mardi 10 avril 2012

Temoignages

Jawhar Ben Mbarek, coordinateur de «Dostourna» : «L’interdiction de manifester à l’avenue Bourguiba ne justifie en rien l’utilisation de la violence»

«J’ai été tabassé à l’avenue Mohamed V et à l’avenue de Paris, puis les BOP m’ont arrêté avec plusieurs autres personnes et frappé dans le fourgon de police. Ils ont confisqué mon portable, puis se sont mis à me tabasser après avoir reçu l’ordre de me relâcher. Maintenant j’ai un œil au beurre noir et le bras fracturé.
Je vais porter plainte contre le ministre de l’Intérieur, j’ai le numéro de la voiture de police où j’ai été arrêté et tabassé non seulement par la police, mais également par des milices d’Ennahdha.
Je vous rappelle qu’il y a eu des blessés graves et on parle même du décès d’une jeune fille qui n’est pas confirmé. Mais je peux témoigner qu’un jeune de 20 ans prénommé Walid Ben Henda a été violemment tabassé et il est actuellement dans le coma suite à une hémorragie cérébrale. Et je peux en témoigner car je l’ai vu à la clinique Mohamed V où je me suis fais soigner».
Interrogé sur l’interdiction de manifester à l’avenue Habib Bourguiba, M. Jawhar Ben Mbarek explique: «Je vous rappelle premièrement que durant la journée du 14 janvier 2011 le pays était également sous l’état d’urgence et je rappelle deuxièmement au ministre de l’Intérieur, M. Ali Laârayedh, qu’il se trouve actuellement dans son bureau grâce à une manifestation non autorisée.
Troisièmement, j’affirme que le ministère de l’Intérieur n’a pas respecté les formes légales pour prendre sa décision parce qu’il fallait adopter une décision administrative écrite et motivée et surtout contre-signée par le Premier ministre, tel que le prévoit le règlement provisoire des pouvoirs publics adopté par la Constituante. Ce qui n’a pas été fait.
Quatrièmement, les motifs évoqués par la déclaration sont des motifs juridiquement bidon tout simplement parce que la limitation de la liberté ne peut arriver jusqu’au point d’interdire la liberté car les pouvoirs du ministre sont des pouvoirs de limitation de la liberté et non pas d’interdiction de la liberté. Il faut promulguer une loi, parce que le règlement provisoire des pouvoirs publics prévoit que tout texte privatif de liberté doit prendre la forme d’une loi.
Cinquièmement, l’argument majeur avancé pour interdire le droit de manifester à l’avenue Bourguiba a pour origine les problèmes qui ont surgi après le face à face entre les hommes de théâtre et des salafistes or il s’agit en l’occurrence d’une erreur monumentale du ministère de l’Intérieur. C’est donc à lui d’en assumer la responsabilité au lieu d’en faire porter le chapeau aux citoyens qui n’ont pas à assumer les erreurs du ministère de l’Intérieur.
Pour conclure, tout cela ne justifie en rien l’utilisation de la violence, car c’est là une violation manifeste des droits de l’Homme».


Abdelmajid Sahraoui, représentant de l’Ugtt à l’Union maghrébine : «Il faut qu’une enquête soit ouverte pour délimiter les responsabilités»
«Vers 11h00 j’étais devant le café «Le Parnasse» à l’avenue Habib-Bourguiba. Je croyais qu’après la révolution on pouvait fêter tranquillement la Journée des martyrs du 9-Avril, mais ce que j’ai vu comme violence de la part de la sûreté nationale m’a sidéré. J’étais avec le journaliste Hechmi Nouira qui était en train de filmer les événements quand un barbu que je connais comme étant un cadre d’Ennahdha à Tataouine, prétendant qu’il était le propriétaire des commerces de café, nous a interpellés, hurlant qu’il ne fallait pas filmer devant ses commerces. Lui rétorquant que le journaliste était libre de filmer, le gérant du café «Le Parnasse» et deux serveurs et un marchand ambulant de lunettes ont surgi et se sont acharnés sur nous en nous frappant sauvagement avec des coups de poing et de pied nous causant des fractures, moi une double fracture à la jambe et Hechmi Nouira au nez.
Voilà qui n’augure rien de bon. Maintenant, il est impératif que les partis et les membres de l’Assemblée constituante prennent une position ferme, et qu’une enquête soit ouverte pour délimiter les responsabilités de chacun dans l’utilisation d’une violence inouïe contre des manifestants pacifiques».
Interrogé sur l’interdiction de manifester à l’avenue Bourguiba, Abdelmajid Sahraoui répond : «Personne n’a le droit d’interdire de manifester à l’avenue Bourguiba où s’est déroulée la manifestation du 14 janvier qui a poussé à la fuite l’ancien président dictateur, nous n’allons pas permettre une nouvelle dictature. Je vous pose une question pourquoi les salafistes ne sont jamais touchés lors des manifestations, pourquoi les forces de l’ordre ne s’attaquent-ils qu’aux démocrates et aux jeunes qui ont fait la révolution, aux blessés de la révolution et aux chômeurs ? Pourquoi cette politique des deux poids deux mesures, il faut traiter tout le monde de la même manière et cesser d’utiliser la force et la violence contre des manifestants pacifiques, même à l’avenue Bourguiba».

Brahim Gassas (Constituant Pétition Populaire) : «L’avenue Bourguiba est le symbole de la réussite de la révolution»
«Nous étions à l’avenue Mohamed V pour fêter le 9 Avril avec des drapeaux et des fleurs, quand des Bop nous sont tombés dessus avec des bombes lacrymogènes, des matraques et des coups qui pleuvaient de partout.
Quand un agent de la Bop a donné un coup de poing à l’oeil d’un manifestant je lui ai crié : «Pourquoi tu fais ça?», Il m’a répondu : «Ce sont des instructions que j’ai reçues et qui vous visent vous personnellement.
Quand je me suis adressé à son supérieur hiérarchique ils l’ont mis à l’écart».
Interrogé sur l’interdiction de manifester à l’avenue Bourguiba il a déclaré : «Nous n’avons pas encore atteint l’avenue Bourguiba. Cette avenue appartient au peuple et elle symbolise la réussite de la révolution qui a poussé le président déchu à la fuite.
Les forces de l’ordre doivent être au service du peuple et non pas contre lui. Vraiment, nous ne sommes pas sortis de l’auberge . Tous les blessés vont coûter à l’Etat beaucoup d’argent qu’il aurait pu donner aux blessés et aux parents des martyrs de la révolution.
Cette limitation des libertés doit cesser sinon la révolution aura complètement échoué».
Auteur : Propos recueillis par Samira DAMI

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