Retro 14 janvier
Une main mise médiatique révolu
Les médias et les dernières nominations à la tête des entreprises publiques étaient à la une des journaux télévisés des radios et satellitaires locales et de certaines émissions de débats des chaînes privés. On s’attendait à un grand débat sur cette question sur El Watanya1 ou 2, mais rien de tout cela n’a eu lieu. Au fait, où sont passés les débats sur les télés publiques ? Nous les avons perdus de vue. On ne comprend vraiment pas les raisons de cette ellipse ou alors faudrait-il comprendre que la chape de plomb plane de nouveau sur la télé publique. Qu’on ne nous dise pas que c’est le retour à l’ère du silence, de l’autocensure et de la censure. Car, c’est ce que redoutent le plus pratiquement tous les journalistes qui ont répondu à l’appel de leur syndicat afin de manifester devant le premier ministère pour la liberté de la presse, contre les agressions subies, de plus en plus fréquemment par les journalistes, le dernier en date à avoir été victime d’une agression verbale et physique étant Sofiane Ben Hmida, enfin contre les désignations de responsables à la tête des rédactions des médias publics, une incroyable et sidérante première et un pas que même l’ancien régime n’a jamais osé franchir.
C’est donc pour prévenir la remise sous tutelle des médias que les journalistes se sont insurgés craignant le retour d’une information verticale qui ne ferait que dérouler les activités du gouvernement tout en énumérant ses qualités. Or, on le sait, ce n’est pas là le rôle attendu par les citoyens de la part des médias dans une vraie démocratie. Ils souhaiteraient plutôt qu’on parle de leurs problèmes et préoccupations avant toute chose, et cela en toute liberté et objectivité. La méprise c’est que l’on ait, volontairement ou pas, voulu rééditer le même schéma faisant des médias publics des organes d’information assujettis au gouvernement, autrement dit de simples courroies de transmission des activités et programmes du gouvernement, voire de simples outils de propagande, sans grande possibilité d’évaluation objective ou de critiques. Ce que l’on croyait révolu après la révolution.
N’a-t-on pas encore compris que les journalistes des médias écrits et audiovisuels sont assez grands pour faire leur travail comme l’exige la profession en toute liberté et objectivité, sans calcul, ni autocensure ? Car, ne voilà- t-il pas que tout le monde veut leur donner des leçons de journalisme et de hiérarchisation de l’information, comme l’a fait à titre d’exemple, Rached Ghannouchi, mercredi dernier, sur Hannibal-TV. Si le gouvernement et certains des partisans de la Troïka ne comprennent pas cela c’est alors là un manquement à la liberté et à l’indépendance de la presse qu’ils disent pourtant vouloir inscrire dans la Constitution. Certes, les médias publics et privés peuvent parfois se tromper, déraper, dévier du chemin. Qui les avertira et attirera leur attention ? Sinon la très attendue Haute instance de contrôle des médias publics et privés. Mais de là à ce que certains prennent l’initiative de corriger eux-mêmes en leur donnant soit des leçons de journalisme, soit des coups de pieds et de poings, voilà qui est inadmissible et n’augure rien de bon ni pour la profession ni pour la démocratie.
D’ailleurs, toutes ces agressions ne peuvent être passées sous silence, elles doivent être dénoncées par les politiques et la société civile et portées devant la justice. Car, même du temps de Ben Ali, aucun partisan n’a osé tabasser un journaliste parce que ses propos ou écrits lui ont déplu. Ce qui se passe actuellement relève de l’inédit et du jamais vu laissant craindre d’autres dérapages si personne ni aucune partie, tels que le gouvernement, l’Assemblée constituante, les formations politiques et syndicales ainsi que la société civile ne font rien pour rejeter ces attaques perpétrées contre ur notre pays au moment où il vient de fêter le premier anniversaire de l’accomplissement de sa révolution ? Espérons que non. A moins qu’on n’ait pas compris que le retour au totalitarisme médiatique ou au totalitarisme tout court est bel et bien révolu.
Le téléspectateur a supporté, dimanche dernier, pendant de longues minutes la polémique qui a traversé de part en part l’une des rubriques de Bila Moujamala sur Hannibal-TV. L’objet de la controverse n’était autre que la nouvelle pièce de Fadhel Jaziri, une adaptation de Sahib El Himar de Ezzeddine Madani, programmé à l’ouverture des JTC à la coupole olympique d’El Menzah. Que ce soit les témoignages des spectateurs pour la plupart des spectateurs, des journalistes et surtout des professionnels ou les chroniqueurs sur le plateau, tous se sont accordés à dire qu’ils n’ont pratiquement rien entendu des dialogues, inaudibles pour de multiples raisons dont la contestation bruyante d’une partie du public présent.
