vendredi 23 décembre 2011

formation du gouvernement Jebali. Des Constituants et des ministres réagissent à chaud

Des ministres et des constituants réagissent
 Comment réagissez-vous à la composition du gouvernement annoncée par Hamadi Jebali? Comment évaluez-vous la déclaration du nouveau gouvernement et que pensez-vous de ses grandes orientations ? Considérez-vous que la femme est bien représentée au sein du gouvernement de la Troïka?
La Presse a posé, hier, ces trois questions à plusieurs parmi les membres de l’Assemblée nationale constituante, à l’issue de la présentation des ministres du gouvernement Jebali et de son programme économique et social. Témoignages.


Ahmed Ibrahim (PDM)
«Un gouvernement nettement dominé par Ennahdha»

«Malgré les efforts accomplis sous la pression de l’opinion publique, le gouvernement reste pléthorique. Il y a des départements de l’Economie, des Affaires étrangères qui se trouvent être flanqués de plusieurs secrétaires d’Etat.
Il y a excès d’émiettement entre ministres et secrétaires d’Etat. On aurait préféré un gouvernement plus resserré et plus ciblé.
Le discours est une suite de la déclaration d’intention incantatoire sans aucune précision sur les moyens que le gouvernement compte utiliser pour réaliser les vœux et promesses annoncés.
On s’attendait à ce que plus de deux mois après les élections, la coalition discutât réellement du contenu du programme. Mais il semble qu’ils ont passé le plus clair de leur temps à discuter de la répartition des postes ministériels.
Quant au discours du chef du gouvernement, on a l’impression qu’il s’agit d’une réforme de long terme afin qu’il y ait une date limite à ce gouvernement qui semble vouloir s’installer dans la durée.
La présence des femmes est infime, il est vrai, et le gouvernement s’avère nettement dominé par Ennahdha.
On a l’impression que la composition du gouvernement a obéi à des considérations politiciennes de partage des postes au détriment des urgences économiques et sociales».

Abdelwaheb El Heni (El Majd)
«On a favorisé les alliances familiales»

«C’est un gouvernement pléthorique alors que nous avons besoin d’un gouvernement resserré, la composition de ce gouvernement est prisonnière d’une logique de partage entre les différents courants et partenaires de la Troïka. Il y a des secrétaires d’Etat qui ne servent à rien. On se demande pourquoi le ministre des Affaires étrangères est flanqué de trois secrétaires d’Etat qui sont tous des novices.
Je pense que l’erreur fondamentale c’est d’avoir favorisé les alliances familiales dans la nomination des ministres: telle la nomination de Rafik Ben  Abdessalem, le gendre de Ghannouchi, à la tête du ministère des Affaires étrangères et de Mohamed Ben Salem, ministre de l’Agriculture, et de son gendre Slim Ben Hmidane aux Domaines de l’Etat et aux Affaires foncières, alors que nous avons besoin d’un gouvernement de compétences et non pas d’allégeance familiale qui rompt avec les mœurs de l’ancien régime.
Côté positif du discours du chef du gouvernorat, j’ai apprécié et retenu la phrase suivante : «Nous n’allons pas réparer l’injustice par l’injustice».
Le discours de M. Hamadi Jebali est  plutôt un catalogue de vœux que des mesures concrètes. J’aurais aimé qu’il soit axé sur trois ou quatre idées-forces et des décisions fortes structurant le manifeste du gouvernement.
Enfin, concernant la représentativité des femmes, je dirais que trois femmes ministres seulement après tous les débats au sein de la Haute Instance, c’est vraiment dérisoire. C’est là une sous-représentation de la femme».

