dimanche 24 février 2013

Nizar Bahloul, Directeur de Business-News, condamné à 4 mois de prison ferme fait opposition


LES JOURNALISTES ET LE SYNDROME DE LA SANCTION PÉNALE  

Ce matin, Nizar Bahloul, directeur du journal électronique Business-News, fera opposition au jugement de quatre mois de prison ferme prononcé, par contumace, à son encontre par le tribunal de l’Ariana. Il a écopé de cette peine suite à la publication d’une chronique en juillet 2011 intitulée : «Que cherche à cacher le ministère des Affaires étrangères ?».
Dans cet article, le patron de Business-News s’est de nouveau focalisé sur une affaire ayant impliqué, en 2010, soit un an avant la révolution, l’ancien ambassadeur de Tunisie à Abu Dhabi, Ahmed Ben Mustapha, alors accusé  de malversation par le ministère des Affaires étrangères, soit le détournement des salaires de certains agents de l’ambassade.
L’ambassadeur, qui a été également accusé par le ministère des Affaires étrangère d’avoir gardé un téléphone portable appartenant à l’Etat, a été condamné à six ans de prison avant la révolution, et a été acquitté après le 14 janvier 2011.
«Voilà ce qui m’a incité, nous a déclaré Nizar Bahloul, à m’interroger, dans ma chronique sur les raisons du silence  du ministère des Affaires étrangères qui  n’a jamais fait appel contre cette décision judiciaire, ni pris de dispositions disciplinaires contre les salariés qui, théoriquement, ont porté une plainte calomnieuse contre l’ancien ambassadeur, lequel a donné une nouvelle version des faits accusant Abdelwaheb Abdallah, alors ministre des Affaires étrangères, et Jalila Trabelsi, sœur de l’épouse de Ben Ali, d’avoir monté cette affaire de toutes pièces sans apporter de preuves tangibles ?
Ahmed Ben Mustapha a exigé un droit de réponse que j’ai refusé de publier puisque les deux autres personnes accusées, A. Abdallah et J. Trabelsi, étant en prison, ne pouvaient avoir droit à la parole et se défendre, donc».
Bref, cette affaire a valu plusieurs procès au directeur du journal électronique, qui précise que «le premier article d’information la concernant s’est fondé sur des procès-verbaux judiciaires». Ajoutant : «Lors des trois procès intentés contre moi, Ahmed Ben Mustapha a été débouté sur la base du décret 115 (Code de la presse). Le dernier verdict prononcé en juin 2012 était en ma faveur, mais voilà que je viens d’apprendre que je suis condamné, en ce janvier 2013, à quatre mois de prison ferme, suite à une nouvelle plainte déposée contre moi par l’ancien ambassadeur de Ben Ali et à un procès dont je n’ai été ni informé, ni avisé. Cette condamnation par contumace a été prononcée sur la base de l’article 128 du Code pénal alors qu’il s’agit d’une affaire de presse qui relève du décret-115. Mais suite à l’opposition au jugement que je déposerai ce matin tout sera remis à plat».  

De la prison pour une opinion !
De son côté, Ahmed Ben Mustapha, dans une déclaration faite hier sur radio Express-FM, a affirmé que «la justice l’avait acquitté en février 2011, tout en précisant que cette affaire n’est qu’un complot ourdi par Abdelwaheb Abdallah en représailles à son refus de couvrir des opérations de transport frauduleux de devises par l’une des sœurs de Leïla Ben Ali». 
 Et de faire observer qu’au commencement, il voulait juste exercer son droit de réponse à l’article incriminé afin d’éclairer l’opinion publique sur ce qui s’est exactement passé à l’ambassade et ce n’est que devant le refus de la direction de publier ce droit de réponse qu’il a décidé de porter plainte pour publication d’informations relevant du secret d’instruction.Et d’accuser, également, Nizar Bahloul d’avoir refusé de reconnaître l’autorité d’une décision de justice censée avoir mis un terme définitif à cette affaire en tranchant en sa faveur par un non-lieu. 
Ahmed Ben Mustapha précise que «contrairement à la décision de renvoi, il a été prouvé que l’intégralité des salaires des trois salariés mentionnés a été virée à leur profit selon la loi dans leur compte bancaire privé, ce qui est confirmé par le témoignage du comptable public consigné dans le rapport d’enquête administrative».
Mais les questions qui s’imposent ici sont les suivantes : un journaliste doit-il être jugé selon le Code pénal et devrait-il faire de la prison pour ses opinions, voire pour le refus de publier un droit de réponse ou pour un délit de presse ? Afin de répondre à ces questions, nous avons donné la parole d’abord à M. Taïeb Zahar, président de l’Association des directeurs de journaux tunisiens, qui a affirmé avec insistance : «Il est évident que nous sommes contre toute condamnation pénale à l’encontre d’un journaliste, quel qu’il soit, rapportant des informations ou exprimant son opinion. A notre avis, il n’y a pas lieu de mettre en prison un journaliste pour ses idées. Cette affaire est étrange et incite à l’interrogation d’autant qu’il y a eu une série de procès ayant débouté l’ancien ambassadeur. Car Nizar Bahloul n’a fait  dans l’article incriminé que s’interroger sur l’absence de prise de position officielle et claire du ministère des Affaires étrangères. Mais cette condamnation à quatre mois de prison ferme par contumace du directeur de Business-News est pour le moins intempestive et inquiétante. Peut-être est-elle due au fait qu’il ne s’est pas présenté au tribunal, mais il affirme ne pas avoir  été prévenu.
Cette condamnation sur la base du Code pénal représente une pression supplémentaire sur la presse indépendante. Je dirais donc que Nizar Bahloul a tout notre soutien ainsi que celui des journalistes qui devrait être unanime. Car accepter qu’aujourd’hui un journaliste soit mis en prison pour ses écrits est en net déphasage avec la liberté de la presse acquise après la révolution».
De son côté, Zied El Héni, membre du Syndicat national des journalistes tunisiens (Snjt) est catégorique : «Notre position est claire. Nous dénonçons les peines de prison contre les journalistes dans les délits de presse. Car nous estimons qu’on peut recourir à d’autres types de sanctions, outre que les peines privatives. C’est pourquoi nous insistons sur la nécessité de la création d’une instance d’autorégulation pour la presse écrite. 
Le recours à un tel organisme dans le cas d’un différend opposant un journaliste ou un organe de presse à une autre personne,  est un  moyen qui pourait éviter l’examen de l’affaire par les tribunaux. Malheureusement, le décret 115 n’a pas prévu la création d’une instance d’autoréguation pour la presse écrite à l’instar de la Haica pour la presse audiovisuelle. 
Prenons exemple sur les pays démocratiques qui ne prévoient pas de peine de prison pour les délits de presse qui, dans ces contrées, sont en fait sanctionnées par des dédommagements et des amendes, outre la présentation d’excuses à la personne ayant porté plainte». Voilà qui est bien dit afin de parer au syndrome de la sanction pénale à l’encontre des journalistes.

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