jeudi 21 mai 2015

Actualités : Monde

68e festival international de Cannes

Quand passe le temps !

De notre envoyée spéciale, à Cannes, Samira DAMI
Deux grands films, l’un italien et l’autre chinois, ont marqué la journée du mercredi sur la croisette, «Youth» de Paolo Sorrentino et «Mountains May Depart» de Jia Zhang-Ke. Tous deux se particularisent par leur force créative et inventive et une réflexion profonde sur le passage du temps.
«Youth» est le septième long métrage de Sorrentino, qui a déjà conquis la Croisette en 2008 avec «El Divo» en remportant le prix du jury. Dans la continuité de «La Grande Belleza», son précédent opus, où il proposait une réflexion sur la vie et la mort, «Youth» ou «Jeunesse» met en scène deux vieux amis quasi octogénaires, Fred (Michail Cane) et Mick (Harvey Keitel) qui profitent de leurs vacances dans un hôtel avec spa, en Suisse. Fred, compositeur et chef d’orchestre à la retraite, n’a aucune intention ni envie de revenir à la carrière musicale qu’il a abandonnée depuis longtemps, tandis que Mick, réalisateur, travaille toujours sur l’écriture d’un scénario, sorte de testament artistique. Les deux amis décident de faire face, ensemble, à leur avenir. Mais pas seulement, car les deux personnages,si attachants, remontent le temps, avec humour et espièglerie, en évoquant leur passé avec plus ou moins de sincérité, préférant parfois le mensonge à la vérité ou prétextant parfois l’oubli et les tours que leur joue la mémoire. Ces protagonistes sont entourés d’une multitude d’autres, entre vieux et jeunes, des acteurs, des scénaristes qui coécrivent le scénario avec Mick, des couples en crise, un alpiniste, des saltimbanques, un moine bouddhiste ou le Dalaï Lama en quête de lévitation, Lena, la fille de Fred quittée par son mari, et même un personnage parodiant, l’ancien footballeur argentin Maradona, enfin une Miss Univers évanescente et divine. Le film, qui se déroule en huis clos, décline, donc, une palette de personnages qu’utilisent Sorrentino pour tisser des situations, entre éléments anecdotiques et réflexions universelles, sur le passage du temps, les amours perdus, l’obsession du jeunisme et le temps qui reste à vivre. Le film décline, également, une réflexion sur la réalité représentée ou sublimée par l’art, l’avenir de l’humanité et de l’art. La musique et le cinéma incarnent l’art dans cette œuvre, en opposition au trash, à la télé poubelle… En fait, seules les émotions restent, que ce soit dans la vie ou dans l’art, nous dit le cinéaste. Ainsi, au fil des scènes d’une grande beauté esthétique, même si une partie de la critique internationale les trouve esthétisantes, le réalisateur sculpte sa matière pour générer du grand cinéma. Tels ces plans représentant Fred immergé dans l’eau à Venise ou Mick qui voit surgir dans un pré, où paissent des vaches, tous les personnages de ses anciens films, la scène finale incarne un grand moment de cinéma et de musique. Mieux, cette comédie dramatique où se bousculent les sentiments et ressentiments est admirablement interprétée par trois grands acteurs américains voit Michael Cane, Harvey Keitel et Jane Fonda qui apparaît dans un sublime numéro d’acteur. «Youth», tout autant que «Mia Madre», a de fortes chance de figurer au palmarès que ce soit pour le prix de la mise en scène ou pour la Palme d’Or.

