plateau, des couples ou des familles se disputent, s’entredéchirent, règlent leurs comptes, échangent les accusations, s’insultent, implorent, se lamentent, pleurent à chaudes larmes… Les problèmes sont forcés jusqu’à la caricature afin de provoquer l’apitoiement et la compassion. Même si les concepts originaux exploitent les disputes et les crises de larmes en tant que «moments forts»; une fois «tunisifiés», ils en deviennent tellement outranciers et excessifs qu’ils s’apparentent, désormais, plus à la fiction (fausses situations) qu’à la réalité. Cette démesure touche même, sous nos cieux, certains concepts qui ne s’y prêtent pas forcément, surtout à comparer avec leur traitement ailleurs. Prenons l’exemple de «Dari-déco», toujours sur Al-Hiwar Ettounsi, calquée sur «D&Co», entamée depuis 9 ans sur M6 et où l’animatrice Valérie Damidot se donne une semaine avec son équipe d’artisans et d’ouvriers pour réaménager et redécorer l’ensemble de la maison d’un particulier. Ce genre d’émissions a fleuri, depuis une dizaine d’années sur les chaînes occidentales, dans le but de faire découvrir au public le monde de la décoration et du design, et de transformer un intérieur banal, et même de mauvais goût, en habitation branchée. Et à comparer entre ces émissions conçues ailleurs et «Dari Déco», l’on décèle rapidement la différence entre le comportement de l’équipe de Mariam Ben Mami, animatrice de l’émission, et celle de Valérie Damidot. Dans «Dari Déco», l’équipe de réaménagement verse dans les moments de récréation et même en plein boulot dans l’agitation pure et simple, ça chante à tue-tête, ça s’amuse, comme de vilains gosses stupides, ça crie, ça hurle même, alors que les «gars» de Damidot sont montrés, une fois le travail terminé, en train de savourer calmement et paisiblement le résultat de leur travail et effort.

Des larmes à tout prix 

CETTE différence est également visible lors des réactions des propriétaires à la découverte du relookage de leur maison. Dans «D&Co», les propriétaires affichent leur joie de manière naturelle, en laissant transparaître leur admiration et satisfaction à la vue des transformations apportées à leur logis, tandis que dans «Dari Déco» la mise en scène des réactions est appuyée et dramatisée. Comme si on voulait soutirer à tout prix les larmes et les pleurs des candidats castés, ainsi que les propos larmoyants, les remerciements répétés et la gratitude excessive envers l’animatrice qui n’y est pour rien puisque tout est sponsorisé dans un but publicitaire au profit de diverses sociétés d’ameublements, d’équipements, de matériels et de produits de construction. Autre émission où le concept original est altéré et vicié : «Labès» qui est piquée en grande partie sur «Ce soir chez Arthur» (même décor, même rubrique) qui, lui-même, a copié ce show télévisé sur «Late show with…», un vieux concept américain, que ce soit avec David Letterman ou Craig Fergusson. Dans «Labès», nous l’avons déjà dit, tout est excès jusqu’à friser le plus souvent la vulgarité entre propos légers à l’emporte-pièce, pourvu que ça «buzze», jeux de mots à la noix très primaires, voire vulgaires, sketches pesants, emphatiques, versant dans l’agitation et nous en passons. On est si loin de la finesse et de la subtilité des concepts originaux ou par exemple du talk-show égyptien «Al barnameg» (Le programme) de Bassem Youssef (sur CBC puis MBC) — inspiré de The DailyShow de l’Américain John Stewart —, qui traite de manière satirique de l’actualité égyptienne et dont les critiques sarcastiques n’épargnent aucun homme politique quelle que soit son appartenance partisane. D’où l’immense succès de l’émission, aujourd’hui suspendue suite à des pressions politiques. Il est clair, au final, que la dramatisation excessive est le produit d’une volonté manipulatrice de jouer sur les sentiments des téléspectateurs en exploitant la misère, les malheurs, la convoitise, les disputes politiques et idéologiques et les intérêts des uns et des autres. Cela dans le but supérieur et ultime de faire le buzz et de garantir l’audimat, et certaines chaînes de télé locales sont prêtes à tout pour atteindre cet obscur objet du désir.
S.D. 

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