dimanche 24 février 2013

Entretien avec Jawhar Ben Mbarek, juriste, universitaire et militant de la société civile


"Je pense qu'on s'achemine vers l'article 19"

«La décision est entre les mains de Rached Ghannouchi qui tire toutes les ficelles»

Suite à la démission de Hamadi Jebali, la formation d’un nouveau gouvernement — avec ou sans lui — doit être avalisée par l’Assemblée nationale constituante (ANC). De la sorte et malgré toutes les précautions prises par Jebali et certains experts en droit constitutionnel, le débat glisse désormais vers le champ du droit constitutionnel et de l’organisation  provisoire des pouvoirs publics.
Deux articles de la petite Constitution, le 15 et le 19 en l’occurrence, se trouvent par la force des choses au cœur d’un débat technique mais incontournable.
Il s’agit en fait de savoir si le président de la République provisoire peut oui ou non charger une personnalité en dehors de la majorité relative à l’ANC pour former le nouveau gouvernement.
De même, les observateurs s’interrogent sur le vide juridique quant au délai de désignation du futur candidat à la primature.
Afin d’éclairer nos lecteurs, nous avons donné la parole à Jawhar Ben Mbarek, juriste, universitaire et militant de la société civile.

Après la démission de Hamadi Jebali, sommes-nous dans le cas de figure de l’article 15 ou de l’article 19 ?
Le président de la République a une marge de manœuvre pour choisir la configuration qu’il veut, car le règlement provisoire des pouvoirs publics n’évoque pas clairement le cas d’une démission du gouvernement. En fait se présentent deux hypothèses.
La première concerne l’article 15, mais qui évoque plutôt la formation du premier gouvernement Jebali.
La deuxième concerne l’article 19 où deux cas de figure sont possibles: celle d’une motion de censure qui aboutit à une démission évoquée dans l’alinéa trois. Dans ce cas, cela permet au président de la République de nommer la personne la plus apte et il n’est pas obligé de nommer une personnalité issue du parti qui a la majorité relative, c’est-à-dire qui a le plus de sièges à la Constituante.
Le deuxième cas de figure est évoqué par l’article 19, dans le dernier alinéa, qui traite de la question d’empêchement du chef du gouvernement, mais ne traite pas de démission.

Et si l’on se trouve dans la configuration de l’article 15 ?
A ce moment-là, le président nomme le candidat du parti détenant le plus de sièges à l’ANC, c’est-à-dire Ennahdha. Mais je pense que, vu les procédures prévues, le délai de 15 jours pour former le gouvernement, l’on s’acheminera vers l’article 19, surtout si l’on tient compte des conditions fixées par le Conseil de la choura d’Ennahdha qui a opté pour un gouvernement d’union nationale. Car peu de partis politiques s’engageront dans ce gouvernement, outre qu’Ennahdha ne prendra pas le risque politique majeur de former un gouvernement monocolore avec des partis satellitaires.
Par conséquent, l’on s’acheminera, dans les 20 jours qui suivent, après l’échec du premier candidat à former son gouvernement, vers l’article 19. D’autant qu’il existe un autre problème : le règlement ne prévoit pas un délai concernant la nomination, par le président de la République, d’un nouveau chef de gouvernement. Le président peut donc rester un jour, des semaines, des mois, voire indéfiniment, pour nommer un candidat.
A mon avis, la situation est la suivante : en cas de non-reconduction de Hamadi Jebali, le président de la République pourrait nommer dans les 3 ou 4 jours qui viennent le nouveau candidat d’Ennahdha qui entamera des tractations pour former son gouvernement et qui aboutiraient, selon moi, à un échec qui amènerait le président à appliquer l’article 19. Je pense que dans cette deuxième phase, il nommera Hamadi Jebali de nouveau.

Et si Hamadi Jebali est reconduit d’emblée ?
La reconduction de Hamadi Jebali reste une éventualité. Rien n’est exclu, les tractations continuent. Mais si Jebali est reconduit d’emblée, soit qu’il renonce à certaines de ses conditions, soit qu’Ennahdha doit revoir sa position concernant surtout les ministères de souveraineté auxquels elle devrait renoncer. Sinon, c’est l’échec qui se profile au bout du chemin.

Tout compte fait, est-ce que Jebali n’aurait pas dû soumettre directement sa proposition à l’ANC afin de créer une dynamique politique de reconfiguration de l’échiquier politique ?
Jebali n’a pas voulu prendre le risque d’être désavoué par l’ANC. Car il n’était pas certain que ses sympathisants à l’intérieur de son propre parti, estimés à une trentaine, allaient voter pour lui. Sans compter que les constituants d’El Wafa et d’El Aridha rejettent son initiative.
Je pense qu’il a bien manœuvré, quoiqu’il ait eu les mains liées, préférant démissionner que d’être désavoué par l’ANC.
D’autre part, il avait la possibilité de faire un remaniement ministériel sans se présenter devant l’ANC, mais cela aurait conduit à une crise et donc à une situation de blocage pour passer les lois. Sans compter que l’ANC peut présenter une motion de censure contre le chef du gouvernement qui sera démis de ses fonctions dans la semaine qui suit.

Ne pensez-vous pas que ce sont les radicaux qui cueilleront les fruits mûrs de cette crise ?
Bien évidemment. La décision est actuellement entre les mains du président d’Ennahdha, Rached Ghannouchi. C’est lui qui tire toutes les ficelles. Mais il faudrait qu’il y ait des concessions de part et d’autre aussi bien de Jebali que de Ghannouchi afin d’éviter l’échec et la radicalisation politique.
Propos recueillis par Samira DAMI

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