vendredi 2 décembre 2011

Interview

M. Fethi Kharrat, directeur général des arts scéniques et des arts de l'audiovisuel au ministère de la Culture

«La palme des aides à la production est revenue à des premières œuvres de jeunes»

Les décisions de la Commission d’aide à la production cinématographique du ministère de la Culture ont suscité, comme toujours, des réactions colériques, une grosse polémique et tout un branle-bas de combat. Entre autres la publication d’un communiqué de l’Association des cinéastes tunisiens provisoire qui affiche son refus des résultats de la Commission et une manifestation bruyante, organisée, mercredi dernier, devant le siège du ministère de la Culture par quelques candidats ,réalisateurs et producteurs, dont les projets n’ont pas été retenus. Pourtant, cette année, comme pour fêter la révolution, la Commission a, pour la première fois dans son histoire, accordé des subventions à une quarantaine de films en tous genres. Pourquoi alors tout ce mécontentement ? Pour en savoir plus, nous avons posé à M. Fethi Kharrat, directeur général des arts scéniques et des arts audiovisuels au ministère de la Culture, les questions soulevées par les contestataires. Voici ses réponses.


L’ACT provisoire qui a participé à la nouvelle configuration de la Commission d’aide vous accuse de ne pas avoir suivi les recommandations élaborées, après la révolution, telles que la création d’une commission parallèle pour les premières œuvres et l’encouragement des jeunes qui réalisent leur premier long-métrage en leur donnant le maximum de chances de voir le jour. Qu’en dites-vous?
Sachez d’abord que pour la première fois dans l’histoire de la Commission d’aide à la production cinématographique, 41 projets de films, en tous genres, sur les 108 présentés ont obtenu une subvention. Et contrairement à ce qu’avancent certains, nous avons tenu compte des recommandations de l’ACT provisoire en ce qui concerne les jeunes et les premières œuvres, puisque la palme des aides à la production, soit 72%, est revenue à des premières œuvres dont plusieurs sont signées par de jeunes réalisateurs. Ainsi, sur les 14 projets de longs métrages qui ont été retenus par la commission, cinq sont des premières œuvres : Aziz Rouhou de Sonia Chamkhi, Houriya de Mehdi Hmili, Chajaratou El Massa de Adel El Boukri, Sam and Bad de Madih Belaïd, Mahdia, la ville miracle de Nacer Kasraoui. Côté aides à la finition sur les cinq octroyées quatre ont échu à des premiers longs métrages : Nesma de Houmeida Behi, Laânatou El Fosfat (La malédiction du phosphate) de Sami Tlili, Aïda et la révolution de Hend Boujemâa et Taher Cheriaâ à l’ombre du baobab de Mohamed Chellouf. Pour l’aide à l’écriture, une sur trois a été octroyée à un premier long métrage : Fawzi et Mostari de Najwa Slama.
Enfin, sur les 17 courts métrages ayant bénéficié d’une aide, 14 sont des premières œuvres. Vous voyez donc que nous n’avons point négligé les recommandations de l’ACT provisoire et que nous avons favorisé aussi bien les jeunes réalisateurs que les premières œuvres. Mais cela ne veut pas dire que nous avons négligé les aînés non plus, la commission ayant tenu compte des deux générations.

On vous reproche également de ne pas avoir respecté la liste des membres proposée par les différentes associations et de ne pas les avoir informés des changements qui ont eu lieu. Qu’en dites-vous?
Sachez que cette année les membres de la Commission d’aide n’ont pas été désignés par le ministre comme à l’accoutumée, mais proposés par les associations et les syndicats représentant la profession. L’ACT a été représentée par son président, Mohamed Aly Okbi, la Chambre syndicale des producteurs par Zouhaeir Mahjoub, les distributeurs, eux, ont été représentés par Lilia Charfi. Quant à l’association de la critique (Atpcc), son représentant Nacer Sardi n’a pas pu assister aux travaux de la Commission d’aide parce qu’il se trouvait en Iran, c’est là une défection de dernière minute. Enfin pour présider la commission d’aide à la production, les personnalités qui acceptent la proposition sont de plus en plus rares pour plusieurs raisons. Cette fois-ci les universitaires Rachida Triki et Mohamed Madiouni ont décliné la proposition, la première pour des raisons déontologiques, le deuxième parce qu’il était candidat à la Constituante. Tous deux se sont excusés. De plus, certains hésitent 36.000 fois avant de donner leur accord pour présider la Commission, vu les retombées et les problèmes causés à chaque fois par la proclamation des résultats, telles les contestations et protestations de candidats peu fair- play qui n’acceptent pas la règle du jeu. D’ailleurs plusieurs présidents précédents gardent un mauvais souvenir de cette expérience et je prends la responsabilité d’en citer au moins deux : MM. Ridha Najar et Abdelkader Marzouki.
Devant le refus de plusieurs personnalités indépendantes, nous avons été contraints de proposer la présidence de la Commission d’aide à M. Khaled Agrebi, le président de la Chambre syndicale des producteurs qui a été élu par ses pairs et qui a non seulement une légitimité, mais aussi une faculté d’appréciation et d’analyse ainsi qu’une connaissance du secteur et de ses partenaires. Je peux vous assurer qu’en tant que représentant du ministère de la Culture au sein de cette commission que nous avons travaillé de manière souple, transparente et démocratique.

