mercredi 14 décembre 2011

Allocution de Moncek Marzouki- La société civile réagit

La société civile réagit
Comment les Tunisiens, en particulier les représentants des partis politiques et des différentes organisations et associations de la société civile, ont-ils réagi aux engagements annoncés par Dr Moncef Marzouki, nouveau président de la République, dans son allocution adressée, hier matin, au peuple tunisien ?
Et le terme «safirat» qu’il a utilisé, semblant prêter à confusion avec un autre terme dégradant, comment a-t-il été perçu ou saisi par nos élites ?
Réagissant à chaud, sitôt l’allocution présidentielle prononcée, La Presse a donné la parole à plusieurs animateurs du paysage politique national. Témoignages.

M. Mohamed Talbi (historien et penseur
musulman)

«Le terme Essafirat n’a pas de sens
péjoratif»


«J’ai un penchant pour le Dr Marzouki avec lequel j’ai milité au sein du Cnlt (Conseil national des libertés de Tunisie)
Je considère que c’est un homme honnête et je lui présente mes félicitations. Son discours a la fermeté nécessaire car on ne peut, dans la situation où se trouve notre pays, se livrer au pillage et à la destruction sous couvert de raisons louables.
Il faut que nous nous mettions au travail d’autant que nous avons un président honnête et un gouvernement désigné démocratiquement. Par conséquent, il faut leur faire confiance. Ce qui ne signifie pas un manque de vigilance et je suis sûr que M. Marzouki est le premier à accepter ce principe: confiance et vigilance.
Concernant le terme arabe «Essafirat», il n’a rien de péjoratif. Depuis Kacem Amin, le premier Egyptien qui a écrit en faveur de la promotion de la femme et notre Tahar Haddad, les mots «soufour» et «hidjab» sont entrés dans le vocabulaire arabe sans aucun sens péjoratif. Il ne faut pas faire de confusion entre «Essafira» et «El Fajira» (La dévergondée).
Le Dr Marzouki a utilisé un mot arabe commun dans le sens «ne pas porter le voile et aller à visage découvert». En revanche, “El Mounakkabat” est un terme nouveau et le président de la République a déclaré que les femmes ont le droit de porter le “Niqab” et je suis entièrement d’accord avec lui, car la liberté est indivisible et il faut respecter la loi tunisienne qui est valable pour tout le monde.
Mais, il faudrait aussi que les salafistes respectent le même principe. Or, c’est une secte particulièrement agressive qui devrait être, de son côté, respectueuse des libertés des autres comme nous sommes respectueux de leur liberté».

M. Noureddine Bhiri (Ennahdha)
«Une nouvelle étape s’annonce»

«L’allocution du président de la République élu, Dr Moncef Marzouki, annonce l’entrée de la Tunisie dans une nouvelle étape et la reconstruction de la vie politique nationale sur de nouveaux fondements empruntant la voie de la consécration d’une démocratie effective et consacrant l’égalité entre tous les Tunisiens et Tunisiennes devant la loi.
Idem pour la rupture définitive avec le despotisme, la corruption et la malversation.
Le nouveau gouvernement est appelé à mettre en place des mesures urgentes en vue de trouver des solutions appropriées à la situation économique et sociale déteriorée dans toutes les régions du pays.
Je souhaite, maintenant, plein succès au Dr Marzouki dans sa nouvelle mission et j’espère que la passation des pouvoirs entre le nouveau président et le président sortant constituera un pas sur le chemin de la concrétisation des objectifs de la révolution, en signe de fidélité et de reconnaissance aux martyrs qui ont payé de leur vie pour que notre pays accède à la liberté et à la dignit»é.
A propos du terme «Essafirat» «(les femmes non voilées) jugé déplacé par bon nombre d’observateurs et d’observatrices, Noureddine Bhiri estime que ce terme utilisé par le nouveau président dans son allocution n’a aucune connotation péjorative : «Le président insinuait que les Tunisiennes sont libres de se vêtir comme bon leur semble».

M. Taoufik Enneïfer, professeur universitaire de lettres arabes
«Une confusion déplacée»


Expliquant le mot ‘‘Essafirat’’, l’universitaire est catégorique : «Non, cela n’a pas un sens péjoratif, «El maraâtou essafirat» est le contraire de la femme voilée, c’est-à-dire celle qui montre son visage. On dit «safirat el chamsou aw el kamarou» autrement dit le soleil ou la lune s’est montré.
Je pense que les gens font une confusion avec «Essafila», la «dévergondée».

Mme Saïda Garache (avocate et militante des droits de l’Homme)
«J’aurais souhaité que le président s’adresse aux femmes en tant que citoyennes»

«J’ai été choquée par le terme «Essafirat» utilisé dans l’allocution du nouveau président, surtout venant d’un ancien militant des droits de l’Homme et ancien président de la Ltdh. Un défenseur des droits de l’Homme est censé savoir qu’il ne doit jamais faire de distinction entre les êtres humains en fonction de leur race, sexe habillement, nationalité ou appartenance religieuse.
Faire cette distinction entre les Tunisiennes en les classifiant entre intégralement voilées, voilées et non voilées, c’est les appréhender à travers leur appartenance religieuse qui se manifeste par leur habillement.
Dans la langue arabe, le terme «Essafira» désigne celle dont le visage est découvert, mais l’usage en est péjoratif parce qu’elle est mise en opposition avec celle qui est couverte et qui est considérée plus pure et moralement au-dessus de tout soupçon. On retourne là donc au rapport avec le corps et le malaise qu’il engendre dans notre culture. J’aurais souhaité qu’après la révolution, et étant donné son passé de militant dans le domaine des droits de l’Homme, que le nouveau président, qui maîtrise aussi bien l’arabe que le français, choisisse mieux ses termes en s’adressant à toutes les Tunisiennes en tant que citoyennes dans leurs différences sociales et économiques et non pas vestimentaires.
Surtout si l’on sait que la révolution a eu lieu contre le déséquilibre social et économique et pour l’égalité des chances sociales et économiques.
Cela aurait été plus cohérent et en symbiose avec l’esprit de la révolution de la dignité».

M. Mohamed Bennour (porte-parole d’Ettakatol)
«Une allocution fidèle aux principes du militant des droits de l’Homme»


«C’est un discours rassembleur dont les messages sont clairs pour toutes les catégories sociales et surtout les démunis. Les promesses d’être le garant de la démocratie et de l’Etat de droit sont rassurantes pour l’ensemble des familles politiques et pour l’ensemble des Tunisiens. Il a insisté sur les valeurs du respect des droits de l’Homme et sur son attachement à la déclaration universelle des droits de l’Homme.
Il a également mis l’accent sur la sauvegarde du Code du statut personnel (CSP), ainsi que sur la liberté des Tunisiens dans le choix de leur mode de vie et de leur façon de se vêtir.
Cette allocution a été fidèle aux principes du Dr Moncef Marzouki, le militant des droits de l’Homme.
Concernant le terme «Essafirat», je considère qu’il s’agit d’une maladresse «sémantique» qui prête à confusion.
Mais le connaissant personnellement, j’affirme que l’emploi de ce terme n’est nullement malintentionné et ne contredit point sa profonde considération pour la femme qu’il a toujours défendue dans son passé militant».

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