Perte d’identité et de valeurs 
Le film chinois «Mountains May Depart» a aussi conquis le public cannois avec un film qui traite également du passage du temps, entre passé, présent et avenir, qui est si nécessaire à la compréhension des sentiments. Jia Zhang-Ke met en scène l’histoire de Tao, «une jeune fille de Fenyangdans, la Chine de 1999, qui est courtisée par ses deux amis d’enfance, Zang et Liang. Zang, propriétaire d’une station-service, se destine à un avenir prometteur tandis que Liang travaille dans une mine de charbon. Le cœur entre les deux hommes, Tao va devoir faire un choix qui scellera le reste de sa vie et de celle de son futur fils, Dollar. Sur un quart de siècle, entre une Chine en profonde mutation et l’Australie comme promesse d’une vie meilleure, les espoirs, les amours et les désillusions de ces personnages face à leur destin».
Le film se déroule en trois parties, la première déjantée et romantique traite du choix de Tao, sur fond des mutations économiques profondes que connaît la Chine. Car le mode de vie des individus a profondément changé, l’argent et le gain étant devenus au centre de la vie, au point que Zhang a prénommé son fils Dollar, la deuxième partie dramatique évoque la séparation et la déchirure, car Tao ne verra pratiquement plus son fils, le père ayant obtenu la garde après le divorce, enfin la troisième traite du déracinement et de la rupture avec le pays, Dollar et son père ayant émigré en Australie. L’auteur de «The Touch of sin», en compétition il y a deux ans à Cannes, déplore la perte de l’identité, Dollar est perdu, il ne parle plus que l’anglais et a un vague souvenir de sa mère et ne communique avec son père qu’à travers les traductions de Google, il dénonce, en raison de la mondialisation, la perte des valeurs humaines et la rapacité des individus désormais sous l’emprise totale de l’argent. Seule Tao, enracinée dans sa province, représente les racines, l’identité et les valeurs de la Chine profonde et d’un mode de vie humain et équilibré. Dollar, déstabilisé, veut quitter ses études et pense retourner à la maison dont il a les clés que sa mère lui a données quand il avait 7 ans. Mais ce n’est pas facile pour lui. Retrouvera-t-il enfin sa génitrice ?
Ce film dramatique, teinté d’humour, est également habité par le cinéma à travers des plans d’une grande inventivité. Telles ces scènes où une marée humaine forme comme des vagues, celle du mariage ou encore la scène finale où Tao danse sur une chanson cantonaise qui a bercé sa jeunesse et qui traverse toute l’œuvre. Le tout est couronné par un jeu d’une grande maîtrise, notamment, de l’actrice principale Zhao Tao. Voilà un film qui pourrait également figurer au palmarès de cette édition. Le jury avec autant de bons films aura bien du pain sur la planche.

Actualités : Monde

68e festival international de Cannes

Quand passe le temps !

De notre envoyée spéciale, à Cannes, Samira DAMI
Deux grands films, l’un italien et l’autre chinois, ont marqué la journée du mercredi sur la croisette, «Youth» de Paolo Sorrentino et «Mountains May Depart» de Jia Zhang-Ke. Tous deux se particularisent par leur force créative et inventive et une réflexion profonde sur le passage du temps.
«Youth» est le septième long métrage de Sorrentino, qui a déjà conquis la Croisette en 2008 avec «El Divo» en remportant le prix du jury. Dans la continuité de «La Grande Belleza», son précédent opus, où il proposait une réflexion sur la vie et la mort, «Youth» ou «Jeunesse» met en scène deux vieux amis quasi octogénaires, Fred (Michail Cane) et Mick (Harvey Keitel) qui profitent de leurs vacances dans un hôtel avec spa, en Suisse. Fred, compositeur et chef d’orchestre à la retraite, n’a aucune intention ni envie de revenir à la carrière musicale qu’il a abandonnée depuis longtemps, tandis que Mick, réalisateur, travaille toujours sur l’écriture d’un scénario, sorte de testament artistique. Les deux amis décident de faire face, ensemble, à leur avenir. Mais pas seulement, car les deux personnages,si attachants, remontent le temps, avec humour et espièglerie, en évoquant leur passé avec plus ou moins de sincérité, préférant parfois le mensonge à la vérité ou prétextant parfois l’oubli et les tours que leur joue la mémoire. Ces protagonistes sont entourés d’une multitude d’autres, entre vieux et jeunes, des acteurs, des scénaristes qui coécrivent le scénario avec Mick, des couples en crise, un alpiniste, des saltimbanques, un moine bouddhiste ou le Dalaï Lama en quête de lévitation, Lena, la fille de Fred quittée par son mari, et même un personnage parodiant, l’ancien footballeur argentin Maradona, enfin une Miss Univers évanescente et divine. Le film, qui se déroule en huis clos, décline, donc, une palette de personnages qu’utilisent Sorrentino pour tisser des situations, entre éléments anecdotiques et réflexions universelles, sur le passage du temps, les amours perdus, l’obsession du jeunisme et le temps qui reste à vivre. Le film décline, également, une réflexion sur la réalité représentée ou sublimée par l’art, l’avenir de l’humanité et de l’art. La musique et le cinéma incarnent l’art dans cette œuvre, en opposition au trash, à la télé poubelle… En fait, seules les émotions restent, que ce soit dans la vie ou dans l’art, nous dit le cinéaste. Ainsi, au fil des scènes d’une grande beauté esthétique, même si une partie de la critique internationale les trouve esthétisantes, le réalisateur sculpte sa matière pour générer du grand cinéma. Tels ces plans représentant Fred immergé dans l’eau à Venise ou Mick qui voit surgir dans un pré, où paissent des vaches, tous les personnages de ses anciens films, la scène finale incarne un grand moment de cinéma et de musique. Mieux, cette comédie dramatique où se bousculent les sentiments et ressentiments est admirablement interprétée par trois grands acteurs américains voit Michael Cane, Harvey Keitel et Jane Fonda qui apparaît dans un sublime numéro d’acteur. «Youth», tout autant que «Mia Madre», a de fortes chance de figurer au palmarès que ce soit pour le prix de la mise en scène ou pour la Palme d’Or.

