lundi 21 mars 2016

Retrovision du 21 février 2016

Jeu de clashs 
La tendance sur les plateaux de télé et dans les studios des médias audiovisuels locaux, privés notamment, est de plus en plus aux agressions verbales et aux clashs même à propos d’affaires des plus dangereuses et sensibles telles celles inhérentes au terrorisme. Les violentes altercations entre invités ou entre invités et animateurs sont telles qu’on sombre, vu les divers(es) parti(es) antagonistes, dans un véritable jeu de clashs. Le dernier clash en date, fort médiatisé d’ailleurs, a eu lieu, sur le plateau de Al Yaoum Ethamen (le 8e jour) diffusée le jeudi 11 février sur Al Hiwar Ettounsi et a opposé Ahmed Rahmouni, président de l’OJT (Observatoire de la justice tunisienne), à Néji Jalloul, ministre de l’Education. Et ça hurlait grave ! Le ministre n’ayant pu tenir face à ce qu’il a appelé «Une volonté de blanchir le terrorisme de la part du magistrat, alors que les forces militaires et sécuritaires sacrifient leur vie dans les montagnes». Le juge a justifié la mise en liberté de Mohamed Amine Guebli, suspecté d’avoir participé à la planification de l’attentat du Bardo, le 18 mars 2015, par la torture. «L’échange d’amabilité» n’a pas tardé puisque Ahmed Rahmouni a traité Néji Jalloul «d’insolent et d’irrespectueux», ce qui incita ce dernier à quitter momentanément le plateau pour revenir par la suite, après le départ du magistrat. Qui est revenu à la charge, quelques jours après, le lundi 15 février sur Shems-FM, en accusant le ministre «de blanchir la torture», tout en qualifiant ce comportement de «honteux» et «d’indigne» (sic). En fait, que ce soit sur Al Hiwar-Ettounsi ou ailleurs sur Shems-FM, Rahmouni défend, bec et ongles, le juge d’instruction auprès de la 13e chambre du Tribunal de première instance de Tunis et soutient que «les aveux des détenus dans l’affaire terroriste du Bardo ont été soutirés sous la torture». Ce qui lui vaut l’inimitié des forces sécuritaires et de la brigade antiterroriste. «Mieux», Besma Khalfaoui a décidé de porter plainte pour diffamation contre Rahmouni, suite, a-t-elle affirmé, au post sur sa page facebook où il a écrit «les magistrats honnêtes luttent contre les diables». Post accompagné des photos de la veuve du martyr Chokri Belaïd et de Issam Dardouri. La polémique s’est poursuivie dans l’émission 24/7 du mardi 16 février, quand l’avocat Imed Ben Halima a fustigé le juge Rahmouni qui «s’est permis, a-t-il dit, d’évoquer des éléments de l’enquête en cours sur la vidéo diffusée dans Labès, l’émission de Naoufel Ouertani, alors que lui-même attaque tous ceux qui, entre journalistes et agents sécuritaires, évoquent ne serait-ce qu’un tout petit élément des enquêtes en cours sur des affaires de terrorisme». La vidéo diffusée dans «Labès» se focalise sur une séquence de reconstitution d’une opération de stockage d’armes dans une grotte de la région de Sejnane, effectuée par Mohamed Amine Guebli. Séquence commentée par Issam Dardouri, président de l’Organisation tunisienne de la sécurité et du citoyen (OTSC), qui a accusé «la justice de laxisme dans les affaires de terrorisme et d’avoir libéré le même Guebli alors qu’il a reconnu les faits». Tout ça, on le sait, a valu à Dardouri d’être mis en garde à vue, pendant quelques jours, avant d’être libéré et il devra comparaître en liberté dans cette même affaire. Tandis que le journaliste Naoufel Ouertani a comparu, le mardi 9 février, devant la brigade antiterroriste.
Plus de cohérence, moins de buzz 
Tous ces clashs, polémiques et poursuites judiciaires auraient pu être évités si chacun avait accompli son travail dans les règles de l’art, en respectant l’éthique et la déontologie de son métier, et s’il n’y avait pas eu autant de dysfonctionnements, aussi bien d’ordre sécuritaire et judiciaire que médiatique. Mais il est clair que la justice doit frapper fort et vite le terrorisme afin de renvoyer aux citoyens l’image d’une justice et d’un Etat puissants et afin d’éviter tout encouragement et compassion avec le terrorisme. Maintenant, concernant le rôle des médias, il est clair que dans les pays démocratiques, les documents relatifs à toute affaire en cours d’instruction, et s’il n’y a pas encore eu de jugement définitif, sont interdits de publication sous n’importe quelle forme, que ce document compromette le prévenu en question ou qu’il l’innocente. Mais, dans le cas de Mohamed Amine Guebli qui a été libéré, la vidéo peut-elle être diffusée ? En tout cas, Naoufel Ouertani a pris ce risque en donnant un tout autre éclairage à l’opinion publique sur l’affaire de l’attentat du Bardo. Outre qu’on se demande pourquoi cet empressement à vouloir juger les journalistes, il est évident, par ailleurs, qu’en tant que journaliste, Naoufel Ouertani ne peut être poursuivi sur la base du code pénal mais selon le décret 116 du 2 novembre 2011. Enfin, les clashs et polémiques à propos d’affaires dangereuses qui concernent le terrorisme n’ont fait que désorienter les téléspectateurs, voire les diviser davantage, face à ce flux quotidien d’informations contradictoires et ces «fuites orchestrées» d’éléments d’enquêtes par des parties adverses défendant chacune ses credos politiques et idéologiques. Résultat : le téléspectateur lambda n’y comprend que dalle, s’embrouille et ne sait plus qui croire, ni à quel saint se vouer. Aussi, on cherche à comprendre : Al Hiwar Ettounsi a-t-elle une politique éditoriale ou miset-elle uniquement sur le buzz? Car comment en l’espace de quelques jours et dans trois émissions différentes, invite-t-on Issam Dardouri qui fustige le laxisme du juge de la 13e chambre à l’égard des détenus terroristes, ensuite Ahmed Rahmouni qui défend ce même juge, et enfin Imed Ben Halima qui pourfend les propos et le comportement de Rahmouni. Pourquoi avoir invité ce dernier dans Le 8e jour si c’est pour le contredire et le déjuger, quelques jours après ! Car Me Ben Halima a même recommandé aux médias «d’éviter d’inviter, à l’avenir, Rahmouni ainsi que tous ceux qui blanchissent le terrorisme». Ainsi à force de vouloir parier sur le buzz dont certains sont incontrôlés, on peut y laisser des plumes. Pis, parfois les conséquences sont dangereuses et incontrôlables car quand on entend l’historien Mohamed Talbi déclarer dans «Pour ceux qui osent seulement» (Limam yajroô faqat) qu’un tel ou tel autre n’est pas musulman. On peut imaginer les conséquences funestes auprès notamment des jeunes téléspectateurs lambda et autres fanatiques. Alors un peu plus de cohérence, de coordination et d’harmonie dans la programmation des émissions est plus qu’impératif afin de ne pas renvoyer au public l’image d’une chaîne façon «bateau ivre» dont les seuls et uniques buts et enjeux sont l’audience, l’audimat et les parts de marché.
 S.D

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