lundi 30 janvier 2012

Tournage de Jeudi après-midi de Mohamed Damak

Vol au-dessus d’un nid de coucou

Vol au-dessus d’un nid de coucou
Dans une villa modeste sur les hauteurs paisibles de la cité Ennassr II, se déroulent des scènes de la vie quotidienne, mais aussi conjugale, sauf qu’il ne s’agit pas de réalité, mais de fiction. C’est là, en fait, que Mohamed Damak tourne, depuis le 14 janvier 2012, son troisième long métrage, Jeudi après-midi.
Les scènes se déroulent en intérieur-jour dans le décor d’un salon aux murs peints en mauve. La déco assez moderne est éclectique, canapé et fauteuils couverts de tissu marron, des bancs au tissu clair strié de vert, des tableaux de peinture sont accrochés aux murs, la télé est allumée sur Al Jazeera, un bureau au fond de la pièce fait face à une baie vitrée devant laquelle trône un fauteuil roulant. L’espace est encombré de matériels de prise de vue, entre projecteurs, caméras Red one et d’appoint Canon 5 D et de matériel de son, entre perche, mixett et enregistreur. Les techniciens de tous les départements s’activent, ça grouille comme une ruche, car on prépare le tournage d’une nouvelle scène. Cette effervescence n’est pas pour déranger, outre mesure, le réalisateur, assez cool, du moins en notre présence, barbe en bataille et béret vissé sur la tête. Bienvenue au monde du cinéma.


...Au bord de la crise de nerfs

L’action a lieu à la fin des années 2000 et se clôt durant l’année 2010. La scène à tourner se passe dans la maison de Monia (Sawssen Maâlej), la fille aînée de Mustapha (prof de maths), qui a épousé son collègue Brahim, malgré le refus de son père. Entre les cours particuliers qu’elle donne, la maison, les enfants et la construction de sa villa, elle est au bord de la crise de nerfs. La scène à tourner est un long et vif échange, en tête à tête, entre Mustapha (Fethi Heddaoui), désormais handicapé et dépendant, et son gendre Brahim (Mhedheb Remili).
«Allez, on répète la scène», lance le réalisateur. Les deux acteurs s’installent : Heddaoui, une minerve au cou et des pantoufles aux pieds, prend place dans le fauteuil roulant et couvre ses jambes d’une légère couverture de laine. Remili se met derrière le bureau. Pendant que les techniciens finissent de préparer la prise, peaufinant la lumière et le son, l’interprète de Sabots en or, Asfour Stah, Arab et autres qui a tant contribué au décollage du théâtre et du cinéma tunisiens, dans les années 1980 et 1990, est au seuil de la concentration. Il plaisante, comme à son habitude, en usant de l’accent égyptien, inventant des personnages à la limite de la caricature.
La répétition de la scène commence...Satisfait, après quelques essais, le réalisateur décide de la tourner ... Clap : 39/1A/ 1ère. Mais vigilant, il s’écrie : «Il y a un micro dans le champ». On y remédie, puis ce sont les mots magiques qui ouvrent les voies de la fiction. Le premier assistant-réalisateur, Mohamed Ajbouni, demande le silence : «Sket ! On arrête tout S.V.P !» «Silence! Moteur ! Action !», crie de son côté le réalisateur. La caméra fixe Mustapha qui sommeille paisiblement, la tête en arrière, soudain, il est réveillé en sursaut par le bruit du chantier que sa fille a entamé afin d’ajouter un étage à sa villa. D’une voix perçante, il hurle, presque: «Skhat» ! Autrement dit «Zut» ! Et d’ajouter : «Quand donc finira ce chantier ?». Les deux personnages, qui ne s’apprécient guère, se renvoient la balle du tac au tac... L’on comprend que Mustapha, veuf, sexagénaire, père de famille et grand-père aussi, ancien homme d’affaires, féroce et cynique en diable, est tombé en disgrâce, subissant la vengeance du clan au pouvoir, en raison de certains propos critiques ayant visé l’ancienne épouse du président déchu. Dans la foulée, il est victime d’un accident de la route suspect et non encore élucidé. Son gendre qui a fait de la prison, parce que opposant au régime, est encore sans emploi, personne ne se risquant à l’employer malgré les multiples interventions de son beau-père. Pourtant, le gendre, occupé soi-disant à écrire sa thèse en mathématiques, estime que le régime n’en a plus pour longtemps. Mustapha le raille, lui rappelant que déjà, 10 ans plus tôt, il affirmait la même chose... Les prises de vue sont coupées par des omissions de texte de la part des acteurs, ou l’appel à la prière montant des haut-parleurs de la mosquée, toute proche ou encore le bruit provoqué par le passage d’un avion ou, enfin, à la demande du metteur en scène, satisfait du résultat.