Perte d’identité et de valeurs 
Le film chinois «Mountains May Depart» a aussi conquis le public cannois avec un film qui traite également du passage du temps, entre passé, présent et avenir, qui est si nécessaire à la compréhension des sentiments. Jia Zhang-Ke met en scène l’histoire de Tao, «une jeune fille de Fenyangdans, la Chine de 1999, qui est courtisée par ses deux amis d’enfance, Zang et Liang. Zang, propriétaire d’une station-service, se destine à un avenir prometteur tandis que Liang travaille dans une mine de charbon. Le cœur entre les deux hommes, Tao va devoir faire un choix qui scellera le reste de sa vie et de celle de son futur fils, Dollar. Sur un quart de siècle, entre une Chine en profonde mutation et l’Australie comme promesse d’une vie meilleure, les espoirs, les amours et les désillusions de ces personnages face à leur destin».
Le film se déroule en trois parties, la première déjantée et romantique traite du choix de Tao, sur fond des mutations économiques profondes que connaît la Chine. Car le mode de vie des individus a profondément changé, l’argent et le gain étant devenus au centre de la vie, au point que Zhang a prénommé son fils Dollar, la deuxième partie dramatique évoque la séparation et la déchirure, car Tao ne verra pratiquement plus son fils, le père ayant obtenu la garde après le divorce, enfin la troisième traite du déracinement et de la rupture avec le pays, Dollar et son père ayant émigré en Australie. L’auteur de «The Touch of sin», en compétition il y a deux ans à Cannes, déplore la perte de l’identité, Dollar est perdu, il ne parle plus que l’anglais et a un vague souvenir de sa mère et ne communique avec son père qu’à travers les traductions de Google, il dénonce, en raison de la mondialisation, la perte des valeurs humaines et la rapacité des individus désormais sous l’emprise totale de l’argent. Seule Tao, enracinée dans sa province, représente les racines, l’identité et les valeurs de la Chine profonde et d’un mode de vie humain et équilibré. Dollar, déstabilisé, veut quitter ses études et pense retourner à la maison dont il a les clés que sa mère lui a données quand il avait 7 ans. Mais ce n’est pas facile pour lui. Retrouvera-t-il enfin sa génitrice ?
Ce film dramatique, teinté d’humour, est également habité par le cinéma à travers des plans d’une grande inventivité. Telles ces scènes où une marée humaine forme comme des vagues, celle du mariage ou encore la scène finale où Tao danse sur une chanson cantonaise qui a bercé sa jeunesse et qui traverse toute l’œuvre. Le tout est couronné par un jeu d’une grande maîtrise, notamment, de l’actrice principale Zhao Tao. Voilà un film qui pourrait également figurer au palmarès de cette édition. Le jury avec autant de bons films aura bien du pain sur la planche.

mercredi 20 mai 2015


En direct de Cannes — 3 Questions à Brahim Letaief, directeur de la 26e Edition des Jcc

« Les JCC sur la voie de la continuité… »