Rafik Ben Abdessalem, ministre des Affaires étrangères
«Les liens familiaux n’ont pas joué»

«C’est  un gouvernement équilibré qu’attendent d’importantes missions. C’est une équipe de coalition complémentaire.
Certains ministères qui viennent d’être séparés n’existaient pas au sein du précédent gouvernement à l’instar du ministère de l’Environnement rattaché au département de l’Agriculture.
La composition du gouvernement répond aux besoins de la conjoncture actuelle.
Les ministres et secrétaires d’Etat ont été nommés sur la base de  leur compétence et de leur expérience et non sur la  base des alliances familiales comme certains le  prétendent.
Pour ma part, les liens familiaux n’ont pas joué, j’ai été nommé en  considération de ma spécialisation dans le domaine des relations internationales. Au sein du mouvement Ennahdha, nous entretenons de bonnes relations avec l’ensemble des pays du monde.
A propos de la présence de la femme dans ce gouvernement, je crois qu’elle est assez représentée, mais je reconnais qu’elle n’est pas à la hauteur des ambitions.
Je crois que la femme tunisienne mérite davantage de ministères que les trois qui lui ont été accordés.
Je considère même que  la femme est digne d’occuper le poste de chef de gouvernement et même de Présidente de la République dans la mesure où ses compétences le lui permettent largement».

Nadia Chaâbane (PDM)
«Un discours de campagne»

«On s’attendait à un gouvernement plus resserré que ça. Et là on se retrouve avec des ministres flanqués de secrétaires d’Etat et de ministres délégués auprès du chef du gouvernement, qui annonce l’installation de ce gouvernement dans la durée et non dans le provisoire avec un délai d’une année.
Le discours du chef du gouvernement relève d’un discours de campagne. Et encore ? Pour ma part, j’ai fait des discours de campagne plus étoffés sur la question économique avec des propositions plus concrètes. Je trouve ça léger.
On nous dit que le chômage va être résorbé par l’offre libyenne et arabe, mais moi j’attends l’offre tunisienne, en quoi elle consiste vraiment ? Ça me laisse sur ma faim. On nous a parlé également de la création de 20 à 25.000 emplois dans la Fonction publique, mais on ne nous dit pas cela correspond à quoi, en fait, et comment cela va être financé. Cela nous pousse à nous poser des questions alors que nous attendions des réponses sur les questions sociales et économiques.
On nous propose le renforcement du rôle des associations caritatives et le fonds d’«Ezzakat». Or cette manière de raisonner nous rappelle le 26-26. J’attends que l’Etat assume ses responsabilités auprès des catégories démunies et exclues, car on ne peut pas déléguer cela au tissu caritatif.
Concernant, enfin, la représentativité de la femme dans ce gouvernement, je dirais que sa sous-représentativité était prévisible, mais connaissant les ego des hommes et leur rapport au pouvoir, je m’attendais à cela».

Houcine Dimassi (ministre des Finances)
«Priorité absolue à l’emploi et à l’investissement»

«Je ne suis le remplaçant de personne. J’ai accepté la proposition qui m’a été soumise d’occuper le poste de ministre des Finances à la place de Khayam Turki, estimant avoir répondu au besoin de mon pays qui a grandement besoin à l’heure actuelle de toutes les compétences.
Le programme présenté dans le discours du chef du gouvernement expose les grandes lignes de la politique économique et sociale. Les détails du programme économique et social du gouvernement seront soumis ultérieurement à la Constituante pour discussion et adoption.
Le soutien de nos frères libyens et arabes et le prochain fonds d’Ezzakat peuvent nous aider à résorber le fléau du chômage. Dans son ensemble, le discours est appréciable dans la mesure où il a été axé sur les questions de développement, lequel demeure une priorité fondamentale pour le peuple qui a longuement souffert de la précarité.
L’investissement constitue la priorité absolue du gouvernement Jebali.
La consécration de la démocratie et le respect des libertés individuelles et collectives seront également au cœur de l’action du prochain gouvernement».

Mehdi Ben Gharbia (PDP)
«La politique est encore masculine»

«Je pense que le nombre de ministres et de secrétaires d’Etat formant ce gouvernement est exagéré. Mais on aurait pu être plus efficace en réduisant le plus possible la composition de ce gouvernement.
Le programme de M. Hamadi Jebali relève de la politique générale sans les outils d’application.
Exemple : on ne sait pas quels critères vont être retenus pour choisir les bénéficiaires des 50.000 nouveaux carnets de soins gratuits. Concernant le nombre réduit de ministres femmes dans ce gouvernement, il est vrai que la politique est encore masculine. On dirait que la loi sur la parité n’a pas d’effet dans ce gouvernement».

