lundi 21 mars 2016

Retrovision du 6 mars 2016

LE GRAND REPORTAGE
Un genre si rare sous nos cieux 
Le grand reportage, genre noble ou aristocratique du journalisme, s’avère une denrée rare sous nos cieux tant il est, pratiquement, évincé du paysage télévisuel. Ainsi très peu de chaînes privilégient le genre qui exige un travail de longue haleine de collecte de l’image, de l’information et de témoignages en direct, pris sur le vif. Ailleurs, en France par exemple, les émissions de grands reportages sont devenues célèbres et très connues d’une partie du public tunisien! Citons-en : Envoyé spécial (sur France 2), Zone interdite (sur M6), Spécial investigation (sur Canal+) ou Arte Reportage (sur Arte). Les sujets abordés sont multiples et variés et cela va de «La pollution de la nature» dans une région donnée jusqu’au reportage de guerre, en passant par une kyrielle de thèmes dans tous les domaines : politiques, sociaux, économiques, culturels, etc. Si le genre est ancré en Occident, il peine à s’imposer sous nos cieux. C’est que le grand reportage exige un parti pris de  la chaîne afin de varier ses programmes et de traiter de tous les genres journalistiques mais surtout afin d’informer son public autrement que par les éternels débats et talk-shows politiques ou sociaux. Le genre exige également des reporters professionnels ainsi que des moyens logistiques et financiers. Bref, rares sont les chaînes locales aussi bien publiques que privées qui recourent au grand reportage. Toutefois, la chaîne privée Al Janoubia a adopté le genre à travers notamment l’émission hebdomadaire Mamnoô minal beth (interdit de diffusion). Le dernier grand reportage en date (21 février 2016) est quasiment un reportage de guerre (genre carrément inexistant sur les chaînes locales), évoquant la lutte contre le groupe terroriste Daech, notamment après les frappes américaines sur la ville de Sabrata. La fuite des terroristes vers le sud de la Libye et les menaces réelles sur la région et les pays limitrophes ont été également abordées. Le reportage s’est avéré et informatif et instructif, que ce soit à travers l’image et notamment les scènes de combats de l’armée libyenne contre le groupe terroriste à Benghazi, Derna, Ajdabia, Sabrata ou à travers les témoignages d’activistes, d’agents sécuritaires et de militaires libyens ainsi que d’experts algériens et tunisiens. Le reporter Mohamed Nassib a fait le tour de ce sujet d’une actualité brûlante en donnant la parole au général de brigade de l’armée libyenne de l’Ouest, Omar Tentouch, Mahmoud Khalifa, conseiller militaire auprès de la Ligue arabe, Walid Louguini, ancien porte-parole du ministère de l’Inté- rieur, Abdelmajid Othmani, activiste libyen, et autres.
Un travail de mémoire 
Le reportage dévoile le rôle de la Turquie et du Qatar dans l’implantation de Daech en Libye et l’appui que ces deux pays fournissent en logistique et en armement au groupe terroriste. Les raisons de l’implantation de l’Etat islamique (EI) en Libye ont été également citées par les intervenants. Pour l’expert algérien Ahmed Mizab, il s’agit d’un 2e Sykes-Picot remodelant la région du Maghreb selon les intérêts économiques de l’Occident, dans le but d’accaparer ses richesses. D’où le commentaire du général de brigade Omar Tentouch qui n’a pas mâ- ché ses mots en révélant qu’il n’existe pas de réelle volonté de lutte efficace contre l’EI de la part de l’Occident. Car «les frappes américaines relèvent plutôt d’opérations chirurgicales, ponctuelles». A ses yeux, «il s’agit plutôt d’une mise en scène théâtrale d’autant que l’embargo sur la vente d’armes à la Libye n’a pas encore été levé». Ce qui inquiète encore le général Tentouch, c’est qu’un grand nombre de terroristes sont de nationalité tunisienne, car sur les 65.000 terroristes qui se trouvent à Sabrata, 5.000 sont Tunisiens. Mais l’important selon la majorité des intervenants, c’est l’urgence pour tous les pays de la région, notamment la Tunisie, pays le plus menacé par Daech, d’unir leurs efforts afin de lutter contre l’EI. Cela en sécurisant leurs frontières et en établissant une stratégie de lutte commune à travers une coordination tous azimuts, notamment dans le domaine du renseignement. D’où la nécessité de la création d’un centre de collecte d’informations sur l’identité et la nationalité des terroristes, sur l’armement ainsi que les moyens de communication dont ils disposent. Tout ça pour dire que de pareils grands reportages constituent un travail de mémoire où on filme, selon un angle précis, la réalité sur le terrain et à la source. Et où on propose également une variété d’interprétations et de points de vue qui ne peuvent qu’éclairer la lanterne des téléspectateurs et les changer, ainsi, de la facilité et du ronron des talk-shows. Qui ont recours aux mêmes invités, donc aux mêmes analyses redondantes et répétitives, frisant parfois le bavardage. Il est temps, donc, de voir, notamment la télé publique, revenir aux grands reportages qui figuraient, dans les années 90, dans les grilles de ses programmes. Car privilégier le terrain et la source de l’événement permet de rapporter des images prises sur le vif. D’autant que ce qui distingue la télévision des autres médias n’est autre que l’image.
S.D.

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