De notre envoyée spéciale à Cannes, Samira DAMI

« Opter pour le nombre optimal permis par le règlement des JCC, soit 3 longs métrages en compétition »
Brahim Letaïef est le nouveau directeur de la 26e édition des JCC (Journées cinématographiques de Carthage), nous l’avons rencontré au festival de Cannes dans le pavillon tunisien, qui, hélas, est loin de faire le plein et d’attirer les visiteurs. Tenu par plusieurs membres du personnel de l’administration du Cnci (Centre national du cinéma et de l’image) qui ne sont ni des professionnels, ni des spécialistes, ni des connaisseurs du cinéma, le pavillon n’est  plus que l’ombre de lui-même. Il est très peu fréquenté et dénué de l’effervescence qu’il avait connu auparavant, surtout en l’absence d’un grand nombre de professionnels tunisiens qui, cette année, ont fait faux bond, la Chambre syndicale nationale de producteurs de films n’est pas non plus représentée car n’ayant pas été associée par le Cnci au programme du pavillon. Encore heureux que le pavillon, où trône l’affiche, pas du tout inspirée, des prochaines JCC, prévues du 21 au 28 novembre,serve de lieu de rendez-vous au directeur des JCC qui profite de l’occasion pour prospecter de bons films africains, arabes et du reste du monde. Nous lui avons posé 3 questions.

En tant que nouveau directeur des JCC comptez-vous maintenir la continuité ou imaginer une nouvelle conception de la manifestation ?
Je pense que la continuité, au niveau du contenu, doit être maintenue car les fondamentaux des JCC sont un acquis à sauvegarder tandis qu’au plan de la forme et de l’organisation la manifestation a, comme vous le savez,  évolué. Toutefois, étant devenues annuelles, les JCC qui ont avant tout une dimension artistique, donc culturelle, il est certain que la ligne éditoriale est aussi importante que l’organisation. De ce fait, les JCC ne peuvent se dérouler sans des films arabes et africains projetés en avant-première, je vais, donc, prospecter de nouveaux films fraîchement produits.
La continuité se manifestera d’autre part dans les différentes sections du festival qui seront, évidemment, maintenues, à l’instar de la compétition des films arabes et africains, entre courts et longs métrages du genre documentaire et fiction, le Panorama du cinéma mondial, le Focus sur le cinéma tunisien, la section «Takmil» qui prête une attention particulière au cinéma africain en aidant les films dans la phase de post-production. Cette année je compte reprendre la section «Producer-network», abandonnée l’année dernière, en raison de la forte demande. Ainsi des réalisateurs arabes et africains rencontreront des producteurs étrangers qui pourraient les aider à achever le montage financier de leur opus. Enfin, les régions ne seront pas en reste, leurs publics auront droit à un programme ainsi qu’à la fête qui devrait se passer aussi dans les régions comme dans la capitale. Il est temps que les JCC  s’ouvrent franchement sur la Tunisie profonde.
Concernant le cinéma tunisien, dont de nombreux films sont déjà en boîte, or, lors de la dernière édition, un seul film a été choisi par la commission de sélection pour la compétition, combien comptez-vous en sélectionner durant la prochaine ?
Je sais qu’au moins 5 longs métrages sont déjà achevés et peuvent concourir pour les JCC, ceux de Farès Naâna, Mokhtar Ladjimi, Leïla Bouzid, Mehdi Hmili, Férid Boughdir, aussi j’opterai pour le nombre optimal de films permis par le règlement des JCC, 3 en l’occurrence. Cela afin de donner le plus de chance au cinéma tunisien. Je pense, donc, que la commission de sélection des films en compétition  pourrait, si la qualité le permet, choisir 3 longs métrages pour être en lice. Il est normal que notre cinéma ait de la visibilité aux JCC, comme c’est le cas, par exemple,  cette année à Cannes où 5 films français sont en lice dans la sélection officielle.
Pensez-vous, enfin, qu’il est vraiment temps que les JCC bénéficient d’une structure permanente et indépendante, à l’instar de tous les festivals du monde ?
Certes, j’ai été nommé directeur de la prochaine édition mais il faudrait bien qu’une structure permanente soit, enfin, mise sur pied d’autant que la périodicité de la manifestation l’exige. Car une fois les prochaines JCC terminées, vers la fin novembre, il faudrait rapidement entamer la préparation de l’édition suivante et pour cela, il est nécessaire d’avoir une structure permanente, sinon on perdra l’expérience et le savoir-faire acquis par chaque équipe qui s’en ira avec la direction précédente.