On ne comprend pas alors comment tout ce beau monde a pu réellement juger cette pièce inaudible, la plupart la qualifiant de complètement «ratée » et certains, très rare d’ailleurs, tel Lotfi Laâmari de «première œuvre théâtrale digne de ce nom sur la révolution». Bref, on a eu droit à la totale : ceux qui ont qualifié Jaziri de «Has been» ou «d’Homme du passé», de « privilégié puisqu’il peut obtenir toutes les subventions conséquentes qu’il souhaite », « de s’être trop éloigné du texte de Madani », de « se moquer du monde en se permettant une sono pareille », « d’avoir monté une pièce qui distille l’ennui » et nous en passons. On vous épargne les répliques des comédiens et du metteur en scène lui-même qui, ça tombe sous le sens, se sont défendus, bec et ongles, de toutes ces « accusations venus d’envieux incapables de les égaler » (sic). Voilà le genre de débat et d’échanges sibyllins que nous promettent encore et encore certains professionnels de la scène théâtrale. La meilleure, la plus prétentieuse de toutes ces répliques est celle lancée, sur le plateau, par le comédien principal du spectacle quand il nous asséna que « Le texte de la nouvelle pièce est plus poétique que celui de Madani ». Se peut-il ? Est-ce ainsi qu’on remercie l’auteur de «Sahib El Himar» qui n’a pas apprécié l’adaptation puisqu’il a, selon l’un des intervenants, quitté le lieu de représentation bien avant la fin. Est-ce une raison pour lui répondre de la sorte, libre à lui après tout. Pourquoi ce protagoniste n’a-t-il pas laissé à la critique de juger si l’adaptation de Jaziri est plus poétique. Mais, il est vrai que, quand, de plus en plus, les protagonistes des productions se substituent à la critique et s’érigent, à la fois, en juges et parties, pour justifier le coût de leur production et le montant des subventions octroyées. Ce qu’on a vu, en fait ce soir là sur le plateau de Bila Moujamala c’était une guerre déclarée dont l’enjeu n’était autre que l’argent et ces fameuses aides qui faussent le jeu et plombent l’atmosphère. Car, de plus en plus, certains parmi les gens de la profession, entre jeunes et moins jeunes, estiment que ses subventions vont pratiquement dans l’escarcelle des mêmes personnes parfois sur un simple coup de fil. L’argent encore et toujours, c’est là le nœud Gordien. Mais, tout le long de l’émission, l’animateur a parlé de «Mouamara» (sic), autrement dit de complot et personne n’a su nous dire pourquoi ces «Intrus » sont venus parasiter le spectacle de Jaziri. Pourtant les auteurs du boucan ont annoncé ce mouvement de protestation : ce sont quelques protagonistes du film Thalathoun qui, ont-ils dit, «n’ont pas été payés».
Du côté des chroniqueurs ce n’était guère mieux : Laâmari a fini par se fâcher quand Hbib Jgham a osé contredire et l’interrompre, trois petites secondes. Encore une bataille larvée ! Mais ce n’est pas la première fois que ça arrive entre les deux hommes. Or, justement cela commence à bien faire et à peser cette susceptibilité, voire animosité par trop visible, qui crée de la tension sur le plateau et agace le téléspectateur qui ne comprend pas pourquoi aucun des deux chroniqueurs ne souffre que l’autre le coupe, comme s’il s’agissait pour chacun de réciter sa réplique, sans qu’il y ait un véritable échange et dialogue entre les débatteurs. «Mieux», on ne comprend pas pourquoi Laâmari crie, de plus en plus fort, croyant peut-être, comme plusieurs, que plus on hausse le ton plus on a raison et mieux on peut convaincre. Mais, au contraire, ce ton docte et criard, utilisé quand on croit posséder la vérité est déplaisant et irritant. Et on pourrait s’en passer, tant on aimerait couper, une fois à la maison, avec l’intonation criarde des slogans. Pourtant, ce que l’on attend d’une émission où l’on débat de questions, notamment culturelles, c’est tout simplement un échange plus détendu, plus civique, sur un ton plus amène. Le tout animé sur fond d’humour léger, bien sûr, et non point balourd, comme c’est souvent le cas.
S.D.
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