Les protestataires vous reprochent de ne pas avoir appliqué la recommandation de convoquer les réalisateurs dont les projets ne font pas l’unanimité pour un entretien afin de leur donner la possibilité de défendre leur projet.
Nous n’avons pas pu le faire car les membres de la commission sont pratiquement des bénévoles qui ne sont pas totalement disponibles. Il faudrait, donc, revoir les textes qui régissent la Commission d’aide pour recruter des membres à plein temps afin qu’ils se consacrent entièrement aux travaux pendant des mois, car dans la configuration actuelle, ce sont des quasi- bénévoles qui ont leur propre travail et leurs engagements.

Quels sont les critères fixés par la commission pour l’octroi des aides?

Nous avons fixé plusieurs critères dont l’originalité du scénario, la qualité de la construction dramaturgique, la faisabilité du projet, la compétence du producteur, la pertinence du dossier de production et autres. Or, nous avons relevé que certains scénarios présentent des lacunes fréquentes, l’écriture sans images et le bavardage. Nous avons relevé un exemple frappant et représentatif : une seule réplique qui court sur trois pages. Ce qui est incompatible avec le cinéma. A relever aussi que certains producteurs ont présenté des projets de longs métrages alors qu’ils n’ont pas pu assurer la finalisation d’un court métrage pour lequel ils ont obtenu une aide à la production auparavant. D’autres ont présenté un premier projet de long métrage nécessitant une reconstitution historique amoindrissant la faisabilité du film. Enfin, certains ont reposé les mêmes scénarios, pour la deuxième fois, sans y apporter de grands changements. Toutes ces failles ont été prises en compte, car après tout il s’agit de l’argent du contribuable. La Commission d’aide est souveraine et peut prendre des décisions fondées sur l’expérience accumulée au niveau des rapports entre le ministère de la Culture et les producteurs. On sait, par exemple, qu’un producteur s’est spécialisé dans la production de films jamais diffusés, même dans le circuit culturel, et qu’il va jusqu’à interdire aux associations de les projeter devant le public qui a pourtant contribué à leur financement. Comment le ministère pourrait-il lui octroyer une autre subvention ?

Pourquoi n’envoyez-vous pas des lettres d’explications aux auteurs des projets refusés?

Nous avons tenté l’expérience, mais chaque réalisateur, comme tout autre artiste, a du mal à être convaincu des failles du scénario. On a, donc, jugé inutile de rentrer dans des polémiques stériles.

Enfin les contestataires reprochent à la commission d’avoir attribué les subventions aux mêmes cinéastes «officiels» de l’ancien régime et de Zaba alors que certains producteurs et cinéastes ayant obtenu des subventions ne remplissent pas les critères définis par les textes de loi. Enfin, l’ACT demande une dérogation spéciale pour les réalisateurs qui remplissent les critères d’éligibilité à l’obtention de l’aide à la production.
Alors tous les producteurs tunisiens sont des producteurs «officiels» parce qu’ils ont tous bénéficié de subventions auparavant.
Concernant les candidats qui ne remplissent pas soi-disant les critères d’éligibilité il faudrait apporter des preuves tangibles. Quant aux candidats dont les projets ont été refusés ils peuvent les redéposer, tel que le permet la loi, à condition d’y apporter les changements nécessaires.
 Propos recueillis par Samira DAMI

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