68e festival international de Cannes

L’Art est transgression, mais pas à tout prix

De notre envoyée spéciale, Samira DAMI 

Pour la première fois, la section officielle du festival de Cannes présente cinq films français en compétition. Après la projection de «Mon Roi» de la réalisatrice Maïwenn, mettant en scène la libération d’une femme d’une passion étouffante et destructrice et qui a reçu un accueil mitigé sur la Croisette, deux autres opus, «La loi du marché» de Stéphane Brizé et «Marguerite et Julien» de Valérie Donzelli, ont été programmés. Cela en attendant la projection des deux derniers de la liste «Dheepan »n de Jacques Audiard et «Valley of Love» de Guillaume Nicloux avec un casting façon duo d’enfer : en l’occurrence Gérard Depardieu et Isabelle Huppert.
Mais revenons d’abord à «La loi du marché » qui se focalise sur Thierry (Vincent Lindon) qui, à 51 ans, se retrouve au chômage et ce n’est qu’après 20 mois de recherche d’emploi qu’il commence un nouveau travail qui le met bientôt face à un dilemme moral. Pour garder son travail peut-il tout accepter ? Le film débute avec force en suivant Thierry dans sa quête d’emploi d’autant que son fils handicapé doit poursuivre ses études dans un collège spécialisé privé et qu’il doit emprunter de l’argent à sa banque. Les entretiens d’embauche de vive voix et même via Skype, les coachings pour impressionner et convaincre le recruteur se suivent dans des plans serrés, qui expriment les difficultés de la  vie et l’absence de perspective d’avenir. L’intervention de la banquière qui incite Thierry à vendre son unique bien, un mobil-home ; et les négociations avec un éventuel acquéreur pour fixer le prix de vente montrent toute la détresse humaine dans une époque terrible où le chômage sévit et où plus rien ne garantit  la dignité humaine qui ne peut exister sans travail ni argent. Mais hélas, alors qu’on s’attendait à ce que la descente aux enfers de Thierry continue, voilà qu’en son beau milieu, le film bifurque et l’on ne comprend pas comment le personnage central décroche un travail comme vigile, dans un supermarché ; les yeux bien ouverts sur les vols que peuvent commettre les clients et les caissières. Le personnage perd de sa cohérence et de sa force et n’évolue plus logiquement car la lutte contre la misère et les difficultés de la vie se transforme, sans crier gare, on ne sait trop pourquoi, en un problème de conscience et de morale. Même si le réalisateur en a profité pour montrer l’inhumanité du monde sans scrupule du capital.  Dommage que Stéphane Brizé ait, ainsi, abandonné son personnage en cours de route pour en dépeindre un autre. Or, ce personnage à double tête, par manque de profondeur, nous laisse sur notre faim. Mais n’oublions pas de relever le jeu maîtrisé de Vincent Lindon qui peut prétendre à un prix d’interprétation.

L’inceste banalisé
«Marguerite et Julien», dont l’action se situe au 17e siècle, met en scène l’histoire de deux personnages, Marguerite De Ravalet (Anaïs Demoustier) et son frère Julien (Jérémie Elkaïm) qui, depuis leur enfance, s’aiment tendrement mais en grandissant leur tendresse se mue en passion dévorante, leur aventure scandalise la société qui les pourchasse. La réalisatrice a adapté un scénario de Jean Gruault pensé en 1970 pour François Truffaut. Mais au lieu d’une réflexion sur cet interdit intemporel, Valérie Donzelli banalise l’inceste en le racontant dans le film à un public d’enfants dans un dortoir comme s’il s’agissait d’un amour possible et l’on comprend que la critique se gausse à Cannes d’un film où l’on défend presque l’inceste par une possible identification aux personnages.
Cela sans compter les anachronismes intentionnels et revendiqués au niveau des costumes et des accessoires, outre notamment cet hélicoptère utilisé pour rechercher les fugitifs ; les dialogues vides de sens et l’ennui ambiant où baigne la 2e partie de ce long métrage. Que ne ferait-t-on pas pour commettre à tout prix des transgressions au cinéma afin d’accrocher les spectateurs. Mais le résultat ne dépasse pas l’envergure d’un téléfilm car il ne s’agit pas de transgresser pour transgresser ; certes l’art est transgression mais pas gratuitement. Bref ; il semble que les sujets traitant de l’inceste et de l’homosexualité sont devenus très tendance durant les trois dernières éditions de Cannes, depuis que «La vie d’Adèle» d’Abdellatif Kechiche a remporté la Palme d’Or en 2013. Car  il en est est de même pour « Carol» du réalisateur américain Todd Haynes, programmé en compétition, qui narre l’attirance entre deux femmes : Thérèse (Roney Mara) et Carol (Cate Blanchett), dans le New York des années 1950 et qui se retrouvent en prise avec les conventions. Ce film adapté du roman de Patricia Higshmith est différent de celui de Kechiche car ça se passe  plutôt dans l’esprit et la pensée de Thérèse la narratrice, vu l’influence pesante de la société de l’époque des années 50 sur la relation des deux femmes. Et si «La vie d’Adèle» est moderne et naturaliste, «Carol» est un film d’époque, conventionnel dans la forme. Mais il est vrai que «Carol» est tout aussi magnifiquement réalisé, outre que les actrices sont superbes et sont, du coup, pressenties pour un prix d’interprétation.
Ainsi le cinéma français, hyper-représenté cette année à Cannes, n’a pas encore révélé ce film qui sort du lot parmi les cinq opus en compétition. Serait-ce alors «Dheepan» d’Audiard ou «Valley of Love avec l’immense Depardieu ? Attendons voir.

