lundi 21 mars 2016

Arrêt sur image : Inhebek hedi, de Mohamed Ben Attia

Conte ordinaire d’une tranche de vie

Par Samira DAMI
Le premier long métrage de Mohamed Ben Attia Inhebek Hedi ou Hedi est actuellement à l’affiche dans 17 salles de l’ensemble du pays.
La double distinction qu’il a obtenue à la Berlinale de 2016, soit l’Ours d’argent du meilleur acteur attribué à Majd Mastoura par le jury officiel présidé par l’immense Meryl Streep et le Prix du meilleur premier film accordé à Mohamed Ben Attia par un jury parallèle, fait courir le public.
La fable est simple, façon conte ordinaire, d’une tranche de vie : Hédi (Majd Mastoura), un jeune homme sans histoire, est indifférent à tout ce qui l’entoure, il laisse faire, il laisse passer.
Sa mère, autoritaire en diable, voire tyrannique (Sabeh Bouzouita), décide de tout : elle arrange et organise le mariage de son benjamin qui ne fait que subir, tel un ado, les ordres et les injonctions de tous : le frère aîné (Hakim Boumasoudi), le supérieur hiérarchique et autre, commercial pour une marque automobile, fait la navette entre Kairouan, où il habite, et Mahdia. Et c’est dans cette ville pittoresque et touristique qu’il rencontre, à quelques jours de son mariage, Rim (Rym Ben Messaoud), une animatrice et danseuse dans un hôtel. La rencontre avec cette jeune fille, mature, libre et indépendante, changera le long fleuve tranquille de son existence plate, monotone et morose.
Il tombera amoureux pour la première fois de sa vie. Transformé, Hédi, le taciturne vit enfin, s’exprime, se confie, en révélant sa passion pour l’art de la bande dessinée, goûte aux plaisirs de l’amour et remet sa vie en question…
Dans Inhebek Hedi, le réalisateur inverse les personnages types auxquels le cinéma tunisien nous a, en général, habitués: le personnage oppressé, opprimé,  voire écrasé par une mère, et, par-delà, par une société castratrice et dominatrice, n’est pas comme à l’accoutumée féminin, mais masculin (Hédi).
Autres inversions des rôles : l’oppresseur n’est pas, comme de tradition dans le cinéma tunisien, le père mais la mère et le personnage moteur, libérateur et émancipateur s’avère féminin.
La femme libératrice de l’homme et d’une société archaïque et pesante.
Toutefois, le résultat est le même, car que la famille (la société) soit patriarcale ou matriarcale, c’est toujours la jeunesse qui trinque tant elle est étouffée et enchaînée.
Or, justement, Hédi, cet anti-héros, est l’archétype d’une jeunesse désœuvrée (scène du café), errante et brimée même après la révolution perceptible en toile de fond du film (la grande histoire).
La révolution du 14 janvier 2011 n’a rien changé au carcan d’une société obsolète, sclérosée et en crise, ni à la condition des jeunes qui peinent à trouver du travail, à jouir de la liberté et de la dignité, les principales revendications de la révolution.
La double dimension du récit et l’allégorie sont claires et manifestes. Néanmoins, le film pose une question : l’exil serait-il la seule issue pour les jeunes ? Car face  à la mer et à l’horizon infini, sur la plage de l’hôtel, Hédi promet de suivre Rim qui doit partir travailler en France. Mais partira-t-il vers cette Europe, objet du désir?
Voilà qui entretient le suspense jusqu’à la fin du film ?
Toutefois, les mobiles et les motivations du choix final de Hédi ne sont pas aussi apparents et explicites.

Se libérer par la transe?

Au-delà des questions de l’errance et du désarroi de la jeunesse en quête d’amour, de liberté et d’un avenir meilleur, «Inhebek Hedi» déroule une histoire d’amour où les personnages sont nuancés et humains car même la mère autoritaire croit agir pour le bien de son fils.
Certes, mais qui dit amour dit relation passionnelle, surtout quand il s’agit d’un coup de foudre amoureux.
Or, on ne voit pas, on ne ressent pas la montée de la passion et la passion tout court, même dans l’unique scène d’amour du film.
On ne comprend pas, non plus, que Hédi le timoré et le timide prenne l’initiative d’embrasser Rim dans la scène de la baignade en mer. Car logiquement, étant donné le caractère des personnages, c’est à l’audacieuse Rim de le faire.
On s’étonne enfin de voir Hédi se libérer par la transe au rythme  d’une danse rituelle déchaînée, scène filmée, caméra à l’épaule,  de manière chaotique.
Cela à l’instar de plusieurs personnages féminins stéréotypés dans certains films tunisiens qui se libèrent par  la transe. Voilà qui nous replonge en plein exotisme car on aurait aimé que Hédi se libère autrement, par exemple en réalisant son projet rêvé : la publication de ses bandes dessinées.

Des plans et des références
Drame non dénué d’humour (scène où Hédi s’excuse auprès de Rim pour avoir menti et scène dans la voiture avec Khédija (Omnia Ben Ghalia)); Inhebek Hedi se décline dans une facture classique et une mise en scène sobre et épurée, façon les frères Dardenne (coproducteurs du film). Il est filmé du point de vue du personnage central et se caractérise par un parti pris clair : filmer le personnage de Hédi, l’anti-héros, de dos afin d’exprimer sa passivité et son atonie, notamment avant la transformation et l’évolution qu’il connaît.
Les plans larges, puis rapprochés, en servant les protagonistes, rythment le film. Certains nous renvoient à des références cinématographiques : tel ce plan où Hédi, à l’image d’un personnage de Scorsese, ou de Wim Wenders, se retrouve seul dans un immense paysage blanc immaculé.
Un plan filmé dans des lacs salés (sebkha) reflète la solitude du personnage.
Il y a aussi ce mouvement de caméra et ce travelling latéral à la manière de David Lynch (la voiture roulant de nuit). Il y a, enfin, cette scène du cimetière où Rim et Hédi sont entourés de morts, exprimant l’immobilité d’une société figée, sans vie. L’ennui, c’est que la qualité de l’image, dans pratiquement l’ensemble  du film, pose problème tant elle est approximative et indéfinie. Enfin, parti pris de l’absence de musique et des moments de silence ne nous renvoient-ils pas, encore une fois, au cinéma des frères Dardenne dont les films «Rosetta» et «L’enfant» ont raflé la Palme d’or en 1999 et en 2005.
Côté interprétation des acteurs, Majd Mastoura a sorti un jeu tout en retenue. Ce qu’il semble maîtriser, contrairement à l’interprétation de la scène de confrontation avec sa mère quand il refuse, enfin, qu’elle se mêle de sa vie et lui trace son chemin. Là, son jeu s’avère quelque peu brouillon. Rym Ben Messaoud n’a pas démérité, non plus, en interprétant son rôle avec justesse.
Inhebek Hedi, coproduction tuniso-(Nomadis Images et Tanit films)-belge (Les films du fleuve), vient confirmer la saillie du cinéma tunisien, surtout avec la sortie de plusieurs films réalisés, ces dernières années, et dont certains, pas tous, affichent une amélioration palpable au niveau de l’écriture du scénario. En ce sens que la tendance est désormais à la confection d’une histoire simple et cohérente, dans l’ensemble. D’où la réconciliation avec le public tunisien et même étranger.
Reste, maintenant, à soigner et à améliorer, globalement, l’écriture cinématographique, fond et forme confondus.
S.D.

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