mardi 22 mai 2012

65e Festival international de Cannes

Entre déception et séduction


Entre déception et séduction

 De notre envoyée spéciale Samira DAMI
C’est sous une pluie battante et ininterrompue, jamais vue auparavant en ce mois de mai, que se déroule, depuis deux jours, le Festival de Cannes.  Par ce temps froid et humide, il vaut mieux être dans les salles qui ne désemplissent guère, d’ailleurs, même sous le soleil et par beau temps. C’est qu’il y a, ici, un enthousiasme  remarquable pour le cinéma. Le marathon continue, donc, mais peu de films  de la compétition ont marqué cette 65e édition. Des déceptions, il y en a eu,  et elles sont d’autant plus grandes qu’elles sont le fait de grosses pointures du 7e art, vraisemblablement sélectionnées  plutôt en raison de leur nom que de leur œuvre.  L’Iranien Abbas Kiarostami, par exemple, qui, dans  Like someone in love  continue ses pérégrinations internationales et se perd cinématographiquement,  cette fois-ci au Japon, en explorant, encore une fois, un univers qui n’est pas le sien. Comme cela fut le cas, en 2009, dans Copie conforme dont l’action se déroule en Italie et qui avait valu un prix d’interprétation féminine à l’actrice Juliette Binoche.
 Like someone in love porte  le même titre que le célèbre standard de jazz, interprété, dans ce film, par Ella Fitzgerald. Et l’on comprend, donc, pourquoi  cet air sublime s’incruste tant au fil des scènes, c’est qu’il représente l’élément le plus intéressant du film, pour ne pas dire le seul.  Le dernier-né du réalisateur de Ten et Le goût de la cerise met en scène une rencontre à Tokyo entre un vieil universitaire très érudit, garant de la tradition, une jeune et séduisante étudiante qui vend ses charmes pour payer ses études et un jeune homme jaloux au bord de la crise de nerfs, voire de l’explosion. Une relation qui culminera dans la violence qui se noue entre les trois personnages. Que veut nous dire Kiarostami ? Que le monde, que ce soit au Japon ou ailleurs, est de plus en plus cruel, sans repères et sans valeurs morales. Assurément. Mais l’inconvénient c’est qu’il le dit de manière si peu crédible, si légère qui se veut amusante, mais qui rate le coche. Pauvreté du sens et de la construction dramaturgique, certes, mais aussi de la forme qui s’avère sans innovation créative, le réalisateur restant fidèle à quelques-uns de ses partis pris, en insistant sur la durée des plans et en multipliant les scènes où il filme ses personnages à l’intérieur de voitures. Que dire maintenant ? Sinon qu’il est temps que Kiarostami mette fin à «sa période internationale» et retourne à sa «période iranienne», laquelle a sécrété ses plus beaux films et dont on est vraiment nostalgique.  A moins que...
Un autre lot de films a suscité la déception : Reality de l’Italien Matteo Garrone, qui traite linéairement et superficiellement du monde factice de la téléréalité, Paradise : Love de l’Autrichien Ulrich Seidl, premier épisode d’une trilogie sur la vie sentimentale des Autrichiennes et Lawless (Des hommes sans loi) de l’Américain John Hilcoat qui se décline comme une énième version des années de la prohibition en Amérique, mais sans créativité aucune, sans compter la longueur et la pesanteur qui finissent par plomber carrément cet opus prétentieux et sans intérêt.

L’important c’est l’humain

Quelques films, jusqu’ici, ont emballé la Croisette : La Chasse du Danois Thomas Vinterberg, l’un des initiateurs du manifeste Dogma 95, qu’il a fondé avec son compatriote Lars Von Trier, qui est depuis l’année dernière persona non grata au Festival de Cannes. La Chasse est le septième opus de Vinterberg, le premier étant son film-culte Festen qui avait également agité la Croisette et obtenu en 1998 le prix du jury. Dans cet opus-là, le cinéaste met en scène la vengeance de plusieurs victimes d’un despote familial pédophile, dont le dernier c’est, au contraire, Lucas, un père divorcé qui travaille dans la garderie d’un village, et chasseur à ses heures, qui est accusé d’attouchements sexuels par la petite fille de son meilleur ami, Klara. Mensonge ou vérité ? Peu importe, personne ne cherche à savoir, car c’est aussitôt l’hystérie collective et la chasse qui commence, tout le village se met à répandre toutes sortes de rumeurs sur Lucas, banni du village et désormais seul contre tous. C’est le début de la descente aux enfers pour ce chasseur pris au piège du réflexe de Panurge et de l’hypocrisie sociale. Le spectateur sait que Lucas est innocent et s’identifie à lui d’autant qu’il jouit d’une beauté physique et morale, mais c’est probablement cette identification qui mine quelque peu le film émoussant suspense et mystère. Film sur le pouvoir du mensonge et la fragilité humaine, La Chasse vaut certainement par la performance de l’acteur nordique Mads Mikkelsen qui lui vaudra peut-être un prix d’interprétation masculine.
Amour de l’Autrichien Michael Haneke, Palme d’or avec Le Ruban blanc en 2009, a séduit les festivaliers, grâce, notamment, au thème qu’il traite, mais également à la rencontre et à la performance d’un couple d’acteurs magnifiques, Jean-Louis Trintignant, 81 ans (Georges), et Emmanuelle Riva, 85 ans (Anne), l’héroïne de Hiroshima mon amour. Georges et Anne, très unis, sont  mariés depuis des décennies, professeurs de musique classique et de piano à la retraite, ils partagent les choses de la vie, mais surtout le bonheur que procure la musique, mais un jour, Anne,  saisie d’une absence suivie d’une attaque,  devient hémiplégique. Après l’opération, elle demande à Georges de lui promettre de ne jamais la laisser retourner à l’hôpital... Il tiendra promesse, prendra soin d’elle et écartera les quelques visiteurs, même sa propre fille Eva. Mais petit à petit, Anne sombrera dans la démence... En fait, le film est un long flash-back car il s’ouvre sur un prologue où des agents de la protection civile découvrent Anne morte sur son lit. Le ton est donné, Haneke filmera la lente agonie de la vieille femme dans le saisissant huis-clos d’un appartement parisien défraîchi où seuls la bravoure et l’héroïsme de Georges vont transparaître. Ni crise de nerfs, ni voyeurisme, ni misérabilisme sentimental, ni mélo, mais de la dignité humaine surtout. Simple et sobre dans la forme, Amour véhicule des tas de questionnements : la vie a-t-elle  un intérêt quand elle n’est plus que souffrance et déchéance physique ? Vaut-elle la peine d’être vécue? Pourquoi cet acharnement ? Georges trouvera la réponse dans un épilogue saisissant d’humanité. L’important c’est toujours l’humain. Les deux interprètes pourraient probablement être récompensés. Vous n’avez rien vu, le dernier-né d’Alain Resnais  qui revisite à sa manière Eurydice, la pièce de Jean Anouilh, n’a pas non plus laissé indifférent le public cannois. Nous y reviendrons.

S.D.

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