RETROVISION

PEU IMPORTE L'EXCES POURVU QUE CA BUZZE

PLUSIEURS concepts télévisuels européens et américains ont été empruntés, acquis ou carrément piqués, c’est selon, par certaines chaînes de télé locales, tels «Andi mankollek», «Dlilek mlak», «Labès», «Hat nahkiw», «Klem ennas» et tant d’autres. Toutefois, ces concepts venus d’Occident sont rapidement altérés et détournés, voire malmenés par une sorte de dramatisation à outrance où l’excès le dispute à la démesure, où les larmes, le plus souvent de crocodile, sont garanties afin de faire pleurer dans les chaumières et de booster, par la même occasion, l’audience et l’audimat. Ainsi, une émission comme «Andi mankollek» (sur El Hiwar Ettounsi), copiée sur «Y’a que la vérité qui compte» (TF1), est tombée dans le «Trash-TV» ou la télé-poubelle qui se nourrit exclusivement de la misère et des malheurs des petites gens à force d’exposer leur vie privée et leurs problèmes intimes au large public qui se transforme en voyeur. Sur le plateau, des couples ou des familles se disputent, s’entredéchirent, règlent leurs comptes, échangent les accusations, s’insultent, implorent, se lamentent, pleurent à chaudes larmes… Les problèmes sont forcés jusqu’à la caricature afin de provoquer l’apitoiement et la compassion. Même si les concepts originaux exploitent les disputes et les crises de larmes en tant que «moments forts»; une fois «tunisifiés», ils en deviennent tellement outranciers et excessifs qu’ils s’apparentent, désormais, plus à la fiction (fausses situations) qu’à la réalité. Cette démesure touche même, sous nos cieux, certains concepts qui ne s’y prêtent pas forcément, surtout à comparer avec leur traitement ailleurs. Prenons l’exemple de «Dari-déco», toujours sur Al-Hiwar Ettounsi, calquée sur «D&Co», entamée depuis 9 ans sur M6 et où l’animatrice Valérie Damidot se donne une semaine avec son équipe d’artisans et d’ouvriers pour réaménager et redécorer l’ensemble de la maison d’un particulier. Ce genre d’émissions a fleuri, depuis une dizaine d’années sur les chaînes occidentales, dans le but de faire découvrir au public le monde de la décoration et du design, et de transformer un intérieur banal, et même de mauvais goût, en habitation branchée. Et à comparer entre ces émissions conçues ailleurs et «Dari Déco», l’on décèle rapidement la différence entre le comportement de l’équipe de Mariam Ben Mami, animatrice de l’émission, et celle de Valérie Damidot. Dans «Dari Déco», l’équipe de réaménagement verse dans les moments de récréation et même en plein boulot dans l’agitation pure et simple, ça chante à tue-tête, ça s’amuse, comme de vilains gosses stupides, ça crie, ça hurle même, alors que les «gars» de Damidot sont montrés, une fois le travail terminé, en train de savourer calmement et paisiblement le résultat de leur travail et effort.

