jeudi 8 décembre 2011

 La parole aux constituants
L’adoption hier de l’article sur la durée du mandat de la Constituante non limitée à une année (comme signé en septembre 2011) a suscité une polémique au sein du palais du Bardo entre partisans du nouveau texte et ceux attachés à la déclaration conclue par onze partis, dont Ennahdha et Ettakatol. D’autant qu’un amendement a été soumis exposant un ajout de six mois, justifié à chaque séance, a été rejeté.
La Presse a donné la parole aux constituants, qui ont commenté ce vote.
Témoignages.


Issam Chebbi (PDP) : «Une triste journée !»

«Ennahdha et Ettakatol ont signé la déclaration sur la période transitoire, la limitant à une année avec les neuf autres partis au mois de septembre dernier. Maintenant, ils renient leur engagement. Rappelons-leur cette promesse qu’ils n’ont pas tenue.
Cette position constitue une violation qualifiée de la démocratie. La Troïka sert, maintenant, uniquement ses intérêts aux dépens de ceux du peuple en se partageant les portefeuilles ministériels et en ignorant les graves problèmes dont souffrent l’ensemble des Tunisiens. Avec ce comportement-là, ils ont fait, malheureusement, preuve de leur incapacité à gouverner le pays qui a besoin d’une direction sage, loin de la logique des butins de guerre.
C’est le premier dérapage au détriment des objectifs de la révolution. Ghannouchi et Ben Jaâfar ont signé la déclaration limitant les travaux de la Constituante à une année, mais après avoir bénéficié des voix des citoyens, ils se sont rétractés et ont trahi leur engagement.
Aujourd’hui, ils ont voté en tant que partis et non en tant qu’élus. C’est vraiment une triste journée !»

M. Noureddine Bhiri (Ennahdha) : «Nous tenons toujours notre engagement moral»

«Nous sommes toujours attachés à notre engagement initial concernant la durée de l’élaboration de la Constitution fixée en principe à une année. 
Ceux qui ont voté aujourd’hui l’article 1 n’ont pas rejeté la durée indiquée qui ne peut être arrêtée en une seule journée de discussion. Ils ne se sont pas opposés à limiter la durée de la Constituante, surtout qu’il est possible d’intégrer cet article ailleurs dans la petite Constitution.
Le prolongement de la durée est possible. Nous nous  élevons contre ceux qui nous accusent à tort de ne pas avoir tenu nos engagements, ce qui donne une mauvaise image de ce qui se passe au sein de la Constituante. J’appelle à ce que les élus respectent la majorité, privilégient le dialogue et la concertation, d’autant que cette période commande la solidarité et le consensus de tous les partis».

Mme Nadia Chaâbane (PDM - France) : «Une intention inquiétante de faire durer les choses»

«Ce que je trouve quelque part inquiétant, c’est qu’Ennahdha et Ettakatol nous parlent de la suprématie de l’engagement moral et qu’ils soient tous partants pour une année. Or, quand il s’agit de passer à l’acte, il y a dérobade.
L’opposition a proposé un amendement dans le sens d’un engagement d’une année avec une possibilité de prolongement de six mois, si nécessité il y a, avec un vote aux 2/3
Les mêmes constituants qui, auparavant, ont signé la déclaration pour une année trahissent les électeurs en déroulant tout un discours sur l’engagement moral comme alternative. Comment les croire ?
Ce qui m’inquiète outre mesure, c’est que tout ça préfigure une intention de faire durer les choses plus longtemps, vu les suspensions de commissions, de séances, etc. Ce sont des signaux qui n’incitent pas à l’optimisme, surtout quand on voit le texte du projet : on découvre qu’il ne s’agit pas d’une petite Constitution.
Ce qui me pousse à m’interroger : va-t-on passer notre temps à légiférer où à donner la priorité, enfin, à la Constitution de la IIe République dans ce calendrier ?».

Fadhel Moussa (indépendant du Pôle) : «Si elle tient à son engagement moral, pourquoi Ennahdha a refusé l’amendement ?»

«J’ai voté l’amendement pour que le délai soit limité à une année avec un probable prolongement de six mois. Je suis l’auteur de cette proposition relative à cet ajout possible, à condition que le gouvernement justifie sa demande et arrive à convaincre l’Assemblée constituante.
Les élus d’Ennahdha affirment tenir leur engagement moral de limiter les travaux de la Constituante à une année, mais disent qu’on leur donne le temps pour pouvoir appliquer la petite Constitution et craignent que cela n’exige plus d’une année. Je leur pose alors la question : pourquoi n’ont-ils pas accepté cet amendement. Car on ne peut pas laisser le délai de clôture de la Constituante ouvert aux quatre vents. Sans aucune limite, d’autant qu’on ne peut demeurer indéfiniment dans l’esprit du provisoire. Mais si, comme vous dites, on compte intégrer cet article dans une autre loi, cela ne relève plus alors d’une discussion de fond, mais de principe».

Maître Mohamed Abbou (CPR) : «La crainte d’un vide constitutionnel»
«Nous sommes tenus par la période d’une année ou une année et demie pour rédiger la Constitution, cela ne nous dérange aucunement, mais on craint un vide juridique qui, en majorité, peut être causé par d’autres parties. Pour notre part, nous sommes prêts à travailler jour et nuit. Et si on dépasse une année, on pourra prolonger nos travaux jusqu’à une année et demie.
Nous avons refusé la proposition de l’amendement, car elle peut engendrer un vide constitutionnel.
Mais la porte reste ouverte et l’article en question peut être intégré ailleurs, même à la fin de la loi».

M. Ahmed Brahim (PDM) : «A la société civile de se mobiliser»
«La non-adoption de l’amendement de l’article 1 est le début d’un processus qui fait fi des engagements solennellement pris devant le peuple et dûment signé. Cela montre que, dans l’esprit d’Ennahdha et d’Ettakatol, ce n’est pas une Constituante qui a été élue, mais un véritable Parlement. Ils font mine d’oublier que les élections ont été convoquées pour rédiger une Constitution.
C’est là quelque chose d’extrêmement inquiétant contre laquelle la société civile dans son ensemble doit se mobiliser. Il n’est pas question d’accepter la confiscation de la volonté populaire.
Ils prétendent que leur engagement tient toujours et que c’est un engagement moral supérieur à la déclaration qui a été signée mais le fait de refuser toute limite montre qu’ils veulent avoir les mains libres pour imposer leur volonté.
A l’intérieur de la Constituante, le rapport de force étant ce qu’il est, il y a besoin urgent pour une mobilisation de la société civile afin de barrer la route à cette entreprise de confiscation».
Propos recueillis par Samira DAMI

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