Rétrovision du 3 FEVRIER
L’enfance
voilée et volée
Que de
double discours ! Que d’hypocrisie ! Que de revirement ! C’était
là le lot des téléspectateurs qui était au rendez-vous de l’un des sujets
traités de l’émission Al Tassiaâ Massaan (9h00 du soir) sur Attounssia qui
a été consacrée à la venue du prédicateur koweitien Nabil Al Aouadi sous nos
cieux. Ce prédicateur wahhabite interdit de prêche dans son propre pays (et comme
ils sont devenus nombreux à envahir notre pays !) a débarqué chez nous
afin de donner des conférences religieuses et nous faire la leçon, comme si la
Tunisie d’Ezzitouna avait besoin de ces gens-là pour l’éducation religieuse de
ses citoyens. Mais le pire c’est que ledit cheikh était là pour semer à tous
vents ses idées obscurantistes, étrangères à notre Islam de tradition malékite modéré,
en nous gratifiant de son projet «Nour Yaktamel» (sic) (Lumière accomplie) qui
consiste à préconiser le port du voile pour les petites filles dés l’âge de 3
ans.
A cette
agression de l’enfance qu’on voile et qu’on vole tout le monde s’attendait à
une énergique condamnation de Sihem Badi, ministre de la femme et de la famille
et de l’enfance, qui a intervenu au cours de l’émission, mais que nenni
puisqu’on a eu droit a un discours politique partisan où elle défendait
l’indéfendable tout en déplaçant le problème vers «les dangers de la drogue,
d’internet, de la culture occidentale et tutti quanti» (sic). Or, quand on
attrape des dealers la main dans le sac on les arrête, idem pour ceux qui
abusent nos enfants sur internet, mais quand on voit des photos et des images
si parlantes montrant à Zarzis des visages voilés, dont certains carrément en
pleurs. Quand on voit l’innocence volée et qu’on ne lève pas le petit doigt pour
leur venir en aide pour les préserver,
les protéger de tout endoctrinement c’est, pour le moins, faire fi de toute
responsabilité en ne prenant aucune disposition légale. Mais la ministre le
peut-elle vraiment quand une telle personne aux prêches ridicules (celle
notamment contre Spongebob, personnage central d’un dessin animé américain) est
accueillie par le directeur du cabinet présidentiel, Imed Daimi en
personne ? Depuis quand un prédicateur invité par une association est-il
accueilli par un responsable de la présidence, lorsqu’ailleurs, en Arabie
Saoudite, c’est le délégué de Ryad qui a accueilli notre président fut-il
provisoire ?
Bref, la
ministre «confiante en la société tunisienne estime que cette réalité
tragique ne demande pas une intervention de sa part, mais qu’il faudra attendre
de mener un combat d’idées, de mettre en place un programme éducatif
outre la création d’une instance indépendante pour la protection de l’enfance,
mais pas question de renvoyer chez lui le prédicateur» (resic).Tout un
programme, donc, mais le temps qu’il voit le jour, si jamais il le voit, le
courant extrémiste et wahhabite aura fait son lit et emporté sur son passage tout
un modèle de société modérée.
Ainsi, les séquences
montrant ces prêcheurs faisant le tour de notre pays dans des convois
spectaculaires, grosses bagnoles précédés de motards, affichant la puissance de
l’argent, car de plus en plus tout s’achète et tout se vend, sont de plus en
plus fréquentes. Et laissent deviner une stratégie programmée de radicalisation
de la société, mais aussi de division et de discorde comme l’a observé Om Zied,
journaliste, activiste et présidente de l’association «Vigilance», sur le
plateau d’Ettassiaâ. Nabil Al Aouadi, qui n’en croyait pas lui-même ses yeux,
est venu chez nous sans crier gare, mais aussi sans visa, bien qu’il soit
porteur d’un projet obscurantiste, tandis que, affirme Om Zied, «moi-même et
d’autres personnes progressistes n’avons pu obtenir un visa pour le Koweït».
Pis, Chokri Belaid, secrétaire général du parti des Patriotes démocrates unifié,
s’est étonné que «ces prédicateurs de la discorde soient reçus à bras
ouverts alors que la militante palestinienne Leila Khaled et le secrétaire
général du Front démocratique de la libération de la Palestine, Nayef Hawatmeh,
n’ont pas été autorisés à entrer dans le pays ». Ainsi laisser ces prédicateurs radicaux
défiler sous nos cieux pour susciter la zizanie et la division dans le sombre
dessein de changer notre modèle de société modéré et tolérant «nous éloigne,
comme l’a affirmé Om Zied, de nos véritables problèmes et des réels objectifs
de la révolution».
De son côté cet autre
invité de l’émission, Abdelfettah Mourou, vice-président d’Ennahdha, ne savait
plus où donner de la tête, soutenant à la fois qu’en tant que savant ce
prêcheur était le bienvenue, mais que son projet de voiler les petites filles
en bas âge était contre la tradition. «Mieux», après l’émission A. Mourou s’est
empressé de préciser sur sa page facebook «qu’il n’était pas contre la venue
du cheikh, mais que certaines de ces Fatwa, dont on pourrait se passer, sont contraires
à la tradition islamique ». Double langage ? Faudrait-il rappeler
ici le discours tenu par le vice président d’Ennahdha au prédicateur wahhabite
Wajdi Ghnim, quand il a martelé : «Ce sont nos adversaires politiques, mais
nous ne devons pas afficher notre inimité, parce nous ciblons leurs enfants
et petits enfants qui sont entre nos mains, il ne faut pas brusquer les
choses mais plutôt attendre les prochaines générations qui seront séparées de
leurs parents par la pensée, puisque nous détenons tous les ministères
importants, l’éducation, la justice, la santé, l’enseignement supérieur, etc.» (sic).
Il s’agit donc d’une conquête des esprits par étape, mais, toujours selon
Mourou, : «l’étape suivante sera plus difficile,
car le pouvoir est entre nos mains et
nous risquons de nous amollir». Tout est dit. (Voir la vidéo sur le
net). Encore «mieux», 80 constituants de l’Assemblée constituante appartenant à
plusieurs partis ont signé une motion demandant le renvoi de Nabil Aouadi et
dénonçant cette agression ainsi que l’instrumentalisation des enfants à des
fins politiques, mais les députés d’Ennahdha s’y sont opposés.
Ainsi, la succession
de ces prédicateurs dans nos murs relève bel et bien d’une stratégie à long
terme qui, de surcroît, a la bénédiction du pouvoir en place, à preuve rien n’y
fit, ni les larmes des petites filles, ni le cri d’alarme de la société civile
et des forces progressistes, puisque cet individu continue, comme si de rien
n’était, à faire sa tournée de «conférencier», même à la mosquée de Carthage,
au nez et à la barbe de ceux qui, à quelques encablures de là, se sont
gargarisés, des décennies durant, de discours prônant la démocratie, la
tolérance et les des droits de l’Homme.
S.D.
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