Des larmes à tout prix 

CETTE différence est également visible lors des réactions des propriétaires à la découverte du relookage de leur maison. Dans «D&Co», les propriétaires affichent leur joie de manière naturelle, en laissant transparaître leur admiration et satisfaction à la vue des transformations apportées à leur logis, tandis que dans «Dari Déco» la mise en scène des réactions est appuyée et dramatisée. Comme si on voulait soutirer à tout prix les larmes et les pleurs des candidats castés, ainsi que les propos larmoyants, les remerciements répétés et la gratitude excessive envers l’animatrice qui n’y est pour rien puisque tout est sponsorisé dans un but publicitaire au profit de diverses sociétés d’ameublements, d’équipements, de matériels et de produits de construction. Autre émission où le concept original est altéré et vicié : «Labès» qui est piquée en grande partie sur «Ce soir chez Arthur» (même décor, même rubrique) qui, lui-même, a copié ce show télévisé sur «Late show with…», un vieux concept américain, que ce soit avec David Letterman ou Craig Fergusson. Dans «Labès», nous l’avons déjà dit, tout est excès jusqu’à friser le plus souvent la vulgarité entre propos légers à l’emporte-pièce, pourvu que ça «buzze», jeux de mots à la noix très primaires, voire vulgaires, sketches pesants, emphatiques, versant dans l’agitation et nous en passons. On est si loin de la finesse et de la subtilité des concepts originaux ou par exemple du talk-show égyptien «Al barnameg» (Le programme) de Bassem Youssef (sur CBC puis MBC) — inspiré de The DailyShow de l’Américain John Stewart —, qui traite de manière satirique de l’actualité égyptienne et dont les critiques sarcastiques n’épargnent aucun homme politique quelle que soit son appartenance partisane. D’où l’immense succès de l’émission, aujourd’hui suspendue suite à des pressions politiques. Il est clair, au final, que la dramatisation excessive est le produit d’une volonté manipulatrice de jouer sur les sentiments des téléspectateurs en exploitant la misère, les malheurs, la convoitise, les disputes politiques et idéologiques et les intérêts des uns et des autres. Cela dans le but supérieur et ultime de faire le buzz et de garantir l’audimat, et certaines chaînes de télé locales sont prêtes à tout pour atteindre cet obscur objet du désir.
S.D. 

lundi 11 mai 2015

Entretien du lundi: Ridha Turki, président de la chambre syndicale nationale des producteurs de longs métrages

«Nous n’irons pas à Cannes»

La Chambre syndicale des producteurs de longs métrages ne sera pas représentée, cette année, au pavillon tunisien du Festival de Cannes (13-25 mai).
Ridha Turki explique, ici, les raisons de cette éclipse, contrairement à la tradition. «Mieux», il ne comprend pas que les réformes, proposées et recommandées dans une étude par les professionnels du cinéma tunisien, tardent à voir le jour, alors que le Cnci (Centre national du cinéma et de l’image) a été créé, en fait, à cette fin.

dimanche 10 mai 2015

RETROVISION

STRATEGIE DE COMMUNICATION POLITIQUE
Savoir-Faire et Faire-Savoir 
Par Samira DAMI 

