lundi 21 mars 2016

Retrovision du 7 février 2016

Séries et feuilletons turcs
La déferlante 
Depuis le succès phénoménal de la série Noor (Gümüs), en 2005, les fictions turques ont envahi nos petits écrans. Rares sont les chaînes locales qui ne proposent pas quotidiennement deux à trois séries turques. Ce succès d’audience dans tout le monde arabe et même dans les Balkans (soit 70 pays) est dû, au fond, à l’invention d’une potion magique, d’un mode de vie alliant tradition et modernité, autrement dit Orient et Occident. Une mixture qui montre que la tradition et les valeurs musulmanes ne sont pas incompatibles avec la modernité. Cela tout en usant des ingrédients habituels aux fictions entre amour, romance, haine, jalousie, enlèvements, meurtres, actions, aventures, etc. Outre le choix de beaux héros et de décors intérieurs de rêve. Or, justement, Noor qui a marqué le début de l’engouement des téléspectateurs arabes pour les séries turques, incarne cette mixture magique. Tant ce feuilleton, quoique parfois tiré par les cheveux, traite du tiraillement entre tradition et modernité et distille amour et romance, sensibilité. Les héros de cette série sont incarnés par des acteurs qui ont profondément séduit les téléspectateurs arabes : Kivanc Tatlitug surnommé «le Brad Pitt du monde arabe» dans le rôle de Mohaned, incarnant le mari parfait aimant et romantique, et Songül Öden dans le rôle de Noor. Certes, l’actrice est moins séduisante, mais elle incarne la femme à la fois authentique et moderne, indépendante et courageuse. Quoi de plus normal que les téléspectateurs s’identifient et soient séduits par ce couple harmonieux, symbolisant l’amour romantique, objet du désir de tant de femmes arabes. Ainsi, le succès de Noor (85 millions de téléspectateurs dans le monde arabe) a précipité l’entrée, sous nos cieux, des séries du pays du Bosphore grâce à leur doublage en dialecte syrien, auquel les téléspectateurs tunisiens (arabes) ont été familiarisés grâce Séries et feuilletons turcs La déferlante à l’incontournable Bab El hara. Le doublage des séries turques ayant favorisé une véritable industrie au Liban. Autres séries télévisées populaires qui ont fait un tabac chez nous et dans la majorité des pays arabes : Wadi El Dhieb qui boucle sa saison 13 en Turquie et Harim El Soltane qui s’est achevée après 4 saisons. Il s’agit là d’une des plus grosses productions turques de tous les temps qui se focalise sur la période de Soliman le Magnifique, mais surtout sur son harem, les intrigues et les rivalités entre favorites dont notamment Hurem qui a réussi à devenir l’épouse du sultan. Prisée un peu partout dans le monde arabe, cette saga historique créée par Meral Okay et dont l’action se situe au XVIe siècle, a séduit les masses par la forme, la somptuosité des décors, des costumes, la beauté des acteurs principaux en mobilisant 150 millions de téléspectateurs arabes. Mais Harim El Soltane compte des milliers de détracteurs, en Turquie même, puisque dès la diffusion, sur Star-TV, du 1er épisode, le 5 janvier 2011, le conseil suprême de la radio et de la télévision a reçu plus de 75.000 plaintes demandant l’arrêt de sa diffusion. Même le président Recep Tayyip Erdogan a fustigé la série en déclarant : «Ce n’est pas le Soliman que nous connaissons. Il a passé trente ans de sa vie à dos de cheval et non dans des palais comme il est montré à la télé. Je maudis et condamne les réalisateurs de ces séries et les propriétaires de cette chaîne de télévision, qui l’ont réduit, dans ce navet, à un libertin, amateur de conquêtes sexuelles et collectionneur de femmes esclaves. Ceux qui jouent avec les valeurs du peuple doivent recevoir une leçon». Bien que les producteurs de la série aient rétorqué «qu’il s’agit d’une fiction et non pas d’un film documentaire», la série a été définitivement interdite sur les écrans turcs, une année après l’entame de sa diffusion, soit en décembre 2012. Le parlement turc ayant voté à la majorité la décision d’interdiction d’antenne en Turquie, pour «falsification de vérités historiques et obscurcissement de l’histoire turque présentée aux générations montantes».
 A consommer avec modération 
Bref, après les séries et feuilletons égyptiens et syriens, notre paysage audiovisuel est envahi par les fictions télévisées turques, entre drames, mélodrames, comédie sentimentale, genre policier, etc, qui battent tous les records d’audience : de Noor jusqu’à Wadi El Dhieb en passant par Ward wa chouk, Aski ou Amour interdit, Sanawat Edhayaâ, et autres. Les deux chaînes publiques diffusent actuellement la série Kouloub Taïha (Des cœurs dans la tourmente). Hannibal-TV, qui a perdu beaucoup de terrain côté audience de 2010 à 2013, s’est repositionnée à la 4e place avec une pénétration de 12,3%, selon Sygma Conseil, grâce à la programmation de la série Wadi El Dhieb. De son côté, Nessma-TV propose, quotidiennement, pas moins de trois feuilletons turcs : Sanawat Edhayaâ, Harim El Soltane (saison 2) et Kloub Erromane, doublé en dialecte tunisien, outre la création d’une chanson typiquement tunisienne spécialement pour le générique. Le succès des séries turques est tel que la chaîne a recouru au doublage en dialectal afin de brasser plus large au niveau de l’audience. Mais faudrait-il encore ne pas choisir des navets, or Kloub Erromane en est un, tant la fable est peu crédible et abracadabrante. Cela outre que la qualité du doublage qui n’est pas au top, notamment dans le choix de certaines voix. Et on constate là la différence avec le doublage performant des Syriens. Ainsi, le succès des séries turques dont les ventes ont rapporté 50 millions de dinars en 2015 peut être expliqué par la qualité de certaines d’entre elles, mais de là à opter pour des navets, et ils sont légion, voilà qui favorise le nivellement par le bas, nous rappelant la déferlante des télénovelas sud-américaines, dans les années 90, avec ces fables niaises, pas du tout crédibles et profondément soporifiques. On comprend, par ailleurs, que l’option des chaînes locales pour la programmation de séries turques est également due à leur coût assez modique d’autant qu’elles meublent les cases vides des grilles durant plusieurs années, mais s’en contenter n’est pas du tout judicieux. Car toute fiction représente un modèle de vie, la vitrine d’un pays avec ses qualités et ses défauts, mais surtout son identité. Or, tout public a besoin qu’on lui tende un miroir dans lequel il se retrouve. Et s’il consomme, à outrance, les fictions télévisées des autres, il finira par y être aliéné. C’est pourquoi toutes les séries étrangères devraient être diffusées et consommées avec modération. Cela outre l’impérative nécessité de produire tunisien, et pas seulement pour le mois de Ramadan, ou alors sommes-nous acculés à ne voir des fictions télévisées tunisiennes que durant le mois saint ? Tout porte à le croire.
S.D.

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