Noureddine Bhiri (ministre de la Justice)
«Pas de démocratie sans magistrats libres et indépendants»

«La composition du gouvernement n’est pas évaluée sur la base du nombre des ministres et des ministères mais bien sur celle des compétences des prochains responsables et des programmes qui seront mis en œuvre, ainsi que sur les besoins réels du pays. A preuve le nombre important de secrétaires d’Etat chargés des dossiers économiques.
En effet, beaucoup parmi ces nouveaux responsables sont des technocrates compétents qui jouissent d’une grande expérience dans l’administration tunisienne».
A propos des dossiers qui seront traités en priorité au ministère de la Justice, il a notamment souligné : «Nous nous attacherons à l’instauration d’un pouvoir judiciaire indépendant et à la mise en place d’une magistrature qui exercera ses fonctions en dehors de tout clientélisme, ingérence et pression.
La magistrature assurera les droits du justiciable. Il ne saurait y avoir de démocratie sans magistrats libres et indépendants.
L’affaire des martyrs de la révolution constitue une partie de la justice transitionnelle. Nous sommes déterminés à rendre justice à ceux qui ont été victimes de la tyrannie et du despotisme du régime déchu et à poursuivre, dans le cadre de la loi, les auteurs de ces abus loin de tout esprit de vindicte ou de vengeance.
Nous sommes attachés à instaurer la réconciliation nationale globale qui rompra définitivement avec le passé et ses injustices. Notre ambition suprême est de mettre en place les mécanismes permanents qui empêcheront à jamais le retour du despotisme, de la répression et de la corruption. Notre espoir, enfin, est de libérer les Tunisiens de toutes les entraves et d’avancer ensemble pour construire la Tunisie de demain qui appartient à tous les Tunisiens et les Tunisiennes sans distinction ni exclusion».

Moncef Ben Salem (ministre de l’Enseignement supérieur)

«Priorité aux étudiants privés de bourse à l’étranger»

«Le premier dossier que nous allons traiter  concerne les étudiants qui ont été privés de bourse sous le prétexte qu’ils en ont bénéficié par népotisme. Quelle est donc la faute de ces étudiants qui se retrouvent sans ressources à l’étranger».
Concernant l’affaire des «Mounakabet» (étudiantes porteuses de niqab) il a précisé : «Nous n’encourageons pas le port du niqab et nous ne le défendons pas. Nous allons inviter toutes les parties prenantes dans l’affaire du niqab à instaurer le dialogue et trouver une solution».
Maintenant, à propos de la représentation de la femme dans le gouvernement: il a reconnu qu’effectivement le nombre est très réduit et qu’il le déplore».

Khemaïs K’sila (Ettakatol)

«La femme demeure le parent pauvre de la politique tunisienne»

«Le nombre de ministres et secrétaires d’Etat, 41 en tout, ne me dérange pas. Mais, ce qui me pose problème, c’est l’absence de la femme, surtout qu’on a inauguré un code électoral qui se base sur la parité. Je m’attendais à ce que la femme, indépendamment de son appartenance, soit représentée et respectée».

M. Abdelfattah Mourou (conseiller juridique auprès du chef du gouvernement)
«Contre les économies de bouts de chandelle»

«C’est un discours global qui pèche par manque de détails mais il ne faut pas oublier les préoccupations et problèmes du pays.
La question du nombre des ministères est secondaire, ce gouvernement a besoin d’un grand nombre de ministères pour servir le pays qui en a grandement besoin.
Les priorités du gouvernement concerneront la lutte contre la pauvreté et la mise en place d’un nouveau pacte social.
Ce ne sont pas les salaires des ministres et secrétaires d’Etat qui affecteront l’économie du pays, mais ce sont les sit-in et grèves excessifs. Ce qu’il faut plutôt demander à ce gouvernement  ce n’est pas des économies de bouts de chandelle, mais de travailler sérieusement pour servir le pays d’autant qu’ils ont du pain sur la planche».

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