Sons, lumières et partis pris

Maintenant, place à la scène du téléphone avec Monia. Sawssen Maâlej, qui incarne le personnage, est prête, après un passage au département maquillage (Fatma Jaziri et Fatma Abassi) et costume ( Nedra Gribaâ et Ghandi). Droite et raide dans son tablier de cuisine, elle se tient debout près de la télé. Le directeur photo, Mohamed Maghraoui, s’approche de l’actrice et mesure la lumière, «Il n’y a pas d’effet pour cette scène», décrète-t-il. Nous expliquant plus tard les partis pris de l’image et de l’éclairage, le directeur photo étaye : «On s’est mis d’accord avec le réalisateur sur la conception et la texture de la lumière et de l’image. Vu que le film ne manque pas de cynisme et d’humour noir, l’éclairage est du style clair-obscur, les intérieurs sont monochromes et les extérieurs virent au gris-bleu. En fait, l’image est très contrastée, afin d’exprimer l’humeur sombre et taciturne des personnages».L’équipe est, maintenant, prête à tourner; le réalisateur demande une entrée de champ du personnage : Clap 66/1/ 1ère, Action ! Monia parle au téléphone : «Oui Taïeb, Sirroco, Sirroco? (Ndlr : il s’agit d’une marque de voiture) L’idiote... viens, viens Taïeb, je suis à la maison, je t’attends...». «Coupez ! On refait une autre prise puis tu sors du champ», annonce le réalisateur à l’actrice. L’ingénieur son, Moncef Taleb, demande le silence pour enregistrer les bruits de pas de Monia avec talon. Exécution. «Maintenant on recommence, mais avec des pas plus agités», ajoute-t-il. Concernant le type de son choisi, l’ingénieur indique que «le travail sur le son se fera surtout dans la postproduction, notamment le son de la télé et des sonneries de téléphone. A chaque personnage, par exemple, sa sonnerie, selon sa psychologie. En général, le son exprimera une dominante, celle de l’enfermement».

Plan-séquence d’une scène de la vie conjugale
Maintenant que les scènes sont dans la boîte, le réalisateur annonce une pause-déjeûner... De retour sur le plateau, l’équipe technique entame la préparation du tournage d’un plan-séquence qui se focalise sur une scène de la vie conjugale où Monia et Brahim se déchirent «allègrement» jusqu’à sombrer dans la violence. La préparation, entre éclairage et son, est méticuleuse et nécessite du temps, on dégage le champ, la caméra portée suit les protagonistes sous l’œil attentif de Mohamed Damak. Ça répète beaucoup avant que ça ne tourne. Nous quittons le plateau en compagnie de la productrice, Najwa Slama, qui nous expose les conditions de production difficile : « J’attends toujours la première tranche de l’aide à la production du ministère de la Culture, comptabilisée sur le budget 2012. Après plus de deux semaines de tournage, je me débrouille avec les moyens du bord, soit un crédit bancaire et l’apport de la société de production Digipro, en attendant le reste (voir déclarations)». Le dernier clap de Jeudi après-midi est prévu dans trois semaines. D’ici là, les subventions arriveront peut-être afin que la postproduction soit entamée à temps, le souhait de la productrice étant de participer avec cet opus aux prochaines Journées cinématographiques de Carthage (JCC 2012). Bon vent !
Samira DAMI
Synopsis
Mustapha, un homme d’affaires sexagénaire, est victime d’un accident de la route qui le plonge dans un coma profond.
Autour de lui, ses enfants s’agitent. Chacun vit la situation à sa manière, mais aucun ne peut réellement s’occuper de lui lors de sa longue convalescence.
Monia qui a un besoin pressent de liquidités, s’épuise à donner des cours particuliers et contracte des prêts un peu partout. Taïeb, spécialiste quand il s’agit de monter des affaires ratées d’avance, qui mène un rythme de vie largement au-dessus de ses moyens et qui a de plus en plus mal à gérer sa vie de couple. Hinda, sentimentale et fragile, s’inquiète des lubies de son mari qui verse dans le mysticisme. Et le plus jeune, Mokhtar, artiste idéaliste, qui vit d’illusions...
C’est Zohra, une infirmière qui va s’occuper de Mustapha. Seuls dans la grande maison, où surgit de temps en temps la vieille Saïda, gardienne de la mémoire de la défunte épouse de Mustapha, Zohra et Mustapha vont se livrer à un curieux manège...
Mustapha est séduit, amoureux même, alors que Zohra reste lointaine. Ses absences répétées les jeudis, après-midi, nourrissent le mystère autour de sa grande tristesse...
L’attachement de Mustapha et l’attention particulière dont il commence à entourer Zohra, provoquent l’inquiétude de Monia et de Taïeb. Ils veulent se débarrasser d’elle...
Zohra leur résiste pourtant et continue à ne prêter aucune importance à l’argent de Mustapha. Elle semble motivée par autre chose...
C’est la vie de Taïeb et Monia qui devient difficile. Les deux se retrouvent en instance de divorce et Taïeb se voit intenter un procès par une banque...
Les enfants reviennent à la maison. Mustapha a du mal à gérer la situation

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