"Une agence pour les moustiques», «Le drapeau tunisien, destiné à figurer
au Guiness-book, sera transformé en couvertures qui seront distribuées 
aux familles démunies des régions», «Un visa pour la Turquie sans la mention
«motif de la visite : Jihad» et nous en passons. Ces déclarations radiophoniques 
et/ou télévisées des membres du gouvernement Essid, soit respectivement
le ministre de l’Environnement, Néjib Dérouiche, la ministre du Tourisme, Salma Rékik Elloumi,
 et le ministre des Affaires étrangères, Taïeb Baccouche, ont provoqué une vague de réactions, entre sarcasmes et indignation, aussi bien sur les réseaux sociaux qu’au sein de l’opposition et de la classe politique.
Outre ces dérapages et boulettes sémantiques, les lapsus linguae pullulent 
non seulement de la part des membres du gouvernement Essid, mais aussi du
Président de la République. Le dernier en date commis par Béji Caïd Essebsi 
concerne la date de la rencontre avec la chancelière allemande Angela Merkel 
prévue le 7 juin en marge du G7, or, le président s’est trompé de date en avançant 
qu’elle aura lieu le 7 novembre (sic). Cela lors de la conférence de presse, tenue
le 27 avril, avec son homologue allemand Joachim Gauk, ce qui a provoqué l’hilarité 
des présents et les railleries des internautes sur la Toile. Autre lapsus célèbre de BCE :
 la confusion entre François Hollande et François Mitterrand lors de son discours
qui a suivi l’inauguration de la stèle de commémoration des victimes de l’attentat du Bardo,
le 29 mars dernier. 
Certes, les glissements de langage ne sont pas l’apanage du gouvernement et du président actuels,
 car du temps de la Troïka, il y en a eu des tas.
 Qu’on se rappelle, notamment, la déclaration de Samir Dilou, alors ministre
des Droits de l’homme et de la justice transitionnelle, quand il avait affirmé 
«qu’aucun manifestant à Siliana n’a perdu les deux yeux» (resic) lors de la séance
plénière du 30 novembre 2012, consacrée à l’audition du gouvernement de la Troïka sur les événements dramatiques de Siliana.
Qu’on se rappelle également le lapsus de l’ancien chef du gouvernement, Hamadi Jebali, 
qui a dérapé en déclarant, dans son discours du 9e congrès du parti Ennahdha, 
qu’on est devant «une dictature naissante» alors qu’il voulait dire «Une démocratie naissante».
De son côté, l’ancien président provisoire, Moncef Marzouki, en visite au Caire en juillet 2012, avait invité, dans une conférence de presse, Mahmoud Morsi, alors président de l’Egypte, à visiter «La Tunisie à l’est de votre grande Nation», avait-il précisé (reresic).
c’était une de ces bévues qui mettaient en cause les connaissances géographiques aussi bien au niveau de la présidence que des membres du gouvernement de la Troïka, quand par exemple, l’ancien ministre des Affaires étrangères, Rafik Abdessalem, attestait «qu’Istanbul est la capitale de la Turquie» ou quand il avait déclaré sur Al Jazira que «les côtes tunisiennes s’étalaient sur 500 km».

Coaching politique 
Ainsi, il est clair que les glissements de langage, les lapsus et les déclarations médiatiques à
l’emporte-pièce des hommes politiques se multiplient sous la pression de l’exercice du pouvoir et
de la pression médiatique qui mettent à dure épreuve les responsables. Ces bévues ne peuvent être évitées sans une connaissance approfondie des dossiers et sans la mise en place d’une véritable stratégie de communication du gouvernement. Cette stratégie de communication
suppose aussi bien un volet pratique : le coaching, qu’un volet théorique : des plans de communication.
Le coaching permet «de préparer les hommes politiques à s’adresser aux médias et de les aider à dire clairement et simplement les choses aux citoyens». Plus, selon le journaliste Stephen Bunard fondateur en 2002 de «coach and com», aux Etats-Unis, «le coaching politique aide les gens à prendre la parole en public, à être vrai, à trouver leur style. Les aider non pas à dire ce qu’ils ne
pensent pas, mais à développer l’art de dire et la confiance en soi».
Autrement dit, le coaching donne de l’aplomb au niveau du comportement et de la parole, ce qui éviterait de voir un responsable politique faire une déclaration la tête baissée et à voix inaudible,
comme le fait souvent le chef du gouvernement Habib Essid.
Maintenant, concernant les plans de communication, il s’agit d’élaborer une stratégie qui tienne compte des besoins et des attentes des citoyens, autrement dit d’établir les priorités (la cohésion sociale, la jeunesse, la sécurité, le coût de la vie, la culture, le sport, etc.) et de véhiculer, au fil de l’actualité, les messages que le gouvernement souhaite passer aux citoyens concernant
ces divers enjeux, sujets et domaines.
Bref, une stratégie de communication gouvernementale garantit la rigueur, le travail d’équipe, la coordination et la cohésion entre les différents ministères et permet d’éviter les dérapages de langage, les lapsus, les bévues et les incohérences, surtout quand il s’agit d’actualité brûlante et de déclarations à chaud aux médias. 
Une stratégie de Com ne peut que renforcer la crédibilité du gouvernement et l’harmonie de son équipe. Cette politique de communication peut se résumer en une devise, des plus éloquentes et expressives, adoptée d’ailleurs par certains pays africains : «savoir-faire et faire-savoir».
S.D.